mercredi 17 juin 2009

UK


"Et c’est en cela que ELP aurait bien été incapable de produire pareil 33T"

UK : « Danger Money » 1979

En revenant du concert d’AC/DC au Stade de France, je n’avais pas spécialement envie de chroniquer un de leurs albums. Pas que le concert fut mauvais, les pépères se défendant encore bien, surtout vu la misère musicale actuelle. Alors que le cliché Rock est galvaudé à tort et à travers, il est parfois bon qu’un de ses valeureux guerriers de l’ancien temps remettent les pendules à l’heure question présence scénique et musique. Bien sûr, on est loin du panache du AC/DC de 1978, évidemment… Néanmoins, quelque chose m’a gêné dans ce concert : le contexte. Le Stade de France est immense, la plupart du public ne voir rien, ou uniquement les écrans géants. Les fans se croient obliger de s’auto-caricaturer en fans de métal poilus et gorgés de bières, et puis tout ce merchandising, cela sent trop le pognon. Il y avait donc un petit goût amer malgré le plaisir de les avoir vu, et surtout entendu.
A moins que ce ne soit le fait que j’aie le moral dans les chaussettes en ce moment, mais j’ai plutôt ressorti ceci. C’est en relisant un vieux magazine, celui de mon mois de naissance, que j’ai découvert une chronique de ce disque. Alors en pleine période post-punk, et en pleine renaissance du heavy-metal, un journaliste osait dire du bien d’un disque de rock progressif. En 1979.

Je connaissais UK, mais comme tous les amateurs, par le premier album. Ce disque, paru en 1978, regroupait en team de rêve Bill Bruford (ex-Yes et King Crimson) à la batterie, John Wetton (ex- Family, Uriah Heep, King Crimson) à la basse et au chant, Allan Holdsworth (ex-Tempest, Soft Machine, Nucleus, Gong) à la guitare, et Eddie Jobson (ex-Roxy Music) aux claviers et au violon. Ce premier album, alliage de rock progressif anglais, de heavy-music, et d’une pop préfigurant la New-Wave laissera notamment pantois un certain Eddie Van Halen. Ce disque, superbe, fut couronné d’un grand succès critique et scénique, mais plus relatif au niveau commercial. Holdsworth et Bruford furent donc mis à la porte par les managers du groupe, et chargèrent Wetton et Jobson de briller commercialement.
On pouvait craindre le pire en ces heures où le Hard-FM trustait les charts grâce à des groupes comme Journey . Pari osé, les deux compères s’y refusèrent. Ils préférèrent plutôt sortir le disque que ELP fut incapable de produire en 1979.Wetton fut plus souvent à disposition de ses groupes plutôt que le contraire. Et Terry Bozzio, jeune prodige assurant la batterie, est plutôt habitué à la discipline musicale puisque sortant du band de Frank Zappa.

Bref, les trois hommes sont des musiciens affûtés mais pas des virtuoses bouffis d’orgueil. Aussi, cet album brille par sa précision d’interprétation, et sa très grande cohésion. Et puis surtout, il y a ces chansons superbes, à la fois techniques et mélodieuses, synthétiques et subtiles.
Et cela démarre avec le brillant « Danger Money », avec son introduction à la fois majestueuse et angoissante. Signe des temps. La musique de UK ne s’apprivoise pas. Il faut se laisser porter, sans vouloir connaître la chanson avant d’en avoir écouter la totalité. L’orgue virevolte, aérien, en nappes, avant que la ligne vocale de Wetton démarre, irrésistible. Cet homme a un vrai talent de compositeur. Il est en effet capable de créer des mélodies limpides à l’aide de lignes instrumentales heurtés et complexes qui permettent aux protagonistes de faire usage de leur brillant talent. C’est en tout cas une chanson que l’on se surprend à chanter en voiture. Les synthétiseurs, qui devinrent le cancer de la musique des années 80, sont utilisés ici avec une grande subtilité, ce qui est bien rare à l’époque de la course au progrès dans la rock-music.
Suit alors « Rendez-Vous 6.02 », une belle mélodie au piano chantée par Wetton. La basse et la batterie se font délicates, renforçant la tension du drame de cet homme qui s’en va. Les claviers montent bientôt en embuscade, avant de retomber sur le refrain aérien, fait de chœurs. Ce qui étonne sur ce disque, et c’est en cela que ELP aurait bien été incapable de produire pareil 33T, c’est la simplicité de l’approche, le dépouillement des arrangements malgré la complexité de la musique.
Le rythme s’accélère à nouveau avec « The Only Thing She Needs ». C’est un morceau pop, entraînant et gracieux, le plus accessible de tous. Mais la batterie de Terry Bozzio, redoutable, intelligente, perturbe la limpidité du refrain pour le ramener dans la logique d’un King Crimson, celui qui naîtra aux débuts des années 80. Preuve, s’il en est, que John Wetton est bien l’un des piliers du son Roi Cramoisi des années 70.
Le disque se termine sur un grand sommet, « Carrying No Cross », longue pièce sombre de plus de 12 minutes qui dévoile tout ce que le Rock Progressif aurait pu encore offrir si il avait su éviter l’écueil des pompes arrogantes d’un ELP ou d’un Yes en fin de carrière. Quoique, l’on retrouvera de cette dynamique pop et sauvage sur « Drama » des derniers nommés, en 1980, mais pas avec la même finesse mélodique.
Mal compris, ce disque est avant tout le son d’une musique très produite, sophistiquée, mais aussi angoissante par ces voix aériennes et ces mélodies à la fois lumineuses et sombrement adultes. Il est évident qu’il n’y a dans ce disque rien de particulièrement enthousiasmant pour les kids en mal de défouloir auditif. Et c’est sans doute ce qui fit son échec (relatif) à l’époque.
Pourtant, sa découverte fut pour moi un surprise. Comment pouvais-je aimer un tel disque, sans guitare, surproduit, si férocement proche d’un ELP. Pourtant, il y a cette approche férocement mélodieuse, cette dynamique, et puis la voix de John Wetton qui fait de cet album un compagnon attachant lorsque l’on se sent mal. Il est délivre de ces atmosphères cotonneuses, froides et tristes, celles de ces horizons urbains qui nous pourrissent l’existence, mais qui ne sont que notre quotidien. Cette musique est un miroir fatal, sans concession de nos quotidiens désincarnés. Nous vivons parfois (souvent) des journées plates, sans relief, où ne rayonnent que de grandes autoroutes encombrés et de vastes zones commerciales où l’on a l’impression d’avoir plus fait un sacrifice qu’un réel geste de vie. Il fait froid et je relève mon col. C’est encore une journée jouée d’avance, et j’ai l’impression que c’est celle de trop. Alors viens en tête « Danger Money »….

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lundi 8 juin 2009

SAMSON

"Un seul homme se souvint de quelques gammes magiques, de douze mesures qui restèrent pour lui l’axe de sa musique. "

SAMSON : « Head On » 1980

Il y eut un important dégât collatéral à la New Wave Of British Heavy-Metal : la mort du Blues. En effet, ce mouvement de renouveau du Heavy-Metal anglais entre 1979 et 1981 marqua la fin du règne du Punk sur les trois années précédentes dans le monde du Rock.
Particulièrement décrié par la critique de bon goût à l’époque (et encore aujourd’hui), comme le Heavy-Metal à sa naissance en 1970 d’ailleurs, ce mouvement remit en avant la guitare, combinant violence, musicalité, et une certaine forme de virtuosité.
La NWOBHM marque pourtant la fin des influences Blues dans le Heavy-Metal et le Hard-Rock, ce terreau fertile qu’elles furent pour Led Zeppelin, Black Sabbath, ou encore UFO ou Thin Lizzy.
Désormais, le Heavy-Metal cherche la puissance héroïque, la décharge de chevrotine plutôt que le poison vicieux des longues jams instrumentales du Zep en 1973.
Ainsi, Iron Maiden, Saxon, Def Leppard, mais encore Diamond Head, Tygers Of Pan-Tang ou Holocaust cherchèrent le riff fatal, le coup de rein chromé qui faisait d’eux les maîtres du monde le temps d’un concert.
Un seul homme se souvint de quelques gammes magiques, de douze mesures qui restèrent pour lui l’axe de sa musique. Paul Samson est déjà un vieux con au sens Punk du terme puisqu’en 1980 il a l’âge canonique de 27 ans. L’homme a trouvé en 1979 le line-up idéal : Paul Aylmer à la basse, Barry Gordon à la batterie dit Thunderstick, et un certain Bruce Bruce au chant, plus connu sous le nom de Bruce Dickinson.
Bien que ce dernier est une voix impressionnante, c’est avant tout un groupe qui brille dans les clubs depuis plusieurs mois. D’abord, il y a le visuel, avec le batteur Thunderstick, homme cagoulé jouant dans une cage (quand il y a la place), et matraquant ses fûts avec la dextérité d’un Billy Cobham sous acide. Et puis il y a l’homme à la Gibson SG, et ses riffs serrés mais mélodiques, et ses chorus bluesy.
Samson tourne depuis 1977, mais il semble que 1980 soit enfin l’année du quatuor. Signés sur RCA, les quatre hommes vont dégainer un disque puissant et sauvage. Sous sa pochette à la fois effrayante et hilarante, montrant un Thunderstick armé d’une hache tel le bourreau de Béthune devenu fou, « Head On » dévoile toutes les qualités d’un groupe enfin à la hauteur de ses ambitions et de son talent.
Démarré par un bon hard-rock des familles, « Hard Times », il décoche sa première flèche fatale : « Take It Like A Man ». Un homme marche incertain, des bouteilles se brisent au sol, la batterie galope à travers les écouteurs. Le riff est serré, Bruce est hargneux, macho.
Mais ce qui brille, c’est le refrain, avec les chœurs doublés de Bruce sur plusieurs octaves, qui offre une bouffée d’air mélodique dans ce torrent de Hard-Metal fou.
Le titre suivant démarre comme une ballade. Glaciale, aérienne mais étouffante, « Vice-Versa » virevolte sur des roulements de toms vicieux, presque tribaux. Le riff s’épaissit, le rythme s’accélère, le chorus résonne, le cœur gonflé de Blues.
« Manwatcher" est un riff vicieux, où brille un refrain vocal qui une fois encore aère la mélodie menaçante du titre. « Hammerhead » est d’ailleurs sur le même principe, mais avec un riff presque boogie.
On peut déplorer quelques titres de facture plus classique comme « Too Close To Rock » ou « Hunted », mais leur efficacité est alors bien rare dans le rock de l’époque (et ne parlons pas de maintenant). Signalons « Thunderburst », instrumentale qui n’est autre que le même qui ouvrira l’album « Killers » de Iron Maiden en 1981 sous le nom de « The Ides Of March ». Paul Samson et Steve Harris avaient en effet composé ce titre ensemble afin de créer un morceau d’ouverture aux concerts qu’ils réalisaient ensemble avec leurs groupes respectifs.
« Take me To Your Leader » est un morceau jouissif, au titre hymniesque, qui voit à nouveau Samson briller dans le hard-rock sauvage et speedé (cette batterie).
Mais le clou, c’est « Walking Out On You ». Démarré par des chants grégoriens passés à l’envers, angoissants comme un film d’horreur, , il s’agit d’une pièce épique, résonnant entre épique et blues. Le chant de Dickinson est magnifique, et il n’égalera que rarement ce mélange de retenue et d’émotion. La section rythmique est implacable, le riff plombé, les chorus superbes. Il est conseillé à la jeune fille de ne plus s’enfuir.
Ce disque marquera à la fois d’une certaine exubérance juvénile, et d’une rudesse sonique, qui sur les albums suivants, marqueront la volonté pour Paul Samson d’orienter sa musique vers un hard-rock bluesy proche de Whitesnake, mais en plus viril et torturé.
« Shock Tactics », pourtant produit par Tony Platt, déçoit par son manque de consistance, et Bruce Bruce se sauve chez Iron Maiden. Bien lui en a pris, car «Before The Storm » est un chef d’œuvre. Samson trouva en Nicky Moore un prodigieux chanteur. Vieux briscard du hard-blues psychédélique, ex-Hackensack et Tiger, sa voix puissante, rauque, et sa présence scénique marqueront un virage définitif dans la carrière de Samson, le groupe. Hélas, en pleine explosion du Hair-Metal US et de la New Wave, le hard-rock bluesy carré et brillant de Samson fut un bide commercial. Mal conseillé, mal supporté, Samson s’enfonça dans l’échec commercial. Pourtant, Paul Samson avait sans doute compris beaucoup de choses musicalement parlant, et le son de sa guitare, unique, reste une influence indirecte pour beaucoup de groupes modernes cherchant un peu de contenance.


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jeudi 4 juin 2009

THE POLICE

"Il ressort finalement de cet album une sensation de malaise profond. J’ai toujours écouté ce disque dans mes périodes noires. "


THE POLICE « Synchronicity » 1983

Petit costume gris brillant, pantalon bouffant, permanentes de surfeurs californiens, les années 80 sont là. Le monde du Rock plonge dans les synthétiseurs, les basses rigides, et les sons de batteries synthétiques FM claquant comme une espadrille dans une flaque d’eau.
C’est également la fin d’un état d’esprit sauvage et libre, la fin des Led Zeppelin, des Who 70’s, de tout ce rock jouissif et rebelle qui plie devant MTV. Seul le Heavy-Metal résiste encore, mais pliera avec l’avènement du Glam-Metal californien.
Au milieu de cette fange lugubre, The Police est un ovni. Pas vraiment marginal, non, car comme beaucoup de groupes punk énervés de la fin des années 70, ils plongent dans le rock adulte à synthé, à l’instar des Stranglers ou des Clash.
Sauf que The Police a un talent supplémentaire : Sting. L’homme est un compositeur hors-pair. C’est lui qui écrira les plus grands tubes du groupe. C’est aussi lui qui précipitera le groupe à sa perte.
Le succès redoutable du trio, les fans , les tournées monstres, tout cela va détruire la cohésion du combo, et perturber les musiciens, les éloignant progressivement l’un de l’autre. Sting s’enferme dans un cynisme noir, alimenté par les rancoeurs de Andy Summers, le guitariste, et Stewart Copeland, le batteur.
C’est là que The Police atteint sa maturité artistique. J’ai longuement hésité entre « Ghost In The Machine » de 1981, et « Synchronicity ». Mais ce dernier est le plus beau, le plus vénéneux.
En fait, cet album éloigne clairement la guitare de Summers, pour faire place aux claviers, et aux percussions. Les textes de Sting font également un bon en avant supplémentaire. Ils mêlent ici science-fiction, littérature, voyage et noirceur d’esprit.
Dés « Synchronicity », on découvre une musique vengeresse, redoutable de violence froide.
L’aspect world que développera Sting apparaît également ici, avec le magnifique et fantômatique « Walking In Your Footsteps ». Mais les chansons que j’adore personnellement, outre « Synchronicity I » et « II », c’est le sinistre « King Of Pain », ou l’aérien et mélancolique « Tea In Sahara ».
Seul vrai défaut de cet album, en fait, c’est le nullissime titre de Summers, « Mother », Sorte d’essai hurlant et bruitiste au texte abscond. Cette chanson tâche le disque, et ne fait que renforcer le fossé qui se creuse entre le bassiste et le guitariste.
Il y a aussi le titre « Every Breath You Take ». Certes, cette chanson est magnifique, mais sa rotation sur les radios a détruit son impact émotionnel.
Il ressort finalement de cet album une sensation de malaise profond. J’ai toujours écouté ce disque dans mes périodes noires. Parce que c’est un disque d’adulte, qui traduit les interrogations et les doutes des hommes dont la jeunesse s’éloigne, frappés de plein fouet par le quotidien, et ses soucis absorbeurs d’énergie et de sentiments.
On se retrouve dans un voyage émotionnel humain alternant colère, mélancolie et espoir froid. Car ici, il n’y a pas de joie, juste de la survie.
La fin est inéluctable. On le sent ici. Comme un divorce imminent, comme une mort proche. Malgré le courage, malgré le cuir du temps, il reste ces failles.
La fin pour The Police, ce sera une tournée difficile. Les trois musiciens ne peuvent plus se supporter. Stewart Copeland marque sur ces toms « pauvre con », avec une flèche pointée vers Sting. Summers et Sting se battent en coulisses, et chacun arrive avec sa limousine personnelle. De plus le bassiste imposera des choristes et un clavier sur scène.
La fin, ce sera son album solo, qui clôt la fin du groupe, dont les dernières séances d’enregistrement en 1986 ne donneront qu’une nouvelle version poussive de « Don’t Stand So Close To Me ».
La fin, ce sera la perte d’inspiration progressive de Sting, les albums solo hermétiques et inaudibles de Summers, et la légende intacte de The Police. Ce sera aussi l’absence de reconnaissance de sa musique, toujours considéré comme un avatar commercial des 80s, face au talent (mmmhh…) et au non-conformisme bon teint des Clash.
Il reste surtout ce magnifique disque, diamant glacé d’une décennie creuse et libérale, qui ne laissa que peu de place à l’âme.
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