vendredi 24 septembre 2010

SIR LORD BALTIMORE

"Cet album est un poison violent, il est l’ivresse que l’on s’offre un soir de mauvaise fortune, lorsque la vie quotidienne n’est que misère humaine. " SIR LORD BALTIMORE : « Kingdom Come » 1970


Parfois, la connaissance de l’Histoire ne suffit pas. Parfois, connaître des millions de groupes, leurs interconnexions et l’évolution des genres musicaux dans le temps ne suffit pas. Il est des énigmes qui ne se percent pas, simplement, parce que face à une présence aussi unique, on ne peut trouver les ramifications, expliquer le son.
Sir Lord Baltimore est de ces énigmes. Qu’a-t-il bien pu se passer dans ce quartier de New York, et dans la tête de ces garçons pour pondre pareille déflagration ?

Ce que l’Histoire retint, c’est que Sir Lord Baltimore fut fondé en 1968 par le batteur-chanteur John Garner, le bassiste Gary Justin, et le guitariste Louis Dambra. Le trio débuta par de modestes reprises de Cream et de Jimi Hendrix. Et puis aussi que les gars de Kiss sont de grands fans de toujours.
Et puis…. Et puis arrive ce disque. Il faut croire que la déflagration fut exceptionnelle même en concert puisque le manager Dee Anthony, s’occupant notamment des affaires de Humble Pie, Traffic ou Joe Cocker, les signa après un concert. Et ce premier disque fut produit par rien de moins que Eddie Kramer, soit l’ingénieur du son attitré de Jimi Hendrix, et bien sûr enregistré dans les fameux Electric Ladyland Studios.
Seulement voilà, Sir Lord Baltimore est un groupe qui ne ressemble à rien de ce qui se faisait à l’époque. Pas plus à Jimi Hendrix, qu’aux pionniers du Hard-Rock et du Heavy-Metal qu’étaient Led Zeppelin, Deep Purple, ou Black Sabbath. Encore ces trois-là, on comprend les racines, le cheminement, le British-Blues Boom, les Yardbirds, Vanilla Fudge, Jimi Hendrix et tout le tremblement. Bon le troisième suscité devient déjà un peu difficile à suivre, mais quand on connaît le parcours des garçons, les galères dans les Highlands ou à Hambourg, on peut saisir toute la noirceur du propos.
Mais là…. Sir Lord Baltimore, c’est une montée d’adrénaline sans concession. Le propos est d’une brutalité, d’une violence urbaine absolument sans aucun équivalent.
Il est un disque noir, nuit d’ébène, monolithe ivre de puissance et de rage, condensé apocalyptique de ce que le Heavy-Rock peut proposer de meilleur, de plus jouissif pour les gagne-petits sans ambition que nous sommes.
Dés « Kingdom Come » et ses 6’34”, on entre dans une autre dimension. La grosse caisse tape un rythme épais, entêtant, lourd, la guitare sature, grasse, ruisselante de métal en fusion. La basse, ivre de fuzz et de distorsion, gronde derrière le riff. La voix de Garner est celle d’un prêcheur fou, tentant à peine de cacher derrière son apparat religieux ses péchés. Il y règne la Mort, le Sexe, la puissance des V8 de la General Motors.
Les versets du mage malade déverse une poésie lysergique faite d’éléments déchaînés et de mort. La femme n’est ici qu’une chienne lubrique, mais les paroles sont ici tellement vicieuses qu’elles tendent plus à séduire, à enflammer la mounine. « Kingdom Come » est un concentré de Sex, Drugs And Rock’N’Roll.
On peut s’interroger sur les drogues, mais soyons raisonnables. Mais celles-ci ont un rôle non négligeable. Elles ont permis à de petits musiciens de pondre, en quelques heures et avec des moyens ridicules, des disques aujourd’hui considérés comme des joyaux du heavy-hard-psychédélique.
Seulement voilà, Sir Lord Baltimore n’est pas qu’un classique pour les fans obtus. Il faut que l’auditeur lambda écoute cela. C’est impératif. Parce que la jeune génération se cantonne à ce que les médias veut bien lui offrir. Mais ce disque est dangereux. Et l’offrir aux fans mal conseillés, qui considère que Iggy Pop est ce qu’il y a de plus fou dans le Rock 70’s est une erreur totale.
Cet album est un poison violent, il est l’ivresse que l’on s’offre un soir de mauvaise fortune, lorsque la vie quotidienne n’est que misère humaine.
Je crois avoir écouté des dizaines de fois « Pumped Up », le titre clôturant le disque. C’est un condensé de folie, un uppercut musical. La guitare de Louis Dambra vrille, s’enroule dans les enceintes, se pulvérisant en une poussière d’étoiles.
La violence envers la gente féminine est totale. On la retrouve dans « HellHound », ou « I Got A Woman ». « Mister Heartache » est un fabuleux morceau de hard-metal mid-tempo implacable, ses chromes luisent dans le nuit.
Ce disque est au combien viril. Il est brutal, sans concession. Et son écoute vous emmènera loin, très loin.
Le groupe produira un second disque, très bon, mais plus subtil. Joey Dambra, le frère de Louis, prend la seconde guitare. La formation survivra encore jusqu’en 1976, sans réussir à enregistrer son troisième disque.
Il paraîtra en 2006, mais Garner s’est lancé dans le Rock Chrétien, et Sir Lord Baltimore n’a ajourd’hui plus aucun intérêt. Reste ce disque, unique, salve de napalm qui brûle les neurones de l’auditeur imprudent comme un shoot d’acide.
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vendredi 17 septembre 2010

HUMBLE PIE 1972

"Oui, Jimmy Page savait que Humble Pie était un groupe dangereux."

HUMBLE PIE « Smokin’ » 1972

Dans le grand jardin des disques qui hanteront ma vie entière, celui-ci est sans aucun doute la cime absolue. Il y en eut dans ma vie, mais il reste pour moi ce compagnon inaltérable malgré les écoutes et les années.
Je me suis par ailleurs aperçu que je n’avais toujours pas chroniqué dans ces pages les grands sommets soniques de mon amour rock’n’rollien. Par peur de rater la chronique, par peur que mes mots ne soient pas à la hauteur de mes sensations, de mes émotions. Aussi les choisis-je avec parcimonie, comme « Power Supply » de Budgie, ou « Imagination Lady » de Chicken Shack. Mais il en manque d’autres, encore plus beaux.
« Smokin’ », donc, est mon disque absolu. Il est ma vie, mon âme, le sang qui coule dans mes veines, toutes mes contradictions, ma rage intérieure.
Du sang et de la sueur, ce disque en dégouline. J’avais déjà abordé le oh combien sublime album éponyme d’Humble Pie de 1970, déjà franchement superbe, et lui aussi dans les dix plus grands disques de mon panthéon.
En 1971, Humble Pie est formé de Steve Marriott au chant et à la guitare, Peter Frampton dans les mêmes rôles, un peu plus soliste et un peu moins chanteur, Greg Ridley à la basse, et Jerry Shirley à la batterie. Depuis 1970, le quatuor, en signant avec le manager Dee Anthony et le label A&M, s’engage dans un Heavy-Blues puissant, s’éloignant du heavy-rock country et pop de ses débuts, mais aussi de la banqueroute qui marqua ses premiers pas.
Marriott, homme petit par la taille, mais énorme par la personnalité, le don de songwriter et la voix, s’impose peu à peu, définissant le son Humble Pie. Frampton place ça et là quelques bonnes chansons entre heavy sound et rock à l’influence californienne, mais il semble se déconnecter peu à peu du reste du groupe.
Et l’avenir scellera son destin : avec « Live At The Fillmore », paru fin 1971, ce double album enregistré en concert au Fillmore East de New York se vend à 500 000 exemplaires aux USA. Y domine la voix fulgurante de Marriott, la rythmique plombée de Ridley et Shirley, et puis les soli jazz-blues de Frampton, accessoirement. Ce dernier y brille, soyons honnêtes, mais il en est réduit à jouer les accompagnateurs d’excellence, le leader étant clairement devenu Marriott.
Pas étonnant donc que Frampton s’en aille, d’autant plus que sa musique semblait à ce moment-là s’orienter vers le jazz, ce qui n’intéresse aucun de ses camarades. Dee Anthony lui négocie donc un contrat solo avec A&M, et Frampton brillera commercialement en 1976 avec son « Comes Alive ! » qui se vendra à 8 millions d’exemplaires, et qui n’a strictement rien de jazz.
Les mains libres, Steve Marriott forge alors son groupe comme il l’entend. Les trois embauchent un musicien à l’étrange passé, un certain David « Clem » Clempson. Ce dernier a joué plutôt brillamment dans Colosseum, excellent groupe de jazz-rock du non moins excellent batteur de John Mayall, Jon Hiseman. Seulement voilà, Colosseum, à l’époque, c’est le genre épouvantail à kids. Groupe composé de pointures du British-Blues Boom, il est à la fois l’anti-chambre du Rock Progressif, et le tombeau de ce blues-rock vaguement heavy et s’époumonant en soli trop démonstratifs pour être honnêtes. C’était mal connaître Colosseum, mais c’était surtout mal connaître Clempson. Car le garçon fut aussi le guitariste d’un trio de Heavy-Blues du nom de Bakerloo (déjà évoqué dans ces pages). Ce groupe fut une influence non négligeables sur leurs premières parties de l’époque, à savoir Earth alias Black Sabbath, ou Led Zeppelin. L’atout de ce groupe très blues était la guitare de Clem, incroyablement expressive et puissante, hululant à la mort. Cette technique de vibrato sur les Paul ne laissa pas indifférent les auditeurs imprudents ou experts, mais laissa de marbre les acheteurs face à ce groupe trop sage, pas assez rock’n’roll dans sa manière de vivre.
C’est donc ce même Clempson que Marriott, Ridley et Shirley embauche en décembre 1971.
L’affiche fait rire, mais de toute façon, Humble Pie fait rire. Pensez donc : un ancien des Small Faces, à priori déjà dépassé commercialement par son ancien groupe, devenu les Faces, un bassiste venant de Spooky Tooth, et un batteur dont on se gausse en le comparant à l’implacable John Bonham. Et puis rajoutez ce fameux transfuge de Colosseum, et vous avez le meilleur des ringards du Rock Anglais. Imaginez un peu la scène : ces quatre gaillards avec leur pedigree face à Ziggy Stardust, Lou Reed, Alice Cooper, Led Zeppelin, Deep Purple, ELP, King Crimson, ou Yes. Condamnés d’avance.
Pourtant, Led Zeppelin les refusa en première partie américaine. Jimmy Page savait, lui qui avait un temps espérer Marriott comme chanteur de son groupe. Mais la personnalité de ce dernier, puissante, instable, rageuse, n’aurait guère collé avec celle de Page. Il en préféra une forme d’imitateur plutôt doué mais surtout docile.
Oui, Jimmy Page savait que Humble Pie était un groupe dangereux. Seul Grand Funk Railroad les prit, et le Pie fut rangé au sein des groupes bruyants sans finesse aux côtés du Railroad, mais aussi de Mountain ou Cactus, ces groupes américains de Heavy-Blues que la critique branchée de l’époque difinissait comme lourdingues et sans classe, avec leurs jeans crasseux et leurs reprises élimées de standards de Blues. Le Blues ? Une musique d’un autre âge, la préhistoire du Rock quoi. On se grime en androgyne, on se penche sur soi-même, on se cherche. On joue la tarlouze quoi, pour ces bouseux fans de Missippi queens. Putain de rednecks.
Conneries. Humble Pie était bien au-delà, dans un univers qu’aucun du commun des mortels ne toucha du petit doigt. Et encore moins un Lynyrd Skynyrd, qui furent pourtant leur première partie en 1974.
« Smokin’ » est un diamant. Car il sut combiner avec une alchimie exceptionnelle la Soul, le Blues, le Rythm’N’Blues, le Heavy-Rock, et le Heavy-Metal avec une puissance et une cohésion impeccable.
Quel groupe blanc sut jouer avec une telle maestria de la Soul ? Pas mal y touchèrent, surtout après le « Innervisions » de Stevie Wonder en 1973, mais aucun n’avait cette pulsation, ce swing. Beck, Bogert, Appice s’y frottèrent, sans atteindre le quart du brio de cette chanson. Remarquons qu’il est assez gonflé de commencer ce disque par un tel titre, soit « Hot’N’Nasty », aussi authentiquement Rythm’n’Blues. Enfin, Heavy Rythm’N’Blues, car si la rythmique est carrée et souple, elle est lourde et épaisse. L’orgue Hammond de Marriott fait décoller le morceau, avant que Clempson ne décoche de petits chorus racés et saignants. Steve Marriott chante avec un talent incroyable, et première surprise, il est accompagné par deux choristes noires, deux anciennes Raylettes, soit Doris Troy et Madeline Bell. Ces chœurs donneront à Marriott l’idée d’embaucher des choristes noires à plein temps, les futures Blackberries. La troisième chanteuse est ici un homme, et pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit de Stephens Stills.
Après cette belle entrée en matière qui, mine de rien, fait de Marriott le leader incontestable du groupe, suit « The Fixer ». Il s’agit là d’un titre massif, épais, mid-tempo, implacable. Clempson complète à merveille le riff cradingue de Marriott, la doublant d’accords lumineux et de chorus à la wah-wah poisseux. Ridley et Shirley sont tout puissants, à la hauteur des meilleurs rythmiques de l’époque, les Bogert-Appice, Entwistle-Moon ou Jones-Bonham. Mais ils ont cette rudesse, cette absence totale de virtuosité dans le propos qui les rend tout simplement attachants.
Si Humble Pie donna dans le riff heavy depuis déjà quelques albums, que ce soit avec « I Don’t Need No Doctor », ou « Stone Cold Fever », jamais ils n’avaient eu ce son. Le ton était souvent plus blues, plus râpeux et moins sûr de sa force. Avec la production de Marriott, les guitares grondent, elles ne hurlent plus. Clem Clempson y est beaucoup. Sa capacité à se fondre dans le groupe, de lui injecter son talent sans guéguerre d’égos (comme ce fut tout de même le cas avec Frampton), et de même donner des leçons de guitare à Marriott, jusqu’à l’encourager à faire davantage de soli, montre combien il fut capital à l’émancipation incroyable, audible sur ce disque.
Des titres massifs, puissants, il y en a deux autres, totalement inégalables. Il y a d’abord cette réinterprétation de « C’Mon Everybody » de Eddie Cochran. Ne cherchez pas ici une quelconque trace de la rythmique rockabilly initiale, vous perdez votre temps. Un gros riff gras sur-compressé grésille dans l’enceinte gauche, bientôt suivi par le contrepoint de Clempson. Ridley et Shirley débarquent en embuscade. Ce dernier frappe ses peaux avec une précision et d'indescriptibles roulements de toms bancaux, qui rendent le titre abrupte. Ridley en rajoute, faisant ronfler en contrepoint sa basse sur les toms. Et puis les deux enroulent le refrain, et les deux guitares n’ont plus qu’à rugir. Marriott est ici maître du riff, assurant les graves pendant que Clempson se charge des aigus avec ses chorus gorgés de saturation et de wah-wah. Précisons que Stevie chante ici encore admirablement bien, transfigurant ce vieux classique du Rock rien qu’avec sa ligne vocale.
« Sweet Piece And Time » clôt la galerie heavy en percutant l’auditeur en fin de disque par un roulement de toms épais mais fluide. C’est Ridley qui chante, et cela ne fait aucun doute, sa voix grave et timide était un atout pour le groupe. Marriott n’est pas bien loin, doublant son chant de sa voix de loup enragé. Les deux guitares tissent un tapis de powerchords-chorus tout simplement magique. La mélodie est un mélange entre le Rock Sudiste qui n’existe pas encore et « When The Levee Breaks » de Led Zeppelin sur le « IV ». Sauf, que je préfère ce titre à celui du Zep. Plus court, il est également plus riche en rebondissements et en émotions. Marriott et Clempson se font le coup de la twin-guitar, préfigurant Thin Lizzy et le rock Sudiste justement, bien plus que Wishbone Ash, malgré toutes les qualités de ce groupe.
Clem Clempson y est encore brillant, emmenant Humble Pie dans des rivages émotionnels rares. Jusqu’à voir les trois autres gaillards le rejoindre. Marriott le suit dans les soli, les deux hommes se répondent. Steve chante à en crever, alors que Ridley a la voix du loser, du mec qui rince son désespoir dans le whisky.
Entendre ces deux-là hurler « Sweet Piece And Time, Wake Up Your Mind » est un régal qui s’engloutit dans un bouillon de riffs et de soli, de wah-wah et sustain. Les deux métronomes en embuscade font ronfler la rythmique. Maybe I’m A Loser, But I’m Gonna Be A Winner One Day .
Entre les deux, il y a de la place à l’émotion. D’abord, il y a deux titres acoustiques absolument superbes, et vous n’en doutiez pas. D’abord « You’re So Good For Me ». Greg Ridley chante de sa voix écorchée, bientôt rejoint par Doris Troy et Madeline Bell. Steve Marriott fait la troisième voix aigue, mais pas la troisième gonzesse. J’adore les paroles de ce morceau. Aussi macho peut-il sembler, Humble Pie avait le chic pour faire vibrer l’émotion et le romantisme au sens noble du terme. Il y a d’abord ces arpèges de guitares acoustique qui s’entremêle, rejoint par la steel-guitar et la batterie généreuse de Shirley. Oui, Honey, tu as le pouvoir, parce que l’amour que tu me portes ne trouve pas d’égal chez l’homme rustre que je suis. Mais oui, Babe, je t’aime. La classe merde. Elles attendent toutes cela, secrètement.
« Ol’ Time Feelin’ » est davantage un bon vieil hommage au country-blues des familles. Mais il se pourrait que cette chanson soit au moins aussi bonne que le « Honky Tonk Woman » version country de l’album « Let It Bleed » des Rolling Stones. Parce que l’on sent que ces gaillards s’amusent. Marriott souffle dans l’harmonica, tout le monde est un peu bourré. Old Time Feelin’, quoi.
Et puis au milieu, il y a “Thirty Day In The Hole”, couplé avec “Roadrunner”, classique soul de Holland/Dozier/Holland, soit les songwriters de la Motown. Troy et Bell assurent les voix noires. Un rire, une claque. Ce titre, mélange de soul et de heavy-rock est un chef d’œuvre. On retrouve la fougue de « Hot’N’Nasty », ce groove moelleux et percutant, mais avec une dose de Rock en plus. Les chœurs de Troy et Bell brillent par leur éclat majestueux et lyrique. Ca sent le pur Blues, avec ce petit pont heavy-funk irrésistible. Injecté directement à sa suite, « Roadrunner » s’enfonce dans le bayou, la mangrove. Poisseux, lourd, cette version brille encore de cette transfiguration personnelle à Humble Pie.
Ce titre précède lui-même le Blues lent du disque, soit « I Wonder ». Encore une reprise certes (et cela est d’autant plus étonnant que Marriott est un excellent songwriter), mais c’est un bijou émotionnel. Alors bien sûr, quand on parle de Blues lent chez les heavy-rockers, on peut craindre le pire. Comme ces versions à rallonge de « Spoonful » ou « Stormy Monday » durant de longues minutes, pouvant être à la fois exaltantes ou parfaitement chiantes.
Bon d’abord, le titre est mid-tempo. Il commence par une sorte d’explosion finale. Marriott hurle ses tripes comme un vieux chien, et le sang coule dans le caniveau. La basse et la batterie installe le rythme, lourd, impénétrable. Clempson soloïse discrètement en contrepoint du chant. La tension monte. Combustion lente, Marriott est transi de colère, il se demande pourquoi. Clempson prend le relais du gosier de feu, faisant monter la note jusqu’à l’explosion. Longues coulées de lave brûlant la douleur pour mieux l’extraire, le solo de Clempson est brillant, sa Les Paul parfaitement magique.

Ce disque doit impérativement s’écouter au casque, tant il regorge de petits bouts de riffs qui se répondent en écho, comme si ces quatre-là avaient joué si fort que la pièce résonnait encore de leur musique. « Smokin’ » est un album dense, passionnant. Je ne m’en suis jamais lassé après des centaines d’écoutes, et j’y éprouve toujours le même plaisir à chaque fois.
Et Humble Pie décrochera la timbale, s’imposant aux Etats-Unis en classant ce disque à la 6ème place des charts. La tournée qui l’accompagnera durera plus d’un an, sans relâche, ce qui ne sera pas sans conséquence pour la suite. En attendant, Humble Pie est le meilleur groupe du monde, et ce disque en est la preuve.
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mercredi 8 septembre 2010

MOTHER'S FINEST 1978

" Est-ce parce que ces six-là se produisent devant un public qui leur est totalement inconnu qu’ils furent aussi bons ?"

MOTHER’S FINEST : « Live At Rockpalast » Live 1978
Alors le Rock des années 70 se meurt avec ses grands héros aujourd’hui largement sexagénaires, le Rock des années 2010 tente de retrouver la fougue, la créativité et la spontanéité qui lui fait cruellement défaut.
Si il y a quelques années seulement, il était de bon ton de tirer à boulets rouges sur les anciens du Rock, les dinosaures de chaque décennie qui furent les héros d’hier, aujourd’hui, les institutions sont vénérées.
Bien sûr, il y avait les quelques groupes références à respecter forcément, ceux que la rock-critic de bon goût considérait comme étant indispensables et respectables, bref cultes. Souvent, il s’agissait de seconds couteaux visionnaires, certes, mais n’ayant eu, évidemment injustement, aucun succès en leur temps. Citons le Velvet Underground, les Stooges, Big Star, Nick Drake, et tant d’autres, dont la vie de loser devenu magnifique ou le décès injuste rendait encore plus belle la légende.
A cette même époque, les groupes de heavy-metal classiques étaient surtout de la graine à blaireaux. Les idoles Rock d’aujourd’hui, cultes donc, sont les ringards d’hier : AC/DC, Motorhead, Deep Purple, Black Sabbath, Aerosmith, Mott The Hoople, et j’en passe et des meilleurs.
Bref, à l’heure où nos héros se meurent, tous les groupes ont eu leur petit quart d’heure de gloire, et souvent, leur reformation célébrée en grande pompe.
Pourtant, certains passèrent à travers les gouttes inexorablement, et alors que le Rock d’hier se meurt, disais-je, Mother’s Finest fait partie de ces groupes totalement oubliés. Ce qui veut donc dire, à priori, que leur héritage musical est totalement insignifiant.
Or voilà, c’est tout le contraire. Il est parfaitement imposant, voire même, carrément gênant. Car si Mother’s Finest a été incroyablement pompé, il n’a jamais été dépassé. Et cela est un fait que je m’en vais vous démontrer, chers fans hystériques.
Petit rappel des faits : Mother’s Finest est originaire d’Atlanta, en Géorgie, soit l’un des états bien racistes du sud des USA. Il est aussi le plus incroyable vivier de musiciens noirs et blancs, et fut le terreau fertile des plus grands. Citons pêle-mêle le Allman Brothers Band ou Little Feat.
Nous sommes en 1973, et la chanteuse Joyce Kennedy et son petit ami chanteur Glenn Murdock, tous deux noirs, en ont assez de cachetonner pour de petits simples de soul à deux balles ou des chœurs pour des célébrités locales.
Un premier disque paraît en 1973, dans l’indifférence générale, avec une pochette effrayante rappelant plus un disque de Black-Metal qu’un disque de soul et de rock. Car les deux veulent fusionner le funk avec une forme de rock inspiré d’Hendrix, dans ce qu’il a de plus sauvage. Certes, Funkadelic a déjà tenté l’expérience avec succès, mais Murdock et Kennedy veulent un son plus agressif, plus rock, débarrassé des accoutrements du P-Funk.
Mother’s Finest trouve son alliage parfait avec l’arrivée du bassiste noir Jerry « Wizzard » Seay, du clavier noir Mike Keck, et de deux blanc-becs : Gary « Mo » Moses à la guitare, et du batteur Barry « BB Queen » Borden.
Trois disques paraissent entre 1976 et 1978, qui obtiennent un succès honnête dans les charts américains grâce aux simples « Baby Love » ou « Fire ». Déjà, le groupe se montre gonflé et sûr de sa force, et dés le premier album, Glenn Murdock chante « Niggiz Can’t Sing Rock’N’Roll ».
Pourtant, les albums studios, bien que sympathiques et efficaces, ne semblent pas être la hauteur de la réputation de leur musique. Trop policés, les Mother’s Finest, malgré d’excellentes chansons, semblent être un alliage de funk disco et de rock stonien propret. Ce syndrôme d’émasculation sonique est typique des groupes américains de l’époque. On peut ainsi citer Blackfoot, Outlaws, ou Blue Oyster Cult, dont la musique est affadie en studio, à milles lieues de la furia live. Il s'agissait sans doute de ne pas trop effrayer les radios avec un son trop sale, surtout à l'époque du disco.
Est-ce parce que ces six-là se produisent devant un public qui leur est totalement inconnu qu’ils furent aussi bons ? En tout cas, il est bon de saluer le courage de la programmation de cette émission allemande qu’est Rockpalast, et qui après avoir enregistré Spirit, fit découvrir Mother’s Finest au public européen (Rockpalast était retransmis en Eurovision, soit dans toute l’Europe par satellite). Il fit de même en 1980 avec ZZ Top (voir l’article consacré à ce concert dans ces pages).
Toujours est-il que le générique résonne, et le présentateur allemand annonce « unsere guest : Mother’s Finest ! ». Et dés « Dis Go Dis Way », le sextet d’Atlanta terrasse. Puissant, rock, et surtout incroyablement gorgé de funk, il imprime une rythmique implacable qui colle l’auditeur imprudent à son siège, ou à tout ce qui peut un tant soit peu le soutenir. Le groupe tourne comme un V8 Big Block. Ca ronfle, et le groupe est incroyablement carré, précis. Ce premier titre est une sorte de parodie heavy du funk discoïde de cette époque, incroyablement réussi, et qui n’est que l’introduction au percutant et hard « Fly With Me ». Joyce Kennedy fait étalage de sa voix profonde et soul, d’une puissance indescriptible.
Murdock reprend le dessus avec le puissant et très UFO « Rain », mais toujours avec ce style black inimitable. Murdock a une vois plutôt haute qui le mets à la fois dans la catégorie des screamers du hard et dans celle des fous furieux de la soul style James Brown.
Joyce reprend le devant, alors que Mo Moses ne l'a toujours pas quitté. Avec « Truth 'll Set You Free », il lance un titre compact, lourd et mid-tempo totalement implacable, synthèse parfaite des influences du groupe. Seul alternative, les claviers de Mick Keck, alliage de synthétiseurs et de piano électrique typique du son funk mid-70's, qui apporte cette couleur très Herbie Hancock au mélange.
Passé ce quatuor dantesque, vous avez déjà la quintessence de Mother's Finest. Pourtant, la suite vaut son pesant de cacahuètes avec leurs meilleurs titres interprétés en concert : « Give It Up », « Fire », « Give You All The Love », ou l'impeccable « Baby Love ». Ce dernier morceau, alternant riffs lourds et funky, est une merveille de ce que l'on appellera la fusion ou le Black-Rock symbolisé essentiellement par Living Colour.
Ce live au Rockpalast, publié depuis en DVD en Allemagne mais pas en CD, laissera des traces dans le pays. A tel point que le groupe sera à nouveau reçu avec ferveur en 2004 lors d'un second Rockpalast.
Entretemps, le quintet sortira un live officiel en 1979 très bon mais un peu trop propre pour être honnête (chroniqué dans ces pages), et un disque de heavy-funk implacable du nom de « Iron Age » en 1981 absolument génial dont je vous reparlerai. Et puis ce sera le grand plongeon dans le son FM, un peu comme tous, et l'oubli généralisé.
Enfin, pas pour tout le monde, car quatre blanc-becs californiens vont réutiliser ce son, le blanchir un bon coup histoire de le rendre plus accessible et moins « Niggizz », et se faire des couilles en or en se faisant passer pour les créateurs du genre funk-rock : les Red Hot Chili Peppers.

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dimanche 5 septembre 2010

IRON BUTTERFLY 1976

"Ce disque a tout de l’album tragique. "

IRON BUTTERFLY : « Sun And Steel » 1976

Me voilà donc de retour. Vous me direz, cela fait au bas mot huit mois que je vous fais le coup, et que la production de ce blog faiblit au cours du temps, pour atteindre le chômage technique ces deux derniers mois. Disons que le travail et ma vie privée m’ont éloigné de mon clavier, dont je dois avoir eu besoin de m’éloigner un temps avant de vous revenir, mes chers amis, si fidèles. Qu’y pouvez-vous de mes anicroches personnelles ? The Show Must Go On, comme disent tous les tocards qui n’ont rien d’autres à dire.
Je dois avouer que ces derniers mois ont également été pour moi comme une sorte de retour aux sources. Je me suis replongé dans mon enfance, les séries télévisées, les bandes dessinées, les voitures qui me faisaient rêver. Je suis même retourné sur les lieux de mon enfance pour la première fois depuis 15 ans. Mille images me sont revenues, ce fut un vrai choc. Et aussi absurde que cela puisse paraître, c’est ce disque que j’ai réécouté ces derniers temps.

C’est ironique finalement, car en matière de come-back à répétition, Iron Butterfly est un sérieux prétendant. Revenons un peusur l’histoire de ce quatuor américain. Il est considéré comme l’un des pionniers du Heavy Sound, notamment grâce à son titre « In A Gadda Da Vida » paru en 1968 sur l’album du même nom. Ce disque sera par ailleurs le premier disque de Rock de platine de l’histoire, à savoir un million d’exemplaires vendus rien qu’aux USA. A l’époque, la formation vient de se stabiliser avec Doug Ingle aux claviers et au chant, Lee Dorman à la basse, Ron Bushy à la batterie, et Erik Braunn à la guitare.
La particularité du son de Iron Butterfly, c’est ce mélange de guitare lourde et psychédélique, un orgue électrique aux accents funéraires, et la grosse voix théâtrale de Ingle qui rend la musique du groupe totalement obsédante. Le disque est très bon, mais il ne sera pas le seul. Pourtant, Iron Butterfly est totalement dépassé par de nouvelles formations explosives qui le rendent totalement abscons en moins de six mois. Led Zeppelin notamment, pulvérisera le heavy-rock pysché naissant aux oubliettes. Iron Butterfly rejoint donc le wagon de groupes devenu has-been dés 1969 aux côtés de Blue Cheer et Vanilla Fudge.
Ainsi allait l’époque et le business, et le reste de la discographie du groupe mourut doucement dans les bas à soldeurs. Ainsi « Ball » en 1969, le « Live » en 1970 ou le superbe « Metamorphosis » en 1971 avec l’arrivée de Larry « Rhino » Reinhardt et Mike Pinera en lieu et place de Braunn n’y feront rien. Le groupe disparaît fin 1971 dans l’indifférence générale.

Braunn et Bushy reforme le groupe en 1974, espérant surfer sur la vague progressif-hard-rock. Phil Kramer prend la basse, et Bill DeMartines les claviers. Le premier disque de cette reformation, « Scorching Beauty », paru en 1975, est plutôt mauvais, ce qui semble guère étonnant, et n’aura, bien évidemment, aucun succès. Le second s’appelle « Sun And Steel » en 1976 et il est très bon.
Ce disque a tout de l’album tragique. Un groupe exsangue, une période en plein flottement, entre délires mégalomaniaques de méga-machines Rock cocaïnées du style Deep Purple, ELP, Genesis et autres Rolling Stones, et de l’autre, les prémices du Punk urbain avec Johnny Thunder, Stiv Bators, les Damned, les Sex Pistols et les Ramones, évidemment.
Pour les amateurs de bon goût, les pro-Philippe Manœuvre, vous pouvez donc aller vomir, ce disque vous laissera indifférent, car il parle à l’âme.
Ce disque, disais-je, est tragique. Iron Butterfly ne remplit plus les salles, mais fait le tour des théâtres, à peine pleins grâce à l’aura pâle de leur nom. Leurs albums ne se vendent plus, et pour sûr, cette reformation semble uniquement motivée par l’argent.
En 1976, les Rolling Stones sortent « Black And Blue » avec « Fool To Cry » et Ford sort la nouvelle Mustang qui ressemble à une Ford Escort . En plus, elle a un V6. C’est vraiment la merde. Heureusement, Led Zeppelin sort « Presence », mais là encore, si vous ne vous enfilez pas un whisky cul sec après un tel disque, c’est que vous n’aimez pas la vie.
Donc, « Sun And Steel » est un très bon disque, et cela, personne ne le sait, car personne ne l’a jamais écouté. Je ne dis pas volontairement excellent, comme mon lyrisme musical me le suggère parfois, car c’est faux.
En effet, cet album souffre, autant le dire, de trois chansons pas terribles qui gâchent franchement l’ensemble, mais rendent le reste totalement délectable.

Car il faut quand même être sacrément gonfler pour débuter un album par « Sun And Steel », un titre au riff plombé. Les claviers et la batterie souple allège un peu l’ambiance. La voix de Braunn, rauque et ample, rend le titre à la fois lourd et plein d’espoir, comme quelques fleurs des champs dans un terrain vague où se débattent les premiers bulldozers d’une zone commerciale. Ce titre définit une ambiance mélancolique qui sera la tonalité de cet album. Totalement hors de propos en 1976, il est bon d’écouter la musique pour ce qu’elle est, et non pour ce qu’elle fut à cette époque, c’est-à-dire complètement décalée. Le solo de Braunn est réussi, et annonce de jolies pépites. « Lightnin’ » annonce du synthé et de la talk-box, syndrôme Peter Frampton et Eagles oblige. Le titre, au demeurant pas mauvais, refroidi pourtant. Et que dire du mièvre et grotesque « Beyond The Milky Way » ou du boogie-country ringard « Free » qui achève le moindre auditeur.
Mais les courageux trouveront à nouveau leur fortune avec « Scion » ; ce mégalithe de Heavy-Rock enterre ce qui précède avec maestria. On retrouve les rivages et le talent de « In A Gadda Da Vida ». Ce qui frappe, c’est cette production dépouillée, live en studio, comme si le Butterfly vous parlait. Je trouve ce titre fabuleux. L’orgue, ne fait qu’enluminer la mélodie, alors que la guitare de Braunn rugit. Le solo de DeMartines est une réussite, à la fois aérien et possédé. Braunn s’arrache les tripes, et brille par son lyrisme musical. Lui qui ne faisait que jouer avec le larsen est un musicien accompli pour qui un solo a un sens. Mais surtout, il y chante merveilleusement. La voix râpeuse de « Sun And Steel », la voix aigu et hargneuse de « Scion » et de « Get It Out », c’est lui.
Ce dernier titre est une sorte d’éclair d’espoir, heavy et funky, rappelant l’unique album de Beck, Bogert et Appice en 1973. Les synthés sont discrets et désuets, mais n’amochent en rien la chanson.
« I’m Right, I’m Wrong » débute sur du mellotron, et ne pourrait qu’annoncer que le pire. Mais en fait, cette chanson est une formidable transition en le heavy-funk de 1973 et une certaine New Wave anglaise à venir. Culbutant les influences, de Beck, Bogert, Appice à King Crimson, cette étrange chanson destructurée ne s’apprivoise qu’après plusieurs écoutes.
« Watch The World Going By » est un titre acoustique moyen, sous influence Paul McCartney. C’est bien, mais pas terrible.
Reste la pépite finale : « Scorching Beauty » : ce disque fait de riffs dérapants et de mellotron vrillants est une splendeur de mélancolisme mature. Il y a comme un goût de poussière dans cette chanson, comme ces derniers jours ensoleillés de septembre au bord de la mer.
Et la suite confirmera cette impression. Séparé dans l’indifférence générale, Iron Butterfly se reformera dans l’anonymat général à la fin des années 90, sans grand succès. Phil Kramer le bassiste de cette première reformation, sera retrouvé sous forme d’ossements dans son minivan en 1999 après avoir été porté disparu en 1995.

Ce disque donne cette étrange impression d’être au bord du gouffre, étourdi par le vertige de l’existence qui défaille, de cette page de la vie qui se referme et vous mène vers l’inconnu.

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