lundi 29 septembre 2008

BECK BOGERT APPICE

"C'est anarchique, en équilibre permanent entre les égos."
BECK, BOGERT, APPICE « Live » 1974

Si le premier super-groupe fut Cream en 1966, il ne fut pas le dernier. En fait, il y en eut quelques-uns, tous pourvus des mêmes défauts, et un en particulier : la mégalomanie. D’abord, parce que les trios, pour la plupart, décidèrent de se nommer par le nom de chaque musiciens qui les composent (Beck Bogert Appice, West Bruce And Laing, Bruce Lordan Trower….). ensuite parce que sur scène, l’ensemble tournait à la démonstration gratuite et aux duels d’égos, et ce dés Cream , d’ailleurs.
BBA ne fut pas en reste, et pour cause, vu les musiciens présents. Pourtant, cela faisait envie. L’histoire remonte à 1970, lorsque Vanilla Fudge se sépare, et que le Jeff Beck Group période Rod Stewart fait de même. Le duo rythmique surdoué Tim Bogert à la basse et Carmine Appice à la batterie s’entend alors avec le prodige cyclothymique Jeff Beck pour fonder un trio qui tue. Initialement, Rod Stewart devait faire partie de l’aventure, mais le père Rod préféra aller boire un coup avec les Faces.
Le projet avorta lorsque Beck s’écrasa la gueule en voiture, le détournant de toute scène pendant plus d’un an (son nez en patate date de cette époque). Pendant ce temps-là, Bogert et Appice passèrent le temps avec Cactus, prodigieux quatuor de hard-blues surnommé le « Led Zeppelin américain ».
Lorsque le second Jeff Beck Group et Cactus furent dissous, les trois hommes se retrouvèrent. En passant, les aspirations du trio avaient légèrement évolué. D’abord heavy-blues, le son se dirigea vers des éléments soul que l’on retrouve déjà sur les deux albums du Jeff Beck Group en 1971 et 1972.
L’album studio de BBA sort en 1973, et obtient un bon succès. Il aurait pu être retentissant si Stevie Wonder, qui avait écrit « Superstition » pour eux, les avait laissé enregistrer la chanson en premier.
Ceci étant, le disque studio, de très bonne facture, et plutôt sobre au niveau démonstration, montrait quelques faiblesses : le manque de puissance, la voix un peu limite de Tim Bogert, et surtout, l’absence de compositeur affirmé dans le trio. Alors quand sort ce live, uniquement disponible au Japon alors que le trio, après une énième engueulade, s’est déjà séparé, on rigole. Surtout à l’époque de Ziggy Stardust.
J’aime ce live, justement à cause de ses nombreux défauts, mais aussi pour les étincelles de génie qui y figurent. Adolescent, les supergroupes me faisaient rêver. Alors, fantasme absolu, Cactus et Jeff Beck Group dans le même bateau, ça devait dégommer. Et ça dégomme sur ce live. C’est anarchique, en équilibre permanent entre les égos. Ca se tabasse, c’est rempli de coups bas entre Beck et Bogert qui se battent pour prendre la place, c’est bête et méchant.
Ca démarre par « Superstition », avec talk-box et cri stupide de Bogert. Puis le titre déboule comme une locomotive en rut, et là, ça fait mal. Le trio est en phase, ça bouscule, chacun suit l’autre avec aplomb. Cette version dantesque surpasse largement la version studio. Tout comme l’ensemble des titres du disque d’ailleurs de « Lose Myself With You », à « Black Cat Moan », en passant par une version apocalyptique de « Going Down », avec une démonstration du brio guitaristique de Beck. Mais surtout, ce qui brille ici, ce sont les titres funky. Très propres en studio, ils gagnent un côté cradingue et un groove inouï. C’est le cas pour « Why Should I Care », qui vous décolle les poils des bras. Quant aux titres plus soul-blues comme « Sweet Sweet Surrender », ils trouvent l’émotion juste, le frisson qui leur manquaient.
Bien sûr, il y a des défauts, comme le solo de batterie long et chiant, le « Beck’s Boogie » rébarbatif, tout comme le solo de basse pénible. En gros, BBA n’a pas évité les écueils du supergroupe, mais les compensent par d’immenses qualités live. Alors évidemment, tout cela n’avait aucun avenir, mais l’expérience fut concluante. En tout cas, elle fut éprouvante et définitive, puisque Beck abandonnera le hard-blues pour le jazz-rock sur « Blow By Blow » en 1975, et que la paire Bogert-Appice se sépare pour dix ans. Il y a donc comme une odeur de cendres chaudes là-dedans, comme si ces trois-là avaient tout donné.
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mardi 23 septembre 2008

DEEP PURPLE 1969

"Il ressort de ce "Third Album" une impression de fin de siècle, et de jardin anglais incroyablement mélancolique."
DEEP PURPLE « Deep Purple » 1969

Deep Purple, c’est le hard-rock lourd carburant à l’orgue Hammond goudronné. C’est « Smoke On The Water », ce sont les riffs électriques et les soli carbonisés à coup de vibrato de Ritchie Blackmore. C’est la voix hurlante de Gillan, ce sont des soli de toutes sortes, étirant les morceaux en concert sur une bonne dizaine de minutes.
C’est du moins ce que j’ai cru pendant des années avant de découvrir ce disque. L’histoire de Deep Purple ne débute en effet pas avec « In Rock » et le hard, mais en 1968. A l’époque, le groupe est alors composé de Ritchie Blackmore à la guitare, Jon Lord à l’orgue, Ian Paice à la batterie, de Rod Evans au chant, et de Nick Simper à la basse. A l’époque, Jon Lord est plutôt le leader, et le quintet est un groupe à l’origine fondé par un producteur, Tony Coletta, qui désire faire des sous avec la pop music.
Il réunit donc des musiciens expérimentés, et les incite à jouer plutôt commercial. Le répertoire de Deep Purple est alors en grande partie composé de reprises réarrangées dans le style Vanilla Fudge, c’est-à-dire une pop symphonique lourde et virtuose. Les deux premiers albums, « Shades Of Deep Purple » et « The Book Of Taliesyn » révèlent cet aspect. On découvre également les premières compositions, dont les premiers classiques en concert : « Mandrake Root » et « Wring That Neck ». Le second album est par ailleurs déjà fort intéressant, dévoilant de superbes arrangements, et notamment le magnifique morceau « The Shield », ou Blackmore joue une partie acoustique somptueuse. Leur version de « River Deep, Mountain High » est également magistrale.
Avec tout ce bagage en poche, Deep Purple cartonne vite aux USA, mais absolument pas en Grande-Bretagne. Et en 1969, le vent change. Le son s’alourdit, Led Zeppelin dégaine son premier album, et les Stones sortent « Honky Tonk Woman ». Aussi, Blackmore et Lord décident qu’il est temps de changer de direction et de s’affirmer. Blackmore vient d’écrire deux chansons, « Speed King » et « Child In Time », particulièrement puissantes, et pour lesquels Evans et Simper ne conviennent plus.
Ils recrutent donc Roger Glover et Ian Gillan en secret. Les répétitions du mark II débutent même, alors que le mark I tourne toujours ! C’est donc dans cette ambiance que l’enregistrement du troisième album débute.
Je me souviens l’avoir acheté pour la superbe pochette de Jérôme Bosch, et par le fait que ce disque fut un four commercial, dépourvu de tout soutien publicitaire, promo ou tournée.
Et dix ans après sa découverte, je reste persuadé que cet album est un de leur tout meilleur. Car « Deep Purple » est un album magique, vénéneux, sombre. Porté par la voix de crooner de Evans, le quintet déroule une ambiance médiévale, presque gothique, glaciale.
Tout commence par le tribal « Chasing Shadows », décrivant un cauchemar de Lord. Puis le groupe part dans « Blind » et son superbe clavecin, qui explose avec le solo gorgé de fuzz et de wah-wah de Blackmore. La belle reprise de « Lalena » de Donovan est également une pépite, pleine de ce charme troublant typiquement british, comme une longue promenade dans la campagne anglaise un soir d’orage.
Le disque plonge brutalement dans les ténèbres avec « Fault Line ». Instrumental où l’orgue et la batterie sont passés à l’envers, le morceau monte comme une procession infernale digne de la pochette du disque. Blackmore fait monter la tension avec une ligne de guitare emplie de vibrato qui annonce rien de moins que le premier album de Black Sabbath. C’est au bout de cette coulée de goudron brûlant qu’arrive le brillant et étincelant « The Painter ». « Why Didn’t Rosemary » est plus classique, et il faut attendre « The bird Has Flown » pour retrouver l’ambiance hantée du disque. Pour l’anecdote, la version 45T est encore plus tribal et sombre, presque vaudou.
Lorsque l’on en est là, on se dit qu’on a déjà affaire à un sacré album. Mais le disque se clôt sur une longue pièce de musique appelée « April ». Ce titre, censé traduire les impressions du groupe sur cette période de l’année, est un véritable chef d’œuvre. D’abord parce que la mélodie acoustique de départ est tout simplement brillante, et parce que la partie centrale est entièrement classique. Bien que peu enclin à la musique classique, j’ai toujours trouvé ce titre somptueux. Durant de belles minutes, Lord conduit un orchestre symphonique, et inaugure le périlleux alliage entre classique et rock. Pour exemple, le « Concerto For Group And Orchestra » est à moitié raté, alors que ce quart d’heure-ci est purement magique. « April » se clôt dans l’électricité, et Blackmore dégaine sa Gibson, pour un final électrique et mélancolique, où, pour la dernière fois, la voix de Evans fait des merveilles.
Il ressort de ce « Third Album » une impression de fin de siècle, et de jardin anglais incroyablement mélancolique. Deep Purple a effectivement durci le ton, mais pas uniquement avec les décibels. C’est avec la tonalité, et sans doute à cause de cette ambiance sombre entre les musiciens que Deep Purple a dévoilé une belle partie de son âme.
Je me suis souvent dit qu’au lieu de se déguiser en Robin des Bois et de fonder Blackmore’s Night, Blackmore aurait dû faire un disque davantage dans cette veine, où il excelle.
Après cet album, Evans et Simper sont virés en juillet 1969. Simper fondera le très Purplien Warhorse, auteur de deux bons albums. Evans, rejoint un ancien Edgar Winter, Bobby Caldwell, et deux anciens Iron Butterfly, Rhino et Lee Dorman, pour fonder le somptueux Captain Beyond. Ce combo délivrera deux albums prodigieux, avant que Evans, brisé par les tournées et les galères, n’abandonne et reprenne ses études.
Il commettra l’irréparable en participant à une fausse reformation de Deep Purple en 1980, montée de toute pièce par un producteur véreux, et dont les musiciens n’ont jamais eu aucun rapport avec Purple. Seul Evans s’est fait avoir. Ce « Bogus Deep Purple » jouera une poignée de concerts qui tournèrent à l’émeute à chaque fois, avant que les avocats du vrai Deep Purple n’arrête la supercherie. Et prive Evans de tous ses droits sur les trois premiers albums. Evans, ruiné, vit en Californie. Deep Purple connaîtra la gloire internationale avec son hard-rock. Ce troisième album ne fut qu’une transition, mais aussi une parenthèse magique. Comme si, délivré de toute pression, de tout carcan musical, un peu perdu, le combo avait laissé divaguer son imagination. Et offrit cet ovni musical à ses fans, qui reste une pépite noire dans sa discographie. Un peu à l’image du sort de ses anciens membres.

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dimanche 21 septembre 2008

DAVY GRAHAM

"Le jeu de Graham, précis, inspiré, emporte l'auditeur dans les époques, les lieux et les sentiments."
DAVY GRAHAM « large As Life And Twice As Natural” 1969

Parce que ce genre de disques existe, je continuerai à aimer la musique rock au sens large. Davy Graham fait partie de ces artistes méconnus du grand public dont le talent n’a aucune limite.
Il est de ces illuminés merveilleux du Folk-Blues, les John Fahey, Bert Jansch, ou John Renbourn qui par une démarche totalement personnelle, réussir à créer un univers sonique incroyablement riche.
Il reste que Graham débuta sa carrière à la fin des années 50 dans les clubs de folk en Grande-Bretagne. Il côtoie Cyril Davies ou Alexis Corner, mais son approche purement acoustique le différencie de ses pairs du British Blues-Boom. D’autre part, Graham est un virtuose de la guitare, dont le spectre musical ne se limite au Blues pur. Rapidement, des éléments de musiques celtique et médiévale, de jazz, ou de musiques indienne et arabe imprègnent ses mélodies.
C’est notamment lui qui influencera grandement Jimmy Page pour les titres acoustiques : « Black Mountain Side » sur le « I » ou l’instrumental de concert « White Summer » ne sont rien d’autres que des assemblages de reprises de Graham.
Au milieu des années 60, il connaît un certain succès surfant sur la vague du folk avec Donovan, Bob Dylan, et autres Fairport Convention. Avec l’arrivée du psychédélisme, Graham intègre d’autres instruments à sa musique, et sa démarche aboutit à ce disque.
Nous sommes en 1969, et Albion danse encore sur le heavy-blues et les prémices du rock progressif que sont Atomic Rooster et Colosseum. Or, il se trouve que Graham connaît bien deux d’entre eux : Jon Hiseman, et Dick Heckstall-Smith, respectivement batteur et saxophoniste de Colosseum. Il s’adjoint également le futur contrebassiste de John Martyn, Danny Thompson.
La petite équipe enregistre alors un fantastique album que voici. C’est en fait un voyage de continent en continent. Dés l’intro arabisante de « Both Sides Now », on comprend que l’on a pas affaire à du folk-blues classique. D’autant plus que le titre plonge tête baissée dans une mixture de jazz et de blues irrésistible. Hiseman fait claquer ses cymbales et ses balais sur la peau de la caisse claire. La voix de Graham, douce et fragile, chante une ballade superbe et rythmée, comme un appel au voyage. Et celui-ci ne sera que rencontre, quartier embrumé de Chicago, et errance dans le désert de Tunisie, cigarette sur un quai de gare de Manchester et douce promenade dans la campagne anglaise.
Les instrumentaux sont à eux seuls de superbes exemples de déambulations musicales. Le jeu de Graham, précis, inspiré, emporte l’auditeur dans les époques, les lieux et les sentiments. On reste admiratif devant un tel feeling, et en même temps, on se sent envahir par une folle sensation de bien-être. Les accords qu’il égrène virevolte entre blues et musique indienne avec une facilité et un naturel déconcertant. Les « Sunshine raga » et « Blue Raga » sont de superbes pièces de musique, dont on se lasse pas, tant il y a à découvrir.
Mais il y a aussi des choses plus simples, mais tellement efficace, comme ce superbe « Freight Train Blues », vrai blues brut, mais avec cette touche folk anglaise qui magnifie le titre, et les roulements de tom bass de Hiseman. Il y a aussi ces superbes chansons folk : « Babe, It Ain’t No Lie », ou « Beautiful City », aux mélodies fragiles et magnifiées par de subtiles touches jazzy.
J’ai parfois du mal à décrire réellement ce que ce disque fait vivre, fait ressentir. Il est difficile de décrire un voyage intérieur, où chaque sensation est personnelle. Mais force est de constater que ce disque est ce que l’on peut appeler un beau disque, fin et riche aux incroyables qualités musicales.
Cela n’empêchera pas Graham, à l’instar de Renbourn, Jansch ou Fahey, de progressivement disparaître de l’horizon musical au cours des années 70. Il y a peu, il a enregistré un nouvel album, son premier depuis presque trente ans. Et vous savez quoi ? Il y a des gens qui ont vraiment du talent.

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lundi 15 septembre 2008

RITCHIE BLACKMORE AND JIMMY PAGE

"Fulminant intérieurement, il se venge sur sa guitare."
Deep Purple European Tour 1993 + Jimmy Page And The Black Crowes Live At The Greek 1999

Comment peut-on continuer lorsque l’on a connu la gloire, la fortune, l’adoration béate et le succès artistique à 25 ans ?
Guitare en bandoulière, arc-bouté sur le manche, les cheveux sur le visage, la chemise ouverte sur un torse en sueur, costumes à paillettes et boots à talons, le guitar-hero est dévoré des yeux par des milliers de jeunes filles en chaleur.
C’était en tout cas le quotidien de ces héros modernes durant les années 70. Les Jimmy Page, Jeff Beck, Eric Clapton, Ritchie Blackmore, Tony Iommi, Michael Schenker, Eddie Van Halen… ont tous laissé une trace immense dans l’histoire du Rock, que ce soit par leurs musiques, ou par les milliards d’anecdotes toutes plus croustillantes les unes que les autres sur, pêle-mêle, la magie noire, le sexe, les concerts, les enregistrements studio, les engueulades entre musiciens, l’alcool, et la drogue.
Mais lorsque cette jeunesse dorée disparaît, lorsque le guitar-hero se réveille à presque quarante ans en sortie de cure de désintox, au milieu du grunge et du rap-hip-hop, que reste-t-il.
Prenons deux cas bien précis : Ritchie Blackmore de Deep Purple et Jimmy Page de Led Zeppelin.
Est sorti il y a quelques mois ce coffret quatre CDs regroupant deux concerts (Stuttgart et Birmingham) de la tournée désastre de Deep Purple en 1993. J’ai toujours eu une profonde appréhension sur cette période de Deep Purple. Bien que grand fan du groupe, j’ai du mal à écouter les disques entre 1987 et 1994.
J’ai souvent pardonné à Blackmore ses errements, mais parfois… Il faut dire que le bonhomme est un cas. C’est en fait lorsqu’il est en difficulté qu’il propose le meilleur de lui-même. Lorsque Ritchie est maître de la situation, c’est un désastre. Souvenez-vous les derniers albums de Rainbow et cet ignoble son FM, où l’atroce « Slave And Masters » de Deep Purple en 1991, suite au départ de Gillan. C’est bien simple, Blackmore se laisse aller à des facilités de composition qui frise le ridicule.
Alors oui, c’est bien la tension qui le rend meilleur. Et ce quadruple live en est un exemple flagrant. Imaginez un peu l’ambiance : Gillan revient dans Purple suite à la pression du management pour réaliser un album et une lucrative tournée du 25ème anniversaire du groupe. Enfin, c’est ce qu’ils pensent là-haut.
Car l’album qui en résulte, « The Battle Rages On », est un album très moyen, bien loin des « Machine Head » et « In Rock ». Ensuite, la partie américaine de la tournée est annulée, faute de réservations. Il reste alors l’Europe et le Japon. D’entrée, les choses commencent mal, d’autant plus que Gillan et Blackmore ne se supportent pas, les deux s’envoyant de petites vannes par presse interposée.
Mais sur scène… En fait, le dilemne, c’est que Ritchie pense, à juste titre, que Gillan n’est plus capable de chanter certains titres classiques, dont « Child In Time ». Bien que ce dernier s’en défendent, les deux hommes s’affrontent littéralement sur scène.
Mais c’est Blackmore qui tire la charge. Furieux, renfermé comme une huître, il ne peut que subir cette tournée. Fulminant intérieurement, il se venge sur sa guitare.
Tout de noir vêtu, encore mince mais affublé d’une espèce de crinière noire genre perruque grand siècle doublée d’une petite moustache de vicomte, l’homme ferme les yeux et joue.
Ce coffret est le digne reflet de cette tournée, donc, car on y découvre le pire et le meilleur. Le pire, ce sera le dernier concert avec Blackmore, à Brimingham, filmé qui plus est. Blackmore débarque au milieu de « Highway Star » après avoir viré le cameraman de la scène parce qu’il n’en voulait pas, un Gillan qui chante faux et qui oublie la moitié des paroles,et des titres raccourcis faute d’inspiration blackmorienne, déjà résigné à partir.
Le meilleur, c’est Stuttgart. Un Blackmore concentré, sortant des notes hyper-serrées, brillantissimes, purgeant un répertoire historique de sa guitare magique, poussant dans ses derniers retranchements un groupe que l’on pensait exsangue. Il faut écouter ce « Child In Time », jouer à l’encontre de Gillan rien que pour le faire chier parce qu’il n’arrive plus à monter dans les aigus. Ritchie se lance dans un duel guitare-clavier avec Jon Lord de plus de cinq minutes, poussant le vieux Lord dans des soli qu’il n’avait pas joué depuis 20 ans. Il y a aussi l’arabisant « Anya » nouveau titre du dernier album en date, sur lequel Blackmore entreprend un solo magique, véritable odyssée mystique de plusieurs minutes. Il y aussi ces bouts d’impros irréelles comme le début de « The Mule », sorte de jam un peu funky, « In The Hall Of The Mountain King », douce mélopée classisante, et la géniale intro de « Smoke On The Water », lente montée en puissance avant l’explosion DU riff.
Blackmore y est brillant, et ce sera bien la dernière fois. Depuis, l’homme est tombé dans les travers des héros rock’n’roll qui ne veulent pas vieillir : marié à une petite blonde de trente ans sa cadette, qui chante vaguement avec lui dans un groupe de musique renaissance qui ressemble plus à de la musique new-age qu’à du folk, toujours avec ses cheveux longs teints au cirage, l’homme a encore de la prestance, mais guère de fierté. Dommage, car le bonhomme avait sûrement bien mieux à faire, d’autant plus que le temps est compté, surtout quand on a soixante balais.
Pour ce qui est de Jimmy Page, les choses sont plus simples. Car l’homme a en fait tout dit avec Led Zeppelin. Il lui a fallu du temps pour le réaliser, mais c’est à soixante ans que l’homme se porte le mieux.
Il faut dire qu’au sortir du Zep, Page est un homme carbonisé. Dévoré par l’héroïne, squelettique, venant de perdre un ami cher (John Bonham), il lui faut récupérer.
Et ce n’est pas The Firm, pet foireux, regroupant tout de même Page et Paul Rodgers, qui fera mieux. Jimmy est à l’ouest, et ne remettra les pieds sur terre que progressivement. Son album solo, « Outrider », est très moyen, et celui avec David Coverdale, agréable, n’est pas un chef d’œuvre non plus.
Pourtant Page fait vendre, quoi qu’il fasse, Led Zeppelin oblige. Et ce sera aussi son malheur. Car Jimmy n’arrive pas à tourner la page. La faute à un Robert Plant parti trop rapidement à sa carrière solo, et qu’il retrouve par ci par là pour des reformations du Zep avec John Paul Jones pour le Live Aid ou des cérémonies.
Il faudra attendre 1995 pour que Plant et Page retravaillent sérieusement ensemble. D’abord avec « Unledded », histoire de clore l’histoire Zep ensemble, puis avec « Walking Into Clarksdale » en 1998, album studio de Page-Plant magnifique, ou Jimmy retrouve son niveau des années 70, et surtout une inspiration nouvelle qui lui permet d’avancer enfin.
Cette thérapie réalisée, Page peut alors se laisser aller à gérer l’héritage Zeppelin. Ici un dvd, là un live inédit, entre cérémonies, et hommages, l’homme savoure enfin ses créations et sa renommée.
Il ne lui reste plus qu’à s’amuser. Et il le fera avec The Black Crowes. Page a déjà croisé le fer avec eux en 1996, comme ça, lors de concerts. Mais là, c’est une tournée commune qui se met en place. Le succès est énorme. D’abord parce que la bande reprend du Zep, ainsi que du Fleetwood Mac (période Peter Green) ou du blues. Que ces gars-là s’amusent, et n’essaient surtout pas de coller à la musique du Zep genre groupe-tribute.
Et le plaisir est palpable. Page retrouve le plaisir de jouer, s’éclate, saute partout. Pour les Black Crowes, croiser le manche avec une icône leur donne des ailes.
Alors Page ressort le théramine sur « Whole Lotta Love », déterre « Ten Years Gone » de 1975 et « Shapes Of Things » de ses années Yardbirds, et joue tout simplement.
Ce live ne devait pas sortir. Uniquement disponible sur internet, il fut finalement commercialisé, la demande et les téléchargements étant tels qu’il fallut compenser.
Et à l’écoute, on sent une musique chaleureuse, et beaucoup de plaisir. Le vrai symbole de ce disque, je crois, c’est cette photo de Page en sueur, les cheveux courts, fumant sa cigarette après le concert, tout sourire.
L’homme semble bien avec lui-même, en paix, et cohérent avec son âge et son travail. Ce qui n’est pas le cas de Blackmore, toujours enfermé dans ses murs, et refusant obstinément de parler de Deep Purple et de Rainbow.
Alors le temps fera-t-il office ? Ces hommes sont aujourd’hui sexagénaires, et se retrouve icônes historiques d’une musique adolescente, et dont le pouvoir est toujours énorme. Mais comme le disait Ian Gillan en 1996, juste après avoir coupé lui aussi son immonde tignasse teinte au cirage : « Si je veux continuer à chanter, il faut que mes textes me ressemblent, parlent de choses qui m’intéressent, des choses de mon âge. Il y en a bien que cela peut intéresser. Et puis, comment pourrais-je encore parler de petites pépés et de gros cubes, comme dans « Highway Star » ? »
Bonne question Ian. Il est souvent difficile de vieillir quand l’histoire et les médias se souviennent éternellement du jeune homme que vous étiez, et que vous n’êtes plus. Mais cela n’enlève rien au talent.

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