mercredi 19 février 2014

CONEY HATCH


" Incontestablement, je sentis l'adrénaline monter en moi."
CONEY HATCH : « Coney Hatch » 1982
Il est rare que j'aborde un album après aussi peu d'écoutes. Coney Hatch est pour moi une découverte tout à fait récente et fortuite. Le lien se fit via la découverte ou redécouverte du vivier Hard-Rock canadien : April Wine, Goddo, Anvil, ou encore Max Webster. C'est par ce dernier que je fis le lien avec cet album, puisqu'il fut produit par son guitariste, Kim Mitchell.
L'écoute du premier titre me posséda tellement, que je ne pus en décrocher après une bonne douzaine d'écoutes. Mais surtout, ce soir-là, seul chez moi sans ma délicieuse compagne, loin d'elle et de ses bras, je me sentais incroyablement perdu. Pire, je me sentis possédé d'une terrifiante montée de stress, abreuvée de mille questions aussi aberrantes qu'inutiles. Je me mis à douter de tout, pris dans une spirale totalement paranoïaque. L'écoute de ce Hard-Rock canadien me canalisa doucement, jusqu'à « Devil's Deck » de Coney Hatch. Un clip de 1982, de jeunes chevelus bien coiffés, baskets, tee-shirts fluos, mais avec de l'attitude, et cette fille qui déambule dans une rue triste.
Ce riff redoutable, mélodique, héroïque, gonflé de testostérone, et puis la voix mélodieuse, toujours à la limite du Rock-FM sans jamais y plonger.... j'avais à faire à du Hard-Rock mélodique, mais au sens noble du terme. Il ne s'agissait pas de Hard-FM qui envahissait les radios : Foreigner, Heart, Boston, Bon Jovi, Def Leppard et consorts. Le genre d'équilibre périlleux que bien peu atteignirent.
Incontestablement, je sentis l'adrénaline monter en moi. Les interrogations s'envolèrent progressivement. Je sentis bientôt que tout cela n'avait aucun sens. Les choix, je les avais fait, consciemment, patiemment, fort de mes expériences et de mes souffrances, j'avais trouvé la femme qui me rendait heureux. Enfin, je me projetais dans le futur. Ces petits gestes tendres, ces paroles attentionnées, cette complicité, j'avais tout ce que je désirais depuis si longtemps. Alors il n'était plus question de se torturer l'esprit comme je le fis depuis tant d'années. Il me fallait me laisser aller à vivre la vie dont je rêvais. J'étais devenu un adulte, mature, blindé par les épreuves.
Il était urgent pour moi de vivre pleinement ma vie, de laisser derrière moi les erreurs, les faux pas, les déceptions, et d'enfin me concentrer sur ma vie d'homme. Coney Hatch voulait d'un seul coup dire tout cela. Leur musique me donna enfin le courage d'avancer et de laisser mes angoisses de côté. Je pouvais enfin être moi-même, dire, penser, agir comme je le voulais sans que systématiquement, un reproche me soit fait et qu'il me faille rester sur mes gardes.
En ce dimanche matin me prit l'envie d'aller promener les chiens puis d'aller chercher quelques croissants. Je n'arrivais plus à dormir. Quittant le lit en embrassant doucement celle que j'aime, je partis sur la colline. Un soleil pâle d'hiver illuminait la Vallée du Doubs. Et alors que j'étais persuadé que le climat franc-comtois était plus rude que celui de la Bourgogne, je découvris que les journées d'humidité et de brouillard crasse était plus rares ici que là-bas. Marchant à travers les vergers, je me sentais enfin empli de cette sérénité qui me fut si étrangère durant toute ma vie.
Rentrant à la maison, je fus reçu par un tendre baiser, et un petit déjeuner chaleureux. Je me sentais enfin devenir quelqu'un d'important dans un foyer, quelqu'un que l'on apprécie pour ce qu'il est, autant en tant qu'amant et compagnon, que comme beau-père.
Mais revenons à Coney Hatch. « Devil's Deck » resta planté dans mon cerveau, et devint ce compagnon insidieux qui servait de bande-son à mes pensées les plus variées. Au point que je finis par craquer et par acheter ce disque, alors même que ma situation financière ne le permettait plus.
Il est parfois foudroyant de constater combien l'on peut compter sur le bout des doigts d'une main les soutiens amicaux ou familiaux lorsque l'on est dans la merde la plus absolue. C'est une expérience terrifiante. Ce constat continue toujours à me faire toucher un genou à terre, malgré tout. Mais rapidement, je me relève, une amertume teintée de mélancolie emplissant ma bouche. On regarde alors au loin, le vent de la colline vous soufflant sur le visage, les yeux perdus dans l'horizon, perplexe devant tant de médiocrité. Et puis il faut remonter la pente, se donner un coup de pied au cul. Personnellement, j'ai enfin trouvé mon carburant. Ses grands yeux verts et ses gestes attentionnés sont cette force magique qui me permet d'affronter les épreuves avec courage. Je sais que lorsque tout sera réglé, nous serons ensemble à savourer enfin la vie comme on nous l'a interdit depuis des années à elle comme à moi.
Coney Hatch, c'est tout ça. Un groupe de Rock tout simple, sorti de nulle part, au bon moment. Une rencontre fortuite, mais pas tout à fait.
Andy Curran est un jeune garçon né à Toronto au Canada. Son grand-père est un musicien réputé qui fit parti du premier orchestre de la BBC à Londres en tant que trompettiste, et puis aussi un peu guitariste et pianiste. C'est lors d'une visite de ce grand-père merveilleux que le jeune Andy passa avec ses parents devant le sinistre hôpital psychiatrique londonien appelé Coney Hatch, sordide institution appelé asile où se regroupent 3500 des pires cas psychiatriques du pays.
Andy Curran apprit la basse, simplement parce qu'il était fan de Hard-Rock américain comme Ted Nugent, Blue Oyster Cult, Aerosmith, ou Rush, mais surtout parce qu'il n'y avait que 4 cordes à se servir au lieu de 6 pour la guitare. Il forma progressivement son quatuor avec Dave Ketchum à la batterie, Steve Shelski à la guitare solo, et un guitariste rythmique doublé d'une voix brillante du nom de Carl Dixon. Ce dernier est doté d'un timbre relativement similaire au hard-rock mélodique de l'époque, comme Lou Gramm de Foreigner ou Steve Perry de Journey, mais le garçon a un grain dans la gorge et un talent de composition largement plus hargneux que les influences commerciales de l'époque. Surtout, ce dernier est un redoutable compositeur, à la fois amateur de Hard-Rock anglais et de mélodies ravageuses.
Le quatuor travaille d'arrache-pied, et ce premier album va faire parler de lui. Coney Hatch va assurer en 1981 et 1982 les premières parties de Blues Oyster Cult, Blackfoot et Iron Maiden. Steve Harris, bassiste et fondateur de la Vierge de Fer, et grand amateur de hard-rock mélodique comme UFO, craque totalement pour Coney Hatch.
Le succès commercial sera relatif, et les deux albums qui suivront en 1983 et 1985 ne rééditeront pas la réussite de ce premier disque, malgré les qualités du second. On sent le quatuor foncer dans le Hard-FM sans retenue, perdant du coup toutes ses qualités maîtresses. Le milieu des années 80 auront raison des groupes de Hard-Rock. Et Carl Dixon s'installera en Australie. En 2010, alors musicien solo épisodique, mais surtout travailleur anonyme dans la masse, il est victime d'un accident de voiture. Extrêmement grave, Dixon met des mois à se rééduquer, sans certitude de retrouver toutes ses capacités physiques et mentales.
C'est pourtant le cas, et en 2012, Coney Hatch en sa formation originale reprend vie pour un quatrième album d'excellente qualité. Une belle bande de potes se retrouvent trente ans plus tard.
Mais revenons à ce premier album. Il débute donc par ce redoutable « Devil's Deck », électrique et rageur. On sent le groupe soudé, cohérent. « You Ain't Got Me » qui le suit est une fantastique chevauchée, moins sombre, plus enjouée. Une sorte d'appel à la liberté. Comme ce que l'on ressent lorsque l'on laisse derrière soi tous les ennuis, là sur la route. Et là encore, les chorus de Shelski illumine le morceau, concis, précis, et surtout humbles, en cette période où les branleurs de manche pullulent. On retrouve ce même esprit sur « No Sleep Tonight ». un riff efficace, une rythmique puissante,un refrain efficace, les guitares serrées.
Le titre suivant est « Love Poison ». il s'agit d'un morceau chanté par Andy Curran, comme trois autres chansons de cet album. Le garçon a une voix intéressante, plus râpeuse et teigneuse, presque punk dans cette prononciation de petite frappe. J'ai pourtant volontairement fait l'impasse sur le premier d'entre eux, « Stand Up », que je trouve faible, le seul de ce disque excellent. « Love Poison » est lui un morceau de heavy-metal brutal et épais et menaçant, rappelant davantage la New Wave Of British Heavy-Metal, entre Diamond Head et Tygers Of Pan-Tang. C'est par ailleurs le cas de tous les morceaux chantés par Curran. Il faut également souligner le travail de bassiste remarquable de ce garçon, ses lignes étant d'une densité, d'une épaisseur magistrale, soutenant à merveille les guitares.
Est-ce la puissance de morceau qui poussa Carl Dixon à tenter de concurrencer son camarade dans l'agressivité ? Toujours est-il que « We Got The Night » est un brûlot métallique luisant d'agressivité. Pourtant, il y a la touche Dixon, soit ce sens inné de la mélodie injectée dans ce titre pourtant profondément puissant. En fait, elle dégage subtilement et intelligemment le côté sensuel des paroles, entre séduction et sexe pur.
Carl Dixon a de toute façon a un vrai talent de songwriter. « Hey Operator » me parla tout autant. Malgré le décalage total d'époque et de technologie, je me prends parfois à chanter ce morceau lorsque j'appelle ma douce sur ce que l'on appelle désormais un smartphone.
Cette douceur mélodique prend un brutal point d'arrêt avec le non moins brutal « I'll Do The Talkin » chanté par Andy Curran. Le garçon semble un chouïa plus sexiste, dans la mouvance générale des paroles Rock par excellence. Mais il y a aussi dans cette dualité Dixon-Curran un côté Dr Jekyll-Mr Hide sympathique, entre machisme et séduction.
« Victim Of Rock » compte la vie sur la route d'un groupe de Rock. Le riff épique, la rage injectée par la section rythmique de Ketchum et Curran est impressionnante, dirais-je presque comme d'habitude. Le travail des guitares de Shelski et Dixon est merveilleux, s'entremêlant sans cesse pour faire monter la tension musicale.
L'album se clôt sur « Monkey Bars », une redoutable pièce de fonderie signée Curran. Un verre et une bonne bagarre pour terminer cet excellent album. Plus que jamais, Coney Hatch joue serré. La production de Kim Mitchell, guitariste-chanteur du groupe canadien de Hard-Rock Max Webster, mit à merveille en valeur le talent de ces quatre garçons.
Leur puissance unique, et même leur apparence physique n'est pas sans rappeler le groupe anglais The Darkness. Ce dernier tenta avec succès dans un premier temps de relancer le hard-rock classique, non sans humour, avant de le perdre en tentant de se prendre pour un groupe sérieux.
Influencé par sa maison de disques, comme de nombreux de ces camarades au sang lourd, le groupe se tourna vers des horizons contre nature, et sombra dans une forme de médiocrité sonore, alors que certaines chansons de ses deux albums suivants auraient dû recevoir un traitement sonore digne de ce nom. « Outta Hand » est encore doté par moments de cette hargne initiale.
On ne peut pourtant en vouloir à ce quatuor hautement sympathique. Ce bel album mérite une vraie considération. Il me réchauffa en tout cas le cœur en ces moments difficiles. Et les gens sympathiques se font rares en ces instants. Alors je peux dire que les musiciens de Coney Hatch sont de vrais amis.
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