samedi 28 février 2015

TOM SCOTT 1977

"La Chevrolet reprend le boulevard le long de la jetée."

TOM SCOTT : « Blow It Out » 1977

Il existe sans doute quelque part un îlot de sérénité où le soleil brille. Un léger vent du large souffle dans les palmiers. L'air marin se mêle au sable chaud de la plage de cette fin d'après-midi.
Je gare ma Chevrolet Camaro le long du trottoir, sur l'avenue qui longe le bord de mer. Je descend et marche quelques pas en direction de la plage. De jolies jeunes femmes reviennent, souriantes, d'une après-midi de farniente. Négligemment, mon œil ne peut se retenir de traîner sur un arrière-train furtif. J'allume une cigarette et m'assied sur le muret bordant le sable, les yeux perdus dans l'horizon bleu de l'océan. Je suis du regard un voilier au loin. L'agitation insouciante du parc d'enfants plus loin derrière moi ne trouble pas mes pensées. Je reviens de loin.
Sacré merdier. On se demande comment on peut supporter autant d'emmerdements et de connards en un laps de temps aussi court. On se demande aussi comment on peut subir autant d'acharnement stérile, à part mû par une méchanceté proche de l'inhumanité. Tout n'est pas réglé, et une petite virée en bagnole au bord du Pacifique n'aura pas été inutile. Se ressourcer avant de retourner dans le grand chaudron de la médiocrité. Je me lève et je marche dans le sable, jetant de temps à autre une pierre dans l'écume. Je souris en baissant les yeux puis je retourne à la voiture.
La Chevrolet reprend le boulevard le long de la jetée. J'accélère pour faire gronder le V8. et « You've Got The Feel'n » de Tom Scott résonne dans la voiture. Des cuivres, une basse souple, une batterie mate et bien en place, et ce tempo funk. La bande-son d'une époque. Le garçon se fera un nom en écrivant plusieurs génériques de séries télévisées à succès, comme « Cannon », « Les Rues de San Francisco », « Baretta » et « Starsky And Hutch » dont le thème, « Gotcha », figure sur cet album, « Blow It Out ».
Il enregistrera plusieurs excellents albums de jazz-funk, y compris avec des pointures comme Billy Cobham. Il fit aussi partie des Blues Brothers, mais quitta le groupe peu de temps avant le film. Finalement tout le monde s'en fout un peu car sa musique n'est ni ultra-technique, ni expérimentale. Juste du bon funk bien efficace et bien en place pour accompagner vos virées en bagnole en tapant de la main sur le montant de la portière.
Je longe la jetée. Le soleil rasant me gêne et je mets mes Ray-Ban Police. Les palmiers défilent à travers les vitres. Je décide d'arrêter la Camaro dans une petite ruelle aux murs blancs, à proximité des terrasses du port. Je m'assied face à la mer et commande un double whisky au à la serveuse. J'allume une cigarette, et savoure le vieux malt. Le soleil se couche au loin dans une lumière rougeoyante au milieu de quelques nuages aux reflets bleu acier. « Shadows » souffle son jazz smooth léger et frais. La clarinette délicate chante sur un fond de cordes, de piano électrique en nappes liquides et de percussions en percolation. Ce bon vieux Steve Gadd, toujours dans les bons coups. Un solo de guitare acoustique en picking de Hugh McCracken vient discuter avec la clarinette de Tom.
Du jazz smooth, il y en a aussi du pourri sur cet album, comme sur « Down To Your Soul », qui voit en plus Tom poussé la chansonnette de manière pas du tout intéressante, pour rester poli. Mais on se dit que sur un malentendu, dans un club disco, ça peut toujours marcher. Regardez George Benson et son « Give Me The Night ».
Je finis mon verre et reprends la voiture. Je décide de pousser jusque dans Downtown. La nuit est tombée, et les palmiers sous le soleil ont été remplacés par les lampadaires le long des avenues. Les enseignes des restaurants et des drugstores brillent dans le nuit. Le V8 ronfle sur le bitume, je ne m'attarde dans le uppertown mal famé où les dealers blacks échangent quelques sachets contre du liquide dans des enveloppes de papier kraft. Ils n'aiment pas trop voir des blancs qu'ils ne connaissent pas traîner dans le quartier. Y compris les flics.
J'atteins le « Summer Town », un bar à billards que j'affectionne. L'ambiance y est des plus classiques, gros comptoir en bois, tabourets de bar, néons et miroir derrière le présentoir à bouteilles, et de grandes tables de snooker éclairés de lampes trapézoïdales créant une ambiance feutrée. Ce sera encore un double whisky, ma boisson de prédilection ces soirs de loose où j'ai besoin de lâcher prise avec la réalité. Je n'ai pas envie de grand chose dans ces moments-là, juste moi et mon verre de liquide doré, égarant mes pensées sur la dureté de la vie, sur toutes ces merdes. On est bien peu de choses quand même. On ne part pas non plus avec les mêmes chances dans la vie. On a pas dire qu'il suffit de se battre pour y arriver, c'est quand même bien des conneries toutes faites tout ça. On devient quelqu'un en morflant. Après, on est pas forcément obligé d'en prendre plus que nécessaire, ça devient du vice au bout d'un moment, de l'acharnement. Mais la bêtise répond souvent par l'acharnement, rarement avec la mesure.
On cherche toujours à fuir, à trouver ces petites fenêtres d'exaltation pure, où l'on échappe ne serait-ce qu'une heure au moindre remord, au moindre doute, où l'on se dit que, enfin, on vit. On peut rêver de fortune, de grand bateau blanc sur l'Océan, mais il y a toujours un doute. Finalement, un type riche dans une belle villa sur la côte à Miami a tout pour être heureux, mais le soir quand il rentre, ne se dit-il pas qu'il est seul, sans femme ni enfants à aimer et que sa vie de pacha aura finalement bien peu de sens au bout d'un moment ? On a tous eu envie de partir, de recommencer, de trouver mieux, parce que le quotidien est trop pesant, et que sous nos yeux, dans notre télé, des gens vivent sous le soleil, loin de toutes ces emmerdes du quotidien.
Mais chacun a ses emmerdes, et au bout du compte, on y coupe pas. Même au bout du monde, dans une belle villa en Thaïlande, on a des emmerdes, et même d'autres que l'on aurait pas eu ailleurs. On ne vit que pour quelques instants de sérénité, de paix intérieure, noyés dans un océan de petites embrouilles, de conneries à régler, qui vous gâchent le quotidien, mais qui dans l'absolu, non strictement aucune importance. Mais le seul fait de ne pas s'y atteler vous conduit irrémédiablement un peu plus dans la merde, alors, quitte à choisir....
Ce soir, je suis avec mon malt, mes cigarettes, ma Camaro et un bon vieux disque de Tom Scott. Je sais que l'on m'attend, et mon escapade prendra fin. Il faudra ranger la Camaro au garage, le disque de Tom Scott dans les vieux disques inavouables, et boire de l'eau dans les prochains jours.
Pour le moment, je suis assis là, à ne rien attendre de précis, et j'aime cela. Personne n'attend rien de moi, je n'ai rien de particulier ni de contraignant à faire ce soir. Je ne pense qu'à moi, et à ce que j'ai envie de faire ou non. D'ailleurs je vais boire un autre verre, histoire de philosopher encore un peu sur la vie, sur mon passé, prendre un peu de recul.
J'ai tout recommencer, et cela a un prix. On croit que tout se corrige avec le temps, ou plutôt qu'on a le temps de faire des erreurs de les corriger éventuellement plus tard. Et puis vient le moment fatidique où l'on se rend compte que l'on s'est complètement planté, et que l'on a plus de temps à perdre. Que la vie doit être un temps soit peu comme on l'a imaginé, et pas comme on vous l'impose, lentement, insidieusement, sous une forme de fatalité déguisée. Alors il faut reprendre le contrôle que l'on vous a pris, et cela aussi a un prix. Elevé, très élevé. Du sang, de la sueur, des larmes, des doutes et pas beaucoup de sommeil. On apprend beaucoup sur soi, sur ce que l'on veut et sur ce que l'on ne veut surtout pas. On finit tous par faire des erreurs dans la vie. Soit on vit avec toute sa existence en se persuadant qu'il n'y a pas d'alternative, soit on fait le bilan, et on arrête les frais avant de mourir à petit feu. Et on repart un peu plus fort, vers une vie plus belle, qui vous offre enfin ces quelques étincelles de répit magique.
J'avale d'un trait la dernière gorgée de mon whisky, et je reprends le volant de ma Camaro. Il est temps de mettre « Gotcha » dans l'autoradio, le fameux thème de « Starsky et Hutch », son groove lourd et menaçant. J'accélère et fait ronfler le big block. Les pneus arrières crissent, et je remonte l'avenue la main gauche sur le dessus du volant, les yeux fixés sur la bande blanche. Après cette soirée, je vais rentrer chez moi, et laisser mon attirail de vieux loup solitaire dans un coin un garage. Redevenir un gars bien, assumant ses responsabilités. Mais n'oubliant pas de rêver à un peu de temps en temps en écoutant un bon vieux disque de funk des années 70 comme ceux de Tom Scott.
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samedi 21 février 2015

DESTRUCTION 1985

"Destruction est un trio infernal couvert de cartouchières, de cuir et de cheveux, qui va pousser le Thrash-Metal américain au second rang en terme de violence sonore."

DESTRUCTION : « Infernal Overkill » 1985

En 1980, Led Zeppelin effectue une ultime et laborieuse tournée européenne. Le groupe n'est que l'ombre de lui-même. Ravagé par l'héroïne, l'alcool, et les drames personnels, le mythique quatuor des années 70 peine à reproduire la magie de sa musique. Le batteur ne suit plus le tempo, le chanteur ne peut plus monter dans les aigus, le guitariste a les doigts engourdis par les substances et aligne pain sur pain. Quant au bassiste, il a eu l'excellente idée de se mettre à jouer d'une ultra-moderne basse huit-cordes dont le son en concert ressemble davantage à celui d'une corde à linge qu'à une puissante machine à rythme.
De manière générale, la heavy-music se résume à la fin des années 70 à d'anciens briscards s'adaptant au son mélodique et commercial du moment, comme Kiss ou Blue Oyster Cult, et à des nouveaux carrément dans le bain consensuel comme Journey ou Foreigner. En Europe, le hard-rock garde un cachet chromé, grâce à Scorpions, Thin Lizzy ou UFO.
La New Wave Of British Heavy-Metal réussit le pari de prendre la suite du Punk moribond en gardant à l'énergie tout en l'incorporant à des influences anglaises typiques comme le Rock Progressif ou le hard-rock blues. Iron Maiden, Saxon, Raven, Diamond Head, ou Savage viennent s'ajouter aux pionniers que sont Motorhead, Budgie, Judas Priest ou Witchfynde. Leur influence sur le hard-metal mondial sera énorme. Mais un groupe va tout réellement déclencher : Venom. L'histoire va s'accélérer.
A la furie et la puissance de Judas Priest et Motorhead va s'ajouter la brutalité de Venom. Ce sera la surenchère : thrash-metal, speed-metal, black-metal, speed-metal, tout viendra de ce rustre mais séminal trio anglais. On ne peut d'ailleurs pas comprendre le heavy-metal des années 80 sans comprendre leur musique. Il y aura bien sûr des échappatoires, comme le Glam-Metal ou Sleaze-Metal américain avec Motley Crue, Ratt, Poison, ou Dokken. Il y aura aussi les nouveaux Aerosmith des années 80-90 : Guns'n'Roses.. Le Sleaze était une avant tout de l'entertainment. On parle de filles, de bagnoles et de bon temps. D'un vulgaire assumé, tous jouèrent plus ou moins sur l'ambiguité sexuelle héritée du glam-rock des années 70, et en particulier David Bowie. Même si cela cachait une virilité outrancière sous des tonnes de maquillage provocateur inspirée The Sweet.
Mais tout cela ne plaisait guère à tout le public fan de vraie heavy-music agressive et teigneuse. Le métalleux est un guerrier, il s'habille de noir, de jeans, de cartouchières, de blousons de cuir et de bracelets de force cloutés. Finie la déconne. La douce rêverie des années 70 est terminée : les espoirs de vie plus belle se sont envolée, place au pragmatisme économique et à la froideur clinique des années 80. Thatcher, Reagan et compagnie. Si pour le heavy-metal s'ouvre une période riche, il n'en va pas de même pour le Rock de manière générale. S'ouvre l'ère des synthétiseurs et du funk synthétique hérité du disco. La production se charge d'écho, la qualité des compositions disparaît sous des montagnes d'effets sonores boursouflés. Bob Dylan, Queen, Eric Clapton, David Bowie, Rod Stewart, les Rolling Stones, Paul MacCartney ne sont que l'ombre d'eux-mêmes.
1980 est une cassure nette dans les discographie, passant de l'intéressant à l'inécoutable en quelques mois, par le seul biais de la découverte des synthétiseurs. C'est un cauchemar éveillé, d'où ne surnagent que quelques artistes que l'on aurait jugé moyen dix années auparavant. Prince ou Michael Jackson pouvait-il passer la comparaison avec James Brown, Funkadelic ou Marvin Gaye ? Mais l'on s'habitua à la médiocrité. Même les grands de la Soul comme Stevie Wonder avait sombrer dans la bouse la plus inconsistante. Tout cela était bien conciliant, et même la ménagère anglaise dansait désormais un slow sur du Stevie Wonder avec « I Just Called To Say I Love You ».
Le Thrash-Metal fit son apparition grâce à l'alliage furieux de deux groupes majeurs : Venom et Mercyful Fate. L'Amérique fut le pionnier sur la Bay Area, avec Slayer, Metallica, Anthrax, Exodus et Metal Church. Mais les racines du mouvement étant indiscutablement européennes, le Vieux Continent poursuivi sa propre évolution à base de Punk, de Heavy-Metal, et de références littéraires sataniques et guerrières.
L'Allemagne offrit quelques très bonnes formations, comme Scorpions ou Amon Duul II. Dans les années 80, elle se retrouva au milieu d'un tourbillon musical et politique d'une intensité rare. Musicalement, elle se situait sur le circuit des tournées des groupes les plus en pointe en matière de violence sonore : Venom, Mercyful Fate, Mayhem, Hellhammer, Raven, et les formations américaines qui en faisaient la première partie, en particulier Slayer et Metallica. Hasard de la route sans doute, oreille prédisposée aussi sans doute. Car la vie en Allemagne est complexe, coupée en deux par le Rideau de Fer qui se fissure de toutes parts. Le régime soviétique n'arrive plus à survivre, la population meurt de faim, et Moscou répond en durcissant le ton politique en soutenant moult dictateurs : Ceaucescu en Roumanie ou Jaruzelski en Pologne. Ce dernier est malmené par les syndicats, dont Solidarnosc avec Lech Walesa.
La répression est terrible, comme elle le sera en Tchécoslovaquie durant le Printemps de Prague. Malgré la Pérestroïka de Gorbatchev en URSS, il faudra attendre 1991 pour qu'enfin le Bloc de l'Est tombe. L'Allemagne connaît à l'Ouest une vie occidentale sous la menace des bombes soviétiques, pendant qu'à l'Est elle subit l'austérité grise de l'ère soviétique mourante. Les tensions entre les deux blocs sont attisés par un Reagan pas vraiment diplomate et ancien cow-boy de westerns cheaps. Le peuple allemand est donc là au milieu, et trouve donc dans le Heavy-Metal un échappatoire à ce bourbier.
Le pays voit fort logiquement se développer en son sein une scène Thrash-Metal particulièrement active portée par quatre groupes majeurs : Kreator, Sodom, Tankard et Destruction. Ces derniers furent fondés en 1982 par Marcel « Schmier » Schirmer à la basse et au chant, Mike Sifringer à la guitare et Tommy Sandmann à la batterie sous le nom de Knight Of Demon. Les influences furent ce qui se faisaient de plus brutal en matière de heavy-metal, à savoir Motorhead, Venom, Iron Maiden et Mercyful Fate. Ils se renommèrent Destruction en 1984 et publièrent une bonne vieille démo sur cassette sobrement intitulée « Bestial Invasion Of Hell » pour démarcher les labels. Le futur géant du métal Steamhammer les signa, et un premier EP tout aussi sobrement intitulé « Sentence Of Death » vit le jour la même année. « Infernal Overkill » est le premier vrai album du groupe, paru l'année suivante en 1985.
Depuis deux années, le Thrash-Metal a parcouru du chemin : Slayer a fait paraître « Show No Mercy », Anthrax, « Spreading The Disease », et Metallica, « Ride The Lightning ». Les groupes américains commencent même à loucher vers un heavy-metal plus conventionnel. Seul Slayer va poursuivre sa quête brutale avec « Reign In Blood » en 1986, fortement influencé par le Thrash-Metal teuton, bien plus agressif.
« Infernal Overkill » est un concentré d'adrénaline. C'est un album sans concession, d'une violence inouïe. Il est aussi ce que Venom aurait pu devenir si le groupe ne s'était pas disloqué musicalement à partir de 1985. Et que ses trois musiciens avaient aussi été plus compétents techniquement, avouons-le. Car Destruction fait preuve d'un niveau musical de haut vol pour un heavy-metal d'inspiration punk. On est encore à des années-lumières du thrash dit technique, soliloque à venir au moins aussi chiant qu'un mauvais concept-album d'Emerson, Lake And Palmer.
Si la cavalcade héroïque fut déjà une voie de composition sur laquelle s'engagèrent plusieurs géants du genre métal, de Judas Priest à Budgie en passant par Led Zeppelin et même Venom, jamais elle n'aura atteint ce degré de possession. La plupart du temps, on s'identifie à une folle course à pied, à cheval ou en Chevy Big Block à travers pêle-mêle la lande écossaise, le désert d'Arizona, ou le bush australien. Venom avait amené la chose sur les terres des Enfers, la lutte des anges démoniaques. « Infernal Overkill » est une cavalcade permanente, une course effrénée contre la Mort et le Diable.
Ces démons de tous les jours, sous les formes les plus hirsutes, qui nous entravent et nous agressent constamment, jour après jour. Comme pour conjurer le sort. Mais aussi pour dompter ces monstres du fond des Ages ou de l'ère atomique, menace permanente de l'arme de guerre entre les deux Blocs. Ces victimes hideuses et désincarnées du monde que par la force dynamique de la musique on tente de retourner contre les bourreaux, les hommes politiques, les militaires. Le Heavy-Metal devient la toute puissance dominant les Forces du Mal, et ses musiciens en sont les Cavaliers de l'Apocalypse faisant la Justice par la violence sans pitié, la terreur et la cruauté contre ceux qui terrorisent et traumatisent le monde, réveillant les créatures d'en Bas de HP Lovecraft.
Destruction est un trio infernal couvert de cartouchières, de cuir et de cheveux, qui va pousser le Thrash-Metal américain au second rang en terme de violence sonore. Le son coupant de la guitare de Sifringer est poussé par une batterie fulgurante, gorgée de double-grosse caisse et de roulements de toms brutaux. La basse claque sur ce rugissement grésillant d'électricité. Schmirer chante comme un démon furieux, entre la gouaille rauque de Cronos, et un ton plus nasillard, plus vicieux encore.
Les huit morceaux que composent ce disque sont tous sur un tempo d'enfer, tous redoutables d'efficacité, sans la moinde once de concession musical. Ils sentent le soufre, le danger. « Invisible Force », « Tormentor », ou « Death Trap » sont de brutaux hymnes à la violence pure, à la décharge de haine furieuse. Seuls « The Ritual » et « Antichrist » ralentissent un brin le rythme, mais alors très légèrement, juste le temps d'enfoncer à grands coups de grosses caisses un long clou rouillé dans la tête d'un prêtre. Mais reprendre sa respiration n'est pas permis dans ce galop sauvage.
 Je n'ai jamais rien trouvé d'aussi extatique, d'aussi trépidant. On y trouve tout le maléfice véhiculé par le Heavy-Metal européen de l'époque, et en même temps cette descente aux enfers vers une musique sans concession qui s'adresse à un public averti. Le Rock des stades n'a plus rien à voir avec tout cela, la vraie musique rebelle se trame là, invoquant le Diable comme le fit le Blues dans les années 30.
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vendredi 13 février 2015

SABBAT

 "« The Dwelling » est véritablement audacieux."
SABBAT : « The Dwelling » 1996

La lumière s'est éteinte. Les mains tâtent le sol et les murs à la recherche d'un repère. Mais ces derniers semblent si loin. L'angoisse monte, la tête tourne. Perdu. Le bruit du vent qui s'engouffre dans l'espace, ce froid glacial qui tombe sur les épaules. Et puis tout d'un coup, de furtives silhouettes blanchâtres traversent l'air, frôlant le visage, dans un courant d'air glacé. Elles tourbillonnent, et dans un silence pesant juste ponctué des sourds grommellements du vent, on perd l'équilibre, comme ivre. C'est la peur, une angoisse extatique, fulgurante, qui traversent les tripes. La fin prochaine approche , dans la solitude totale. C'est un cri de détresse face à la mort, un dernier sursaut de vie, comme un animal pris au piège qui tente de s'enfuir. La survie, coûte que coûte, rien d'autre ne compte.
Se faire peur face à ses angoisses. Celle de l'enfance qui disparaît, celle d'une société qui ne vous accepte pas telle que vous êtes. Conjurer la solitude, retrouver la force, la puissance que l'on a pas face à l'élite, le pouvoir : un professeur, les costauds de la classe, le patron, des collègues qui vous écrasent et vous harcèlent....
Le Hard-Rock et le Heavy-Metal s'est nourri de ces générations de kids qui avaient besoin d'exister et de se retrouver alors que la société ne leur laissait pas de place. Mais cette dernière sait fagociter ce qui lui résiste. Aujourd'hui, on peut acheter un tee-shirt Motorhead ou AC/DC chez H&M. Ces deux groupes signifiaient bien autre chose en 1980. Ils inspiraient le dégoût aux parents, et à la plupart des adolescents du lycée, idolâtrant davantage le disco mourant ou Indochine. Le grand public aime la variété. Ecouter AC/DC à cette époque, c'est être un vrai rebelle, le boutonneux au fond de la classe. Comme en 1970 avec Black Sabbath.
Mais durant les années 80, ce fut l'escalade. La New Wave Of British Heavy-Metal en Grande-Bretagne, et le Glam-Metal aux USA popularisèrent le Heavy-Metal aux oreilles du grand public, et le genre en lui-même ne faisait plus vraiment peur. Si Iron Maiden et Judas Priest gardaient leur public masculin pubère avec blousons en jeans à patches, Def Leppard et Motley Crue attiraient de la gamine en fleur à la recherche du frisson. Ils continuaient en cela la voie ouverte par le hard-mélodique de la fin des années 70, celui de Journey, Boston, Foreigner, ou Rainbow.
Aussi, le vrai amateur de Heavy-Metal a tenté de protéger sa communauté des ignares et des incultes. Et des musiciens surent à merveille souffler sur les braises de l'anti-conformisme et de la lutte contre l'uniformisation grand public. Les premiers furent les anglais de Venom, véritable fondateur du Metal dit extrême, les futurs Trash et Black Metal. Et puis ce fut la course à travers la planète : il y eut d'abord les suisses de Hellhammer, qui devinrent Celtic Frost. Aux USA, le Trash apparut, véritable filon de groupes notables, comme Slayer, Metallica, Metal Church ou Megadeth, suivi du Death-Metal avec Obituary ou Death. Et en Norvège apparut le Black-Metal avec Mayhem et Darkthrone. Peu à peu, il fallut jouer plus vite, plus fort, chanter plus furieusement, dans les aigus ou les graves, le growl. La production devait la plus crade possible, et l'imagerie, la plus sataniste et la plus gore. Au point de perdre de vue la musique et de plonger dans la folie la plus totale. On retint surtout du Black les têtes de porc écorchés, les églises en bois brûlées, les meurtres et les références plus ou moins obscènes avec certaines théories pangermanistes ayant abouti au nazisme.
Durant les années 90, en bon adolescent solitaire et frustré, j'ai tenté de comprendre le genre Black-Metal. Moi qui était fasciné par Black Sabbath et Venom, les théories occultes d'Aleister Crowley et les recueils sorciers de Claude Seignolle, je tentai d'aimer cette musique. En vain. Tout cela me parut inepte du début jusqu'à la fin. Marduk, Emperor, Immortal, Dimmu Borgir, Cradle Of Filth, la musique de ces groupes me gênait. Les blasts de double-grosse caisse, les riffs en trémolo permanent, le chant de gargouille plus ou moins hystériques, ce trépignement permanent me satura. Je ne trouvais pas cela agressif ou effrayant, juste ridicule. Je n'y distinguai aucune puissance, aucun charisme, juste une bande d'allumés jouant au vampire pour faire peur à la voisine. Je ne trouvai pas de mélodie, pas de voix sortant de l'ordinaire, de musiciens hors-pair, pas de riff qui me faisait irrésistiblement secouer la tête. Pour moi, celui de « Paranoid » était bien plus puissant que n'importe quoi d'Immortal.
Ce qui me parut encore plus stupide, c'est que la référence absolue, Venom, était mille fois plus furieuse, plus puissante, plus métallique que tous ces groupes qui se revendiquaient du trio anglais. Sans compter qu'aucun ne présentait la moindre trace de sens de l'humour. Je posai donc ma limite sonique à Venom et au Trash américain du début des années 80. Le reste, écouté en long en large et en travers, n'avait aucun intérêt. Jusqu'à Sabbat.
Preuve de l'internationalisme du Metal, Sabbat est un groupe.... japonais. Fondé en 1983 sous le nom de Evil par le bassiste chanteur Masaki Tachi alias Gezol, il vivra par l'entremise d'une myriade de simples auto-produits aujourd'hui cultissimes. Je vous épargne la liste des musiciens qui vont se succéder pendant presque dix années aux côtés du seul Gezol, car cela n'a guère d'importance. Retenons que l'écoute de certains morceaux du milieu des années 80 prête à sourire, comme « Black Fire ». Le chanteur maîtrisant pauvrement l'anglais, on n'entend qu'un charabia aux fortes consonances nipponnes. Néanmoins, la musique interpelle déjà entre heavy-trash et des accélérations annonçant le black-metal. Ce sera d'ailleurs le fil conducteur : le groupe étant né dans le début des années 80, il conserve ses racines post-70's, et donc une certaine idée de la musicalité et de la mélodie. Sabbat ne plonge donc jamais dans la surenchère gratuite, et garde ses ancrages heavy-metal issu de Black Sabbath et de la NWOBHM. Pour ce qui est des costumes de scène, cartouchières, bracelets de force et compagnie, les racines sont identiques, tendance Venom en 1984, et pour Gezol en particulier, le slip en peau de bête de Cronos. Sauf que notre ami nippon est plutôt tendance string clouté du meilleur effet, d'un mauvais goût parfaitement assuré, et là, on retrouve aussi un peu de Anvil et de WASP.
La carrière du groupe prend une tournure plus sérieuse en 1991 avec la sortie d'un premier vrai album, « Envenom ». Le désormais trio compte le batteur Zorugelion et un vrai guitariste stable en la personne de Temis Osmond. Le temps n'ayant aucune prise sur sa musique, Sabbat est resté totalement étanche à l'évolution autour de lui, que ce soit le Death et le Black de la fin des années 80 comme l'arrivée du grunge aux USA. Poursuivant sa voie en totale autarcie, les albums d'excellente facture se succèdent jusqu'à celui-ci.
« The Dwelling » est véritablement audacieux. Il est en effet composé d'un morceau unique de 59 minutes : « The Melody Of Death Mask ». Curieusement, et ce n'est que pure coïncidence, paraît la même année la version écourtée de « Dopesmoker », « Jerusalem », l'album à morceau unique du titan sonique Sleep. « The Melody Of Death Mask » est une odyssée sonore aux multiples rebondissements, tableaux et changements d'ambiance métalliques : doom, heavy-metal, trash et accélérations black. C'est un monument, une cathédrale de riffs, de soli. Le chant de Gezol passe du timbre éraillé et punk à l'hystérie du possédé. La batterie, malgré des tempos parfois furieux, restent dan son jeu parfaitement ancré dans le heavy-metal des années 80, dont les racines sont bien celles du Rock des années 70. Pas d'esbrouffe, pas de débauche de matériel ni d'effet sonore. Preuve que ces garçons ont bon goût musicalement parlant, Gezol joue sur une bonne vieille basse Gibson EB3, la même que Jack Bruce. Et Osmond utilise, outre sa Jackson, des Gibson Flying V ou Les Paul Custom.
Mais si les instruments utilisés dénotent incontestablement des références musicales plus riches qu'il n'y paraît, cela n'enlève en rien le talent intrinsèque de ces trois musiciens. Sabbat est incontestablement un magistral pionnier de la scène trash-black, une de ces plus brillantes formations, et aussi une de ces plus ignorées. Force est de constater que le métal nippon a toujours prêté à sourire, même quand la reconnaissance semble poindre, comme pour Loudness au début des années 80. On se plaît à en rire, les considérant comme un public de passionnés mais aussi comme de mauvais ersatzs des grands groupes anglo-saxons, un peu comiques, avec leurs yeux bridés.
 Car si à partir de 1983, le Metal s'internationalise, avec les Danois de Mercyful Fate, les suédois de Candlemass, les brésiliens de Sarcofago ou Sepultura, ou les allemands de Destruction, tous ont.... des physiques européens. Les japonais.... bon.... difficile de s'identifier quoi..... Les meilleurs musiciens de l'île sont donc condamnés à rester dans l'ombre de ce monde du Rock qu'ils adulent mais qui les toisent d'un air hautain et arrogant. Leur ouverture d'esprit et leur passion sans limite pour le Rock font pourtant de leur musique l'une des plus riches en références visuelles et auditives. Church Of Misery est sans aucun doute l'un des meilleurs groupes de Doom 70's au monde, qui en a compris tous les codes, y compris les plus subtils.
Comme ces derniers, Sabbat continue, uniquement animé par la passion de la musique, pour un noyau de fans extrêmement restreint, mais qui a compris toute la qualité de leurs disques. « The Dwelling » surpassent de deux têtes tout ce qu'a pu sortir la quasi-totalité du Death-Black-Grind en terme de richesse sonore.
Malgré une musique que je qualifierai de hautement audible, il reste ce sentiment d’attirance/répulsion lié à ce genre, entre fascination de la noirceur et de la puissance de la musique, et un dégoût certain pour l’apparence outrancièrement vulgaire de ses musiciens.
On frissonne à l’entame de ce disque, avant de se laisser happer et laisser se décharger l’adrénaline noire qui nous consume. Un disque obscur assurément, un grand disque de Heavy-Metal dans tous les cas.
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lundi 2 février 2015

RAINBOW 1982

 "Sans doute que l'homme en noir était bien plus inquiet qu'on ne le croit par rapport à sa capacité à survivre à son départ de Deep Purple en 1975."
RAINBOW : « Straight Between The Eyes » 1981

Ritchie Blackmore a toujours exercé chez moi une fascination hors-normes. Prototype du guitar-hero des années 70, il avait tout pour lui : le talent, un style unique, un physique plutôt avantageux et une personnalité ombrageuse laissant toutes les rumeurs courir. Avec Deep Purple puis avec Rainbow, il construisit un hard-rock unique, mélangeant blues, rock progressif et influences classiques. Les concerts étaient toujours détonnants et furieux, portés par sa guitare, qu'il se mit à prendre plaisir à fracasser sur scène régulièrement selon l'humeur. L'homme était un spectacle à lui tout seul,tant sonore que visuel, et bien peu se risquèrent à émettre le moindre doute sur sa musique et ses prestations, bien peu ne souffrant de la critique.
Mais Blackmore avait un complexe. Son Rainbow à lui n'arrivait pas à briller aux USA. Lui qui avait connu le succès mondial avec Deep Purple quelle qu'en soit la mouture, le voilà bloquer aux frontières de la vieille Europe. Certes, le succès y est assuré : de la Grande-Bretagne à l'Allemagne, les salles sont pleines et les disques figurent dans les Top 10 nationaux. Mais l'Amérique résiste au hard-rock furieux de Blackmore. C'est à n'y rien comprendre, car la mouture première avec Ronnie James Dio au chant fut qualifiée rapidement de véritable successeur musical de Deep Purple, confortant l'idée que Blackmore était bien le seul garant de la personnalité du quintet mythique. Mais rien n'y fit, malgré une énorme tournée US en 1977 chargée d'enfoncer le clou définitif.
Nonobstant des affinités musicales et culturelles évidentes entre Dio et Blackmore, que ce soit dans les références moyen-âgeuses fantasy des textes comme des influences médiévales de la musique, les deux hommes stoppent toute collaboration fin 1978.
Blackmore embauche Graham Bonnet, dont il admirait la voix sur une chanson des Marbles en 1969. Bonnet a un look plus moderne, veste de costard blanche, cheveux courts peignés en arrière. Sa voix puissante se prête aussi bien aux grands classiques de Rainbow comme à ces nouvelles chansons plus accrocheuses que sont « All Night Long » ou « Since You've Been Gone » sur le nouvel album, « Down To Earth », qui paraît en 1979. Il a donc le double avantage de ne pas choquer les fans historiques attachés à Deep Purple et au hard-rock, tout en accrochant plus facilement les radios, notamment américaines. David Coverdale connaîtra le même dilemme au début des années 80 avec son Whitesnake.
Ce choix n'est pas uniquement guidé par l'admiration initiale de Blackmore pour Bonnet. Il s'avère que les Etats-Unis sont à la fin des années 70 dans l'ère du rock dit FM, ou AOR pour Adult Oriented Rock. Tout groupe de hard-rock désirant briller dans les charts US se doit de se montrer complaisant mélodiquement parlant. Et si le physique d'un ou plusieurs musiciens pouvaient accrocher la rétine des jeunes fans féminines, ce serait un plus non négligeable. Ainsi, des groupes de hard-rock américains historiques comme Blue Oyster Cult ou Kiss ont clairement pris ce virage commercial, le premier avec « Don't Fear The Reaper », le second avec « I Was Made For Loving You ».
Mais il y a pire, si j'ose dire. Car de nouvelles formations sont ouvertement déclarées Hard-FM : Boston, Journey ou Foreigner sont les nouveaux héros Rock américains en 1979 : des mélodies commerciales, l'utilisation de synthétiseurs, et des looks ultra-étudiés. Journey a enfin percé grâce à l'arrivée de Steve Perry au chant en 1978, avec ses futals blancs, son port de micro digne de Sacha Distel, et sa belle gueule. Foreigner a décroché la timbale avec Lou Gramm, l'album « 4 » et ses tubes du style « Urgent ». Blackmore rêve secrètement de s'orienter vers ce Rock plus mélodique,aux refrains efficaces, et à la couleur plus héroïque.
Graham Bonnet est viré à la fin de la tournée en 1980 pour incompatibilité d'humeur avec Blackmore. Cozy Powell part rejoindre le Michael Schenker Group et laisse la place derrière les fûts à Bobby Rondinelli. Don Airey prend les claviers, et Roger Glover a récupéré la basse en 1979 après une réconciliation entre anciens de Deep Purple après la brouille historique de 1973. Il reste à trouver un chanteur. Fidèle à son idée, Blackmore cherche un chanteur dans le style de Steve Perry et Lou Gramm, dont le physique pourrait aussi être un plus.
Un jeune chanteur semble faire l'affaire : il s'appelle Joe Lynn Turner. Il fait partie d'un groupe du nom de Fandango, qui tente de percer dans le genre AOR, sans succès. Et signe du destin, le guitariste de Fandango se nomme …. Rick Blakemore.
Le garçon est du style soucieux de son physique, limite gay : brushing blond décoloré, sourcils épilés, bronzage aux UV, et attitude scénique un brin danseuse. Il va subir toutes les moqueries possibles de la part des musiciens de Rainbow et de son staff, mais le garçon a la protection papale, celle de Blackmore.
Car la collaboration entre Turner et Blackmore s'avère vite fructueuse. « Difficult To Cure » qui paraît en 1981 atteint la tête des classements anglais et perce dans les charts US, notamment par la chanson « I Surrender »... qui n'est pas de Rainbow mais d'un compositeur à succès, un certain Russ Ballard, comme « Since You’ve Been Gone » sur « Down To Earth » d’ailleurs. D'entrée, on constate un son plus léger, moins heavy. L'album divise. Les fans historiques se tournent vers le hard-blues de Whitesnake ou le hard-rock à orgue Hammond de Gillan. Mais un nouveau public découvre Rainbow, appréciant les mélodies tout en frissonnant à l'idée d'écouter un groupe catégorisé hard-métal.
Scéniquement, Rainbow ne baisse pas la garde, et joue lourd. Dans tous les cas, les fans de Ritchie Blackmore restent fidèles, car la guitare magique est toujours bel et bien là. Cela n'empêche pas Rainbow de poursuivre dans cette voie, et ainsi paraît « Straight Between The Eyes » en 1982.
Don Airey a été remplacé par un autre beau gosse aux claviers, un certain David Rosenthal. Le nom de l'album s'inspire d'une phrase de Jeff Beck à Ritchie Blackmore décrivant la musique de Jimi Hendrix en 1967. La pochette du disque fera du bruit, entre esthétisme hard-rock eighties criard et esprits chagrins amateurs du style Hypgnosis des pochettes de Pink Floyd. Virtuellement, il n'y a plus grand chose à attendre de ce nouvel album. Les fans de Deep Purple et du Rainbow avec Dio sont déjà partis en courant, les vrais amateurs de heavy-metal écoute Iron Maiden, Judas Priest et Motorhead, et les amateurs de hard-AOR jettent leurs dévolus sur Foreigner, Journey et bientôt Def Leppard. Il reste à Rainbow à trouver sa place là-dedans.
Si « Difficult To Cure » décontenança, il cache en fait par les à-prioris la qualité de ce nouveau disque. Car « Straight Between The Eyes » est en fait un album bien plus Rock que son prédécesseur. La production y est plus crue. On y distingue bien tous les instruments, captés sans effet superflu.
Le disque s'ouvre sur le trépidant « Death Alley Driver ». Rainbow se reconnecte au hard-rock de « Kill The King », mais avec la voix de Turner qui rend la chanson plus accessible malgré les multiples embardées de guitare et de vibrato de Blackmore. On pourrait croire ce retour au hard-metal un peu téléphoné, mais sans être profondément original, on sent que ce nouveau line-up de Rainbow, qui restera miraculeusement à peu près stable pour les deux années à venir (moyennant Rondinelli remplacé par Chuck Burgi en 1983), a de l'agressivité à revendre.
En fait la vraie qualité de ce nouveau Rainbow réside dans la musique mélodique. « Stone Cold » mérite à lui seul l'achat de cet album. Un tempo de batterie rapide, puissant et fin, un orgue léger et lointain, une basse souple, une guitare enluminant la mélodie, et la voix affirmée et claire de Turner. L'homme force peu. Il n'est pas un as des aigus. Il chante, simplement, en suivant la ligne mélodique. Et « Stone Cold » est une merveille, entre tristesse et mélancolie. Pour atteindre l'émotion Blackmore usa longtemps de la grandiloquence : de « Child In Time » avec Deep Purple à « Catch The Rainbow » avec Rainbow, il fallut que l'homme en noir appuya là où cela faisait mal avec insistance pour justifier son propos. Agé de 37 ans en 1982, Blackmore est un homme mûr, qui a déjà vécu plusieurs vies. La souffrance se fait lucide, tout en réserve, pour ne pas réveiller de sales souvenirs. « Stone Cold » permettra à Rainbow de décrocher un hit aux USA et ainsi tourner en tête d'affiche dans les plus grandes salles. Ainsi, Rainbow retrouve le statut qui fut celui de Deep Purple en 1974 avec « Burn » et ses huit millions d'exemplaires vendus.
« Straight Beetween The Eyes » est un disque plutôt rentre-dedans donc. Plusieurs titres sont directs, sans fioritures, malgré une accroche mélodique évidente, et la voix de Turner, calibrée pour les radios. Curieusement, on retrouve même des colorations Blues-Rock : ainsi « Tite Squeeze », « Tearin' Out My Heart » et ses réminiscences de « Mistreated ». A ne pas confondre avec « Miss Mistreated » qui figure sur cet album, et dont la teinte est résolument New-Wave tendance heavy. C'est par ailleurs une réussite, à la mélodie fouillée, et au refrain héroïque contagieux.
« Power » est un puissant hard-rock un peu bluesy. Le son du riff y est d'une pureté incroyable, sans fioriture. Parlons-en de la guitare. Ritchie Blackmore est brillant de bout en bout. Ayant abandonné les longues improvisations, ils se concentrent sur des riffs impeccables, des enluminures à base de petits chorus ponctuant les couplets, et des solos courts mais redoutablement bien écrits, laissant autant la part à sa virtuosité qu'à l'émotion.
Même dans les chansons les plus évidentes comme ce simili-boogie qu'est « Rock Fever », tout est parfaitement en place. La production claire de Roger Glover, désormais producteur attitré de Rainbow depuis son retour aux côtés de Blackmore en 1979, met parfaitement en évidence chaque instrument, et ne tombe surtout pas dans la surenchère des effets stéréophoniques, laissant davantage parler les musiciens.
L'album se clôt sur l'arabisant « Eyes Of Fire », résonnant de l'écho de « Gates Of Babylon ». Son rythme rapide en forme de cavalcade, ses arrangements de violons et de claviers en arabesques....Bien que là encore, le Rock mélodique soit une évidence, la complexité des arrangements et de la musique démontre que Rainbow est toujours bien plus qu'un simple groupe de hard-rock à tendance AOR. La puissance de la guitare de Blackmore y est sans doute pour beaucoup, l'homme ayant trouvé un écrin parfait pour sa six-corde. On le sent à l'aise, inspiré, fertile dans ce groupe à la hauteur, et enfin reconnu à sa juste valeur.
Sans doute que l'homme en noir était bien plus inquiet qu'on ne le croit par rapport à sa capacité à survivre à son départ de Deep Purple en 1975. Si l'homme, bravache, avait chanté que son ancien groupe ne lui survivrait pas (ce qui fut finalement vrai, un an à peine après), il ne savait pas si les fans le suivraient, et s’il serait capable de former un groupe à la hauteur de Deep Purple. Il fit de superbes étincelles d'entrée, mais ne retrouva la gloire internationale que sept années plus tard. On est d'ailleurs en droit de se demander si finalement la reformation de Deep Purple en 1984 fut une si bonne idée que cela....
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