jeudi 10 octobre 2013

SIMPLE MINDS

" C'est les dents serrées que l'on écoute ce disque. "
SIMPLE MINDS « Street Fighting Years » 1989

J’ai séché mes larmes. Le paysage défile dans la vitre arrière gauche de la voiture. Je suis redevenu un enfant. J’ai 10 ans. La Renault 9 nous emmène dans le Pays de Galles. Ma mère, professeur d’anglais, parle couramment. Les grandes autoroutes britanniques défilent, sous un ciel grisonnant et des averses d’une violence égale à la soudaineté de leurs chutes. Nous sommes en été, et Albion était moins Bobo et plus accueillante qu’aujourd’hui. Elle ne se résumait pas au Londres branché et à quelques villes dévastées par la misère du chômage. C’est sans doute ce qui expliquait que les Anglais restaient chez eux plutôt que de fuir dans le Sud de la France.
Au Pays de Galles, on pouvait manger de la viande d’une qualité rare, et du poisson frais. Les gens étaient accueillants. Je me souviens de ce bœuf grillé dans le parc du village où nous vivions, avec les rugbymen locaux ivres de bière brune provoquant un concours de coups de boule dans le poteau central du chapiteau. Mon père fut invité à suivre, mais du haut de son mètre soixante-dix et de ces 65 kilos, il n’osa pas. Ce qui ne fut pas le cas des gaillards dont les deux mètres et cent-cinquante kilos de muscles ne craignaient pas le choc avec le bois.
Je me souviens des ballades dans la lande le long des côtes. Je me souviens de cet air frais empli d’embruns dont la fraîcheur apaisait mes pensées d’alors.
Et puis il y avait les bambous le long de la route sableuse. Ces petites cabanes de parpaings bruts dans les champs d'agrumes. Les vieux camions Pegaso stationnés, alimentant en eau les citernes des rigoles d'irrigation. L'air chaud et salé venant de la mer. Les bassins d'eau résurgente si fraîche en ce mois de juillet, l'ambiance des bars vers 22h, la piété de ces gens qui se mêlent à ces traditions païennes, comme le lancer de bonbons depuis le clocher de l'église sur la place du village, donnant lieu à une joyeuse bagarre entre enfants et adultes.Ce mélange d'aridité et de verdure, de fraîcheur et de chaleur accablante. C'est l'Espagne et la région de Valence, à bord cette fois-ci de la Renault 11 Spring familiale. Les goulée de jus de fruit frais, le muscat doré pour les parents, et cette fantastique sensation de liberté, cette joie de la découverte.
Pourtant, une pointe de mélancolie se mêle souvent à ces souvenirs de voyage d'enfance. Celle de la musique de l'album « Street Fighting Years » de Simple Minds. Il reste à jamais la bande-son de tous ces souvenirs. Il était l'album de l'époque, un disque militant. Ma sœur l'avait acheté en cassette, suite au passage de Simple Minds au concert de soutien à Nelson Mandela alors en prison, et qui interpréta « Mandela Day » qui devint un tube international. Simple Minds n'en était pas à son premier tube. Groupe britannique fondé en 1977, il fut l'un des membres actifs et inspirés de la New Wave anglaise, avant de se plonger dans un Rock dit héroïque que poursuivra l'un des autres ténors du genre : U2. Simple Minds signera plusieurs tubes dans les années 80, comme « Don't You ». La musique des Simple Minds se fait alors de plus en plus recherchée, presque progressive, s'éloignant du format tube à stades. C'est pourtant avec ce disque nullement commercial que Simple Minds connaîtra le sommet de sa carrière. Jim Kerr au chant, Charles Burchill aux guitares, et Michael MacNeil aux claviers vont développer 11 morceaux dont 10 entre 5 et 7 minutes. Riches en rebondissements émotionnels, ils sont un voyage à la fois individuel et collectif qui sera la bande-son de la bande blanche qui défile dans le rétroviseur.
Je me souviens des platanes qui longent la nationale en allant vers Thuir puis Perpignan avant de partir vers l'Espagne. Le Soleil, la poussière. Les villages abandonnés lors du franquisme, que l'on visite la gorge serrée, les maisons encore meublées plus de cinquante ans après, laissées en précipitation pour éviter l'exécution sommaire.
L'émotion est d'autant plus grande qu'il faut souvent des heures de marche pour atteindre ces pinacles de pierres calcaires blanches sur des sentiers escarpés traversant la lande sèche.

Les années 80 sont pourtant une décennie navrante musicalement : l'avènement du synthétiseur, des sons FM, du Hard-FM, du Glam-Metal. Phil Collins, Rod Stewart, WASP, Motley Crue, Bon Jovi, Heart, Cure, Erasure..... On chercha de la poésie dans ce merdier électronique, mais il vint de ces satanés anglais. U2 et Simple Minds, rien d'autre. Et puis le naufrage alcoolisé et cocaïné des grands du Rock 70's qui tentent de survivre : Bowie, Dylan, les Stones, Neil Young, Bruce Springsteen, Paul McCartney.....
Et la Renault 11 file à travers la lande. L'autoradio résonne avec « Kick It In ». Et puis « Mandela Day ». Je me souviendrai toujours de ma première écoute de ce morceau : l'arpège de guitare électrique, les percussions, la voix de Jim Kerr. Et puis ce clip sur scène, le regard pénétré du chanteur, le sérieux de ces hommes face à ces paroles si puissantes que je ne comprenais pas.
C'est les dents serrées que l'on écoute ce disque. On sent toute la détresse d'un monde qui s'effondre lentement. Et qui se redresse dans une brise poussiéreuse. Et lorsque retentit « Belfast Child », on ressent toute la puissance de l'écriture. Surtout, les synthétiseurs sont forts discrets, naturel support aux violons et à la flûte irlandaise. Il y a bien quelques scories 80's, comme cette batterie clinquante, apanage de cette époque, dont Phil Collins et Dire Straits furent les chantres. Pour l'anecdote, c'est un certain Manu Katché qui œuvre ici aux baguettes, soit le futur juré bouffi d'orgueil d'un célèbre télé-crochet télévisuel.Son jeu n'a ici rien de très impressionnant. Très propre et professionnel, il n'a par contre pas beaucoup d'imagination et de punch, et c'est finalement le seul point un peu terne de ce disque.
Mais l'on est tout de même bien loin de la détresse que l'on peut ressentir en écoutant un album typique des années 80. « Street Fighting Years » vieillit même parfaitement bien, ce qui n'est par ailleurs pas le cas de tous les albums de Simple Minds.
Aujourd'hui, je ne suis plus à courir des paysages méconnus comme durant mon enfance. Un jour peut-être cela reviendra. Mais je ressens toujours cette mélancolie de la route vers l'inconnu lorsque j'écoute ce disque. Je revois ces images gravées dans ma tête. J'ai à nouveau ressenti cette sensation lorsque, seul, je descendis vers le Sud-Ouest pour aller chez mes parents. Je ne l'avais pas fait depuis dix longues années.
Et au fond, je suis à nouveau sur cette route vers l'inconnu. Je dois reprendre ma vie en main. Reconstruire ce qui a été détruit, regarder à nouveau l'horizon. Regarder ce tourbillon de poussière s'envoler aux milieux des oliviers autour de Seville. Voir le vol des flamands au-dessus des marais argentés de Camargue. Sentir le vent de la mer emplir mes poumons intoxiqués de haine et de médiocrité d'air pur et salvateur. « Kick It In », « This Is Your Land », « Biko » (reprise de Peter Gabriel).... tous ramènent à ce besoin de prendre ce temps d'arrêt et de regarder derrière soi avec ce demi-sourire de l'homme qui a survécu à l'Enfer. J'ai senti les flammes me lécher les bras. J'ai senti l'acide brûlé mon cœur, je l'ai pensé condamné, à tout jamais. Incapable d'aimer, d'avoir envie de vivre, de réaliser des projets. Médiocre, à jamais. Etroite porte dont les vantaux se ferment inexorablement devant moi alors que je cours à perdre haleine.
Et lorsque cette jeune femme rencontrée depuis peu m'envoie quelques mots, je ressens mon cœur à nouveau palpiter. Parler de tout, de rien, de nos vies, de sexe, de travail, d'enfants, de cinéma, de télé, sans tabous. Ce délice intérieur qui fait vibrer à nouveau mon âme. Et j'entends vibrer sa voix dans mon cerveau. Je vois la douceur de ses yeux, sa fragilité à fleur de peau. Je vois à nouveau ces horizons magiques. La pointe de Gibraltar, le phare blanc, les plages, le petite route déserte pour y parvenir, ces quelques pas dans le sable, au soleil couchant, quand enfin, la chaleur écrasante cesse. J'aimerais la prendre par la main, partager ce moment d'éternité avec elle... J'aimerais surtout vivre mon existence sans regret. Qu'enfin, le bonheur me tende la main. Des sensations, des choses simples. Que mon cœur noir se purge de ce venin qui me brûle depuis tant d'années. Est-elle cet ange qui viendra me sauver ? Je le souhaite. Je souhaite qu'il vienne me sauver de l'Enfer. Qu'il ait pitié de ma pauvre personne.
En attendant, avec cet album de Simple Minds, je reprends la route là où je l'avais laissé, un peu plus vierge de douleurs que maintenant. Et les figues de barbaries, les camions Pegaso, les champs de tabac, les bonbons lancés depuis le balcon de l'église reviennent à mon esprit.
Et puis mon cœur s'emplit de cet espoir fou de reprendre à nouveau la route dans le bon sens. Et que cette fois-ci je ne resterai pas au bord une fois de plus. Comme un « Biko ».
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1 commentaire:

Alex a dit…

Une pensée pour toi en sortant du concert de Kadavar à Mulhouse, découvert grâce à toi. J'en ai pris plein les portugaises.

Keep on rockin' !