lundi 25 janvier 2010

REVEREND BIZARRE

"C’est une vision d’horreur. Celle du quotidien. "

REVEREND BIZARRE : « III – So Long Sucker » 2007

Il me manqua longtemps une bande-son récente à ma vie. Bien sûr, il y a avait tous mes disques, mes précieuses galettes de Rock. Pourtant, il manquait un groupe capable d’exprimer toute la noirceur, le naufrage de notre époque. Il fallait un groupe traduisant en musique tout cela avec la magie sensorielle des années 70.
Je découvris Reverend Bizarre il y a quelques années de cela, à la sortie de son premier disque. Chantre d’un doom-metal dit puriste, il se veut incantatoire, et ne se réfère qu’aux trois premiers albums de Black Sabbath , Saint-Vitus et Pentagram, dont il détourne sans vergogne certaines images. Reverend Bizarre n’est pas le seul, néanmoins, il y met une passion réelle qui me charma. Pourtant, les titres de dix minutes ponctués de riffs sans soli, finirent par me lasser. Sans doute parce que je vois dans le solo, même minimaliste, une part de lyrisme nécessaire à faire décoller le cauchemar le plus noir vers une petite éclaircie fantasmatique. Alors je trouvai Reverend Bizarre intéressant, mais sans aucune mesure avec Sleep, Electric Wizard, Goatsnake ou High On Fire.
Et puis il y eut ce disque. Formé de Sami Hynninen dit « Sir Albert Witchfinder » à la basse et au chant, de Kimi Kärki dit « Father Peter Vicar » à la guitare et de Jari Pohjonen dit « Monsieur Earl Of Void » à la batterie, ce trio finlandais décida de revenir aux sources du genre doom, et ce dés la fin des années 90. Son intégrité, ses EP aussi longs que ses albums, sa prolixité incroyable, et son mélancolisme suranné firent du groupe une mini-légende.
Lorsqu’en 2007, ils décident de se séparer sur un troisième disque, prétextant qu’ils avaient tout dit et que tout autre sortie discographique ne serait qu’ombrage à leur discographie, ils ne savent pas combien ce disque est majeur.
Car il est une incroyable pierre angulaire de heavy-metal noir. C’est d’abord un double-album. Incroyablement dense, il ne se laisse dompter qu’après plusieurs écoutes. Contrairement à ses prédécesseurs, qui virent Reverend Bizarre parfois s’éterniser sur la longueur, abusant des rythmiques pachydermiques, « III » est incroyablement riche sur sa totalité.
Il est un agencement de riffs impeccables, survolés d’une rythmique au-dessus de tout reproche. Et le chant de Sir Albert Witchfinder semble touché par une grâce maléfique.
Et je peux vous dire qu’il faut avoir du cran pour commencer un album avec un titre de 29 minutes, qui s’intitule qui plus est « They Used Dark Forces – Teutonic Witch ».
Ce titre est à lui seul une plongée dans l’âme humaine. Mid-tempo, ce premier titre interroge, inlassable. Il est la bande-son de ces paysages urbains lugubres que l’on aperçoit sur un autoroute parisien. Ces grands immeubles gris, ces chantiers désaffectés, ces zones commerciales à perte de vue. Et puis la crasse, cette odeur âcre qui vous prend la gorge. Tout vous dégoûte. Tout semble artificiel. Ces paysages cradingues, le sapin magique dans la voiture, l’air conditionné au bureau, la lessive et l’évier bouché à la maison. Tout cela sent le propre préfabriqué. Tout est formaté, vous n’êtes pas libre, et cela, c’est une réalité.
Alors ce premier titre, c’est 29 minutes d’une force sourde, comme si les bêtes du monde souterrain de HP Lovecraft étaient enfin sorties de terre pour déchiqueter avec la plus grande férocité pêle-mêle votre patron, votre collègue obséquieux, ou votre belle-mère. C’est cet orage tant espéré, celui qui nettoie tout, et avant tout la bêtise humaine, qu’elle s’exprime par les hommes ou par leurs créations.
Le Vicar râcle sa SG Gibson d’un riff entêtant, rageur. Sir Albert chante le désespoir, la peur. Sa voix, lyrique, grandiloquente décrit cette sorcière allemande. Le mythe païen des légendes pangermaniques, La Walkyrie, cette chienne sanguinaire. Et puis derrière, il y a ces guerriers noirs, couverts d’une armure de métal, de cuir noir et de peaux de bête. Du cuir et de leurs visages couverts d’une barbe épaisse, des yeux cruels luisent sous la lune. Ils sont prêts à l’assaut.
Et vous, au volant de votre vieille bagnole apercevoir leurs silhouettes menaçantes sur la colline, au loin. Ils vont charger, ils sont là pour nous sauver de nos conditions d’esclaves, et il n’y aura pas de quartier. Ils useront de leurs forces occultes pour enfin rétablir l’équilibre des forces de la nature, celles que l’on ne peut défier. Il y a là les échos du paganisme viking, ces guerriers effrayants, aux aspects barbares, mais dont la culture et la compréhension des éléments avaient une incroyable avance sur nos pauvres ancêtres moyen-âgeux et chrétiens.
L’obscurantisme religieux face à la compréhension de la vie et du monde qui nous entoure. Reverend Bizarre, c’est tout cela. C’est ce doom profond, vengeur, viscéral.
Une fois la décharge d’adrénaline retombée, le rythme s’alourdit. Vicar décoche un chorus lyrique, une envolée lumineuse qui n’est qu’une infime bouffée d’air face à ce déluge de feu.
Un genou à terre, ce disque vous a déjà fait traverser mille mondes engloutis. Pourtant, l’aride « Sorrow » ne vous aidera pas à reprendre vos esprits. « They Used…. » était une chevauchée sauvage, ce second titre est une balle dans la tête. Il est le chemin de croix infernal de l’homme face à son impuissance. Il en est même le miroir. Un reflet glacial, sans ambages. Sir Albert incante, grave, comme un prêtre sordide, malsain. Le riff lourd retombe lourdement sur la basse profonde et la batterie apocalyptique.
C’est une vision d’horreur. Celle du quotidien. Celle de cette misère humaine qui fait que l’on se retrouve dans un bureau parmi une armée de médiocres dont les seuls horizons ambitionnels sont les matches de foot, une belle moto, une grosse voiture, une grande maison tout confort, et le respect suant de soumission du grade de chef. Tout cela serti d’enfant modèle et d’une femme soumise et toujours sexuellement apprêtée. Est-ce à la suite de cette vision que le Vicar fait rugir un chorus glacial, tout en larsen ? Mais ce disque n’est que vengeance, alors dans un dernier râle d’agonie, la guitare se met en colère. Elle se met à tonner, gorgée de basse vrombissante et de batterie implacable. Vicar déclenche la tempête, tout en sustain. Nous ne sommes pas des chiens, nous n’avons pas le droit de subir cela. La rage au cœur, Reverend Bizarre illumine l’horizon des victimes. Le soleil rougeoie encore pour ceux qui l’aime.
« Funeral Summer » enfonce le clou dans la poitrine. Sinistre, sarcastique, il ne fait que jouer avec ces paroles aux apparences légères . Pourtant, la haine est là. « One Last Time » vient clore le chapitre. C’est une incantation lugubre, qui se clôt dans un cortège de wah-wah et de chorus épiques qui semble rappeler que rien n’est gagné. C’est l’été qui tourne mal, c’est le pire qui pouvait arriver, mais cela se passe tous les étés.
Le second disque va voir se succéder deux imposantes heavy-songs : « One Last Time » et « Caesar Forever », juste entrecoupé d’un instrumental traversé de larsen et de haine, malsaine respiration entre deux longues apnées en enfer. Car ces deux chansons sont massives, puissantes, granitiques. Mais contrairement aux albums précédents, l’aridité n’est en aucun cas un défaut. Elle est une adrénaline du désespoir. La première, pour un désenchantement amoureux qui monte en lente pulsion de haine ponctuée de coups de charleston sonnant comme le glas. Le second pour une apologie noire d’un dictateur, qui renvoit à de bien sinistres exemples en chair et en os. Elle est la traduction effroyable de cette soif de pouvoir qui ne mène qu’à la destruction.
« Caesar Forever » est un obélisque de riffs lourds qui ne fait qu’accentuer l’impression de pouvoir, mais aussi d’écrasement face à la puissance.
L’introduction de « Anywhere Out Of This World” est minimaliste. Elle fait un peu penser au “Moonchild” de King Crimson. Et puis le riff retentit, puissant. Il fait penser à « The Usurper » de Celtic Frost, soit un riff alambiqué, sombre, trash, noir comme le jais. Puis l’on replonge dans une mélodie liquide, presque jazzy. La voix de Sir Albert se fait presque une parodie de Frank Sinatra. C’est amusant cette obsession des rois du riff lourd pour le jazz. Black Sabbath, en son temps, aimait à rebondir dans les improvisations jazzistiques, comme une respiration au milieu de l’acier trempé.
Mais ici, tout est épuré. Pas de démonstration gratuite, pas d’imitation de Django Rheinardt. On retrouve à nouveau ce climat Crimsonien du premier album. Avant de replonger dans les abysses.
Pourtant, la basse semble encore chanté sur des accords métalliques se faisant plus héroïques. Il y a comme un besoin d’air, une envie d’émerger de la fange. L’on se sent porté, avant que la colère ne nous reprenne, et n’efface nos derniers relents de lucidité. A moins que ce ne soit cet immense besoin d’amour, de fraternité, être avec les gens que l’on aime, en qui l’on a confiance. Comme si cela n’était finalement pas réellement à notre portée.
« Bonus Track » n’est qu’une conclusion Drone de l’ensemble. Ce titre n’apporte rien, si ce n’est un bourdonnement angoissant. Il est le catalyseur des émotions intenses vécues auparavant. Il est ce violent retour à la réalité, comme un bruit d’aspirateur ou de ventilation vous réveille dans votre sommeil le plus profond. Avec cette sensation désagréable de revenir à une réalité trop mesquine
Car cet album vous élève à un niveau supérieur de sensibilité. Il n’est tout simplement pas possible de revenir indemne d’un tel voyage émotionnel. Et mine de rien, il est devenu une des immenses pierres angulaires du rock des années 2000. Comme un obélisque. Comme une Presence.
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1 commentaire:

Iro22 a dit…

Merci de parler ici de Reverend Bizzarre, un groupe plus que culte, passionant et écrasant d'un simple revers de la main toute la scène doom. Bravo pour le papier!