lundi 15 juin 2015

TRUST 1981

"Trust développa donc l'un des plus fantastiques albums de Heavy-Metal en français de tous les temps."  
TRUST : « Marche Ou Crève » 1981
Trust est souvent considéré comme un souvenir ému d'adolescent français du début des années 80, mais rarement comme un vrai grand groupe de Rock. Il fut même bien plus que cela. En deux petites années, le quatuor publia deux albums uppercut, « L'Elite » et « Repression », et tourna comme un furieux à travers l'hexagone ainsi qu'en Allemagne et en Grande-Bretagne, en première partie des grands noms du Heavy-Metal : Scorpions, Iron Maiden ou AC/DC, mais aussi en tête d'affiche. Son ardeur à jouer partout où il le pouvait en fit une véritable bombe scénique, porté par un chanteur charismatique (Bernard Bernie Bonvoisin), une section rythmique puissante (Yves Brusco et Jeannot Hanela) et une fine-lame de la six-corde (Norbert Nono Krief). A vrai dire, s'ajoute des textes brutaux et sans concession, d'une rare lucidité sociale, et un hard-metal furieux, mêlant le meilleur du hard-rock des années 70, Led Zeppelin en tête, et une nouvelle scène musicale plus énergique, des Sex Pistols à AC/DC. Trust était en fait à la pointe totale, offrant en même temps que les grands noms du nouveau Heavy-Metal anglais le même son énergique.
Le groupe est à ce point bon qu'il vend presque un million d'exemplaires de ces deux premiers albums, et mène à la limite de l'insurrection cette jeunesse de banlieue dont ils sont issus et qu'ils incarnent par leur musique sur scène. Au point d'effrayer la gauche française, alors en pleine union de compromis afin de prendre le pouvoir. Et de voir Trust se faire interdire ses concerts autant dans des villes tenues par la gauche que par la droite, tous inquiets des éventuelles conséquences d'un gig du groupe dans leurs municipalités sur les gamins sous tension.
Car Bonvoisin ne fait aucun compromis. Tout le monde en prend pour son grade : syndicats, bureaucratie, police, dictateurs, religion. Il n'hésite pas à utiliser un texte de Jacques Mesrine (« Le Mitard ») afin de dénoncer les conditions de détention des quartiers de haute-sécurité dans le pays des Droits de l'Homme. Ce qui fut pris pour de la démagogie mal placée était en fait une vraie prise de conscience. Car Trust fit à ses débuts plusieurs dates dans les prisons, et eut l'occasion de prendre conscience de ce qu'était le milieu carcéral et sa réalité brutale sur les êtres humains. La presse, incapable de juguler un tel phénomène, si rapide, si puissant, ne sut faire autre chose que de jeter la suspicion sur la sincérité de Trust. C'était mal connaître ses musiciens, leurs origines, leurs vécus, et la véritable force que tout cela injecta en eux.
Cette énergie leur permit de voler la vedette à Gillan, le groupe de l'ancien chanteur de Deep Purple, au festival de Reading, ainsi qu'à Iron Maiden sur la moitié des dates allemandes qu'ils firent en commun. Ils réussirent même à briser le flegme et la morgue toute britannique dans plusieurs bastions ouvriers comme Sheffield ou Birmingham, forçant le respect de ce public réputé difficile. « Repression » parut en version anglaise, les textes furent traduits à l'aide de Jimmy Pursey, le chanteur du groupe Punk Sham 69. Et les ventes furent suffisamment significatives pour permettre à Trust de revenir en tête d'affiche après avoir été signé par le tourneur d'AC/DC.
Un second guitariste, Moho Chemlakh, a été ajouté sur la tournée « Répression dans l'Hexagone », et étoffe donc le son du groupe en permettant à Krief de développer davantage ses chorus.Autre changement majeur, Jean-Emile Hanela dit Jeannot, avait été viré de son poste de batteur. Son jeu brutal, carré, était l'un des éléments du son Punk de Trust. Il fut remplacé rapidement par Kevin Morris, avant qu'un certain Nicko MacBrain prenne les fûts. Il n'est en fait pas totalement un inconnu pour les hommes de Trust et en particulier pour Nono. Il était en effet le batteur du guitariste canadien Pat Travers, une de ses idoles musicales.
En juin 1981, juste avant le festival de Reading et quelques nouvelles dates anglaises et françaises, Trust s'accorde trois semaines sur la côte afin de composer un nouvel album. Mais épuisés, et désireux de profiter d'un peu de bon temps et de leur argent fièrement gagné, il ne sort de ses séances guère plus d'un titre. Le quintet se retrouve donc à partir du 15 juillet au Battery Studios de Copenhague et vont écrire et enregistrer leur troisième album en à peine un mois.
Michael Schenker est alors avec son premier album solo une influence majeure pour Nono, au même niveau que celle de Jimmy Page, Johnny Winter et Rick Derringer, ses héros initiaux. Cela veut dire que le hard-rock de Trust va s'affiner musicalement tout en gardant sa puissance.
Nicko MacBrain est un batteur fin, à la frappe puissante, tout en précision, roulements de toms et friselis de cymbales. Il va ajouter à la mutation musicale de Trust, qui va conserver sa violence initiale tout en ajoutant de l'audace à ses mélodies et ses improvisations. Trust n'est donc plus totalement en surenchère. La puissance brute provient toujours des textes sensibles et politisés de Bernie Bonvoisin, que Krief se charge de gonfler d'émotions. Ce mélange de force et mélodie, c'est bien l'alliage magique de UFO et de MSG. Krief va y puiser ces petits chorus donnant du lyrisme aux morceaux, enluminant les riffs.
Aux manettes, un certain Tony Platt donne le son anglo-saxon dont Trust a toujours rêvé secrètement. Et « Marche Ou Crève » est un disque idéal. Jamais Bonvoisin et Krief n'auront été à ce point en phase musicalement. Pourtant, les deux s'accordent pour dire que l'album fut bâclé, les esprits étant plus à la relaxe qu'à la composition. Pourtant, il s'agit leur album le plus brillant musicalement parlant, et les textes sont toujours aussi percutants, justement soutenues par une musique limpide qui porte chaque mot. L'écriture de Bonvoisin s'est affinée, tout y est judicieusement pesé pour plus d'impact. Les thèmes restent majoritairement politiques et sociaux, toutefois, il y est abordé des choses plus personnelles, à commencer par la mort de Bon Scott.
L'amitié entre Trust et le chanteur d'AC/DC n'était pas feinte, et ce depuis 1977. C'est Bon Scott qui leur offrit la chance de leur vie : la première partie du quintet australien le 24 octobre 1978 au Stadium de Paris. Par la suite, Scott entreprit lui-même de traduire les textes de Bonvoisin pour un premier disque en anglais, et ce afin de coller au plus près de la justesse du propos. Les deux hommes avaient en commun cette lucidité sur la dureté de la vie des prolétaires. Bonvoisin trouva en Scott un mentor, un homme simple et admirée, à la modestie profonde et au tourment intérieur dû à une existence déjà bien chargée en galères. Il puisa autant dans l'homme que dans sa musique de quoi décupler et exprimer la colère de jeune homme de banlieue sur scène. Krief en devint le magistral bras armé, celui qui sut avec sa musique faire corps avec les mots de Bernie.
Toujours bardé d'Yves Brusco à la basse, de la puissante guitare rythmique de Moho, et l'inventivité de MacBrain, Trust développa donc l'un des plus fantastiques albums de Heavy-Metal en français de tous les temps. Car oui, Trust n'est pas qu'un souvenir embué de cinquantenaire nostalgique, ni un vestige kitsch et parodique que l'on écoute en riant, mais bien un immense groupe de Rock.
Trust démarre fort avec « La Grande Illusion », attaque frontale sur les élections et leur valeur démocratique. On distingue en filigrane une charge sans concession sur l'arrivée au pouvoir de la gauche et du gouvernement socialiste en mai 1981. Le riff, et les interventions solistes de Krief y sont brillantes. Ils fixent toute l'ampleur musicale nouvelle de Trust. « Le Sauvage » évoque un thème plus personnel qu'est celui de la vie de la génération de son père, bêtes de somme d'un pays à reconstruire après la guerre, qui n'eut comme seul remerciement qu'une vie de labeur modeste et sans plaisir, et qui en se retournant, se sentir trahis par tout un système.
« Répression » est un puissant brûlot contre la violence des juntes armées sur les peuples opprimés. Son refrain scandant le mot « répression » fut emprunté par un célèbre trio comique des années 80 qui l'utilisèrent pour une parodie du Metal français, détruisant au reste ce qu'il restait d'affinité du public pour le genre musical, l'exécutant par le ridicule à la manière d'un Spinal Tap. Ce que l'on a oublié, c'est que « Répression » est un hymne, et que son refrain n'est pas une caricature, mais un slogan toujours d'une brûlante actualité, y compris dans nos belles démocraties actuelles. Il est d'ailleurs effarant de constater combien tous les textes de Bonvoisin sont toujours d'une intense justesse, plus de trente années après. Seuls les noms des dirigeants ont changé. « La Junte » est une nouvelle charge sur ces dictatures militaires qui régnaient en maître dans l'Est de l'Europe ou en Amérique du Sud. Un morceau noir, aux chorus acides et empoisonnés.
« Misère » est un constat rageur de l'état de la perfide Albion du début des années 80, et les dégâts de la politique libérale de l'époque sur les quartiers modestes des grandes villes industrielles. Le texte est aussi percutant que le riff y est brutal, luisant de l'acier croisé avec le fer anglais de Judas Priest et Iron Maiden. Le premier couplet rend d’ailleurs un hommage appuyé aux nouveaux héros du Heavy-Metal anglais qui portent sur scène la colère des rues.
« Les Brutes » est une autre attaque en règle contre tous les oligarques sanguinaires. Ce morceau est l'un des plus anciens de l'album, apparut au cours de la tournée « Répression dans l'Hexagone », et sur lequel Bonvoisin revêtait un uniforme de général soviétique. Le solo de Krief, tout en petites notes étouffées, en agonie, baissant et montant en intensité comme une plainte lointaine, est sans conteste parfaitement brillant, d'une émotion totale. On distingue dans son jeu l’influence de Pat Travers, avec ces méandres entre hard et mélodie.
Avec « Certitude... Solitude », Bernie évoque un thème plus personnel de la vie de musicien. Très mal compris, ce titre fut considéré comme mégalomane par une partie de la critique, considérant que le chanteur s'y épanchait comme une diva. Le texte est en fait bien plus fin qu'il n'en a l'air. D'abord parce qu'il aborde la solitude sur la route, lorsque le musicien, loin de chez lui se retrouve seul face à sa bière à 3h du matin, après chaque gig, malgré l'agitation frénétique autour de lui : roadies, musiciens, journalistes, fans..... Le chanteur ne pensait pas à tout cela lorsque démarra Trust, tous les musiciens étant préoccupés à réussir, et émerveillés par chaque nouvelle étape franchie. Et puis vient le succès, et la routine s'installe, ainsi que l'hypocrisie de l'entourage, lorsque l'argent rentre et que son nom est en haut de l'affiche. Les regards se biaisent, les nouveaux amis arrivent en pagaille, venus de nulle part, comme des insectes autour d'une lampe dans la nuit. Cette situation, Bernie l'avait abordé lors de ses longues discussions avec Bon Scott. Ce dernier souffrait de cette solitude terrible, lui qui avait tout laissé derrière lui pour se vouer corps et âme à son groupe : AC/DC. C'était un homme rieur, humble, bon compagnon, mais infiniment seul. A sa mort, Trust était en pleine ascension, et ne ressentait pas encore cette mélancolie. Mais en 1981, Bernie avait fini par comprendre ce que lui avait expliqué Bon Scott. C'est tout cela qu'il raconte avec ses mots, avec une rage teintée d'une certaine tristesse, ambivalence entre le succès savouré, et cette nouvelle difficulté à appréhender dans le parcours de musicien. C'est aussi ce thème qui sert à « Marche Ou Crève », ou plus précisément, la nécessité de tourner pour vivre et exister, ces gigs qui sont un plaisir mais qui usent les corps et entament la foi que l'on a en sa musique. Que la vie de star de Trust se mérite par un travail acharné.
En 1979 éclate la guerre civile au Salvador Honduras, où une junte militaire prend le pouvoir. Apparaissent des Escadrons de la Mort, qui vont se charger de supprimer les opposants politiques. C'est ce conflit qui sert de trame à la chanson « Les Templiers ». Morceau puissant, au refrain efficace, il trace un lien entre le Salvador, et la guerre civile en Irlande, tous ces conflits sanglants sur fond de religion comme caution morale aux pires exactions. C’est le titre le plus proche du Trust compact des deux premiers disques, avec son riff à l’arrière-goût Punk.
L'album se termine par un Hard-Blues des plus poignants : « Ton Dernier Acte ». Le 18 février 1980, Trust fête le disque d'or de son premier album à Londres. Bon Scott passe boire un verre en leur compagnie pour célébrer avec eux ce beau succès. Puis, il partit finir la soirée en compagnie d'un ami. Ce dernier, aussi ivre que Scott, ne put le sortir de la voiture et le laissa dormir sur la banquette arrière. Le chanteur d'AC/DC s'éteint le 19 février 1980 au petit matin, de coma éthylique et de froid.
Le choc fut immense pour les musiciens de Trust, et pour Bonvoisin en particulier. Un premier hommage fut une dédicace sur la pochette intérieure de l'album « Répression ». mais cela n'était pas suffisant pour traduire toute la peine ressentie, laissant le chanteur hagard pendant la semaine complète qui suivit ce jour funeste, incapable de faire quoi que ce soit. Aussi, ce dernier morceau lui est dédicacé, traçant toute la sincérité de l'amitié qui liait les deux hommes. Profond, intense, Bernie termine le morceau la gorge serrée, laissant l'auditeur chialer comme un gosse à ses côtés.
Sincère, intense, « Marche ou Crève » est aussi un album virtuose musicalement parlant, où les guitares de Moho et Nono sont au sommet de leur art, totalement complémentaires, se répondant de riffs et de chorus entremêlés. Nicko MacBrain est un batteur fabuleux, apportant un souffle incroyable à cette musique à la fois plus agressive et plus majestueuse que jamais. On comprend en tout cas pourquoi Trust brillait à ce point en première partie des plus grands du Heavy-Metal car il en est un. D'ailleurs, il est à remarquer des similitudes musicales entre ce disque, et le Iron Maiden de l'album « Piece Of Mind » en 1983, plus subtil, plus lyrique que ces trois prédécesseurs. Et sur lequel un nouveau batteur officie en lieu et place de Clive Burr : un certain Nicko MacBrain.
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