vendredi 27 décembre 2013

SAMSON 1982


"Sur ce riff de SG Gibson qui résonne encore dans ma tête s'ouvre une nouvelle page de ma vie."  
 SAMSON : « Before The Storm » 1982

Je sens sa main serrer mon bras, entre tendresse et urgence. Elle dépose un baiser délicat sur mon avant-bras. Je tressaille. Mon cœur s'emballe. Je n'ai jamais ressenti une telle douceur Je vois ses jolis yeux verts se poser sur moi. Elle pose ses lèvres sur les miennes. Je la prend délicatement par les hanches afin de la serrer dans mes bras. Je sens ses seins contre ma poitrine. Je n'ai même pas envie de sexe ce soir. Juste la sentir contre moi, caresser ses hanches, embrasser sa nuque des heures durant.
Je croyais que cette saveur des sentiments n'était plus qu'un lointain souvenir. Je croyais que désormais je devais trouver l'alliage le moins pénible pour élever nos enfants respectifs. Loin étaient l'amour et la sensualité. Et puis vint ce jour....
Elle et moi étions tellement mal à l'aise. Malgré les expériences du passé, les blessures à l'âme, nous étions comme deux adolescents maladroits. Osant à peine nous regarder, forçant le trait de l'humour l'un et l'autre afin de noyer un malaise latent. Nous échangeâmes quelques paroles maladroites et malhabiles. Le temps de nous rendre compte que nous étions en fait parfaitement en phase sur absolument tout. Nous passâmes la nuit ensemble, ivres de désirs et de douceur.
La sentir se blottir dans mes bras durant toute la nuit fut une expérience presque surnaturelle. Je crus ressentir mon cœur sortir de ma poitrine, et l'angoisse surréaliste que tout cela ne pouvait être vraie. Après tant de désillusions, comment pourrais-je espérer tant d'une rencontre ?
Dés nos premiers échanges écrits, une grande complicité s'était installée, mais j'avais connu la déception de la rencontre physique, lorsque la magie de l'écrit ne se transforme pas lorsque nous sommes face à face. Il faut dire qu'une première rencontre est toujours quelque chose de difficile. On essaie de se donner une contenance, on essaie de montrer le meilleur de soi-même. Mais ce qui transparaît n'est qu'un grand con maladroit riant nerveusement, faisant des tonnes pour emplir le moindre silence.
Ce soir, ce ne sera pas un échec, mais un fabuleux espoir qui s'ouvre à moi. De sentir cette jolie princesse se serrer contre moi fut un moment de bonheur que je n'osais plus rêver.
Mon âme mettra un peu de temps à se remettre des déceptions passées. Mais il me semble qu'il s'agit de la chance de ma vie. Et elles sont trop rares pour être perdues. Et mon cœur s'est ouvert à nouveau.

Curieusement, la bande-son de ma vie est un melting-pot de Heavy-Rock Stoner Doom typé Sungrazer, Samsara Blues Experiment, et Elder, et ce disque. Un bon vieux disque de Hard-Rock Blues de 1982, acheté en vinyl durant mes jeunes années.Une pochette moche, typé Metal des années 80, mais un contenu complètement à l'opposé. Je me souviens avoir trouvé ce disque mou du genou à mes seize ans.
Néanmoins, il faut rappeler le contexte : ivre de Heavy-Metal de la NWOBHM, je découvris Samson. Quatuor formé de Paul Samson à la guitare, Chris Aylmer à la basse, Bruce Dickinson alias Bruce Bruce au chant, et Barry Purkis alias Thunderstick à la batterie, le groupe sortit un fabuleux album du nom de « Head On » en 1980. Classique de cette période, il inscrivit Samson dans l'histoire du Hard-Rock, en plus d'avoir disposé du futur chanteur d'Iron Maiden.
Thunderstick partit en 1981 avec le très bon « Shock Tactics », et Dickinson fin 1981 pour Iron Maiden. Le groupe est en cendres, mais pas meurtri. Un batteur, Pete Jupp, est recruté. Et puis un chanteur : Nicky Moore. Son physique grassouillet choque par rapport aux standards des hard-rockeurs de l'époque. Qui plus est, l'homme, n'est pas un jeune premier, mais un vrai galérien du Hard-Blues depuis ….. 1970. Et il ne fit partie que de groupes de seconde zone : Hackensack, ou encore Tiger, dans une veine Blues-Rock sympathique mais guère originale.
Aussi, quand Paul Samson propose à ce second couteau du Hard-Metal de prendre le micro dans ce qui est considéré comme le groupe prometteur du nouveau Hard-Rock anglais, on est en droit de s'interroger. Jusqu'à ce que Nicky Moore chante. Sa voix puissante, rugueuse, Blues, fait merveille sur les nouveaux titres de Samson. Car le quatuor a aussi légèrement réorienté sa musique. Finies les envolées speed portées par la batterie folle et virtuose de Thunderstick. La batterie lourde et carrée de Jupp, les riffs denses de Paul Samson, et la voix de Moore emmène le groupe vers des horizons entre hard-rock mélodique à la Bad Company et hard-blues typé ZZ Top.
Forcément, le jeune gamin que j'étais, ivre de folie et de puissance, ne pouvait déceler la force de cette musique. Pourtant, déjà, « Dangerzone » et « Stealing Away » avaient accroché mon oreille.
Mais l'homme mature et blessé que je suis y trouve une force nouvelle. D'autant plus qu'après des heures d'écoute de Heavy-Blues Stoner, je ressentis à nouveau dans ce disque ce mélange de mélancolie post-traumatique et d'espoir fou après la tempête.
Dés « Dangerzone », son riff implacable, sa batterie lourde, et la voix furieuse de Moore, le ton est donné. Il n'est plus question d'un hard-rock frimeur, mais d'une musique plus introspective. Par rapport au ton de l'époque, typé vitesse genre trash-speed, on est complètement hors course.
Mais il se dégage dés ce premier morceau une sensation d'homme brisé revenant de l'Enfer. Les petits garçons sont devenus des hommes. La mélodie et la force de ce Hard-Blues emmène l'âme vers de nouveaux territoires.
Ainsi, « Stealing Away », et son approche presque hard-fm n'a que l'apparence d'un morceau facile. Il est ce genre de chanson que l'on écoute pour s'ouvrir de nouveaux horizons. En fait, la voix de Nicky Moore permet tout. Cet homme donne à n'importe quel morceau une dimension lyrique et une puissance indescriptible. La guitare de Paul Samson gronde, provoquant une ondulation Blues ravageuse entrecoupée de petits chorus précis et d'une efficacité redoutable. L'homme n'est pas du genre à se laisser aller à l'esbroufe et mesure chaque note comme chaque mot. On y retrouve la démarche de Billy Gibbons dans ZZ Top, donc. Mieux vaut un solo précis et bien écrit plutôt que de la branlette de manche inepte.
Passé ces deux morceaux implacables, Samson reprend « Red Skies », une vieille scie de scène avec Bruce Dickinson jamais parue sur disque. Il y a cet arpège de départ, et puis ce riff qui donne du courage. Et puis il y a encore la voix de Moore. Ce titre devient une ballade heavy-blues presque irlandaise. Comme une claque dans le dos par un bon copain.Une de perdue.... Ca ira mieux demain.... Bref, ces conneries qui remontent le moral.
Et puis s'enchaînent « I'll Be Round » et « Test Of Time ». Deux belles chansons d'amour toutes simples aux textes matures d'homme meurtris. Il ne s'agit plus de saisir de la petite pépée, mais bien d'être présent pour cette femme que l'on aimera pour toujours. Ce truc que je ressens depuis peu...
Reste l'envie de prendre le large, et «Life On The Run » en est la bande-son. Poussée par la basse de Aylmer et la batterie carrée de Jupp, sur une rythmique galopante comme un cheval fou, on se prend à appuyer sur l'accélérateur pour retrouver l'être aimé. Enfin, sentir son cœur s'emballer pour une jeune femme, trouver les réponses à des années d'incertitude. La bande blanche défile enfin avec espoir. Les mains sur le volant, le solo de Paul Samson attise le feu intérieur. Je me vois déjà, à marcher sur ce bord de mer, loin de tout, main dans la main, riant d'un rien.... Image stéréotypé d'un bonheur que je recherche depuis tant d'années...
Flashback violent..... « Losing My Grip ». Hard-Blues brutal. Personne pour moi..... je perds pied. Ca c'était avant. Pourtant, ce bon vieux boogie vient sonner combien le bonheur actuel n'a de lumière que par le prisme de la douleur passée. Avec ou sans une ex sans compassion, on est seul comme un chien. Et la colère de la voix de Moore doublée du riff redoutable de Samson n'est que le reflet de cette furie intérieure.Il y a bien ce « Na na na » entêtant pour tenter de se donner du courage.
Celui-ci aboutit à ce morceau demandant d'éteindre la lumière, Baby. « Turn Out The Lights » est un boogie fougueux super sexuel mais pas du tout machiste à la vue du contenu précédent. Disons que faire l'amour dans ce contexte n'a plus la même saveur, purement machiste.
Surtout quand aboutit la magnifique ballade « Young Idea », et cette histoire d'une jeune femme désireuse de sortir de son bourbier quotidien. Les arpèges s'emballent en un superbe pont lyrique serti d'un chorus magique.
Les quelques bonus assortis à cet album ne sont pas en reste, à commencer par le magnifique « Running Out Of Time ». Dérangeant Hard-Rock Blues décoché à coups de glissendos, le riff impérial retentit, propulsé par le chant redoutable de Moore. Son intonation implacable, cette fureur vocale... On se sent emporter par cette colère qui celle de l'homme blessé.
« Living Loving Lying » rejoint cette emphase lyrique ressentie avec «Life On The Run ». On sent cet amour dévorant pour ce prochain si beau, forcément.
Ce superbe disque se clôt par une nouvelle version « Riding With The Angels », déjà enregistrée avec Bruce Dickinson sur l'album « Shock Tactics ». Je préfère la version avec Nicky Moore, plus viril, plus brutale, plus Blues. Cette version est tellement bonne que Paul Samson se transcende sur son chorus.
Sur ce riff de SG Gibson qui résonne encore dans ma tête s'ouvre une nouvelle page de ma vie. La fameuse colline a été franchie.La lumière éblouissante était celle de l'Amour. Il me semble discerner sa silhouette à travers la lumière du soleil couchant. Exténué par des mois de douleur, je retrouve enfin espoir. Mes lèvres esquissent enfin un sourire, et je tends ma main vers elle. Je sens ses doigts la saisir, délicatement, avec une immense tendresse. Elle me sourit. Ses yeux verts inondent mon cœur. Je sens son corps contre moi, ses lèvres effleurées les miennes. Je sens qu'enfin mon calvaire prend fin. Je suis un homme nouveau. Je me sens empli d'une immense joie de vivre. Mon cerveau s'ouvre à nouveau à de belles pensées. J'ai envie de pleurer. De joie.
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dimanche 1 décembre 2013

SAMSARA BLUES EXPERIMENT

" Samsara Blues Experiment apparaît enfin sur scène. Je suis ému."

SAMSARA BLUES EXPERIMENT : « Revelation & Mystery » 2011

La bande blanche de l'autoroute défile dans mon rétroviseur. Je suis sur l'A6 vers Paris. Je me sens curieusement bien, et j'écoute avec délice l'album « Golden Section » d'Isotope, du jazz-rock anglais aérien et funk datant de 1975. je me laisse bercer par la guitare de Gary Boyle sur « Illusion », et la basse soyeuse de Hugh Hopper, l'ex-Soft Machine.
J'ai passé beaucoup de temps sur la route, et beaucoup dans le Gâtinais mais aussi le Morvan, savourant les jolis reflets des collines couvertes de vignes jaunies par l'automne du côté de Cosne Sur Loire, comme la profondeur des forêts entre Chateau-Chinon et Autun la nuit. Alors que je pensais voir ma vie sentimentale prendre un tour heureux auprès d'une nouvelle compagne, je dus stopper net mes ardeurs, refroidis par quelques caprices et chantages mal placés. Je ne voulais plus de tout cela, je ne voulais plus avoir à faire de concession pour sauver un couple. Je préférai passer brutalement à autre chose. En attendant, je vécus ces dernières semaines entre ma conquête et des concerts sur Paris.
Mais ce dernier retour de Nevers serait le dernier. Je sentais d'ailleurs comme une bouffée d'air frais à fuir, une pression immense se délester. Un malaise insidieux s'était invité en moi, sans que je sache vraiment qu'elle en était la cause. La cause, je la comprendrais quelques jours plus tard, lorsque ma décision fut évidente.
Ces dernières semaines, mon écoute fut aussi décousue que ma vie personnelle. Je passais du jazz-rock d'Isotope et de Nucleus au Blues-Rock de Pat Travers, en passant par le furieux Heavy-Metal de High On Fire et Red Fang. J'étais proprement incapable d'écrire sur un album complet. D'abord parce que j'étais incapable de me concentrer sur un disque entier, mais sur quelques chansons. Ensuite parce que mon esprit était trop perturbé pour offrir un discours concis et réfléchi. Mes relations devenues un tant conflictuelle avec ma famille ne fut pas pour arranger la situation, tout comme le fait que ma fille soit témoin de mes colères successives. Je décidai brutalement qu'il était tant que je reprenne le contrôle de la situation, quitte à faire de la casse : famille et compagne en firent les frais. Je ne supportais plus d'être mal à l'aise, et d'être considéré comme un homme d'à-peu-près. Après tout, je n'avais pas si mal réussi ma vie. Malgré quelques erreurs humaines, je n'avais pas raté ma vie : une fille adorable et en bonne santé, un emploi intéressant et pas trop mal rémunéré, et quelques qualités humaines. Je me suis donc dit qu'il était enfin temps de vivre le bons moments présents, et laisser de côté le merdier qui m'agressait quotidiennement.
Je me rends sur Paris à nouveau, mais pour voir un groupe que j'apprécie réellement depuis deux ans : Samsara Blues Experiment. Quatuor allemand fondé en 2009, il est constitué de Christian Peters à la guitare et au chant, de Hans Eiselt à la guitare rythmique, de Richard Behrens à la basse et de Thomas Vedder à la batterie. Je découvris ce groupe par accident, en recherchant des informations sur d'autres groupes dits Stoner. La scène allemande et hollandaise fourmille d'excellentes formations de ce style.
Curieusement, l'Allemagne fut pendant les années 90 et 2000 LA scène techno, avec ses clubs berlinois super-pointus dans le genre. Rêves de liberté de la génération post-Mur, l'Allemagne fut le théâtre de scènes musicales aussi excessives que riches. On se souvint du Krautrock, celui de Amon Duul II, Can, Birth Control, Ash Ra Tempel, Faust ou Guru Guru, entre hard-rock préhistorique, psychédélisme, progressif, gauchisme exacerbé et hippisme halluciné. Et puis il y eut l'arrivée des sons électroniques, les premiers du genre : Klaus Schulze, Tangerine Dream, Kraftwerk, Popol Vuh. Un grand délire musical qui fut pêle-mêle baptisé quarante ans après précurseur du Punk, de la Techno et de mon cul sur la commode.
Et puis comme le Rock était mort dans les années 2000, il n'y avait que la Techno, Trance, et compagnie. Même les grands vendeurs de disques dits Rock comme U2, Radiohead ou Muse se mirent à l'électro, car les guitares, c'était fini. Ce qu'ils ne savaient pas, c'est que cette même scène allemande reviendrait au Rock, et en serait le plus gros moteur. Et les moteurs allemands....
Le hard-rock allemand eut ses heures de gloire aussi. Enfin.... Il y eut Scorpions, qui produisit quelques très bons disques entre 1974 et 1982, mais pas toujours très fins au niveau attitude, pochettes, et paroles. Un peu comme une taverne bavaroise vers 2h du matin ou une chaussette de tennis dans une sandale l'été. Il y eut aussi le frangin Michael Schenker (le frère de Rudolf, le leader de Scorpions), mais sa précision et sa folie furent canalisées par la finesse mélodique (pas visuelle par contre....) du groupe anglais UFO.
Ainsi apparut plusieurs groupes dits Stoner. Leur qualité fondamentale est d'avoir décidé de reprendre la musique Rock sur de bonnes bases. C'est-à-dire en gros de tout reprendre depuis 1979. Avant que le Rock international ne plonge dans le hard-FM, la variété, les synthétiseurs et le Live Aid. Ils décidèrent de s'asseoir sur du solide : Black Sabbath, Led Zeppelin, Mountain, Humble Pie, Deep Purple, Johnny Winter et toutes sortes de groupes plus underground typés heavy-rock : Leaf Hound, Pentagram, Sir Lord Baltimore.... Le tout saupoudré de musique psychédélique à guitares, comme Nektar, Jethro Tull, King Crimson ou les albums de Pink Floyd période 1969-1977.
 Les merveilles se nomment Kadavar, Heat, Samsara Blues Experiment en Allemagne, et Sungrazer et The Machine en Hollande. Mais eux avait une influence majeure en plus : Golden Earring. Loin de la parodie navrante et stéréotypée, ces groupes ont développé une musique organique, enregistrée à l'ancienne, à la fois ancrée dans un passé riche et totalement originale et personnelle. Tellement, que les meilleures formations anglo-saxonnes (Orchid, Red Fang, Uncle Acid And The Deadbeats, Firebird....) ont parfois du mal à suivre. Leur musique est tout cas suffisamment brillante pour être diffusée dans l'émission Rockpalast, ce qui est un gage de reconnaissance majeur.
Mon vieux frère, sa moitié et moi-même nous dirigeons vers cette petite salle de la Porte de la Villette qu'est le Glazart. Aucun de nous n'y a jamais les pieds. Nous avions failli en 2005, pour la tournée de High On Fire suivant la sortie du magistrale « Blessed Black Wings ». Nous sommes ce soir une grosse poignée pour une soirée presque hebdomadaire du nom de Stoned Gathering. Ce qui me terrifie le plus, c'est qu'à Paris, le public Stoner ne remplit pas cette petite salle, et que la moitié du public est étranger, spécialement venu pour l'occasion. Je suis horrifié de constater que même dans la capitale, un excellent groupe de Stoner ne puisse pas remplir une petite salle. D'autant plus que la première partie est l'envoûtante Jex Thoth. Cette jeune femme à la beauté magique, au charisme et à la voie troublante délivre un Witch-Rock entêtant et hallucinatoire. La compagne de mon amie craque littéralement sur la musique de ce premier groupe. Je lui achète son premier album. L'ambiance est conviviale, Rock et chaleureuse.
 Samsara Blues Experiment apparaît enfin sur scène. Je suis ému. Davantage que lorsque Bob Dylan, Status Quo ou ZZ Top montèrent sur scène. Ils sont charismatiques, jeunes, et délivrent l'une des musiques les plus excitantes du 21èmesiècle. Ce qu'ils vont faire pendant une heure trente. Puissants, possédés, ils vont élever pour la première fois depuis 35 ans le Rock au-dessus de la stratosphère. J'attendais de vibrer à nouveau comme cela. Depuis Sleep à la Villette en 2012. Mon vieux frangin et sa dulcinée décollent eux aussi. Elle qui manqua le trio premier de Matt Pike il y a un an est aux anges. Elle vient de découvrir le Rock, le vrai, celui qui se joue avec des références, du talent et des tripes.
Le set se termine. Je cours partout, un peu bourré pour compléter mon merchandising : deux tee-shirts magnifiques, l'exemplaire vinyl du premier album de Kadavar, un sac, et un exemplaire du nouvel album de Samsara Blues Experiment, que je ferai dédicacer par tous les musiciens sauf Peters, à ma grande peine. J'aurais aimé lui dire combien sa musique est fabuleuse, mais qu'importe. A cette occasion, je constatai que le grand échalas barbu et le petit blond à l'allure de mousquetaire qui me vendirent mes deux tee-shirts avant le concert n'étaient autres que.... Eiselt et Behrens, le guitariste et le bassiste de Samsara Blues Experiment. Humilité, simplicité, et aussi beaucoup de talent, tant dans la musique que dans les textes et les graphismes, tous crées par Christian Peters.
Le nouvel album m'enchanta mais il avait un obstacle de taille : ma découverte récente, et seulement quatre morceaux entre 12 et 13 minutes intenses.
Et puis, parce qu'il fallait bien définir une porte d'entrée à leur monde magique, je préfère vous parler de leur second disque : « Revelation & Mystery ».
Cet album est entré dans ma chair. Il est à la fois incroyablement Heavy et Doom, et mélodique et psychédélique à souhait. Il est un cri de fureur et de liberté dans un monde de merde.
Ce qui fait toute la différence avec son prédécesseur, c'est l'enchaînement magique des quatre premiers morceaux. « Flipside Apocalypse » débute par un effet spatial avant l'arrivée d'un riff d'une brutalité inédite pour le groupe, avant de replonger dans un psychédélisme coi de courte durée. Le riff doom déchire l'air. On ne rigole plus. Samsara Blues Experiment est un groupe soudé, cela s'entend. Et il est composé de musiciens compétents et inspirés, ce qui s'entend aussi. Les choeurs majestueux et planants sont une grande constante sur cet album, apportant une dimension dramatique à la musique. Ce morceau est une cathédrale de riffs majestueux qui plonge soudainement en un effet psychédélique digne de Hawkwind.
Mais décolle le puissant « Hangin' On The Wire ». Ce redoutable morceau de heavy-metal est déjà un prodige. A la fois puissant, et planant au-dessus de cette quatre voie dégueulasse, que ce soit à Paris ou à Berlin, la frustration reste la même. La fin du morceau cherche un peu d'air, comme un homme agonisant par le manque d'oxygène dans l'atmosphère. Les soli gorgés de wah-wah de Peters apportent une dimension épique totale et mélancolique. Les riffs implacables de Eiselt soutenus par la basse vrombissante de Behrens offrent un terrain de jeu tendu sur lequel brode Peters, entre écho et chorus hallucinés. Puis la rythmique se ralentit pour revenir dans un territoire heavy-doom menaçant. Peters fait décoller sa guitare encore et encore avant que le morceau ne reparte dans un boogie furieux. La batterie de Vedder emporte tout sur son passage, avant que les guitares fassent réatterrir le morceau en un riff heavy-metal redoutable.
Dans la continuité de « Hangin' On The Wire », « Into The Black » est un autre brûlot instantané. Débuté de manière massive, en un heavy-metal épique et désespéré, il rebondit sur une rythmique tribale. Les guitares se mettent à résonner sur les toms, puis le morceau s'emballe comme une locomotive lancée à pleine vitesse. On reste pantois devant une telle unité musicale. J'adore la voix de Peters, déclamatoire, à la fois sûre et menaçante. L'homme ne joue pas un rôle, il n'est pas question de pose ou d'attitude, mais bien d'un homme habité par sa musique, poussé par un groupe redoutable et soudé. La fureur et la colère laisse place au Blues. Dans la droite lignée de ses grandes sources d'inspiration musicale, Samsara Blues Experiment, comme son nom l'indique, revendique une filiation avec ce Heavy-Rock en droite lignée du Blues-Rock anglais des années 60.
« Thirsty Moon » démarre tout en arpèges et guitare acoustique slide. La mélodie est magique. De la mélancolie noire, on virevolte vers une lueur d'espoir. Les choeurs sont magnifiques. L'atmosphère entre électricité et country-blues acoustique est un vrai plaisir, surmonté d'un chorus délicat. Puis Peters reprend sa ligne, et pleure sa baby. Ce morceau est un délice, et aussi une sorte d'ovni sur les trois albums du groupe, tous très électriques. Il se dégage une vraie sensibilité, et une grande poésie.
« Outside Insight Blues » est un Heavy-Blues typique, redoutable. Sa structure est classique, similaire à de très nombreuses pièces de musique des années 70, du même genre : Status Quo, Cactus, Savoy Brown, Chicken Shack, Leaf Hound et tant d'autres..... Sauf que les rebondissements mélodiques et rythmiques sont d'un autre calibre. Le groupe, d'une puissance de feu irrésistible, appuie chaque variation musicale de guitares, de basse et de batterie proche du Doom. Ce morceau à la structure classique et à l'inspiration Stoner prend dés lors une dimension tout à fait particulière, et n'inspire à aucun moment le moindre ennui. Véritable collection de séquences Blues-Rock, on ressent l'inspiration d'un groupe majeur du genre : Humble Pie.
Un petit acoustique à la saveur germanique : « Zwei Schatten In Schatten », et arrive la pièce maîtresse de cet album. « Revelation & Mystery » est un morceau de 12 minutes. La chose n'est pas inédite chez Samsara Blues Experiment, mais ce titre est une cathédrale de riffs majestueux, de choeurs possédés, et de mélancolie dévastée. Ils sont rares les morceaux où votre vie défile durant de longues minutes. Rebondissant de riffs en riffs, d'atmosphère en atmosphère, votre âme voit se dérouler tous les souvenirs d'une vie : les échecs, les espoirs déçus, les joies, les amours perdus. Au fur et à mesure, on plonge dans les abysses de son for intérieur. C'est la vraie expérience psychédélique : ressentir par la musique toute son existence, comme se sentir faire le point sur soi-même, et sortir de ce morceau avec un sourire en coin, les yeux mi-clos, tirant sur une cigarette afin de clôre ce moment de réflexion inattendu et intense. Les choeurs sont encore prenants, presque grégoriens dans leur approche, mais jamais emphatiques.
Il me semble marcher sur cette colline, face au soleil, pour connaître enfin ma destinée. Je serai un initié. Comme je le suis devenu avec la musique, cette dernière va me le permettre à propos de ma vie. Je sens le goût de la poussière dans ma bouche, et la lumière rasante me brûler les yeux. Il est temps pour moi de savoir ce qui se cache derrière cette colline, derrière le soleil.
Il est désormais temps pour moi de laisser derrière moi mon passé, et de vivre enfin mon existence pleinement. Je me sens apaisé. Une sensation de bien-être m'emplit. Je sais que désormais, je connais la vérité.
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jeudi 10 octobre 2013

SIMPLE MINDS

" C'est les dents serrées que l'on écoute ce disque. "
SIMPLE MINDS « Street Fighting Years » 1989

J’ai séché mes larmes. Le paysage défile dans la vitre arrière gauche de la voiture. Je suis redevenu un enfant. J’ai 10 ans. La Renault 9 nous emmène dans le Pays de Galles. Ma mère, professeur d’anglais, parle couramment. Les grandes autoroutes britanniques défilent, sous un ciel grisonnant et des averses d’une violence égale à la soudaineté de leurs chutes. Nous sommes en été, et Albion était moins Bobo et plus accueillante qu’aujourd’hui. Elle ne se résumait pas au Londres branché et à quelques villes dévastées par la misère du chômage. C’est sans doute ce qui expliquait que les Anglais restaient chez eux plutôt que de fuir dans le Sud de la France.
Au Pays de Galles, on pouvait manger de la viande d’une qualité rare, et du poisson frais. Les gens étaient accueillants. Je me souviens de ce bœuf grillé dans le parc du village où nous vivions, avec les rugbymen locaux ivres de bière brune provoquant un concours de coups de boule dans le poteau central du chapiteau. Mon père fut invité à suivre, mais du haut de son mètre soixante-dix et de ces 65 kilos, il n’osa pas. Ce qui ne fut pas le cas des gaillards dont les deux mètres et cent-cinquante kilos de muscles ne craignaient pas le choc avec le bois.
Je me souviens des ballades dans la lande le long des côtes. Je me souviens de cet air frais empli d’embruns dont la fraîcheur apaisait mes pensées d’alors.
Et puis il y avait les bambous le long de la route sableuse. Ces petites cabanes de parpaings bruts dans les champs d'agrumes. Les vieux camions Pegaso stationnés, alimentant en eau les citernes des rigoles d'irrigation. L'air chaud et salé venant de la mer. Les bassins d'eau résurgente si fraîche en ce mois de juillet, l'ambiance des bars vers 22h, la piété de ces gens qui se mêlent à ces traditions païennes, comme le lancer de bonbons depuis le clocher de l'église sur la place du village, donnant lieu à une joyeuse bagarre entre enfants et adultes.Ce mélange d'aridité et de verdure, de fraîcheur et de chaleur accablante. C'est l'Espagne et la région de Valence, à bord cette fois-ci de la Renault 11 Spring familiale. Les goulée de jus de fruit frais, le muscat doré pour les parents, et cette fantastique sensation de liberté, cette joie de la découverte.
Pourtant, une pointe de mélancolie se mêle souvent à ces souvenirs de voyage d'enfance. Celle de la musique de l'album « Street Fighting Years » de Simple Minds. Il reste à jamais la bande-son de tous ces souvenirs. Il était l'album de l'époque, un disque militant. Ma sœur l'avait acheté en cassette, suite au passage de Simple Minds au concert de soutien à Nelson Mandela alors en prison, et qui interpréta « Mandela Day » qui devint un tube international. Simple Minds n'en était pas à son premier tube. Groupe britannique fondé en 1977, il fut l'un des membres actifs et inspirés de la New Wave anglaise, avant de se plonger dans un Rock dit héroïque que poursuivra l'un des autres ténors du genre : U2. Simple Minds signera plusieurs tubes dans les années 80, comme « Don't You ». La musique des Simple Minds se fait alors de plus en plus recherchée, presque progressive, s'éloignant du format tube à stades. C'est pourtant avec ce disque nullement commercial que Simple Minds connaîtra le sommet de sa carrière. Jim Kerr au chant, Charles Burchill aux guitares, et Michael MacNeil aux claviers vont développer 11 morceaux dont 10 entre 5 et 7 minutes. Riches en rebondissements émotionnels, ils sont un voyage à la fois individuel et collectif qui sera la bande-son de la bande blanche qui défile dans le rétroviseur.
Je me souviens des platanes qui longent la nationale en allant vers Thuir puis Perpignan avant de partir vers l'Espagne. Le Soleil, la poussière. Les villages abandonnés lors du franquisme, que l'on visite la gorge serrée, les maisons encore meublées plus de cinquante ans après, laissées en précipitation pour éviter l'exécution sommaire.
L'émotion est d'autant plus grande qu'il faut souvent des heures de marche pour atteindre ces pinacles de pierres calcaires blanches sur des sentiers escarpés traversant la lande sèche.

Les années 80 sont pourtant une décennie navrante musicalement : l'avènement du synthétiseur, des sons FM, du Hard-FM, du Glam-Metal. Phil Collins, Rod Stewart, WASP, Motley Crue, Bon Jovi, Heart, Cure, Erasure..... On chercha de la poésie dans ce merdier électronique, mais il vint de ces satanés anglais. U2 et Simple Minds, rien d'autre. Et puis le naufrage alcoolisé et cocaïné des grands du Rock 70's qui tentent de survivre : Bowie, Dylan, les Stones, Neil Young, Bruce Springsteen, Paul McCartney.....
Et la Renault 11 file à travers la lande. L'autoradio résonne avec « Kick It In ». Et puis « Mandela Day ». Je me souviendrai toujours de ma première écoute de ce morceau : l'arpège de guitare électrique, les percussions, la voix de Jim Kerr. Et puis ce clip sur scène, le regard pénétré du chanteur, le sérieux de ces hommes face à ces paroles si puissantes que je ne comprenais pas.
C'est les dents serrées que l'on écoute ce disque. On sent toute la détresse d'un monde qui s'effondre lentement. Et qui se redresse dans une brise poussiéreuse. Et lorsque retentit « Belfast Child », on ressent toute la puissance de l'écriture. Surtout, les synthétiseurs sont forts discrets, naturel support aux violons et à la flûte irlandaise. Il y a bien quelques scories 80's, comme cette batterie clinquante, apanage de cette époque, dont Phil Collins et Dire Straits furent les chantres. Pour l'anecdote, c'est un certain Manu Katché qui œuvre ici aux baguettes, soit le futur juré bouffi d'orgueil d'un célèbre télé-crochet télévisuel.Son jeu n'a ici rien de très impressionnant. Très propre et professionnel, il n'a par contre pas beaucoup d'imagination et de punch, et c'est finalement le seul point un peu terne de ce disque.
Mais l'on est tout de même bien loin de la détresse que l'on peut ressentir en écoutant un album typique des années 80. « Street Fighting Years » vieillit même parfaitement bien, ce qui n'est par ailleurs pas le cas de tous les albums de Simple Minds.
Aujourd'hui, je ne suis plus à courir des paysages méconnus comme durant mon enfance. Un jour peut-être cela reviendra. Mais je ressens toujours cette mélancolie de la route vers l'inconnu lorsque j'écoute ce disque. Je revois ces images gravées dans ma tête. J'ai à nouveau ressenti cette sensation lorsque, seul, je descendis vers le Sud-Ouest pour aller chez mes parents. Je ne l'avais pas fait depuis dix longues années.
Et au fond, je suis à nouveau sur cette route vers l'inconnu. Je dois reprendre ma vie en main. Reconstruire ce qui a été détruit, regarder à nouveau l'horizon. Regarder ce tourbillon de poussière s'envoler aux milieux des oliviers autour de Seville. Voir le vol des flamands au-dessus des marais argentés de Camargue. Sentir le vent de la mer emplir mes poumons intoxiqués de haine et de médiocrité d'air pur et salvateur. « Kick It In », « This Is Your Land », « Biko » (reprise de Peter Gabriel).... tous ramènent à ce besoin de prendre ce temps d'arrêt et de regarder derrière soi avec ce demi-sourire de l'homme qui a survécu à l'Enfer. J'ai senti les flammes me lécher les bras. J'ai senti l'acide brûlé mon cœur, je l'ai pensé condamné, à tout jamais. Incapable d'aimer, d'avoir envie de vivre, de réaliser des projets. Médiocre, à jamais. Etroite porte dont les vantaux se ferment inexorablement devant moi alors que je cours à perdre haleine.
Et lorsque cette jeune femme rencontrée depuis peu m'envoie quelques mots, je ressens mon cœur à nouveau palpiter. Parler de tout, de rien, de nos vies, de sexe, de travail, d'enfants, de cinéma, de télé, sans tabous. Ce délice intérieur qui fait vibrer à nouveau mon âme. Et j'entends vibrer sa voix dans mon cerveau. Je vois la douceur de ses yeux, sa fragilité à fleur de peau. Je vois à nouveau ces horizons magiques. La pointe de Gibraltar, le phare blanc, les plages, le petite route déserte pour y parvenir, ces quelques pas dans le sable, au soleil couchant, quand enfin, la chaleur écrasante cesse. J'aimerais la prendre par la main, partager ce moment d'éternité avec elle... J'aimerais surtout vivre mon existence sans regret. Qu'enfin, le bonheur me tende la main. Des sensations, des choses simples. Que mon cœur noir se purge de ce venin qui me brûle depuis tant d'années. Est-elle cet ange qui viendra me sauver ? Je le souhaite. Je souhaite qu'il vienne me sauver de l'Enfer. Qu'il ait pitié de ma pauvre personne.
En attendant, avec cet album de Simple Minds, je reprends la route là où je l'avais laissé, un peu plus vierge de douleurs que maintenant. Et les figues de barbaries, les camions Pegaso, les champs de tabac, les bonbons lancés depuis le balcon de l'église reviennent à mon esprit.
Et puis mon cœur s'emplit de cet espoir fou de reprendre à nouveau la route dans le bon sens. Et que cette fois-ci je ne resterai pas au bord une fois de plus. Comme un « Biko ».
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vendredi 13 septembre 2013

PETER GREEN 1970

" La lumière pâle de ma lampe de salon reflète une atmosphère bleutée."

PETER GREEN : « The End Of The Game » 1970

Je n'ai jamais eu le courage d'affronter la page blanche pour disserter sur cet album particulier. Il n'est pas évident d'affronter avec la plus grande crédibilité un tel abysse de douleur.
Mais ce soir je suis prêt. Nous sommes samedi soir, et je suis seul chez moi. Ce n'est pas la première fois, mais je sais désormais que je le suis pour un bon bout de temps. Mon cœur est calciné par les derniers mois passés, et je suis désormais face à mon destin, face à une vie qu'il faut reconstruire. Je vais devoir vivre ces moments de solitude, ressentir cette boule au ventre lorsque mon esprit se remémorera ces douloureux souvenirs. Je vais devoir affronter le spectacle des ruines laissées derrière nous, les camps, les avis, les prises de position de chacun, et finalement, le peu de réconfort des autres lorsque l'on prend soi-même la décision. Mon cœur saignera encore de cet échec, et de cette décision lourde de sens. Mais c'est surtout le désaveu qu'il va falloir encaisser, qu'importe les souffrances subies.
Je suis donc seul chez moi, l'âme désormais parfaitement capable de comprendre ce que Peter Green tenta de traduire sur ces six pistes entièrement instrumentales. Je me sens prêt à décoder ces mots qu'il tenta de prononcer à l'aide de sa Les Paul Gibson.
La lumière pâle de ma lampe de salon reflète une atmosphère bleutée. Il n'y aura pas de tabac ce soir, seulement ce bon vieux whisky irlandais que je n'ai pas consommé depuis plus de deux semaines, désireux de conserver tous mes esprits durant ces jours douloureux qui suivent ce genre de choix implacable.
Mais ce soir, je n'ai de compte à rendre à personne, alors mon vice irlandais accompagnera mon écriture et l'écoute répété de ce disque.
Son titre sonne déjà comme une cruelle réalité : « The End Of The Game ». La fin du jeu. Celui de la vie, des faux-semblants, du paraître qui ressemble de moins en moins à soi-même.
Peter Green avait vécu tout cela en 1970, en plus fou, en plus malade. Lorsqu'il quitte Fleetwood Mac en pleine gloire en mai, il décapite sa formation. On parle de schizophrénie. On parle aussi d'une prise de LSD à Munich lors d'une tournée allemande en 1969 dont les consommateurs, Peter Green, Danny Kirwan et Jeremy Spencer, restèrent cérébralement durement atteints, ce qui expliquerait leurs déroutes personnelles entre 1970 et 1972.
Ce que l'on sait moins, c'est que la fin des années 60 voit une constellation de parasites vivre aux crochets des musiciens, la plupart dealers, agents ou managers. Les contrats musicaux n'étant que rarement écrits, et les musiciens étant avant tout désireux de créer librement et de jouer sur scène, ils regardèrent peu ces aspects. Jimi Hendrix mourra avant de s'en rendre vraiment compte, les Rolling Stones perdront les droits de tous leurs albums entre 1962 et 1970, et beaucoup perdront un paquet de fric, pourtant amassé à la sueur de leurs talents.
Malgré son état psychologique fragile, Peter Green avait réalisé tout cela. Sa maison de Londres, où il vivait finalement très peu, puisqu'en permanence sur la route, était constamment occupée de groupies et de dealers faisant la vache à ses frais. Il découvrit également que ces filles qui semblaient tant l'aimer n'était là que pour son argent, tout comme ces soi-disant amis qui le dépouillaient progressivement en lui fournissant des drogues dites psychédéliques. Mais le Peace And Love est déjà bien loin : c'est le règne des sangsues qui vivent au crochet d'un Rock devenu lucratif.
Peter Green réalise tout cela brutalement. « Descending Scale ». Il se sent alors en phase avec le Blues noir, plus prompt à traduire ses émotions que le Rock anglais. Néanmoins, il est issu de la petite bourgeoisie britannique, et ne peut donc prétendre à comprendre les souffrances du peuple noir américain, opprimé et pauvre. Il va donc se défaire de tous ses biens une fois ce disque enregistré afin de connaître la vraie misère. Et d'atterrir dans un hôpital psychiatrique entre 1972 et 1976 qui lui infligeront les pires traitements, dont ceux de la thérapie par électrochocs. Celle d'Orange Mécanique. Il ne devra son salut que grâce à son frère et sa femme qui l'accueilleront chez eux en 1977, découvrant un Peter Green calciné, épuisé, et surtout maltraité alors qu'il devait être soigné.
Dire que j'ai connu tout cela est prétentieux. Mais la souffrance des sentiments, la confusion psychique est sans doute quelque chose que j'ai appréhendé le mieux, et à plusieurs reprises. Je me retrouve là au bord d'un gouffre de colère, de solitude et d'inconnu. Et ce soir Peter Green me parle.
La raison de l'enregistrement reste mystérieuse. Les sessions eurent lieu en juin 1970, en compagnie de Martin Birch, l'ingénieur du son de « Then Play On » de Fleetwood Mac, mais aussi de Deep Purple. Zoot Money est au piano, Nick Buck aux claviers, Alex Dmochowski à la basse, et Godfrey MacLean à la batterie. La plupart sont des routards de la scène Blues et Jazz anglaise, des anciens des Bluesbreakers de John Mayall, ou du Retaliation d'Aynsley Dunbar.
Il s'agissait avant tout de jams sans réelles structures musicales, ce qui donne un aspect très décousu à cet album, peu accessible au néophyte. Ce qui est pourtant ahurissant, c'est que Peter Green fut capable de transmettre le poison dans ses veines à ses camarades de sessions, au point que l'ensemble paraît parfaitement cohérent au niveau du propos. Si Fleetwood Mac sut magnifier les superbes envolées lyriques déjà bien traumatisées de leur leader en conservant la musique sur terre, les hommes qui jouent s
ur « The End Of The Game » ont suivi la plongée de Green dans la folie sonore.
« Bottoms Up » est sans doute le morceau que j'ai le plus écouté. Il y a dés la première note cet angoissant gargouillis de notes gavées de wah-wah, pédale dont Green était l'un des maîtres. Le tempo est dur, le piano liquide, la basse vrombissante et lourde. La guitare s'envole, lyrique,cherchant de l'air, fuyant le regard tourné vers le ciel. Il y a une forme d'espoir triste, comme lorsque l'on vient d'échapper à une situation difficile. On est heureux de s'en sortir, de ne plus souffrir, mais les blessures sont souvent douloureuses dans le temps. On a sauvé sa peau, mais celle-ci est meurtrie profondément. Par sa guitare, Green décrit les hauts et les bas de la douleur lorsque l'on analyse son parcours en Enfer. On respire d'en être sorti, mais la colère, le désarroi, l'incompréhension restent ancrés dans ces souvenirs qui hantent nos nuits post-traumatiques. Y défilent les visages, retentissent les mots qui blessent après coup. On distingue peu à peu les trahisons, les amis qui n'en sont pas, les mensonges. Les premières notes de « Bottoms Up » résonnent comme ces volutes de la première cigarette après le choc. Cette sensation de vide, ce soulagement d'être revenu de loin. Et puis la colère et le malaise monte encore et encore, Pourquoi ? Pourquoi ? interroge encore la Les Paul de Green. De ses notes comme des mots, on sent les larmes gonflées et montées aux yeux, les dents serrés, tout revient, encore et encore. La basse vrombit et s'envole avec la guitare. La batterie se fait carrée, brutale et pousse Green dans ses derniers retranchements. Et puis l'écho s'éteint, et la wah-wah se fait sèche, vengeresse. La colère, la fureur, cette envie d'aller enfin de l'avant malgré la douleur. S'y mêle la lande un soir de pleine lune, les ruines d'un château provençal, ou d'un village abandonné que l'on découvre à la tombée de la nuit. Hanté, à vif, possédé, « Bottoms Up » est un jazz-rock fulgurant que chercha sans doute à accomplir Miles Davis durant ses années électriques.
Une amère accalmie se dessine avec « Timeless Time ». C'est une parenthèse Greenienne. A la fois aérienne et incroyablement saumâtre. Une fois encore, on sent le vide se répandre dans nos veines. C'est la vision d'un quai normand un matin de septembre, en nuages gris, vagues rageuses, et soleil rougeoyant. Et ce vent frais qui balaie la côte, et fouette les visages. Le sel de l'écume caresse la bouche, et les yeux se perdent dans le lointain de l'horizon, à la recherche d'un peu de tranquilité de l'esprit. On ressent « Man of The World », « Albatross », tous ces instrumentaux si délicats, si poétiques.
« Descending Scale » est un monument dérangeant. Jazz-Rock dans sa forme, il retranscrit par le piano de Zoot Money et l'orgue de Nick Buck la descente aux Enfers, avant le crash final, symbolisé par l'explosion de la guitare wah-wah de Peter Green. On se réveille sonné, abasourdi par tant de bêtise humaine, de douleur inutile. La basse et les toms rampent, couplés au piano et à l'orgue électrique. Sensation de maison hantée, de cauchemar éveillé. La guitare bourgeonne de notes malfaisantes, une spirale infernale s'enroule. Et puis un calme incertain revient. Une merveille de délicatesse désespérée. La wah-wah résonne sur un piano jazz doux et rêveur, soutenu par une batterie enthousiaste. Et cette basse qui vrombit encore et encore.
Du Jazz, il en est encore question sur « Burnt Foot ». Il est certain que les albums récents de Miles Davis, Mahavishnu Orchestra, Return To Forever et Weather Report ont fait leur effet. Mais les anglais sont des lads. Donc, le swing, le raffinement, tout reste brutal comme un fish'n'chips le long d'une autoroute entre Glasgow et Edinburgh. MacLean fait résonner ses caisses, et il trouve subrepticement le soutien de la guitare de Green. Dmochowski brûle des kilomètres de notes épaisses et mates. On y ressent une sorte de funk macabre, de Soul maladive.
Curieusement, le soleil semble irradier avec... « Hidden Depth ». Encore un faux-semblant. La profondeur cachée, justement sous un morceau à l'aspect enjoué et ensoleillé. Mais là encore, il ne s'agit que de ce sentiment de rescapé sur le quai, un matin, lorsqu'il ne reste rien d'autre que le levé du soleil sur la mer pour ressentir un peu de chaleur. Et puis le tempo se fait doux et mélancolique. Le piano se fait cristallin. On y perçoit la magie de Larry Coryell et de John Coltrane. Jamais un instrumentiste Rock n'avait atteint ce niveau de poésie musicale. Peter Green s'extirpe les tripes.
« The End Of The Game » est une envolée lyrique finale, comme le fera AC/DC en concluant ses morceaux à l'envie par des chorus furieux. Ce titre est une sorte de coda imaginaire d'un morceau qui n'a jamais existé. A moins que ce soit ce disque, voire l'oeuvre complète de Fleetwood Mac période Blues.
Et s'envolent les cendres de la vie qui vient de se consumer sous nos propres yeux.
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