samedi 14 janvier 2012

JOHN MARTYN 1977

Bon, d'abord bonne année à tous pour 2012. Cette convention idiote est un passage obligée, bien que nous sachions tous que ce sera une année pourrie, avec son cocktail de récession, d'ultra-libéralisme et de joutes politiques exsangues dont nous serons les témoins obligatoires et impuissants. Allez, surtout une bonne santé, et bonne lecture.

"L’homme ne semble donc plus le bien venu en ce bas-monde, et c’est au bord de la rupture qu’il délivre ce disque miraculeux."
JOHN MARTYN : « One World » 1977

Les nuages de ce mois de janvier forme une chape uniformément grise, d’un gris foncé transpercée de petites tâches à peine plus blanchâtres. Les branches des arbres décharnés par l’hiver forment comme de frêles bras de bois vers le ciel, comme pétrifiés par le froid.
Le vent souffle et crée un léger bruit de fond constitué de petits craquements de branches et de feulements d’herbes sèches.
Je marche dans ce petit village endormi, d’un pas incertain et badaud. A travers les fenêtres des vieilles maisons de pierres on aperçoit quelques faisceaux de lumière jaune. Dans l’air flotte une odeur de feu de cheminée qui s’échappe des toits. Le village semble endormi, et les marcheurs comme moi sont rares. Il semblerait même que je sois seul.
J’aime ces promenades dans la campagne endormie. Il s’en dégage à la fois une grande mélancolie et une sorte de quiétude propice aux divagations intellectuelles les plus vastes.
En fond sonore je verrai bien…Du Folk ? Pourquoi pas. Mais pas celui du moment, pas celui que l’on galvaude à tout bout de champ. Brigitte ? Du folk. She & Him ? Du folk. The Decemberists ? Du folk. Bref tout est un peu folk, et puis aussi electro, et des fois pop aussi. Ce qui donne du folk-electro-pop. Bref, la plupart du temps, de la soupe, un fourre-tout sans âme. Pour être vraiment exact, cela regroupe tout ceux qui font leur album à la maison avec « quelques machines et instruments ». Ou encore le low-fi, si vous préférez. Enfin on s’en fout.
Mais me direz-vous, voilà encore une preuve de mon hermétisme à toute nouveauté ? Un peu, c’est vrai, mais aussi et surtout parce que dans tout cela, il n’y a rien de bien prodigieux.



Et pour beaucoup d’artistes actuels, l’une des références musicales est John Martyn. A ma bonne dame, si ils savaient. Si ils savaient que Martyn n’a jamais rien enregistré en-dehors d’un bon vieux studio, celui d’Island en l’occurrence.
Et pour ce qui est du disque de référence, « One World », si ils savaient. Si ils savaient que ce n’est pas avec des bouts de ficelle que l’homme a enregistré sa musique, mais au contraire avec quelques virtuoses et amis.

En effet, « One World », enregistré en 1977 , compte dans ses rangs la présence de Steve Winwood aux claviers, et Danny Thompson à la contrebasse, entre autres. Que ce superbe album à la subtile délicatesse est en fait un bijou finement ciselé dont la pureté n’est dû qu’à la matière première, c’est-à-dire les chansons, et donc le talent de son compositeur. Bref….
En 1977, John Martyn est un musicien reconnu artistiquement et commercialement, notamment avec le superbe « Solid Air » en 1973. mais c’est aussi un homme brisé par sa vie personnelle. Homme sensible, perturbé, constamment sur la route, il perd au milieu des années 70 ce qu’il considérait comme la femme de sa vie, Beverly Martyn. La jeune femme demande le divorce et part avec leur petite fille. Effondré, Martyn trouve refuge dans l’alcool et la musique. Elle se fait de plus en plus vaporeuse et ambiante, et constamment contrite d’un désespoir latent caché sous une fausse bonhomie.
Ajoutons qu’à l’heure du Punk, John Martyn et son Folk-Rock fait partie des ours à abattre rapidement. L’homme ne semble donc plus le bien venu en ce bas-monde, et c’est au bord de la rupture qu’il délivre ce disque miraculeux.

Malgré un aspect parfois enjoué, il n’y a ici pratiquement aucune bulle d’air, à part le faux-mambo « Certain Surprise », qui vous permettra d’emballer Madame sur le canapé et de goûter au jardin défendu pour la première fois ou non, d’ailleurs.
Le reste est entre une musique planante et perdue et de sombres incantations en Enfer. Pour la première part, il s’agit de « Dealer », « Smiling Stranger », « Big Muff » ou « Dancing ». Ces morceaux me font penser à un homme perdu dans un monde qu’il ne comprend plus, et qui semble trouver une bien mince consolation en dansant seul avec ses souvenirs passés. Incontestablement, les subtils synthétiseur et moog de Winwood apportent cette mélancolie à la fois rêveuse et désenchantée.
Et puis il y a les tréfonds de l’Enfer. Il y a ce « One World », soupir ultime d’un homme dévasté par ce monde infernal. En fond, on distingue l’amour perdu qui se pleure, et celui des âmes qui ne trouvent pas leur place. Tout y est minimaliste et lointain. La wah-wah de la guitare, la percussion-boîte à rythme (oui-oui !), et ce piano électrique liquide.
Il y a aussi « Couldn’t Love You More ». Folk-song basé sur un simple riff de guitare acoustique enluminée d’un piano électrique et d’une contrebasse (celle de Thompson, donc), elle déchire l’âme de par sa pureté cruelle. Un constat de désenchantement évident, mais douloureux. Elle est la plus directement liée à la vie personnelle de Martyn, et n’est qu’amour déchu.
« Small Hours » est une autre affaire. Elle fait partie de ces chansons aux paroles succincts et énigmatiques comme « Tea For One » de Led Zeppelin en 1976 ou « Walk On Gilded Splinters » de Dr John repris par Humble Pie. Quelques mots, un souffle de guitare, et un délicat cri de cormoran au début. Et puis cette pulsation comme un cœur qui bat. Les petites heures du jour…. Celles où l’on se réveille seul un matin gris, sans but, sans amour. Ne reste que le vide. Cette grande falaise à mes pieds, battue par les vents et les embruns. Ces oiseaux derrière…. Ces quelques notes…. Son visage, ses yeux bleues, sa petite mèche dans le vent que l’on se plaît à remettre comme une caresse… Et puis ces mots de rupture…. Sur un ton doux et précautionneux, comme pour ne pas éviter la blessure, le conflit…. Et puis le vide…. Cette falaise, le vent…. On n’en reste là, perdu, pantois. Les choses ne s’arrangeront pas pour John Martyn. Abîmé par la vie, il finira par mourir en janvier 2009 sans rédemption. Il partira avec ses blessures, et laissera une poignée de disques à la fêlure intacte. Et jamais un disque n’eut autant bien retranscris cette douleur.tous droits réservés

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour Electric Buffalo,

Merci pour cette chronique de "One World", j'ai eu la chance de voir John Martyn au new morning à paris dans les années 90, ce fut un concert magique,

Je ne sais plus comment j'ai trouvé ton site sur le net, mais aujourd'hui et depuis longtemps il fait partie de mes favoris, nous avons pas mal de musiques en commun, je surveille les rubriques très régulièrement, j'aime la diversité de tes goûts, je fais aussi partie de cette catégorie, alors continue car c'est du bonheur.
Cordialement

Pascal GEORGES a dit…

On néglige bien trop cet artiste.
Winwood de sortie de sa profonde campagne pour prêter mais fortes, c'est un argument suffisant pour considérer que l'on a affaire à du niveau artistique et créatif.
Il l'avais fait pour Broken English, là aussi...
L'univers de Martyn et ses usages particuliers d'effets guitaristiques, sans esbroufe, mais en recherche musicale fait partie de mon quotidien.
Plus qu'attachant ou underground mis au rang d'anecdotique, Martyn est un artiste majeur - on s'en rendra forcément compte un jour, même si c'est désormais malheureusement posthume.

J'entre progressivement dans ton blog - la course au temps est chez moi récurrente - je fouille au gré des archives. De très bonnes sensations, je trouve, en rapport avec la vie, les artistes, les albums.
Une lecture qui change de l'ordinaire chronique avec ses :"Indispensable", "Bof", ou racontant l'histoire de untel ou unetelle - je poserais des comm's au fil des lectures.
à+