lundi 19 octobre 2009

LA NAISSANCE DU HARD-ROCK Part IV

"Detroit s’enflamme. Prague s’enflamme. Paris s’enflamme."

8/ Leslie West, le Jimmy Page américain

Souvent rangé dans les seconds couteaux du hard-rock naissant, Leslie West et son futur groupe Mountain sont des jalons primordiaux de cette musique. D’abord parce qu’à l’instar d’un Steppenwolf, le son de sa musique est un pas de géant vers la heavy-music.
L’homme est en 1968 membre des Vagrants, quintet de rock pop un peu bluesy. Les Vagrants doivent enregistrés un album avec comme producteur Felix Pappalardi, le quatrième Cream. Mais le verre est dans le fruit, et les discordes mettent fin à l’aventure Vagrants. Néanmoins, Pappalardi reste abasourdi par le guitariste, Leslie West. Il lui propose donc d’enregistrer un disque solo en lieu et place de son ancien groupe.
Le résultat paraît début 1969, et s’appelle « Mountain ». Ce disque est grandiose par sa puissance, mais d’une incroyable spontanéité. Il surprend avant tout par le son gras et sourd de la guitare, et l’utilisation du sustain, qui préfigure à la fois certains albums de Black Sabbath, et certaines fines lames à venir comme UFO ou Judas Priest. La voix grave et rugissante de West ne fait que renforcer l’agressivité de son blues.
Leslie West et Jimmy Page peuvent alors être rapprochées dans leur volonté d’à la fois respecter l’héritage du blues, et d’y injecter la colère blanche. Le son des guitares est ainsi sursaturé, l’aspect dramatique du blues poussé dans ses extrêmes. On peut rapprocher l’album « Mountain » et le « I » de Led Zeppelin, aux atours fortement similaires. Au plus peut-on y décerner une touche de virtuosité supplémentaire à mettre au crédit du Zep. Mais définitivement chez les kids témoins de Woodstock, Mountain est l’une des révélations de la nouvelle heavy-music. Avec l’arrivée de Corky Laing à la batterie, Mountain, enregistre le séminal « Climbing », qui pousse à fond la logique du heavy-blues propulsé par le « I » de Led Zeppelin. Sauf que Mountain aura toujours ces relents de musique mélodique dite progressive, qui contrebalanceront toujours l’aspect lourd et massif.

9/ Albion répond

Detroit s’enflamme. Prague s’enflamme. Paris s’enflamme. « Fire » disait Jimi Hendrix. Londres s’enflamme aussi. Parce que réduire la naissance du hard-rock à Cream, Jimi Hendrix et Led Zeppelin est une insulte. Dés fin 1968, les Groundhogs de Tony McPhee délivre un blues totalement gorgé du boogie de John Lee Hooker, dont ils sont les accompagnateurs en 1968 et 1969, et Hubert Sumlin, sideman de Howlin’ Wolf.
Le trio, désormais formé de Mc Phee, Pete Cruickshank à la basse, et Ken Pusltelnik à la batterie, déforeste pyschédélisme et blues. Leur mixture redoutable est tout simplement l’une des musiques les plus percutantes de la fin des années 60, laissant Cream derrière. Tony Mc Phee est par ailleurs considéré de nombreux musiciens comme le Jimi Hendrix anglais. Les Groundhogs connaîtront la gloire entre 1970 et 1972, grâce à trois albums impeccables, dont les magistraux « Thanks Christ For The Bomb » et « Split ». Mais déjà, « Blues Obituary » en 1969 contient les raisins de la colère. Mc Phee torture sa SG Gibson, lui étirant des notes déchirantes comme d’ultimes prolongements des meilleurs chorus du blues noir.
Plusieurs power-trios mêlant blues et psychédélisme définissent les contours du heavy-blues : Andromeda avec John DuCann, dévoile un blues psychédélique aux rythmiques épaisses et saturés, qui laisseront quelques traces auprès d’un Led Zeppelin balbutiant. Bakerloo, quant à lui, est un trio de blues dont le brio du guitariste Clem Clempson n’échappe pas à un certain Tony Iommi, guitariste de leur première partie Black Sabbath. L’utilisation du sustain et de la saturation sur sa Les Paul transforme chaque blues en de longues incantations hantées. Ces deux trios sont parmi les groupes cultes les plus influents, car leur impact sur les institutions du hard-rock anglais des années 70 sont incontestables.
La Grande-Bretagne underground trop sage semble peu à peu fournir des gangs de plus en plus dangereux. L’apogée sera l’arrivée des Pink Fairies, féroce quatuor issu des clubs de motards de la banlieue de Londres. Ils sont les enfants heavy-blues des Deviants, groupe psychédélique militant qui finit par se séparer de son leader Mick Farren, certes charismatique mais bien piètre chanteur. A l’aide du guitariste Paul Rudolph, le groupe défriche pas moins que le son de …. Motorhead. Leurs deux premiers albums, « Never Never Land » en 1971 et « What A Bunch Of Sweeties », sont à la fois militants et brillants. Dés 1969, ils assourdissent les clubs anglais et les festivals gratuits aux côtés de Hawkwind.

10/ L’ultime salve

Alors que Jimmy Page prend les commandes des Yardbirds, Jeff Beck fonde son Group, avec des inconnus : Rod Stewart au chant et Ron Wood à la basse. Les trois sont rejoints par Mick Waller à la batterie. Le Group fait résonner son heavy-blues ultime dans toutes les salles et les festivals anglais, et de dés 1967. Il accouche finalement du brillant « Truth », en 1968, qui se révèle en tous points supérieurs à Cream et à « Little Games » des Yardbirds. Il est une véritable coulée de sang mêlant blues anglais, pop musique et guitare acérée. La voix rauque de Stewart apporte le juste contrepoint aux chorus alambiqués et sauvages de Beck.
En 1968, Cream sort « Wheels Of Fire » avec son pendant live, et Jimi, « Electric Ladyland », avec notamment le brûlant « Voodoo Chile (Slight Return) ». Les Who, alors dans une passe difficile, décide de se tourner vers ce heavy-blues, sans oublier leur côté pop. Pete Townshend rend des cours de guitare auprès de son ami Eric Clapton, et à force de concerts, il définit son style unique mêlant riffs rageurs et soli brutaux. Cette mixture frustre mais redoutable sera bientôt une des bases du hard-rock : le power-chord, dont usera avec brio Ace Frehley de Kiss. Cette quête guitaristique et sonique aboutira avec le magistrale « Live At Leeds », qui est incontestablement une des pierres angulaires du hard-rock naissant.
Pendant ce temps-là, Jeff Beck est le roi d’Albion. Il envie encore Jimi, mais il voit un de ses buts se concrétiser : scotché son copain et rival Page au sol. Ce dernier décide de durcir les Yardbirds, et le quatuor devient une locomotive folle que les Yardbirds originaux ont bien du mal à suivre. Keith Relf s’enfonce dans la dope, Chris Dreja fait ce qu’il peut à la basse, et Jim MacCarthy se sent dépassé à la batterie, habitué à des rythmiques plus basiquement blues. Jimmy Page, et voit ce groupe mourant bien mal adapté à ses ambitions.
Le groupe se délite de lui-même, et en septembre 1968, Jimmy Page se retrouve seul avec un nom et deux tournées à honorer. Le manager Peter Grant pousse Page à sélectionner ses musiciens finement. Le premier recruté est John Paul Jones, copain de session, bassiste et arrangeur brillant, qui veut s’extraire des studios pour la vie en tournée. Terry Reid, le jeune chanteur des Jayhawks devenu artiste solo, est un temps pressenti, mais il refuse l’offre. Il refusera également la place chanteur au sein de Deep Purple pour Ian Gillan. Il conseille par contre un jeune fils de comptable de Birmingham possédé par le blues : un certain Robert Plant. Le jeune homme est embauché au premier rugissement sur « You Need Love » de Willie Dixon. Il conseille dans la foulée son batteur, John Bonham.
Les quatre répètent à Londres, dans la propriété de Page, qui remercia ses voisins de ne pas avoir porté plainte pour le bruit. Ils vont également en studio, où les journalistes venus pour d’autres groupes s’arrêtent devant le son démoniaque de ce quatuor à l’existence si courte.
Les New Yardbirds honorent une tournée en Scandinavie, en Grande-Bretagne et aux USA sous le nom de Led Zeppelin. Au Marquee de Londres en 1968, John Bonham s’ouvre le nez avec sa cymbale. Ils pulvérisent le public par leur brio et leur approche du blues, totalement théâtrale comme Vanilla Fudge, virtuose comme Jeff Beck Group, Jimi Hendrix et Cream, puissante comme les Who, sauvage comme Blue Cheer et MC5, et gorgé de blues comme Fleetwood Mac, Ten Years After, Bakerloo et les Groundhogs.

Le 12 janvier 1969, Led Zeppelin sort son premier album. Il y a sur ce disque une reprise de « You Shook Me » de Willie Dixon. Le Jeff Beck Group l’avait faite en 1968, seulement voilà… Jeff Beck est en larmes devant Jimmy Page… Ce dernier a eu le dernier mot. Led Zeppelin est la synthèse parfaite du blues, du rock, du psychédélisme, de la soul blanche, bref de tout ce qui centralise la colère de la jeunesse de la fin des années 60. Celle-là même qui vient de se réveiller avec la gueule de bois, découvrant que le mouvement hippie, les fleurs dans les cheveux et le changement tant espéré s’est envolé au milieu du napalm et des coups de matraque de la police. A tous ces gamins, il fallut une bande-son, et des héros qui avec leur guitares deviendraient ces héros du Valhalla, carbonisant à coups de concerts rugissants et sauvages des milliers d’oreilles de parents éberlués par tant de violence sonore. Le blues est presque mort à la fin des années 60, mais son fantôme rugissant rôde encore en filigrane dans les scories fumantes des rampes d’amplificateurs Marshall.

tous droits réservés

1 commentaire:

Aurélien Malvers a dit…

La dernière phrase de l'article est fabuleuse de fulgurance et de force ...avec un pessimisme belliqueux topissime