vendredi 17 octobre 2014

VENOM 1981

" On y distingue des nuances sonores plus grandes que ce napalm sonore peut le faire croire à la première écoute."

VENOM : « Welcome To Hell » 1981

Je suis assis sur le lit de ma chambre d’adolescent. Mes poings et mes dents serrés. Je suis au paroxysme d’une frustration juvénile qui va bouillonner en moi durant quelques années. La mutation parentale vient de me couper de ma terre d’origine comme de mes amis. Je me renferme peu à peu sur moi, et cherche un exutoire subversif qui me serait propre face à la culture de masse qui hypnotise mon nouvel environnement lycéen.
Ma découverte puis ma passion de Led Zeppelin me fit découvrir le mage favori de Jimmy Page, mais aussi de Ritchie Blackmore ou de Ozzy Osbourne : Aleister Crowley. Homme fascinant par bien des égards, il développa une magie basée sur tout ce qui rebutait la société bien pensante britannique du 19ème siècle : Le Diable et les rites païens, le sexe, la drogue. Il s’inspira de magies anciennes : Egypte, Grèce et Rome Antique, rites celtiques. Sa soif de liberté et son aura sulfureuse bouleversèrent la Grande-Bretagne et ouvrirent la voie vers une société plus libertaire. Mais la révolution instiguée par Crowley se heurta à la Seconde Guerre Mondiale, et maintint le pays dans cette société victorienne poussiéreuse que seules les années 60 réussirent à briser. Cette même génération qui fut celles des premiers grands groupes de Rock électrique. L’occultisme alimenta gentiment de nombreux musiciens et courants, y compris dans le Folk-Blues anglais, qui y mêla l’univers de Tolkien et des druides anciens.  
J’aimais cette douce atmosphère d’interdit mêlée aux paysages automnales du mois d’octobre lorsque reprenait le lycée. J’avais l’impression que je connaissais des forces que mes camarades pétris de médiocrité culturelle ne soupçonnaient même pas. J’étais une sorte de dangereux mage capable de déchaîner les foudres des mondes d’en-dessous, ceux de HP Lovecraft. Ce refuge intellectuel m’aida sans doute à me forger ma personnalité, et surtout une indépendance d’esprit. Pour le reste, cela ne m’aida guère, que ce soit dans la séduction ou dans le respect des lycéens qui avaient ma mère en cours et qui me faisaient régulièrement chier avec ça. 
Mes recherches musicales me conduisirent vers des horizons de plus en plus métalliques. Parmi mes grandes découvertes, AC/DC et Iron Maiden. Par l’intermédiaire de ces derniers je découvris la New Wave Of British Heavy-Metal et toutes ses formations aussi obscures que géniales. Etant donné que tous ces groupes voulaient aller au-delà de la génération précédente, ils jouèrent plus vite, plus fort, plus agressif. Et développèrent une imagerie encore plus rebelle et sulfureuse. Le diable en fit partie, et le cornu orna de nombreuses pochettes de cette époque. Commença alors une surenchère qui aboutira dans le sinistre le plus total au milieu des années 90.
Pour l’heure, le Heavy-Metal de Black Sabbath et Led Zeppelin se meurt dans la coke et se fait achever par le Punk. Du moins, c’est ce que l’on crut. Car dés 1978, nombres de gamins ne se retrouvaient pas dans ce mouvement nihiliste et totalement inique. Ils fallaient des figures, des héros, des musiciens capables d’en montrer. Ce qui n’étaient pas le cas des punks.
Tygers Of Pan Tang, Sledgehammer, Diamond Head, Iron Maiden, Saxon, mais aussi Judas Priest et Motorhead remirent de l’ordre dans la hiérarchie musicale. Ces deux dernières formations influencèrent nombre de kids à se remettre au metal. Le spectre du grand Black Sabbath était lui aussi bien là.
A Newcastle, le jeune Jeffrey Dunn forme Guillotine. Il y ajoute le batteur Tony Bray et le chanteur Clive Archer de Oberon, puis débauche un second guitariste du nom de Conrad Lant. Nous sommes en 1978 et la petite équipe a 16 ans à peine de moyenne d’âge. Lant devient bassiste lorsque ce dernier s’en ira, mais gardera sa technique de guitariste pour la quatre-cordes. Guillotine devient Venom en 1979, du surnom de motard de Dunn. 
L’idée est de développer un groupe de rock satanique prompt à rompre toutes les barrières en termes de violence visuelle et musicale. Pour avoir l’air encore plus méchants, ils se donnent des pseudonymes : Dunn devient Mantas, Lant, Cronos, et Bray, Abaddon. Archer se surnomme curieusement Jesus Christos, et se peint le visage en blanc sur scène. 
Lant travaillant aux studios Impulse appartenant au label Neat Records, qui a notamment signé Raven, le quatuor enregistre une première démo, et donnent des concerts. Le résultat est une musique d’une brutalité inouïe pour l’époque. Entre punk sauvage pour l’énergie, les accords barrés et la technique rudimentaire, et metal pour les rythmiques et la puissance, les trois morceaux de « Demon » renvoient le Heavy-Metal à un rôle d’enfant de choeur. Une frontière dans la violence est franchie. 
Archer se fait virer en 1980 lorsque Lant interprète le titre « In League With Satan » et que le groupe se rend compte qu’il chante mieux que le vocaliste attitré. Venom devient le trio mythique qui va mettre en boîte ce premier album début 1981.
Lorsque je cessai d’écouter ce disque au crépuscule de mon adolescence, je ne pensais pas qu’un jour je pourrais revenir à ce disque. Ce fut pourtant le cas ces dernières semaines. J’y découvris même de nouvelles couleurs. Bien des choses m’avaient en fait totalement échappé. Alors que la scène Metal dite extrême, Trash-Metal, Death-Metal, Speed-Metal, et Black-Metal, me laissa totalement de marbre, je continue à écouter ce furieux boucan qu’est la musique de Venom avec un plaisir coupable.
Il y a dans ce groupe une sorte d’aura noire incroyablement puissante qu’aucun autre ne possédera. Leur personnalité autant musicale que visuelle sera mille fois copiée mais jamais égalée. Et surtout, ces trois garçons faisaient preuve d’un vrai second degré sous le fard de la provocation à tous les étages. Aucun d’eux n’offrira le moindre signe de suffisance et de sérieux total. C’est sans doute ce qui rend Venom infiniment aussi sympathique et digeste à mon goût. J’avoue aussi être totalement fasciné par le personnage de Cronos. Voilà un musicien qui a la voix et le physique parfait de l’emploi, avec ses cheveux roux foncés hirsutes, ses yeux vicelards, et sa voix de gargouille furieuse. 
Et malgré la vulgarité et l’outrance affichées, il se dégage de la musique de Venom ce parfum sulfureux de vieilles bâtisses anglaises hantées, mêlé à la puissance d’une musique totalement novatrice. On y décèle encore les scories du heavy-metal fondateur de Black Sabbath et Judas Priest, et du Punk des Saints. Mais ces influences nobles sont pulvérisées à travers le prisme de la rage la plus noire. Du heavy-metal joué par des punks. 
« Welcome To Hell » et les simples qui l’accompagnèrent à l’époque se dotent de fabuleux élixirs de violence pure, comme « Sons Of Satan », « Angel Dust », « Schizo », ou « Poison » véritables déflagrations primales de Rock. Et puis il y a aussi ces mid-tempos rapides obsédants, comme « Thousand Days In Sodom » ou le simple « In Nomine Satanas ». Et puis il y a ces pièces de speed entêtantes jusqu’à la transe, comme « Welcome To Hell », « Witching Hour » ou « Red Light Fever ». Trépignant comme un gamin en colère, ils sont les forets de perceuse creusant dans votre cortex pour y implanter les thèmes les plus sataniques.  
Plus curieuse est une écoute au casque. On y distingue des nuances sonores plus grandes que ce napalm sonore peut le faire croire à la première écoute. Bien que les trois ne soient pas des as de leurs instruments respectifs, ils ont un jeu bien spécifique : la basse bulldozer de Cronos, la guitare sursaturée et ultra-métallique de Mantas, et le jeu de double grosse-caisse foutoir de Abaddon. Et puis cette voix qui éructe encore et encore, mais tout en chantant. Car là où les successeurs vont s’époumoner à growler, forçant la voix comme de vilains borborygmes plus ou moins graves ou aigus, Cronos chante de sa voix râpeuse et furieuse. Cette subtilité post-seventies maintient le groupe dans ses racines Rock là où le Black-Metal les oubliera totalement, comme le second degré d’ailleurs.... 
Réécouter cet album aujourd’hui me donne une sensation curieuse où se mêle le sourire amusé face à cette folie, et l’émerveillement d’y trouver la colère de cette musique intacte, ainsi que des nuances musicales réelles et de vraies bonne chansons. La réécoute de leur discographie entre 1981 et 1987 est pour moi un vrai grand plaisir. 
Venom reste pour moi un aboutissement musical. Le groupe outrepassa toutes les limites du Rock des années 70-85, à tel point qu’il reste encore et toujours en marge du classic-rock et de tous les hommages. Sa musique reste à ce jour parfaitement insurpassable en termes de brutalité et d’agressivité. La suite n’est que pathétique.  
tous droits réservés

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Arrgghhh !!! Nooonn !! Pas eux !! Pas ici !
Non, vraiment, j'ai écouté du furieux à l'époque, dont Raven, Metal Church, Maiden, Zodiac, Vulcain, Battle Axe, Savatage, Riot, The Damned. Mais eux, je les ais toujours considérés pour des pitres.
"... les trois ne sont pas des as de leurs instruments respectifs, ...., la guitare sursaturée et ultra-métallique..., et le jeu de double grosse-caisse foutoir..." : ce n'est pas moi qui l'a écrit.
A ma connaissance, les pires "musiciens" qui n'aient jamais enregistré un disque. Je suis même étonné que leurs disques sont réédités en CD (alors que j'attends toujours que d'autres, plus méritant, le soit).
Je me souviens d'ailleurs d'une photo de Cronos en concert (Enfer Mag), avec une basse Ibanez qui n'avait que deux cordes (!?).

Vraiment désolé de faire un commentaire aussi négatif (d'autant plus que la chronique, comme d'hab, est, elle, très bonne), mais Venom... non, j'comprends pas. Désolé.

Julien Deléglise a dit…

ah ah ah !
Décidément, Venom ne laisse tourjours pas indifférent. C'est sans doute là que la compréhension de ce disque est la plus ardue. En effet, il est impossible de les comparer à la plupart des groupes de Metal. Leur niveau technique et leur habileté musicale sont pour la plupart tout à fait respectable, car tous tentent d'essayer d'arriver à peu près au niveau des glorieux aînés que sont Led Zeppelin, Deep Purple ou le grand Black Sabbath. Venom n'en a jamais rien eu à foutre, et c'est cette attitude Punk ultre-brutale et je m'en foutiste qui va faire la différence. Bien évidemment, ils sont considérés comme des pitres et eux-mêmes en rajoutent. Mais leur musique est bien plus valable qu'elle en a l'air. Passé le dégoût initial, on trouve des albums vraiment très bons comme "At War With Satan" ou "Possessed". Il est bien évident qu'il est impossible de comparer en qualité d'écriture et de technique Venom et Iron Maiden par exemple. Et pour cela, on est bien d'accord.

Anonyme a dit…

J'aime VENOM ,pour les mêmes raisons que toi.
J'adore leur premier album.
Ce qui me plait ? Bonnes compositions et second degré évident. Cela n'est pas donné à tout le monde.

Anonyme a dit…

Ben non, effectivement.
Amusant, mais cela me rappelle lorsque je m'insurgeais contre des "super groupes" tels que "Début de Soirée", "Image", ce genre de trucs faisandés qui pullulaient dans les 80's. On me rétorquait que c'était du "second degré" (et que " cela n'est pas donné à tout le monde"). Elle est bien bonne.
Lagaf' a bien rit lui aussi avec son "Il est beau le bidet" (et ça c'était une tarte à la crème jetée à la face du "star-system").
Rock'n'Roll

Anonyme a dit…

???
"Comparaison n'est pas raison", dit-on... C'est encore plus vrai lorsqu'on compare VENOM à DEBUT DE SOIREE.

Anonyme a dit…

Yo, No Name (j'aime bien les "Nonyme").
Y'a pas de comparaisons entre ces "groupes". Où ça comparaison ? M'enfin. C'est avec ce genre de raccourci que l'on a envoyé des gens à l’échafaud.
C'était juste un parallèle entre les fans "hard-core". D'un extrême à l'autre.
Juste pour démontrer qu'un fan (un "fanatique"), en général, ne souffre d'aucuns commentaires dépréciatifs, d'aucunes critiques, de son groupe chéri. Ainsi, de la sorte, on se rapproche dangereusement de l'attitude de certains religieux...

https://www.youtube.com/watch?v=GJg7G-FNWe4
(ça fout les j'tons !!)