samedi 28 mars 2015

VENOM 1984

"Un hurlement terrifiant venu du fond des âges." 
VENOM : « At War With Satan » 1984

Un cri dans la nuit. Un hurlement terrifiant venu du fond des âges. Et ce vent froid qui longe les murs de briques noircis, pénétrant les chairs. Le visage tendu, les yeux exorbités, la peur au ventre, notre héros accélère le pas dans la rue déserte. Une présence est là, tapie dans l’obscurité. l’homme n’est pas seul. Un monstre du fond des âges rampe-t-il à la recherche d’une proie humaine ? A moins que ce ne soit Satan lui-même ?
Il ne fait aucun doute que ce monde est devenu un enfer. La Bête a pris la forme de tous les emmerdeurs du quotidien. Toujours à vous agresser, rien que pour exister et avoir le plaisir de vous faire chier. On ne rêve qu'à cela : que les Forces Obscures soient à vos côtés afin de venger ce monde en perdition. Que les cons voient enfin leur heure arriver, et ce dans les plus atroces souffrances.
1984 voit Venom passer un cap dans sa carrière. Après deux albums séminaux ayant explosé tous les codes du Heavy-Metal, ouvrant la voie au Thrash-Death-Black, Venom se voit dépassé par ses propres disciples. Le Thrash-Metal américain prend de l'ampleur avec Metallica et Slayer, et une mixture sauvage aux plantes suisses nommée Hellhammer donnera la matière au futur Black-Metal norvégien. Venom, qui était l'ultraviolence métal par excellence, n'est déjà plus la bête immonde la plus dangereuse du monde du Rock.

Car pour une bonne part de la critique, Venom est un trio d'incompétents, mais ils sont les plus bruyants et les plus satanistes, les plus outranciers, le parfait symbole de ce qui dégoûte la bonne société, cristallisant tous les clichés du genre.
Réaction de fierté ou ambition démesurée ? Toujours est-il que Conrad Lant, Jeffrey Dunn et Anthony Bray décidèrent de produire un disque bien plus ambitieux que leurs deux premiers. A commencer par ce morceau-titre, « At War With Satan », occupant toute la première face, et long de près de vingt.
Des disques à contre-emploi de mauvais goût ou ratés, il y en eut. On pourrait citer « Music For Pleasure » des Damned, disque punk aux velléités progressives produit par le batteur de Pink Floyd, Nick Mason. Pas un mauvais album, mais pas la pépite que l'on aurait pu attendre de ce pourtant très bon groupe. On peut aussi parler de l'un des plus célèbres d'entre eux : « Their Satanic Majesties Request » des Rolling Stones, triste réponse psychédélique à l'ambitieux « Sergent Pepper's Lonely Heart Club Band » des Beatles. Généralement, lorsqu'une formation punk ou hard-rock tente l'expérience du projet concept-album – morceaux à tiroirs progressifs – opéra-rock, il s'agit souvent d'une tentative plus ou moins désespéré de démontrer que le groupe :
  • est capable de sortir de son schéma musical habituel/connu
  • a de l'ambition et peut être accepté parmi le cercle très fermé des meilleurs groupes de Rock de l'Histoire comme Pink Floyd, les Who ou Led Zeppelin.
Ces albums s'avèrent pourtant les plus formidables terrains de jeux pour le critique Rock qui y voit tout l'apanage de l'égocentrisme et de l'arrogance des musiciens en quête de respectabilité. L'univers du Rock Progressif et du Jazz-Rock symbolise pour beaucoup tout ce que le Rock a produit de plus sérieux et d'ennuyeux, et tout cela va à l'encontre des principes originels du Rock'n'Roll.
Pour ce qui est de Venom, il est grillé de toutes parts, alors un faux pas de plus ou de moins..... On les trouve arrogants et prétentieux, incompétents et dénués de tout sens musical. Ce nouvel album ne sera qu'un argument à charge de plus.
Personnellement, ayant le plus grand respect pour leur musique, je considère « At War With Satan » comme leur meilleur disque. Vous me direz, je trouve le suivant, « Possessed » particulièrement bon ; sans doute ne suis-je pas totalement sain d'esprit. Mais s'arrêter au boucan initial de « Welcome To Hell » ou à « Black Metal » juste pour son titre fondateur montre bien l'étroitesse d'esprit qui entoure la musique de Venom.
Déjà, chaque morceau est doté de rebondissements musicaux, de changements de riffs, à l'image d' un Judas Priest, mais dans un format et un volume sonore identique à celui de Motorhead. Le vrai barrage qui bloque l'auditeur imprudent est le raffut indescriptible de la musique du trio qui semble tétaniser toute envie de regarder de plus près la vraie qualité des titres. On pensait la bande à Lemmy foutraque avec son batteur cinglé, Philthy Animal Taylor, mais Venom va encore plus loin dans l'agressivité et l'attitude punk.
« At War With Satan » débute par un titanesque morceau éponyme de près de vingt minutes. C'est une chevauchée apocalyptique débutant comme une cavalcade dont le riff initial apparut en conclusion du disque précédent. La cavalcade guitare-basse est une technique récurrente utilisée pour les morceaux les plus héroïques du heavy-metal des années 70, et sera abondamment employé par le Thrash en devenir. « At War With Satan » voit se succéder plusieurs tableaux sur la lutte entre le Bien et le Mal, symbolisés par les changements de riffs et de rythmiques. Passant d'un thème à l'autre sans plus de délicatesse, on retrouve un procédé employé par Budgie dans la plupart de ses morceaux entre 1971 et 1975. Ces changements de plans abrupts, sans concession sont bien ceux du sauvage trio de Cardiff.
La production de Keith Nicholls offre une clarté de son plus fine que celle des deux précédents opus. La batterie y est toujours bancale dans le maintien des rythmiques, mais beaucoup moins dans son jeu. La guitare et la basse se complètent à merveille, et Jeffrey Dunn se montre précis. Quant à la voix de Cronos/Conrad Lant, elle est redoutable et maléfique de bout en bout, véritable marque de fabrique du groupe. Hypnotique symphonie de feu, de rugissements, et de sang, tour à tour furieux ou obsédant, « At War With Satan » ne laisse aucun temps mort.

La seconde face offre une série de morceaux de facture plus classique, de quelques minutes chacun, mais pas moins réussis que le totem titre. « Rip Ride » est une embardée de speed-metal malsaine à souhait soutenue par la double-grosse caisse d'Abaddon. Mantas s'envole en un solo initial avant de faire rugir le riff.

Mais le meilleur reste à venir : « Genocide ». Un riff ouvert, pointu comme une lame de rasoir. Cronos hurle un de ses fameux rugissements « Ooooh Waaaooohhh » introductifs avant de gronder sur le riff. Puis un break s'ouvre, et Mantas s'offre un solo dissonant intéressant, puisque notre homme s'offre le temps de placer ses notes, et donc de sortir du schéma du chorus speed tapping/shredder cachant les fausses notes. Le riff de « Genocide » est une merveille poussée par une rythmique martial, massive, menaçante. Jamais Venom n'a sonné aussi puissant, aussi redoutable. Sa furie s'exprime pleinement. C'est encore le cas sur le massif « Cry Wolf ». l'introduction parodique voit Cronos se transformer en crooner vampirique, avant de rugir à nouveau. Basse et guitare dressent une herse d'acier trempé à travers laquelle il est impossible de passer sans se meurtrir douloureusement. Il est même un constat édifiant à faire. Malgré toute les qualités de leurs premiers enregistrements, « At War With Satan » est bien plus redoutable, plus agressif, plus métallique, plus méchant que « Show No Mercy » de Slayer.

« Stand Up And be Counted » est un simili Rock'n'Roll, une sorte de parodie. Il rappelle « Stay Clean » de Motorhead en introduction, avant de plonger dans un boogie furibard qui lui remonte à …. Status Quo, mais version dégueulasse, hein. Rappelons que Cronos ne s'est jamais caché d'être un immense fan du Quo, et notamment de « Piledriver ». Mais il y a toujours cette ambiance malsaine, ce chant fou, possédé.
Quand bien même Venom fut brillant depuis le début de ce disque, était-il encore à la hauteur de la concurrence américaine ? La réponse intervient avec le définitif : « Woman, Leather And Hell ». Rien que le titre, un vrai concentré de sexisme, de vulgarité, de satanisme et de second degré gras. Et puis il y a cette envolée speed-thrash-black ultra brutale : la batterie s'emballe, la guitare décoche un riff ultra saignant, d'une précision sans égale. La basse vrombit comme un bombardier, et Cronos hurle comme un damné.
La reprise du riff juste derrière le court et incisif chorus de Mantas est à elle seule un pur enchantement, une injection d'adrénaline pure. C'est un concentré de ce que le Heavy-Metal a de mieux à proposer en 1984, et Venom est indiscutablement toujours très bien placé dans la hiérarchie. Il n'est en fait pour ainsi dire toujours pas détrôné. Celtic Frost fera plus dark et plus doom, Slayer fera plus speed et plus clouté, Metallica saura davantage fédérer les publics métalliques, mais il est évident que Venom est le trio le plus méchant de toute l'histoire du Rock, et le restera jusqu'à sa dissolution trois années à peine plus tard. « Aaarrrghh » est une pochade finale sans grand intérêt, si ce n'est celui de montrer combien Venom avait de l'humour.

Il est en tout cas évident que même sur une distance de presque vingt minutes, Venom est un formidable concentré d'énergie pure, une drogue dure, une musique sans aucune concession qui n'a que de la puissance et de la furie à proposer. Les simples et maxi qui accompagnent dorénavant cet album séminal sont là pour le prouver : « Lady Lust », «In The Dead Of The Night » ou « Woman » sont des cartouches de chevrotine. L'anecdote à retenir fut le titre « Warhead », qui deviendra un petit hit en atteignant la 64ème place des charts anglais grâce à l'équivalent du Télématin britannique. Afin de réveiller son public, le présentateur passa ce qu'il considérait comme la pire chanson du moment, et pour qu'il arrête de la passer, les téléspectateurs devaient appeler. Cela fit un joli coup de pub, et ouvrit indirectement Venom à un auditoire plus large. Rassurons-nous, le trio infernal retourna à son cercle d'initiés punk-metal, et offrit un dernier fabuleux obus musical tristement mésestimé : « Possessed ».
D'ici là, Venom se lance dans première vraie tournée mondiale, The 7 Dates Of Hell Tour, partageant l'affiche avec les groupes du Thrash montant qui leur doivent tant : Exodus, Metallica ou Slayer. Au milieu d'une débauche d'effet pyrotechniques, Venom démontre sa puissance et sa capacité à tenir une scène.

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samedi 21 mars 2015

HUGHES/THRALL

"Glenn Hughes est à Los Angeles pour se refaire une santé après des années difficiles."

HUGHES/THRALL : « Hughes - Thrall » 1982

Lorsque Deep Purple s'éteint en 1976, Glenn Hughes, bassiste-chanteur est une épave. Embauché fin 1973 aux côtés de David Coverdale pour remplacer Ian Gillan et Roger Glover, ils vont directement créer le Mark III, incarnation de Deep Purple dont le succès commercial aux USA sera le plus conséquent. Et ce dés le premier album, le fantastique « Burn ».
Ses huit millions d'exemplaires vendus rien qu'en terre américaine va les emmener dans des tournées mondiales à la hauteur du grand cirque Rock'N'Roll de l'époque : Boeing 747 privé au nom du groupe, groupies à gogo, stades en tête d’affiche complets alcool et beaucoup de cocaïne. Fort de ce succès phénoménal, Deep Purple va enchaîner avec un second album en 1974, « Stormbringer ». Ses ventes seront moindres, mais conséquentes.
Surtout, il voit le duo Coverdale-Hughes prendre de l'assurance, jusqu'à refuser des compositions du leader musical incontesté de Deep Purple : Ritchie Blackmore. Ce dernier n'est pas au mieux non plus : le succès, l'argent, la reconnaissance et une consommation galopante de bière allemande et de downers ont aggravé ses névroses. Il devient totalement caractériel et excentrique, cassant de plus en plus régulièrement son matériel sur scène jusqu'à faire exploser les enceintes à la California Jam, et littéralement les oreilles des premiers rangs en passant.
Toujours est-il que l'assurance des deux nouveaux musiciens ne lui plaît guère, et le conflit devient ouvert. Au point qu'il annonce son départ à la fin de la nouvelle tournée mondiale début 1975 pour créer son groupe à lui. Il entend ainsi condamner Deep Purple à mort de fait, considérant que sans lui, le quintet ne survivra pas. Il le fera pourtant avec une nouvelle recrue : Tommy Bolin. C'est un guitariste américain talentueux mais peu connu, ayant joué avec James Gang et Billy Cobham.
Il est bien copain avec Hughes. Et pour cause, il s'agit d'une recrue toxique. En effet si tout le monde touche à la cocaïne, Hughes plonge littéralement dedans, et Bolin tâte de l'héroïne. Ce sera la spirale infernale : le nouvel album, « Come Taste The Band », est très bon, mais le guitariste a du mal à faire oublier le grandiloquent prodige qu'est Blackmore. De plus, empoisonné par la dope, il se met à rejouer à sa sauce les soli de son prédécesseur sur des morceaux que les fans considèrent comme intouchables : « Smoke On The Water », « Highway Star », « Burn ».... Et sa santé décline rapidement, au point que plus en plus fréquemment, la qualité des concerts en pâtit sérieusement. Pas moins d'un gig sur deux est foiré, Bolin étant incapable d'aligner deux notes.
Excédé, Coverdale quitte Deep Purple à la fin du dernier morceau à Liverpool en mars 1976. Lord et Paice décident officiellement d'arrêter les frais en juillet 1976, et Deep Purple s'éteint alors que le Rainbow de Blackmore prend son envol avec sa formation mythique réunissant notamment Ronnie James Dio au chant et Cozy Powell à la batterie. Bolin meurt d'une overdose en décembre de la même année. Il ne rentrera même pas dans le cercle des génies du Rock morts à 27 ans, il en avait à peine 26....
Glenn Hughes reformera brièvement son trio d'origine, Trapeze, avec Mel Galley et Dave Holland. Une tournée US est montée, et un album sur le point d'être enregistré, fin 1976. La mort de Bolin change les plans, et Hughes perd totalement pied, ravagé par la mort de son ami. Il enregistre un mésestimé disque de Funk, « Play Me Out » avec néanmoins la participation de Galley et Holland, pas rancuniers.
L’album est un énorme succès commercial au Japon,en Grande-Bretagne et en Allemagne, mais il a le malheur d'avoir un défaut : être aussi désincarné que son auteur. Hughes devient un fantôme, et plonge irrémédiablement dans une existence de junkie accro à la cocaïne comme le sera Miles Davis entre 1975 et 1980. Il vivote alors en réalisant quelques éparses sessions. On le retrouve ainsi sur le projet disco « Four On The Floor » de Al Kooper, et sur l’album du G-Force de Gary Moore.
Pat Thrall est un jeune guitariste ayant rejoint le Band du canadien Pat Travers aux côtés de Tommy Aldridge à la batterie et Mars Cowling à la basse. Le quartet va se faire un nom en Amérique du Nord. Le garçon avait auparavant fait parler de lui dans des formations plus pointues, comme le Stomu Yamashta’s Go et Automatic Man, aux côtés de l’ancien batteur de Santana Michael Schrieve, ou Steve Winwood. Sa réputation est donc bien établie dans le circuit musical américain. Travers dissous son band en 1980, et Thrall se retrouve seul.
Glenn Hughes est à Los Angeles pour se refaire une santé après des années difficiles. Le garçon n'a rien perdu de son coffre et veut enregistrer de nouveau. En 1980, il doit monter un projet pour Atlantic avec le guitariste Ray Gomez et le batteur Narada Michael Walden, tous deux dans la sphère jazz-rock. A New York, Gomez double tout le monde et signe pour Columbia. Une année plus tard, Gomez rappelle Hughes pour enregistrer ensemble, mais l’histoire tombe encore à l’eau. La maison de disques Epic demande si Hughes n’aurait pas un guitariste en tête avec qui remonter le projet. La réponse est Pat Thrall. Le courant passe immédiatement entre les deux musiciens et ils écrivent rapidement des morceaux originaux. Ils enregistrent ce premier album co-produit par Andy Jones avec l'aide de trois batteurs : Gary Ferguson, Gary Mallaber du Steve Miller Band et Frankie Banali, futur Quiet Riot et WASP. Peter Schless tient les claviers. Le disque éponyme paraît en août 1982.
Contrairement à tous les anciens membres de Deep Purple ayant repris une carrière postérieure dans le monde du Hard-Rock, Glenn Hughes a opté pour une musique plus ouverte, moins directement liée à ce genre. La principale caractéristique est l'utilisation majeure de synthétiseurs, instrument nouveau, et de lignes mélodiques plus accessibles à l'oreille du grand public. « Hughes-Thrall » reste néanmoins un disque énergique, principalement occupé par la guitare, des riffs énergiques, et la voix puissante de Hughes. On peut parler de Hard-Rock grand public, voir de Hard-FM, mais curieusement, je n'arrive pas à mettre ce disque dans le même case que Foreigner et Journey. Sans doute parce que Hughes et Thrall ne sont pas tombés dans la ballade sirupeuse et tous les clichés commerciaux de ces formations, mais ont gardé un fond solide de Rock anglais.
C'est d'ailleurs ce pendant qui ouvre le disque, avec l'énergique « I Got Your Number ». Finement, Thrall tresse des arpèges mélodiques autour des accords de synthétiseur, mais c'est la guitare qui domine. Puis au premier couplet, notre homme écrase la distorsion. On retrouve un riff overboosté et serré, qui permet à Glenn Hughes de faire la démonstration de toute sa puissance vocale. Le refrain retrouve les arpèges mélodiques de départ et des choeurs très californiens, avant que Pat Thrall sorte de sa six-corde un subtil et concis solo. « I Got Your Number » est une vraie démonstration de force, et révèle que Hughes et Thrall ne se refuseront rien en terme de mélange des genres, entre électricité rageuse et prouesses mélodiques et harmoniques.
« The Look In Your Eyes » fut choisi comme premier extrait de l'album. Il est sans doute le morceau le plus accrocheur du disque, avec la présence plus prégnante du synthétiseur. Il débute en pièce épique, avec un clavier tourbillonnant sur des accords ouverts de guitare. Puis le couplet se poursuit sur un accord de synthé, puis sur un refrain ultra-mélodique, typique des morceaux de rock FM américains.... qui viendront par la suite. Car rappelons que nous sommes en 1982. Si les synthétiseurs on déjà fait leur apparition dans la musique, ils ne sont pas encore ce que l'on connaîtra par la suite dans les années 80. Leur utilisation reste modeste, le clavier d'accompagnement majoritaire restant le piano acoustique et l'orgue Hammond. Même si le Rock se commercialise dans son approche, avec Kiss, Journey ou Foreigner, l'instrument dominant reste la guitare. Seule la structure musicale et la puissance des riffs détermine réellement le genre. Et le Hard-Rock reste un genre musical majeur à la fin des années 70 et au tout début des années 80 : Led Zeppelin, Ted Nugent, Aerosmith, Thin Lizzy, UFO, Whitesnake, Rainbow, puis la New Wave Of British Of Heavy-Metal fait encore dominer la guitare tranchante dans le monde musical de l'époque. Puis progressivement, le synthétiseur va servir à créer des tubes. Quelques groupes vont ouvrir la voie : Genesis, Phil Collins, Rod Stewart.... laissant croire par le succès commercial de leurs morceaux que l'avenir de la musique passe par une approche plus New Wave. Ce sera l'explosion du synthétiseur dans la variété internationale : Prince, Michael Jackson, David Bowie, Tina Turner.... Hughes et Thrall vont décomplexer définitivement le Hard-Rock envers le synthé, montrant que l'on peut être Rock et accrocheur en utilisant cette instrument, ainsi qu'avec une production résolument moderne, utilisant énormément l'écho et la compression du son. Sauf que si sur ce disque l'équilibre est bien trouvé, il n'en sera pas de même par la suite, donnant les naufrages discographiques à venir chez certains groupes.
Soyons clair, on ne peut pas écouter « Hughes-Thrall » sans sourire sur la production et le son des claviers typique des 80's. Mais les chansons sont tellement brillantes, et le fond Rock toujours bien présent, que l'on ne peut résister à son efficacité. Oui, sur « Beg, Borrow And Steal », il y a cet accord syncopé de synthé à un doigt, qui prêtera tant à sourire lorsque toute la production musicale s'y mettra, y compris en France avec Indochine. Mais il est contrebalancé par un puissant riff de guitare sur le refrain, et une mélodie agréable.
Sur « Where Did The Time Go », les claviers explorent des rivages asiatiques. Une idée de ligne musicale qui sera copiée à moult reprises dans des génériques de série TV et de musique de films quelques années plus tard. C'est un titre mélancolique, à la mélodie superbe. Sur un tempo moyen, Hughes chante finement sans pousser sa voix, laissant sonner son vibrato naturel, tout en sensibilité. « Muscle And Blood » revient de plein pied dans le Heavy-Metal. Un riff puissant, électrique, menaçant, sur un morceau viril. On ne peut s'empêcher d'imaginer ces clips surannés avec un type en marcel blanc et jean, marchant dans un club de billard glauque envahi de bikers, et qui se voit dévisager par une jolie fille assise au bar avec une mini-jupe panthère, un brushing « doigts dans la prise » et un maquillage outrancier de voiture volée, lui lançant un regard d'une vulgarité rare, ne laissant pas de doute sur ses intentions. Plaisanterie mise à part, « Muscle And Blood » est un excellent morceau de hard-métal, sur lequel Hughes utilise sa voix de manière très fine : il ne pousse pas systématiquement dans les aigus, mais modulent énormément, comme un récit. La mélodie réside en fait dans son chant, Thrall faisant résonner l'orage derrière lui. La batterie de Frankie Banali appuie encore cette impression de puissance, comme un marteau sur une enclume.
« Hold Out Your Life » est un énergique funk-rock moderne. Le tempo est entraînant, rapide. Le synthétiseur du couplet soutient un arpège de guitare gorgé d'écho, avant d'accélérer sur le refrain avec un riff énergique. On y distingue l'influence de Mother's Finest, ce mélange de hard-rock et de funk, la distorsion appuyant le groove. Ce morceau est irrésistible, et le solo de Thrall somptueux, nerveux et expressif. « Who Will You Run To » suit le même style, entre funk et hard-rock. Sur l'emprunt funk, on sent l'influence de Rick James. On trouve sur ce morceau le petit riff de guitare claire syncopé accompagnant la basse et la batterie qui fera des ravages sur tous les morceaux rock simili-funk à venir. Mais le côté un peu amer de la mélodie rappelle aussi le David Bowie funk du milieu des années 70, celui de « Golden Years ».
« Coast To Coast » est un empreint de Hughes à son premier groupe : Trapeze. La version originale parut sur l'album « You Are The Music, We're Just The Band » en 1972, qui ne permit malheureusement pas au trio de percer au-delà du Texas et les états limitrophes où il était extrêmement populaire. Glenn Hughes redonne donc une seconde chance à ce titre, sa superbe mélodie collant à merveille au Rock luxuriant et californien de cet album.
« Hughes-Thrall » se clôt pourtant sur un crépuscule. « Fisrt Step Of Love » est un morceau à la mélodie rampante, au ton frisant la folie contenue, avant qu'elle n'explose sur le refrain, où Hughes utilise toute sa puissance vocale. On balance entre frustration, colère et désenchantement, les climats s'alternant dans cet ordre à chaque couplet. La guitare y est rageuse, le synthétiseur en nappes d'accompagnement. Le solo de Thrall a une couleur bluesy héroïque. Et c'est dans un dernier maelstrom d'électricité que se clôt ce disque.
Il ne se vendra malheureusement pas, malgré des critiques élogieuses, n'accrochant ni le public hard-métal, ni le grand public, qui le trouve trop rock. Hughes et Thrall partent sur la route pour une série de concert en première partie de Santana avec Tommy Aldridge à la batterie et Jesse Harms aux claviers à la fin de l'année. Début 1983, le cap est fixé avec un nouvel album, la rumeur parlant même que le premier devait en fait être double. Une tournée semble planifiée, avec des dates au Japon et les festival en été. Mais l'échec du disque, et la consommation ahurissante de cocaïne de Hughes comme de Thrall envenime les choses, et le duo se sépare. Il se retrouvera en 1985 pour composer un morceau qui devait servir de titre principal à la bande original du film « Ghostbuster », mais il ne sera pas retenu. Les deux musiciens tenteront de retravailler ensemble, mais leur rythme respectif semblant fondamentalement différent, ils n'arriveront pas à finaliser le second album, débuté en 1997, et jamais terminé.
Hughes entamera un long purgatoire de dix années pour se remettre de ses addictions d'alcool et de cocaïne. Il ne publiera de nouvel album qu'en 1994. Quant à Thrall, il retournera dans l'ombre des autres, accompagnant Asia, Elton John, Tina Turner ou Beyoncé. Il reste ce disque novateur, flashy, dont les idées avant-gardistes seront allégrement pompés par de très nombreux groupes. Mais jamais personne ne retrouvera ce subtil équilibre entre hard-rock, mélodie accrocheuse, new-wave et post-punk. Hughes et Thrall avaient fait sauter des verrous, mais beaucoup ne comprirent jamais la subtilité de cet album. A commencer par le public.
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lundi 16 mars 2015

WITCHFINDER GENERAL 1983

 "Cette précision faite, « Friends Of Hell » est un excellent album."

WITCHFINDER GENERAL : « Friends Of Hell » 1983

On a souvent une vision fausse de la vie des musiciens. On connaît les anecdotes les plus drôles, les plus pathétiques, ou les plus pornographiques de nombre de grands groupes célèbres : les Rolling Stones, Beatles, Led Zeppelin et autre Motley Crue. Tout cela a été raconté en long, en large et en travers, pour le plus grand plaisir de notre côté voyeur.
Mais pour une poignée d'entre eux qui connaîtra la grande vie délirante des stars, combien ont fini dans l'oubli, retrouvant une vie calme et tranquille, loin de leurs années de jeunesse, voire de leurs espérances ?
Phil Cope poussa sans doute longtemps son caddie dans les allées du grand magasin à côté de chez lui en compagnie de sa femme avant de découvrir par internet que lui et son groupe sont des légendes. Sensation étrange d'ailleurs pour cet homme, qui doit encore avoir grand peine à réaliser l'impact des deux albums de Witchfinder General sur une majeure partie du Heavy-Metal au sens large du terme. C'est incontestablement une immense fierté pour lui, et je suis l'un des premiers à penser que ce n'est que justice.
Des groupes fondateurs du genre dit Doom Metal hérité de l'oeuvre du grand Black Sabbath, il y en a quelques-uns, et des très bons, Pentagram et The Obsessed en premier lieu. Mais si Black Sabbath fut une immense influence sur le Heavy-Metal, peu de groupes revendiquèrent directement la filiation. Lorsque la New Wave Of British Heavy-Metal débarqua vers 1979, le son de la guitare de Tony Iommi était bien présent, mais il s'était dilué dans les influences progressives et punk. Et on préférait parler de Led Zeppelin, Jimi Hendrix et Deep Purple, ça faisait plus virtuose, même si le son de la guitare, lui, était bien celui du grand Tony.
Witchfinder General osa le pari fou de reprendre la musique du Sabbat Noir et d'en créer une sorte de suite logique, une forme revisitée. Du Black Sabbath, mais totalement personnel, une influence majeure, mais jamais une copie.
Le problème c'est que le Heavy-Metal était en quête de vitesse. Aussi la musique lourde et obsédante du quartet de Birmingham n'était plus trop dans l'air du temps en 1979. D'ailleurs, Ozzy se fit virer après deux albums progressifs qui se vendirent plutôt mal. Le Madman forma de son côté un quatuor au son ultra moderne avec Rhandy Rhoads à la guitare, et Iommi poursuivit Black Sabbath en incorporant Ronnie James Dio au chant pour deux albums aux morceaux souvent bien plus dynamiques qu'au début des années 70.
Witchfinder General, en jeune groupe plein d'énergie, décida d'en donner sa vision. Il en conserva le côté sombre et morbide, les ambiances hantées, et les murs de riffs de Gibson SG accordée très bas, la voix proche de celle d'Ozzy Osbourne. Et les rythmiques ultra-plombées. Ce qui n'était donc et d'entrée de jeu pas vraiment dans le ton de l'époque. Le quatuor attaque son histoire sur des bases particulièrement difficiles.
Après un premier simple du nom de « Burning A Sinner » en 1981 et le fantastique album « Death Penalty » de 1982 avec sa superbe pochette gore starring Joanne Latham, playmate du Sun, il est temps pour Witchfinder General de s'imposer.
La formation rame copieusement, jouant de petits concerts dans des clubs partout en Grande-Bretagne, des rades de motards, des pubs, devant des audiences souvent clairsemées. La pochette dénudée du premier album est une idée de Paul Birch, patron du label du groupe Heavy-Metal Records, qui signa le quatuor. Elle fera son petit effet dans les journaux de l'époque, symbole d'un Metal glauque, sataniste et sexiste, prompt à corrompre la jeunesse britannique qui par ailleurs se paluchait déjà sûrement sur les playmates du Sun.
Mais les ventes du disque restent confidentielles. Niveau visuel, aucun beau gosse à l'horizon qui pourrait rendre le groupe un brin sexy auprès du grand public. Tygers Of Pan-Tang a recruté Jon Deverill au chant et John Sykes à la guitare, Diamond Head a Sean Harris et Brian Tatler. L'image de Witchfinder General n'est pas particulièrement vendeuse : quatre gamins de la banlieue de Londres, en jeans et tee-shirts, dont un chanteur un peu épais, qui posent dans des cimetières. Mais la formation bénéficie néanmoins de quelques bonnes critiques, et d'un public fidèle. Pourtant, le groupe loupe la première partie de la tournée britannique de Saxon lors d'une audition à cet effet. Suite aux départs successifs du batteur Steve Kinsell et du bassiste Toss MacReady, le duo Phil Cope à la guitare et Zeeb Parkes au chant recrute rapidement Graham Ditchfield à la batterie et Rod Hawkes à la basse. Mais ce dernier n'a pas suffisamment de temps pour répéter, et Witchfinder General rate une opportunité importante de se faire connaître. Il n'y aura donc aucun concert pour promouvoir « Death Penalty ».
Le temps disponible leur permet d'enregistrer un second album, mis en boîte en mars 1983. L’ambiance des sessions se tend rapidement, le batteur se montrant de moins en moins assidu aux répétitions et aux séances d'enregistrement. Cope, très impliqué dans son groupe, ne peut tolérer ce comportement, et le climat en studio finira par en souffrir au point que le batteur sera viré à la fin des sessions et remplacé par Dermot Redmonds pour les concerts. Paul Birch invite à nouveau quelques copines du Sun pour une pochette de disque comico-sexy sponsorisé au verso par le garage Renault local, et voilà l'album paru juste avant les premières dates de la tournée.
Sauf que le groupe rame à nouveau. Cope, toujours aussi motivé, travaillera sur de nouvelles composition en vue d’un troisième disque, avec des ébauches de morceaux qu'il sait de très bonne facture. Mais les difficultés commencent à s'accumuler en cette fin 1983. Le groupe tente de quitter Heavy-Metal Records qui n'investit plus un rond pour Witchfinder General. A l'été 1984, Parkes vient annoncer à Cope qu'il quitte le groupe afin de se trouver un vrai boulot. Le blond guitariste tente quelques répétitions avec un autre chanteur, mais Witchfinder General se disloque après avoir cherché en vain une maison de disques. Il pensera un temps rejoindre une autre formation, mais dégoûté, il se retire de la musique et ne touchera plus une guitare pendant vingt-deux ans.
A l'écoute de ce second album, on est en droit de se demander si il ne s'agit pas d'un immense gâchis, tant Witchfinder General était un très bon groupe. Réellement. Leur musique était inspirée, bien écrite, bien jouée, pleine de passion et de feeling. On ressent toute la ferveur que porte ces quatre garçons pour le Heavy-Metal, qu'il ne s'agit pas d'un simple passe-temps, mais bien d'une envie profonde de créer de la musique. Sans doute le fait qu'ils se soient disloqués si prématurément après deux albums et une poignées de simples parfaits a ajouté au mythe. D'ailleurs Cope eut le malheur de reformer Witchfinder General en 2008 pour un album, « Resurrected », très moyen. On ne retrouve pas sa jeunesse.
Le seul petit bémol par rapport à « Death Penalty » est qu'ils n'aient pas retrouvé ce son profond de batterie et de basse qui donnait une impression de puissance et de malfaisance à toutes les compositions de ce premier disque au combien parfait. Cette précision faite, « Friends Of Hell » est un excellent album.
Les compositions se révèlent plus dynamiques que sur le premier opus : les tempos sont pour la plupart plus rapides, moins massifs, à l'exception de « Shadowed Image » et « Quietus Reprise ». On se rapproche davantage du Heavy-Metal dans la structure que du Doom. Les structures sont plus variées, moins pesantes. C'est ce qui fait que sans doute ce second album est un peu moins apprécié des amateurs. Cependant, les différences ne sont pas majeures non plus : la voix particulière de Zeeb Parkes est bien là, la guitare rugissante de Phil Cope aussi. Le chant se montre même plus maîtrisé, les tonalités vocales sont plus variées, et permettent de découvrir que Parkes était bien plus qu'un simple clone d'Osbourne. Il est en tout cas évident que Witchfinder General s'affirme davantage sur ce disque.
«Love On Smack » qui ouvre l'album louche par moments vers le Judas Priest de « Killing Machine ». C'est en tout cas une entrée en matière impressionnante, mordante. Le pont central et le solo ramènent néanmoins rapidement Witchfinder General sur ses terres Sabbathiennes. Il est suivi de la cavalcade métallique nommée « Last Chance ». Ce puissant brûlot est l'enchaînement parfait, et devait donner tout son potentiel sur scène. J'ai toujours adoré ce morceau. Il y a un côté désespéré et épique particulièrement prenant qui définira une autre facette du Doom Metal, qui ne rimera donc plus exclusivement avec lenteur mortifère.
Et puis survient la première curiosité du disque : « Music ». Ou quand Witchfinder General décide d'écrire un tube. Du moins, sans doute dans leur esprit : des paroles simples, un refrain que l'on qualifiera d'entraînant avec même quelques notes de piano en fond (si si!) derrière un épais tapis de Gibson SG (quand même), un pont à la « We Will Rock You » de Queen, un tempo que l'on qualifiera de dansant. Mais le groupe reste fidèle à lui-même, et ce morceau irrésistible est en fait une excellente chanson Rock à l'ambiance moins sombre qu'à l'accoutumée. « Friends Of Hell » ramène rapidement l'auditeur en territoire connu, avec un riff puissant. Mais la structure se veut plus aventureuse : les arpèges électriques introductifs, la montée en puissance du riff, puis la coda finale où Cope expose tout son talent de guitariste soliste dans une ambiance angoissante. On y distingue des réminiscences de « Am I Evil » de Diamond Head dans cette seconde partie, que ce soit dans les riffs, les chorus et même la voix de Parkes.
« Requiem For Youth » ramène Witchfinder General sur les terres Priestiennes du début de l'album, mais avec un riff lourd et un trémolo tout à fait digne de Tony Iommi. « Shadowed Image » revient aux ambiances possédés du premier album, premier tempo ralenti du disque. « I Lost You » est un bref morceau acoustique où Parkes tente de se montrer romantique, et avouons-le tout net, c'est un échec complet. Un peu comme quand Black Sabbath se lançait dans les morceaux acoustiques et délicats, genre « Changes ». On sent que ces garçons ont du talent et de la sensibilité, mais elle ne s'exprime pas de cette façon.
« Quietus Reprise » clôt l'album de bien belle façon, c'est-à-dire sur un tempo ultra-lourd, lente procession désespérée, du moins en introduction. Witchfinder General alterne tempo lent et riff granitique et accélération aux frontières du Thrash. Cope varie les atmosphères, explore les riffs, révélant combien son écriture s'est affinée, et que son groupe n'est semble-t-il qu'au début d'un processus musical que l'on souhaite long et fructif.
Ce ne sera malheureusement pas le cas, et cet album sera le testament précoce d'un très grand groupe, contribuant à définir le Doom Metal, et dont la destinée semble maudite, comme tous les maîtres pionniers du genre.
Tous retrouveront une vie normale dans la grise Angleterre, replongeant dans l'anonymat dont ils ne ressortiront que grâce à l’héritage d’une poignée de disques géniaux et à la foi de quelques amateurs acharnés.
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