lundi 26 octobre 2009

LA NAISSANCE DU HARD-ROCK Part V

"ils sont le pont hirsute et sans gêne vers un hard-blues moins virtuose et plus saturé, faisant du boogie le rythme à taper du pied pour les gamins de Portobello."


LES GLORIEUX OUBLIES

Voici une courte sélection de trois groupes qu'il m'a paru intéressant de remettre en lumière, que ce soit tant pour la qualité de leur musique que pour leur influence sur le petit monde musical de l'époque.
BAKERLOO

Ce trio fondé à la fin des années 60 n’est à l’origine qu’un groupe de plus dans la constellation du British Blues Boom. Composé de Dave « Clem » Clempson à la guitare, Terry Poole à la basse et au chant, et Keith Baker à la batterie, le trio alors nommé Bakerloo Blues Line est rapidement comparé à Cream. Pourtant, comme souvent, la comparaison fut hâtive et mal à propos. Sa musique finalement que peu avoir avec la pop psychédélique de la bande à Dieu.
Bakerloo pratique en effet dés 1968 un savant mélange de blues rageur, sans fioriture, et de relecture jazzy fulgurante. Le point de convergence est la guitare de Clempson. Virtuose mésestimé, il injecte à la fois le brio de sa technique, et la puissance de son jeu profond et gras. Sa maîtrise du sustain sur sa Les Paul lui permet de faire onduler les notes dans un torrent d’électricité.
Pourtant, bien peu se souviennent de leur seul album, l’éponyme « Bakerloo » paru en 1969. De la slide rugueuse de « Bring It On Home » à l’apocalypse électrique de « Son Of Moonshine », en passant par une revisitation d’une pièce de Bach appelé ici « Drivin’ Bachwards ». Bakerloo défriche.
Et sa musique aura un impact non négligeable. Car il y a aussi les circonstances : leur manager, Jim Simpson, est également celui d’un jeune quatuor de Brimingham du nom de Earth, le futur Black Sabbath. Les deux groupes tournent ensemble en 1968, et le jeu à la fois jazz et bouillonnant, tout en accords hantés, influencera clairement le jeune Tony Iommi, qui, venant de perdre deux phalanges à la main droite dans une presse hydraulique, est à la recherche d’une nouveau jeu pour sa main. L’accordage bas de Clempson sera déterminant.
Et comment ne pas entendre résonner « Son Of Moonshine » dans le « Warning » de Black Sabbath issu de son premier album.
La tournée s’achèvera le 18 octobre 1968 au Marquee, et Bakerloo assurera l’affiche aux côtés d’un quatuor débutant mais fulgurant : Led Zeppelin.
Malgré ces rencontres déterminantes, Bakerloo disparaîtra dans l’oubli. Clempson rejoindra Colosseum, puis Humble Pie, apportant le souffle chaud de sa guitare à celui de la voix de Steve Marriott. Poole rejoindra Mayblitz, et Baker Uriah Heep. Il reste ce disque, parfaitement réussi, et dont et dont l’influence sur l’un des grands maîtres du heavy-metal est indéniable.
ANDROMEDA

Ce trio, fondé en 1967, est d’abord le fief du guitariste John DuCann et du bassiste Mick Hawksworth. Les deux sont des virtuoses de leurs instruments respectifs, mais cela, ils ne le savent pas encore. Une chose est sûre, DuCann est une sorte de visionnaire, dont les idées seront reprises la plupart du temps avec succès. Il y a d’abord ce premier groupe, The Attack, dont le premier simple « Hi Ho Silver Lining » sera repris trois semaines plus tard par Jeff Beck avec les Yardbirds, avec un succès commercial retentissant.
En 1967, DuCann forme un trio avec Mick Hawksworth, qui se veut un mélange de blues-rock et de musique psychédélique. Il s’appelle The Five Day Week Straw People » avec le batteur Jack Collins, et un premier album paraît sous ce nom. C’est un concept-album. Il est en fait le premier avant « SF Sorrow » des Pretty Things et « Tommy » des Who. Rien que cela.
Continuant sur une volonté de maintenir une ligne directrice à ses projets studios, DuCann mute le trio en Andromeda, et décide de durcir son approche vers des horizons plus blues progressif.
Le groupe a un succès tel que John Peel lui-même les invite à jouer à ses sessions, et ce alors qu’il n’a pas sorti le moindre enregistrement. En 1969 sort le premier disque éponyme. Et il n’est pas anodin. Il est un concentré de trouvailles mélodiques, rythmiques et guitaristiques qui servira de vivier à une bonne partie des formations de hard-rock de 1969 à … 1981. Notamment un certain Jimmy Page, et ce dés 1968. L’admiration est telle qu’il va opter pour une Telecaster Fender jaune avec une plaque de protection métal, soit la même que … John DuCann à la même époque. Les deux hommes se côtoient à l’époque en tournée avec leurs groupes respectifs, et notamment à la Roundhouse de Londres.
Le mimétisme ne se limite pas au matériel. L’approche du vibrato main gauche de DuCann laissera des traces. Loin de celui de Paul Kossoff ou Eric Clapton, il réussit à définir des phrases mélodiques avec ce même vibrato, tirant des atmosphères angoissantes et expressives. C’est ce que fera Jimmy Page avec « Dazed And Confused ». Une grande partie des improvisations de Led Zeppelin sont influencées par celles d’Andromeda. Il faut alors écouté le mélange entre pop psychédélique, blues électrique, phrasé jazz, et lourdeur sonore, fruit conjoint de la guitare de DuCann et Hawksworth.
Lorsque Led Zeppelin explose en 1969, Andromeda reste au stade de groupe underground, bien que professionnel. Ils continuent à tourner jusqu’en 1970. A l’époque, ils tournent avec une autre légende du hard-rock, Black Sabbath. Là encore, l’approche progressive et heavy de DuCann dans les compositions, les rythmiques lourdes appuyant les différents thèmes de chaque titre sera une influence non négligeable sur « Paranoid », le second disque du Sab. On entend ainsi dans « War Pigs » ou « Iron Man » des réminiscences de « The Reason » et « Return To Sanity » d’Andromeda.
Le trio se disloque finalement en 1970, et DuCann rejoint Atomic Rooster le temps d’un disque fabuleux, « Death Walks Behind You ». Par la suite, il fonde un quatuor du nom de Daemon, qui deviendra un trio du nom de Hard Stuff en 1972, et publiera deux disques sur le label de … Deep Purple. Le premier, « Bullet Proof », paru en 1972, mais enregistré en 1971, est à mettre en lumière. Théâtre d’un hard-rock boogie puissant et sauvage, sans concession, il sera à la fois une source d’inspiration pour les copains Status Quo sur « Piledriver » et Deep Purple, avec « Machine Head », tous deux parus en 1972. La preuve ? Dites-moi voir si l’on ne retrouve pas un peu de « Highway Star » dans « Sinister Minister », et un peu de « Smoke On The Water » dans « Time Gambler » ? Et ce « Waste My Time » du Quo, il ne rappelle pas « Taken Alive » ?
A force de jouer avec tous, DuCann fut un musicien brillant, source plus ou moins directe des meilleurs chansons des plus grands. A cela une seule raison : le brio effarant de DuCann, qui mérite indiscutablement une réhabilitation urgente.
Et Mick Hawksworth me direz-vous ? L’homme à la basse de plomb fonda Fuzzy Duck en 1972 pour un disque éponyme brillant, puis fut aux côtés d’Alvin Lee au sein de Ten Years Later en 1978.
Depuis, les deux hommes se font discrets, sans doute encore groggy par leur propre bruit blanc.
THE PINK FAIRIES

La référence peut être aberrante, mais les Pink Fairies sont primordiaux pour le hard-rock. Il est de bon ton, dans les revues spécialisées branchées, de faire des Pink Fairies des précurseurs du Punk aux côtés d’Hawkwind et les Stooges. A cela une raison, le côté underground de ces formations. Mais les Damned étaient fans des Groundhogs, les Sex Pistols de Stray et de Kiss, donc le débat est clos.
Les Pink Fairies sont importants car en 1969 ils sont le pont hirsute et sans gêne vers un hard-blues moins virtuose et plus saturé, faisant du boogie le rythme à taper du pied pour les gamins de Portobello.
Leur seul tare ? Etre arrivé trop tard sur vinyl. Leur premier album arrivera début 1971, bien après les disques fondateurs du hard-rock que sont « In Rock » de Deep Purple, et les deux premiers Black Sabbath et Led Zeppelin. Pourtant, dés 1969, les Fairies creusent le sillon.
A cette époque, le groupe s’appelle les Deviants. Il est l’un des groupes anarchistes de Londres qui, mené par le journaliste Mick Farren, tente de porter le message du MC5 en Grande-Bretagne. Seulement, Farren est un piètre chanteur. Duncan Sanderson, le bassiste, et Russell Hunter, le batteur, ont déjà viré tout le monde. Il recrute un guitariste canadien, au bras gauche atrophié, et « qui compense son handicap en jouant comme Jimi Hendrix ». Il s’appelle Paul Rudolph. Comme Dave Clempson, il est un génie méconnu de la guitare, pas moins.
Sur le dernier album éponyme des Deviants, il injecte une électricité, et des chorus blues dans la musique progressivo-psyché du groupe. Mais Farren, peu concerné par la musique, bride le groupe. Les trois ont de l’idée. Ils recrutent un second batteur, Twink, fraîchement débarqué des Pretty Things après l’enregistrement et la tournée du génial « SF Sorrow ».
Le quatuor commence à violenter un répertoire fait pêle-mêle de reprises de rock’n’roll et de chansons des Beatles. Le tout est pulvérisé par la guitare de Rudolph et la basse de Sanderson. Imperméables aux affres de la mode musicale, mais totalement perméable aux drogues et à l’esprit biker, ils deviennent les Pink Fairies, du nom d’un club de motard de Portobello du nom de Pink Fairies Motorcycle Club.
En 1970, le groupe dégaine déjà un simple, « The Snake », et se produise à la BBC sous l’impulsion de John Peel, fan du groupe. Le résultat est une session qui décoiffe sérieusement la heavy-music, au point de faire passer les Stooges pour de gentils garçons, pas moins. Car avec ce titre, le groupe invente une forme de heavy-blues speedé, rocailleux, brutal, qui défriche déjà le heavy-metal de la fin des années 80, et notamment celui de Motorhead, des copains.
Paul Rudolph a en fait un talent fulgurant. Il improvise des chorus à la fois gorgé de blues et de colère électrique. Sa guitare n’est, à l’instar de Clempson ou DuCann, qu’un outil pour faire onduler la vibration du moment dans un tonnerre de larsen et de brio météorique.
Le premier disque voit la dualité entre les aspirations pop psychédélique de Twink, et les fulgurances hard-blues de Rudolph. Ils gravent ainsi la version studio d’une jam de speed-boogie en place depuis deux ans, « Uncle Harry’s Last Freakout ». Tout y sature : la folie, les paroles, la rythmique, le vrombissement de la basse, la Les Paul de Rudolph. Twink parti, les Pink Fairies enfin le disque à leur hauteur : « What A Bunch Of Sweeties ». Imprégné du génie de Rudolph, il n’est que jam électrique, et chorus de guitare en fusion. Pourtant, c’est bien en concert que le trio laissa des traces. Jouant dans tous les festivals gratuits et sur le trottoir, les Fairies ne gagnèrent pas d’argent, mais une popularité sulfureuse de guerriers sauvages.
Puis, essoufflé par les drogues et deux partenaires de moins en moins concernés par la musique, il s’en va pour devenir bassiste d’Hawkwind en remplacement de …. Lemmy Kilminster, et travaille également avec Brian Eno. Parallèlement il développe une passion pour le vélo et est aujourd’hui une référence absolue en matière de…. VTT de compétition.
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lundi 19 octobre 2009

LA NAISSANCE DU HARD-ROCK Part IV

"Detroit s’enflamme. Prague s’enflamme. Paris s’enflamme."

8/ Leslie West, le Jimmy Page américain

Souvent rangé dans les seconds couteaux du hard-rock naissant, Leslie West et son futur groupe Mountain sont des jalons primordiaux de cette musique. D’abord parce qu’à l’instar d’un Steppenwolf, le son de sa musique est un pas de géant vers la heavy-music.
L’homme est en 1968 membre des Vagrants, quintet de rock pop un peu bluesy. Les Vagrants doivent enregistrés un album avec comme producteur Felix Pappalardi, le quatrième Cream. Mais le verre est dans le fruit, et les discordes mettent fin à l’aventure Vagrants. Néanmoins, Pappalardi reste abasourdi par le guitariste, Leslie West. Il lui propose donc d’enregistrer un disque solo en lieu et place de son ancien groupe.
Le résultat paraît début 1969, et s’appelle « Mountain ». Ce disque est grandiose par sa puissance, mais d’une incroyable spontanéité. Il surprend avant tout par le son gras et sourd de la guitare, et l’utilisation du sustain, qui préfigure à la fois certains albums de Black Sabbath, et certaines fines lames à venir comme UFO ou Judas Priest. La voix grave et rugissante de West ne fait que renforcer l’agressivité de son blues.
Leslie West et Jimmy Page peuvent alors être rapprochées dans leur volonté d’à la fois respecter l’héritage du blues, et d’y injecter la colère blanche. Le son des guitares est ainsi sursaturé, l’aspect dramatique du blues poussé dans ses extrêmes. On peut rapprocher l’album « Mountain » et le « I » de Led Zeppelin, aux atours fortement similaires. Au plus peut-on y décerner une touche de virtuosité supplémentaire à mettre au crédit du Zep. Mais définitivement chez les kids témoins de Woodstock, Mountain est l’une des révélations de la nouvelle heavy-music. Avec l’arrivée de Corky Laing à la batterie, Mountain, enregistre le séminal « Climbing », qui pousse à fond la logique du heavy-blues propulsé par le « I » de Led Zeppelin. Sauf que Mountain aura toujours ces relents de musique mélodique dite progressive, qui contrebalanceront toujours l’aspect lourd et massif.

9/ Albion répond

Detroit s’enflamme. Prague s’enflamme. Paris s’enflamme. « Fire » disait Jimi Hendrix. Londres s’enflamme aussi. Parce que réduire la naissance du hard-rock à Cream, Jimi Hendrix et Led Zeppelin est une insulte. Dés fin 1968, les Groundhogs de Tony McPhee délivre un blues totalement gorgé du boogie de John Lee Hooker, dont ils sont les accompagnateurs en 1968 et 1969, et Hubert Sumlin, sideman de Howlin’ Wolf.
Le trio, désormais formé de Mc Phee, Pete Cruickshank à la basse, et Ken Pusltelnik à la batterie, déforeste pyschédélisme et blues. Leur mixture redoutable est tout simplement l’une des musiques les plus percutantes de la fin des années 60, laissant Cream derrière. Tony Mc Phee est par ailleurs considéré de nombreux musiciens comme le Jimi Hendrix anglais. Les Groundhogs connaîtront la gloire entre 1970 et 1972, grâce à trois albums impeccables, dont les magistraux « Thanks Christ For The Bomb » et « Split ». Mais déjà, « Blues Obituary » en 1969 contient les raisins de la colère. Mc Phee torture sa SG Gibson, lui étirant des notes déchirantes comme d’ultimes prolongements des meilleurs chorus du blues noir.
Plusieurs power-trios mêlant blues et psychédélisme définissent les contours du heavy-blues : Andromeda avec John DuCann, dévoile un blues psychédélique aux rythmiques épaisses et saturés, qui laisseront quelques traces auprès d’un Led Zeppelin balbutiant. Bakerloo, quant à lui, est un trio de blues dont le brio du guitariste Clem Clempson n’échappe pas à un certain Tony Iommi, guitariste de leur première partie Black Sabbath. L’utilisation du sustain et de la saturation sur sa Les Paul transforme chaque blues en de longues incantations hantées. Ces deux trios sont parmi les groupes cultes les plus influents, car leur impact sur les institutions du hard-rock anglais des années 70 sont incontestables.
La Grande-Bretagne underground trop sage semble peu à peu fournir des gangs de plus en plus dangereux. L’apogée sera l’arrivée des Pink Fairies, féroce quatuor issu des clubs de motards de la banlieue de Londres. Ils sont les enfants heavy-blues des Deviants, groupe psychédélique militant qui finit par se séparer de son leader Mick Farren, certes charismatique mais bien piètre chanteur. A l’aide du guitariste Paul Rudolph, le groupe défriche pas moins que le son de …. Motorhead. Leurs deux premiers albums, « Never Never Land » en 1971 et « What A Bunch Of Sweeties », sont à la fois militants et brillants. Dés 1969, ils assourdissent les clubs anglais et les festivals gratuits aux côtés de Hawkwind.

10/ L’ultime salve

Alors que Jimmy Page prend les commandes des Yardbirds, Jeff Beck fonde son Group, avec des inconnus : Rod Stewart au chant et Ron Wood à la basse. Les trois sont rejoints par Mick Waller à la batterie. Le Group fait résonner son heavy-blues ultime dans toutes les salles et les festivals anglais, et de dés 1967. Il accouche finalement du brillant « Truth », en 1968, qui se révèle en tous points supérieurs à Cream et à « Little Games » des Yardbirds. Il est une véritable coulée de sang mêlant blues anglais, pop musique et guitare acérée. La voix rauque de Stewart apporte le juste contrepoint aux chorus alambiqués et sauvages de Beck.
En 1968, Cream sort « Wheels Of Fire » avec son pendant live, et Jimi, « Electric Ladyland », avec notamment le brûlant « Voodoo Chile (Slight Return) ». Les Who, alors dans une passe difficile, décide de se tourner vers ce heavy-blues, sans oublier leur côté pop. Pete Townshend rend des cours de guitare auprès de son ami Eric Clapton, et à force de concerts, il définit son style unique mêlant riffs rageurs et soli brutaux. Cette mixture frustre mais redoutable sera bientôt une des bases du hard-rock : le power-chord, dont usera avec brio Ace Frehley de Kiss. Cette quête guitaristique et sonique aboutira avec le magistrale « Live At Leeds », qui est incontestablement une des pierres angulaires du hard-rock naissant.
Pendant ce temps-là, Jeff Beck est le roi d’Albion. Il envie encore Jimi, mais il voit un de ses buts se concrétiser : scotché son copain et rival Page au sol. Ce dernier décide de durcir les Yardbirds, et le quatuor devient une locomotive folle que les Yardbirds originaux ont bien du mal à suivre. Keith Relf s’enfonce dans la dope, Chris Dreja fait ce qu’il peut à la basse, et Jim MacCarthy se sent dépassé à la batterie, habitué à des rythmiques plus basiquement blues. Jimmy Page, et voit ce groupe mourant bien mal adapté à ses ambitions.
Le groupe se délite de lui-même, et en septembre 1968, Jimmy Page se retrouve seul avec un nom et deux tournées à honorer. Le manager Peter Grant pousse Page à sélectionner ses musiciens finement. Le premier recruté est John Paul Jones, copain de session, bassiste et arrangeur brillant, qui veut s’extraire des studios pour la vie en tournée. Terry Reid, le jeune chanteur des Jayhawks devenu artiste solo, est un temps pressenti, mais il refuse l’offre. Il refusera également la place chanteur au sein de Deep Purple pour Ian Gillan. Il conseille par contre un jeune fils de comptable de Birmingham possédé par le blues : un certain Robert Plant. Le jeune homme est embauché au premier rugissement sur « You Need Love » de Willie Dixon. Il conseille dans la foulée son batteur, John Bonham.
Les quatre répètent à Londres, dans la propriété de Page, qui remercia ses voisins de ne pas avoir porté plainte pour le bruit. Ils vont également en studio, où les journalistes venus pour d’autres groupes s’arrêtent devant le son démoniaque de ce quatuor à l’existence si courte.
Les New Yardbirds honorent une tournée en Scandinavie, en Grande-Bretagne et aux USA sous le nom de Led Zeppelin. Au Marquee de Londres en 1968, John Bonham s’ouvre le nez avec sa cymbale. Ils pulvérisent le public par leur brio et leur approche du blues, totalement théâtrale comme Vanilla Fudge, virtuose comme Jeff Beck Group, Jimi Hendrix et Cream, puissante comme les Who, sauvage comme Blue Cheer et MC5, et gorgé de blues comme Fleetwood Mac, Ten Years After, Bakerloo et les Groundhogs.

Le 12 janvier 1969, Led Zeppelin sort son premier album. Il y a sur ce disque une reprise de « You Shook Me » de Willie Dixon. Le Jeff Beck Group l’avait faite en 1968, seulement voilà… Jeff Beck est en larmes devant Jimmy Page… Ce dernier a eu le dernier mot. Led Zeppelin est la synthèse parfaite du blues, du rock, du psychédélisme, de la soul blanche, bref de tout ce qui centralise la colère de la jeunesse de la fin des années 60. Celle-là même qui vient de se réveiller avec la gueule de bois, découvrant que le mouvement hippie, les fleurs dans les cheveux et le changement tant espéré s’est envolé au milieu du napalm et des coups de matraque de la police. A tous ces gamins, il fallut une bande-son, et des héros qui avec leur guitares deviendraient ces héros du Valhalla, carbonisant à coups de concerts rugissants et sauvages des milliers d’oreilles de parents éberlués par tant de violence sonore. Le blues est presque mort à la fin des années 60, mais son fantôme rugissant rôde encore en filigrane dans les scories fumantes des rampes d’amplificateurs Marshall.

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samedi 10 octobre 2009

LA NAISSANCE DU HARD-ROCK Part III

"Et puis finalement, le hard-rock est une histoire de guitares. "

5/ Vanilla Fudge et le rock symphonique

« la sensation à Londres, ce n’était pas Jimi Hendrix ou Cream. C’était Vanilla Fudge. Tout le monde, de Paul McCartney à Mick Jagger, se battait pour aller les voir au Marquee. » Et c’est Ritchie Blackmore de Deep Purple qui le dit. Vanilla Fudge, malgré son image kitsch, et sa faible trace dans l’inconscient collectif, reste une charnière fondatrice du futur hard-rock. D’abord parce qu’il influença les premiers Deep Purple. Mais surtout, l’impact et de l’utilisation de l’orgue Hammond, et de la section rythmique définit de nouveaux standards.
Vanilla Fudge commença sa carrière en produisant un premier disque totalement constitué de reprises de soul et des Beatles. Sauf que la musique fut alourdi, et l’aspect dramatique suramplifié. Et puis il y a cette section rythmique… Bruce et Baker sont des esthètes, Bogert et Appice sont des voyous. Si les deux premiers savent respecter un certain sens du raisonnable en restant accrocher à leurs racines blues et jazz, Bogert et Appice s’en contrefoutent. Saturation, breaks ultra-speedés, lourdeur rythmique, cymbales au bord de l’explosion…. Ces deux-là portent un rock inspiré par la musique classique et le symphonisme de Wagner. Sauf que poussé au cul par tels musiciens, tout devient possible. L’alliage de Vanilla Fudge est en fait une relecture totalement psychédélique de la musique pop. Ils décident de lui adapter un aspect totalement wagnérien. En cela, le Fudge rejoint une citation de Jimmy Page de 1980 : « Le hard-rock est comme la musique classique. Il y a un aspect dramatique. L’orchestre appuie la mélodie derrière les musiciens solos. Sauf que la guitare remplace les violons, et la voix le chanteur et les chœurs. »
Vanilla Fudge ouvre la voie de plusieurs groupes de heavy-rock mêlant blues et orgue Hammond saturé : Spooky Tooth, Mott The Hoople, Atomic Rooster et bien sûr, un jeune quintet, Deep Purple. Tous tente l’alliage de l’emphase du Fudge, allié à un son hérité directement du blues anglais. L’orgue permet également l’apport d’un élément plus érudit : la musique classique, dont abuseront sans vergogne Jon Lord et Keith Emerson.

6/ Les Guitar-Heroes

Et puis finalement, le hard-rock est une histoire de guitares. Le premier guitar-hero officiel britannique, c’est Eric Clapton. Il se distingue en 1965 avec les Yardbirds, puis intègre les Bluesbreakers de John Mayall en 1966 lorsque son précédent groupe sort « For Your Love », trop pop à son goût. Il devient alors God auprès de ses fans, grâce à son interprétation ultra puissante du blues de Freddie King. John Mayall devient par ailleurs la pépinière à guitar-heroes de la fin des années 60 (Peter Green, Mick Taylor).
Sur les conseils de Jimmy Page, les Yardbirds recrutent un certain Jeff Beck. Le jeune homme a un jeu totalement inouï, parfaitement atypique à l’époque. N’hésitant pas à pousser les amplificateurs dans le rouge, il se joue du larsen crée entre les retours et ces premiers pour faire naître le sustain, soit le larsen contrôlé. Les Yardbirds deviennent bientôt une attraction scénique courue, d’autant plus qu’en 1966, les orchestres anglais disposant d’un tel maestro du manche sont rares : les Yard et les Bluesbreakers. Point final.
La surenchère enfle lorsque le bassiste des Yardbirds s’en va. Il est remplacé au pied levé par Jimmy Page, histoire de dépanner. Mais Chris Dreja, alors second guitariste, préfère s’effacer et prendre la basse. Pendant six mois, le groupe devient totalement dangereux, voyant l’affrontement des deux frères ennemis, Page et Beck. L’une des rares traces sonores reste le film « Blow-Up » de Michelangelo Antonioni où le héros finit au Marquee à un concert des Yardbirds. Le groupe joue « Stroll On », et les deux rois s’affrontent avant que Beck massacre sa guitare à cause d’un amplificateur récalcitrant.
C’est effectivement dans un larsen que se termine cette périlleuse association, laissant le champ libre à Jimmy Page.
Pendant ce temps, Eric Clapton a rejoint Cream, et Jimi Hendrix vient d’atterrir à Londres afin de finir le travail de décomplexification du guitariste anglais. Il apporte avec lui la folie psychédélique des John Cipollina et autres Jerry Garcia.
La guitare électrique devient l’arme ultime. Le British Blues-Boom devient le nid à guitar-heroes : Peter Green, qui saura mêler avec Fleetwood Mac le psychédélisme et le blues de Chicago à sa folie. Mick Taylor illuminera le blues de John Mayall de sa slide soyeuse, avant de faire de même avec les Rolling Stones.
Mais il faut aussi citer Alvin Lee de Ten Years After, dont la vitesse d’exécution fera rêver des millions d’adolescents lors de la vision du film « Woodstock ».

7/ L’Amérique s’embrase

L’Amérique de Haight Ashbury se meurt en 1968 dans les lacrymogènes de la garde civile et de la dope. En attendant, dans les grandes métropoles industrielles des USA, il n’y a ni contre-culture, ni fleurs, ni plages. Il y a des usines, et un seul horizon, la chaîne. Detroit devient un vif foyer de rock’n’roll brutal et sans concession. Il en sort particulièrement un trio du nom de Blue Cheer. Dick Peterson, Leigh Stephens, et Paul Whaley sont des fans de Cream, mais n’ont pas le dixième de leur technique instrumentale. Ils jouent à Detroit, mais seulement voilà, le son de l’époque, c’est la Motown. Alors histoire de signer avec un label, ils partent à San Francisco. Et décapent les oreilles des hippies locaux. Le premier titre issu de leurs premier album est la reprise d’Eddie Cochran, « Summertime Blues ». Jouée à pleine vitesse, gorgée de fuzz et de basse, elle devient un hit partout dans le monde. Leur premier album, « Vincebus Eruptum », constitué de reprises de blues dont le « Rock Me Baby » de BB King, est un torrent de décibels malsaines, bancales, dont le son saturé ne fait que couvrir la faiblesse instrumentale, relative, des trois musiciens. Le second disque, paru six mois plus tard, est carrément enregistré sur le toit du studio, du fait du son déraisonnable du trio !
Cet album, ironiquement appelé « Outside Inside », est un pur brûlot de heavy-blues en fusion, définissant certains canons du hard-rock à venir : roulements de toms et de double grosses caisses, soli saturés, basse vrombissante. Certes, ces caractéristiques sont celles de Cream, mais voilà, la technique de Blue Cheer est plus abordable pour le débutant. En attendant, il devient le groupe préféré des Hell’s Angels et de Janis Joplin.
Parallèlement à Detroit, la colère blanche se lève. Un quintet pulvérise les oreilles du public des clubs et des conventions démocrates : MC5. Au même moment, James Osterberg, alias Iggy Pop, forme un quatuor avec deux nazes : les Stooges.
Souvent décrié parce que trop pop, le guitariste Dick Wagner fonde The Frost, et un jeune guitariste de quatorze ans intègre les Amboy Dukes, Ted Nugent.
La scène de Detroit devient dangereuse. D’abord il y a ce psychédélisme mué par les drogues, et par un militantisme politique affirmé, qui est celui d’une condition ouvrière bafouée. La musique résonne de ces zones industrielles grises, de la puissance de la soul noire, celle du rythme, qui martèle autant que les machines. La soul ou les machines. Soul Machine. Vivre ou mourir.
A suivre