jeudi 30 juillet 2015

UFO 1970

"UFO joue crade, la tête dans les étoiles."

UFO : UFO 1 1970

UFO est pour toujours le groupe d'un rouquin aux yeux bleus campé sur son pied de micro, un bassiste grand et élastique la basse sur les genoux, un batteur frisé planqué derrière ses fûts, et puis un guitariste élancé et diaphane, courbé sur une guitare en forme de flèche, une Gibson Flying V. Il y avait aussi un cinquième type à la guitare rythmique et aux claviers, mais on l’oublie souvent. Ce qui fit la marque de fabrique absolue, c'était ce fameux guitariste, un certain Michael Schenker, jeune garçon de Hannovre d'à peine seize lorsqu'il intégra le groupe en 1973. Son lyrisme musical, que ce soit dans les compositions comme dans les soli, était unique, et en fut une influence majeure du Heavy-Metal mondial, copié mais jamais égalé. Il fut à tel point important dans l'histoire de UFO qu'il en éclipsa son successeur comme son prédécesseur. Car le groupe anglais avait déjà une histoire avant 1973, avant l'ange blond.
Formé en août 1969 par le bassiste Pete Way et le chanteur Phil Mogg, le groupe a pour but initial de jouer du Blues-Rock lourd et psychédélique. Rapidement, un troisième comparse se joint à la batterie : Andy Parker. Le groupe s'appelle Hocus Pocus, et les guitaristes se succèdent, mais ne restent pas. Mick Bolton sera le bon. Ils deviennent UFO, en hommage à la salle de concert mythique de Londres où se produit tout l'underground Heavy et psychédélique. Les quatre musiciens sont des speedfreaks, ils aiment la musique, l'acide, l'alcool et les filles. Ils n'ont pas beaucoup de technique, mais ils sont jeunes et ont de l'énergie à revendre. D'ailleurs ils se sont tous rencontrés à des concerts ou à des fêtes. Ils signent sur une filiale du label DECCA, Beacon Records en 1970, et publie UFO 1 dans la foulée. Le disque est plutôt fraîchement accueilli par la critique. Considéré comme un ersatz britannique de Grand Funk Railroad, réputé pour être bruyant mais pas bien fin, le quatuor essuie les plâtres malgré un disque vigoureux et roboratif. Mais comparé aux modèles du genre, Black Sabbath, Led Zeppelin et Deep Purple, ils sont carrément à la ramasse. Leur boogie hargneux ne trouve pas d'oreille attentive sur leur terre natale.

UFO pratique effectivement ce que l'on peut qualifier de Heavy-Rock psychédélique, ou spatial, c'est-à-dire inspiré des mélodies du psychédélisme de la fin des années 60, mêlées à un Blues-Rock simplifié et alourdi, jouées avec les amplificateurs poussés au rouge. On retrouvera ce type de musique aussi bien chez les Anglais avec Hawkwind, Pink Fairies, ou Status Quo, que chez les Allemands avec une partie non négligeable du Krautrock. Nos quatre gaillards sont des garnements turbulents, jouant pied au plancher un Rock acide, furieusement addictif. Il n'est même pas question d'essayer d'aller chercher Led Zeppelin sur leur terrain. Ils ne sont pas des virtuoses, et n'ont pas de projet musical réfléchi. Ils jouent ce qu'ils aiment avec une spontanéité et une ferveur qui les rend incroyablement attachants et sympathiques.
« Boogie For Georges » débute par un larsen sifflant à travers les enceintes. La guitare décoche un riff dégueulasse, dégoulinant de saturation et de wah-wah. UFO joue crade, la tête dans les étoiles. La basse de Pete Way a un rôle prédominant, comme une guitare rythmique derrière les envolées de Bolton. Cela est particulièrement flagrant le furibard « Thimothy » : Way tient le riff à la basse, la guitare se contentant de balancer de grands power-chords. Parker matraque une rythmique d'enfer, presque Punk. Bolton prend aussitôt la relève par un thème psychédélique sous influence Move. Le groupe joue sur l'énergie, l'influence des Who est majeure.
« C'Mon Everybody » va davantage chercher du côté d'un des premiers grands groupes du Heavy Music : Blue Cheer. Ces derniers avaient brillé grâce à une reprise du pionnier du Rock'N'Roll, Eddie Cochran : « Summertime Blues ». UFO se lance dans une autre reprise du même musicien, là aussi en jouant à fond la carte d'une interprétation sauvage, matraquant la rythmique, et usant d’une guitare débordante de distorsion. Cette version, excellente, est tout à fait dans l'esprit du Rock des années 50, sans concession, et ne sera battue que par la version ultime proposée par Humble Pie en 1972 sur Smokin. Une seconde reprise millésimée apparaît sur cet album : « Who Do You Love » de Bo Diddley. Il s'agit d'une version fleuve de plus de sept minutes faisant la part belle aux improvisations psychédéliques de Bolton sur une rythmique tribale de batterie et de basse. Les chorus sont sinueux et lysergiques, résultats d'improvisations répétées sur scène, parfaitement contenues sur cette version en studio.
Si ces deux emprunts montrent l'attachement clair de UFO au Rock originel des années 50, d'autres morceaux s'aventurent sur des espaces plus inspirés par la musique Pop anglaise. Ainsi, « Treacle People » et sa wah-wah gargouillante, poussée par une basse épaisse, s'inspire autant de Cream que des premiers albums de Pink Floyd. « Evil » s'inspire quant à lui des Pretty Things, formation Rythm'N'Blues anglaise oubliée des années 60 ayant plongé dans un Rock psychédélique tout à fait mésestimé.
Cet album fait apparaître clairement les influences qui serviront de matériaux à l'alliage magique du Hard-Rock mélodique à venir de UFO : du Rock sans compromis et des mélodies Pop anglaises. Si Michael Schenker réussira la fusion parfaite, Bolton possède un son plus cru, plus sale. On sent que tous les instruments sont bien équilibrés dans le mixage, la production renforçant le côté brut de décoffrage du disque. Tout ce qui fait le charme de cet album sont ces saveurs psychédéliques et Heavy-Blues qui rend la musique ancrée dans leur époque, mais sans concession. L'innocence des musiciens, leur envie de jouer, l'énergie transcendent les morceaux. Le successeur à ce premier essai, Flying - UFO 2, ira encore plus loin dans les improvisations électriques. UFO 1 ne connaîtra pas le succès escompté, et la Grande-Bretagne ne prêtera guère attention à la musique de UFO, bien trop occupée par le Hard-Rock, le Rock Progressif, et les débuts du Glam.
Par miracle, UFO devient populaire en Allemagne et au Japon. Chez les premiers, « Boogie For Georges », de UFO 1 se classe n°30 et « Prince Kajuku », de Flying – UFO 2, n°26. Chez les seconds, « C'Mon Everybody » du premier album est un hit énorme. UFO tournent donc dans de petits clubs dans l'indifférence générale en Grande-Bretagne, et descend de l'avion comme les Beatles au Pays du Soleil Levant. Les concerts font néanmoins partout l'unanimité par la formidable énergie dont ils font preuve. Véritables envolées d'électricité jaillissante, le quatuor fait toujours le plein des salles qu'il parcourt.

Afin d'offrir un témoignage de leur furie scénique, le groupe enregistrera un concert japonais, devant un public conquis et brûlant. Galvanisés par cet enjeu, Way et Parker donnent tout, soutenant un Bolton inspiré et un Mogg flegmatique. Malheureusement, l'album ne sera publié qu'au Japon, et découragé, Mick Bolton s'en ira. Il sera remplacé par Larry Wallis, futur Pink Fairies, et Bernie Marsden, futur Whitesnake, pour quelques mois à chaque fois. Le courant ne passe pas. Jusqu'à ce concert allemand où UFO est précédé par un jeune groupe du nom de Scorpions, dont les guitares sont tenues par deux frères : Rudolph et Michael. Le second émerveille tellement Way, Parker et Mogg, qu'ils font croire à Schenker que Marsden est retourné en Grande-Bretagne, les laissant en plan pour le prochain concert.
En réalité, le rondouillard guitariste vient de se faire débarquer quelques heures auparavant, ses trois ex-acolytes étant totalement persuadé que l'adolescent est l'homme qu'il leur faut. La suite va être l'ascension d'un immense groupe de Hard-Rock, transfiguré par Michael Schenker, contre toutes attentes, et conformément au sentiment du reste du groupe.
Néanmoins, ce premier album engendre une écoute délicieuse, gorgé d’un Rock revigorant qui fait mouche malgré les maladresses de l’innocence. Et il montre combien UFO était un groupe efficace dès premiers enregistrements, réussissant même à créer une passerelle improbable entre Rock anglais et Krautrock.
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samedi 18 juillet 2015

THE WHO 1979

"Le grand pinacle de ce double album est assurément les extraits des deux ultimes concerts avec Keith Moon."

THE WHO : The Kids Are Alright 1979

Pete Townshend était un conteur. Le leader des Who aimait raconter des histoires. Mais leurs particularités étaient qu'elles étaient toujours liées à sa vie personnelle, de manière plus ou moins directe. On ne le sut que plus tard, lorsqu'il le confia dans son autobiographie bien des années plus tard, mais l'opéra-rock psychédélique de 1969, Tommy, retraçait en filigrane les souffrances du jeune Pete, abusé sexuellement par une grand-mère vicelarde et pédophile. Cet enfant qui devient sourd, aveugle et muet après avoir vu sa mère commettre l'adultère, c'était bien lui. Tout comme le jeune Mod qui perd ses illusions d'adolescent, découvrant que le leader de son mouvement survit de petits jobs, comme tout le monde, et ne mènera pas sa bande à la révolution. C'est toujours Townshend, s'approchant de la trentaine, et voyant que les illusions de la jeunesse de la fin des années 60 se sont évaporés dans le pragmatisme, la dope et l'argent roi. C'est ce que raconte Quadrophenia en 1973.
Bien évidemment, ce rocker devenu milliardaire écrivant des concept-albums prêtait à sourire, alors que le Rock commençait à perdre de sa spontanéité, et que le Glam avait remis au goût du jour la chanson Pop de trois minutes. Ce que fit aussi le Punk en 1977, autre grande claque générationnelle qui traumatisa un Pete Townshend, qui avait pour le coup, passé la trentaine. Pourtant, le respect des punks pour les Who étaient immenses. Au point qu'un groupe comme The Jam, avec Paul Weller, reprirent tout simplement le concept des Who de 1965.
Pete Townshend était un punk, hyper-sensible, concerné par son époque et les problèmes des gamins à vivre dans la société britannique. Il se mua un peu malgré lui en porte-parole, et voulut longtemps apporter des solutions. Ainsi, en 1970 et 1971, il se lança dans un grand œuvre, mi-concert, mi-studio, où des réponses aux problèmes de la société devaient être apportées. Un triple album fut programmé, pas moins : Lifehouse. A l'écoute des bandes, l'ingénieur du son Glyn Johns sabra le projet, laconique : le tout est chiant, mais un excellent album simple peut en être accouché. Ce qu'il fit, au dépens de Townshend, et offrit le meilleur album du quatuor à ce jour : Who's Next.
On aimait alors à interroger le guitariste sur ses sentiments sur tel ou tel sujet politique, puis se gausser de son implication trop sérieuse, trop premier degré. Mais la vérité était que Townshend était un écorché vif, désireux de donner un sens à sa musique. Même les concerts avaient un sens : ils devaient permettre d'emmener le public à la révolte, et de le faire entendre par des prestations aussi extatiques que surpuissantes. Si les albums ont fait polémique, les gigs mettaient tout le monde d'accord. Et sur ce point-là, personne n'arrivait à la cheville du Who, du moins tant que leur batteur Keith Moon était en vie. Durant l'année 1977, après une tournée mondiale en forme de best-of qui occupa le groupe durant toute l'année 1976, Pete Townshend voulut se lancer dans un projet de film documentaire sur les Who. Il devait être une alternance d'interviews, de scènes comiques, et de larges extraits de concerts de toutes les époques. Le film avait un double but. D'abord mettre au repos le quatuor, et en particulier le guitariste, dont les oreilles explosèrent littéralement face au mur du son scénique. Le musicien ne se protégeait pas les oreilles, pour, selon lui, ressentir toutes les vibrations de la musique. Mais lorsque l'on sait que les Who devinrent les détenteurs du record du monde de volume sonore avec 120 décibels à plusieurs dizaines de mètres de la scène, on comprend mieux ce qu'endura l'audition du guitariste. Ensuite, il vit arriver la vague Punk, et se rendit compte qu'il était désormais un dinosaure du Rock, comme les Rolling Stones et Led Zeppelin. Sauf qu'il se refusa à se voir cantonner dans la catégorie de la superstar milliardaire tournant pour le fric. Il défendait une cause, qui était la même que celle des Punk, et le film devait rappeler combien les Who ne se prenait pas toujours au sérieux, mais aussi qu'ils étaient et restaient de dangereux terroristes anti-establishment.
Pour le tournage, Townshend, qui vient de racheter les Shepperton Studios, met à disposition tout son matériel et toutes ses archives. Mais rapidement, l'équipe se rend compte qu'il manque des enregistrements de qualité récents, capables de montrer combien les Who restent les meilleurs sur scène. Un concert privé est donc organisé, devant quelques centaines d'invités, le 15 décembre 1977 au Gaumont State Theater de Kilburn, dans la banlieue de Londres. Les bandes qui sont captés déçoivent. Elles sont jugés comme n'étant pas la hauteur, et ce en grande partie à cause du batteur Keith Moon, considéré comme pas suffisamment bon. Il faut préciser ce dernier ne joue jamais hors des Who, et n'a donc pas touché une baguette depuis plus d'un an, se laissant aller à ses nombreux vices, dont la drogue et l'alcool. Le batteur s'est donc fortement empâté, et peine à tenir le rythme infernal de ses trois camarades. Un nouvel enregistrement est donc programmé le 25 mai 1978 aux Shepperton Studios, après les sessions de l'album Who Are You et après d'intensives répétitions. La condition de cette prise de vue est que les quatre musiciens devront conservés les mêmes vêtement qu'à Kilburn, afin de permettre un raccord d'images entre le concert de décembre 1977 et celui de mai 1978. Tous s'exécutèrent, sauf Moon, bien évidemment. Ironie du sort, ce concert sera son dernier : il décèdera le 8 septembre 1978, à l'âge de 33 ans, le corps épuisé par ses excès et d'une surdose de médicaments pour combattre son alcoolisme. Le film, dénommé The Kids Are Alright, se transformera tristement en hommage à Keith Moon, et sonnera la fin d'un chapitre, là où il devait être la remise en lumière des Who sur la scène musical, et en particulier parmi les Punks.
Le résultat de deux années de travail est ce double album, aussi beau que bancal. Les prestations scéniques sont autant choisies pour leur qualité artistique que pour leur valeur historique, et pas forcément pour la qualité sonore irréprochable de la prise de son. On trouve ainsi deux extraits d'émission de télévision britannique de 1965, « I Can't Explain » et « Anyway, Anyhow, Anywhere ». 
La première montre le groupe couvert par des hurlements de jeunes filles hystériques, le second voit le son de la télévision implosé sous le volume de la prestation scénique. Un autre extrait télévisuel est « My Generation » capté en 1967 sur la chaîne ABC, aux Etats-Unis, où le quatuor se paye la tête du présentateur avant de fracasser leur matériel, puis de faire exploser avec un fumigène la grosse caisse. Pete Townshend y subira d'ailleurs les premiers dommages à son oreille droite ce jour-là, sa tête étant à proximité de la détonation. Il démontre bien tout l'humour des Who, leur impertinence, et la sauvagerie scénique qui fera leur réputation. Les destructions de matériel deviendront systématiques à partir de 1965, lorsque, sautant en l'air avec sa guitare, Townshend casse le manche de sa guitare dans un club trop bas de plafond. Les ventes de disques et les cachets de concerts ne couvriront les dépenses en matériel qu'à partir de 1969, grâce au succès de Tommy. Le chemin fut donc long, et cette année charnière est largement documenté par quatre extraits : une version de Young Man Blues au Coliseum de Londres en décembre, et trois morceaux de Tommy au festival de Woodstock en août.
L'histoire de leur participation mérite que l'on s'y arrête. Les Who finalisent une tournée américaine de plusieurs mois, et doivent repartir aussitôt à la fin de l'année pour la partie européenne. Entre les deux, une pause de quelques semaines est prévue, notamment pour permettre à Townshend de voir sa petite fille, née depuis déjà quelques mois, et qu'il n'a toujours pas vu. Les organisateurs du festival de Woodstock vont séquestrer les musiciens des Who pendant trois jours pour les faire craquer et les obliger à accepter de participer. Le jour du concert, les musiciens vont devoir patienter des heures derrière la scène, pour finalement passer à trois heure du matin, alors qu'ils étaient initialement prévus vers 21 heure. Tommy, il ne restera qu'un lointain espoir. Le groupe va délivrer un set furieux, les amplificateurs dans le rouge, loin des rêves de paix et de communion champêtre des hippies. « Sparks », « Pinball Wizard » et « See Me Feel Me » révèlent la vraie nature de ce cataclysme, déjà publié en partie sur les doubles albums compilation du festival parus en 1970. « See Me Feel Me » voit un Pete Townshend friser le déboîtement d'épaule à force de moulinets sur sa guitare, les Who accélère violemment le tempo, et le guitariste hurle aux larmes de le refrain obsédant.
Durant tout ce temps, ils vont être témoins de la décadence de la scène Rock hippie américaine : rails de cocaïne dans les limousines, acides dans toutes les boissons, alcool par hectolitres, et groupies dans tous les coins. Nerveux, écoeuré par ce qu'il vient de voir, Townshend s'apprête à monter sur scène, fou de rage mais au bord de l'épuisement. Afin de le réveiller, les roadies mettent du LSD dans son café ainsi qu'aux trois autres musiciens : Roger Daltrey au chant, John Entwistle à la basse, et l'inénarrable Keith Moon. De la gentille prestation pop de
On retrouve aussi une prestation d'avant l'explosion commercial du groupe, une version de « A Quick One While He's Away », proto-opéra rock annonçant Tommy, et capté en décembre 1968, le Rock'N'Roll Circus. cet enregistrement a aussi sa petite histoire. Soucieux de se rappeler au bon souvenir du public et de présenter leur nouvelle orientation musicale, les Rolling Stones, qui viennent de passer plus de temps au tribunal pour possession de stupéfiants qu'en studio, veulent enregistrer une émission pour Noël. Celle-ci doit alterner numéros de cirque et prestations de groupes, spécialement sélectionnés par les Stones eux-mêmes. Se succèdent un Jethro Tull débutant, avec un certain Tony Iommi à la guitare, Taj Mahal, ou encore John Lennon et Eric Clapton. Et puis il y a les Who. Eternels concurrents scéniques des Stones, ces derniers, bons princes, veulent les faire passer en premier avant de les écraser avec leur nouvelle formule musicale. Lorsque les Who se produisent, ils délivrent un set puissant, précis, d'une qualité musicale exceptionnelle. On voit Keith Moon réduire littéralement en sciure ses baguettes sur ses cymbales. Les Rolling Stones se présenteront aux petites heures du matin, bons mais penauds, trop en tout cas pour que Mick et Keith Richards acceptent que l'émission soit diffusée, ne se sentant tout simplement pas à la hauteur des Who. Cette prestation cachée, la voici donc, au nez et à la barbe des Rolling Stones, ceux-là même que les Punks détestent en les qualifiant de dinosaures. Leur interprétation est ici parfaite, énergique, et pleine de second degré. Les harmonies vocales sont proches de la perfection, poussant au paroxysme ce mini-opéra ouvrant la porte à Tommy.
Fin 1968, les Who sont en pleine mutation. Du groupe mod, puis pop psychédélique, ils décident d'évoluer vers un Rock dur et plus Blues. Ils sortent alors d'une période difficile, entre ruptures de contrats foireux, problème de management, et disques au succès commercial très relatif. Au point que les Who ne survivent que par la scène. C'est là qu'ils vont développer leur capacité à improviser. Townshend, qui était un guitariste à la technique plutôt limité, se sent à l'étroit face à l'explosion des guitar-heroes comme Hendrix, Beck et Clapton. C'est ce dernier, son grand ami, qui lui donne des cours de guitare, fructueux. Townshend développe une technique unique, faite de power-chords mêlés de chorus, un jeu vif, nerveux et d'une grande richesse. Cette évolution est primordiale et fait faire un pas de géant aux Who. Et ce soir de décembre de 1968, c'est ce que les Rolling Stones vont apprendre à leurs dépends. Ils refuseront par la suite tout projet de tournée commune, échaudés par cette amère expérience.
Tommy paru, les Who se lance dans une vaste tournée mondiale après l'immense succès critique et commercial du double-album. Mais désireux de ne pas se laisser enfermer dans le carcan étroit de groupe à concept-albums, et dont la création fut le fruit de près de deux années de travail, le quatuor enrichit son répertoire de reprises. Ils vont ainsi piocher dans le Rock'N'Roll et le Jazz : « Summertime Blues » d'Eddie Cochran, « Shakin' All Over » de Johnny Kidd And The Pirates, et « Young Man Blues » de Mose Allison. Ils leur permettent de mettre en exsergue toute leur capacité d'improvisation, tout comme une version fleuve de « My Generation » dans laquelle se mêle des thèmes musicaux de Tommy. La version brute de « Young Man Blues » offerte ici donne une idée des Who de 1969-1970, mais que le « Live At Leeds » retranscrira à la perfection. Pete Townshend fait ici preuve d'une inspiration totale, du niveau de ses contemporains de la six-cordes, transcendé par l'électricité. La vieille scie qu'est « My Generation » continuera, elle, à évoluer avec le temps, comme le prouve la version de Pontiac le 6 décembre 1975 se mêlant avec « Join Together » et « Roadrunner » de Bo Diddley.
Le grand pinacle de ce double album est assurément les extraits des deux ultimes concerts avec Keith Moon. Les Who sont galvanisés par l'enjeu, et donnent tout. « My Wife », rescapé du concert de 1977, est excellent. Townshend y est brillant, soutenu par un Entwistle et un Moon des grands jours. « Baba O'Riley »,capté en mai 1978, est empreinte d'émotion, et les Who arrivent parfaitement à retranscrire ce difficile morceau sur scène, soutenu discrètement par John Bundrick, ex-Free, aux claviers. Mais rien ne dépasse la version ultime de « Won't Get Fooled Again », capté lors de ce même concert.
Morceau final du dernier concert avec Keith Moon, cet hymne des Who est démoniaque de puissance, de vélocité, et de maîtrise. La vidéo est à l'avenant, montrant un Pete Townshend rebondissant de toutes parts, un Entwistle aussi immobile que ses doigts courent agilement sur ses quatre-cordes, un Daltrey faisant tourner son micro comme un lasso, et un Keith Moon matraquant ses fûts et ses cymbales. Il existe d'autres versions enregistrés en concert de ce fantastique morceau, déjà magique en studio. Mais le morceau fermant souvent le concert, les interprétations sont souvent un peu poussives. Il n'en est ici rien, de bout en bout, durant plus de neuf minutes de musique Rock ultime devant un public composé de nombreux musiciens Punk, dont les Damned, Johnny Rotten et les Clash. Cette coda se termine dans un barouf de larsens et de roulements de toms, dernier simulacre de sacrifices d'instruments.
L'album paraîtra avec un superbe livret de photos des musiciens sur et en dehors de scène, apportant encore à la dimension profondément humaine et sincère des Who. La promotion sera elle des plus douloureuses, hommage vibrant et difficile de Daltrey, Entwistle et Townshend, meurtris par la mort de Keith Moon, survenue en septembre 1978. Ils continueront, avec Kenney Jones des Faces à la batterie. Mais la magie musicale est rompue. Le ciment instrumental entre la basse et la guitare n'est plus, l'équilibre est brisé à jamais. Ce bel album, avec ses imperfections et ses prodiges, est un magnifique témoignage de ce que furent les Who, et de ce que devrait toujours être un vrai groupe de Rock : furieux.
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samedi 4 juillet 2015

BUDGIE 1980

"On sent que ce que joue Budgie est ancré dans leurs tripes, et que cette rage viscérale est celle de ces années de galère sans la moindre reconnaissance."

BUDGIE : Power Supply 1980

Le tournant des années 80 a été une période délicate pour de nombreux groupes à la carrière bien installée. Les excès de la vie sur la route ne sont pas pour aider à maintenir une créativité à toute épreuve après plusieurs albums, et autant de tours du monde. Qu'ils soient particulièrement populaires ou non, beaucoup de formations ont arrêté les frais à l'aube d'une décennie semble-t-il maudite.
Pour ce qui est des formations de Hard-Rock, l'arrivée dans les années 80 oblige un choix entre deux options : foncer tête baissée dans l'usage de synthétiseurs et les refrains mélodiques accrocheurs du hard-fm, ou alors tenter d'aller chercher les petits jeunes sur le terrain de la violence métallique, au risque de se ridiculiser dans un son bourrin mal dégrossi et maladroit. Certains franchiront le pas merveilleusement, comme Black Sabbath, d'autres pataugeront lamentablement, comme Uriah Heep .
Budgie, trio de gallois fondé à la fin des années 60, forge son acier depuis sept albums. Après quatre premiers essais remarqués par les amateurs comme une vraie alternative ultra-violente à Black Sabbath, Budgie semble toucher du doigt le succès avec les excellents In For The Kill en 1974 et Bandolier en 1975, qui se hissent respectivement à la 29ème et à la 36ème place des charts britanniques.
Mais le Pub-Rock puis le Punk naissant vont ratatiner ses fruits balbutiant pourtant cueillis après des années d'un travail acharné à tourner consciencieusement et enregistrer ce qui est déjà une œuvre musicale plus que digne d'intérêt. Déçu mais pas découragé, Budgie repart en studio, et après quelques balbutiements sur Bandolier, décide d'injecter une dose sérieuse de Soul-Music dans son Heavy-Metal. A l'heure où le Disco fait des ravages sur les ondes comme dans la Rock-Music, le trio se révèle totalement crédible, et publie un excellent album : If I Were Britannia, I'd Wave The Rules en 1976. Et alors qu'il semble blacklisté dans une bonne partie des salles anglaises, comme beaucoup de ses camarades heavy comme les Groundhogs ou Stray, il décide de tenter le tout pour le tout et de partir sur le Continent américain afin de ratisser l'Amérique du Nord, plus ouverte aux sonorités dures en cette fin de décennie soixante-dix.
Un second album heavy and soul, Impeckable, poursuit la logique du disque précédent, et le groupe, quatuor sur scène avec un second guitariste dans ses rangs, Myf Isaac, continue ses assauts sur les scènes américaines. Progressivement, il se forge un public, et remplit des théâtres de cinq mille personnes sur son seul nom. Mais les ventes de disques ne suivent pas. Fatigué par dix années sur la route, et désireux de se consacrer à sa famille, Tony Bourge, guitariste historique et forgeron du son Budgie, quitte le groupe. Péniblement remplacé au pied levé par le pourtant talentueux Rob Kendrick, ex-seconde lame du tout aussi talentueux Trapeze, le trio poursuit sa campagne américaine.
Après trois années d'intense labeur non-stop, Budgie revient en Grande-Bretagne épuisé, ruiné, et sans guitariste. Burke Shelley, bassiste-chanteur, est le seul survivant du band original. A ses côtés se tient, fidèle à son poste, le batteur Steve Williams, en charge des fûts depuis 1975. A leur retour en 1979, la Grande-Bretagne a bien changé. Le Punk s'est mué en New Wave aux sonorités synthétiques. Mais la colère de la jeunesse n'est elle pas retombée. Margaret Thatcher a commencé son œuvre, et ce sont des gamins toujours avides de décibels qui viennent se presser dans les salles de concert pour écouter des musiciens... à cheveux longs. Car le Heavy-Metal est de retour.
Une nouvelle vague de groupes, parmi lesquels Iron Maiden, Def Leppard, Saxon ou Tygers Of Pan-Tang, reprennent à leur compte le Heavy des années 70. A leurs côtés, et bénéficiant de ce vent nouveau, de valeureux guerriers profitent de l'occasion pour se faire entendre. Parmi eux, on distingue Judas Priest, Whitesnake, Motorhead, ou encore Thin Lizzy. Si cette nouvelle vague leur permet d'être dans la lumière, aucun d'entre eux ne sera de purs opportunistes, tentant de durcir leur musique et de revêtir un blouson de cuir pour vendre quelques disques de plus. Les faits sont là, leur opiniâtreté a payé, et enfin se distingue pour eux un succès et une reconnaissance bien méritée.
Pour ce qui est de Budgie, il en sera autrement. Eloignés de la Grande-Bretagne, ils ont coupé le contact pendant deux années cruciales. Mais acculés, de la colère et de l'amertume plein la gorge, Shelley et Williams ne pouvaient qu'exploser, eux qui avaient déjà fait résonner les murs de leur Hard féroce.
Après quelques auditions, un guitariste est trouvé : Il s'appelle Big John Thomas, et provient d'un groupe de Hard-Blues teinté de couleurs sudistes, le Georges Hatcher Band. A eux trois, ils signent, humiliation suprême, avec une filiale de leur ancienne maison de disques : MCA. En guise de hors d'oeuvre, ils dégainent un EP de quatre titres au titre aussi poétique qu'évocateur de l'état d'esprit : If Swallowed, Not Induced Vomiting. Sur ce rond de cire daté du mois de juillet 1980, on trouve quatre uppercuts musicaux d'un Heavy-Metal rugueux et sans concession. On y distingue les influences d'AC/DC et de Judas Priest, soit des riffs sans concession sur un tempo d'enfer. Le chant de Shelley s'est teinté d'un voile rauque, lui faisant perdre cette sonorité d'enfant malsain qui était la sienne aux débuts des années soixante-dix. La batterie de Williams est puissante et carrée, et les riffs de Thomas, saignant à souhait.
Mais au grand jamais on ne distingue de quelconque pastiche d'une valeur montante du Heavy. On sent que ce que joue Budgie est ancré dans leurs tripes, et que cette rage viscérale est celle de ces années de galère sans la moindre reconnaissance. Le trio a resserré les boulons, et a décidé de pratiquer un Hard puissant et sauvage, nettoyé de ses velléités progressives ou soul passées. Ce EP arrive en tout cas juste à temps pour permettre à Budgie de participer à l'édition 1980 du Festival de Reading, délivrant un set décapant. Cette édition historique verra la New Wave Of British Heavy-Metal prendre le contrôle avec Angel Witch, Iron Maiden, Praying Mantis ou Samson.
Budgie se lance également à l'assaut des salles anglaises, notamment en première partie du Blizzard Of Ozz d' Ozzy Osbourne, et se forge à la force du poignet un nouveau public. Ils sont aidés en cela par plusieurs des nouveaux chevaliers métalliques, dont beaucoup sont en fait des fans devenus musiciens, comme Steve Harris d'Iron Maiden.
Un nouvel album est enregistré, et son nom ne laisse aucun doute sur les aspirations du trio : Power Supply. Il paraît le 10 octobre 1980. Et il est parfaitement dans le lignée du EP qui servit de hors d'oeuvre. Dés « Forearm Smash », l'auditeur est pris à la gorge par un riff sale et méchant, à la tonalité très australienne. John Thomas le coiffe d'un superbe solo de slide parfaitement Blues et du plus bel effet. Cinq minutes et quarante secondes d'un trépignement frénétique, où la batterie puissante et précise de Steve Williams enfonce le clou.
Non content d'avoir confirmé leur penchant pour un Hard-Rock des plus agressifs, Budgie décide d'aller encore plus loin dés le second morceau. « Hellbender » est un intense brûlot de Heavy-Metal d'une méchanceté alors encore rarement atteinte. Dans la droite lignée de Judas Priest, avec une petite touche de folie meurtrière en plus, le trio opte pour la politique de la terre brûlée. Mid-tempo, s'emballant sous les coups d'accélérateur, « Hellbender » ronfle comme une grosse cylindrée. Ou plutôt comme un orage particulièrement menaçant. Le pourtant décapant British Steel de Judas Priest vient de se trouver un sérieux concurrent dans le registre de la brutalité. Le riff préfigure le Thrash à venir, y compris au niveau du solo, dont on sent poindre l'influence de Randy Rhoads. Budgie a en tout cas largement participer à accoucher ce qui sera le nouveau Metal des années 80, définitivement coupé de ses racines Blues.
Puisque du quintet clouté de Birmingham il fut question avec le morceau précédent, on en retrouve aussi un sérieux prétendant avec « Heavy Revolution ». Riff overdosé et tendu, tempo carré, massif, comme le pratique Dave Holland, et refrain hurlé montant dans les aigus, se dessinent toutes les caractéristiques du Heavy-Metal de Birmingham. Pourtant, le morceau carbure de tous ses cylindres, sans que l'on ait la sensation d'un mauvais pastiche avec une moue de dégoût. Bien au contraire, Budgie a parfaitement assimilé le nouveau son, et c'est ce dont il est question dans les paroles, cette révolution Heavy qui balance aux orties Punk et Disco, ces genres musicaux qui barrèrent la route au trio.
« Gunslinger » leur permet de retrouver une approche qui leur est plus personnelle : l'alternance de douceur et de violence. Mais une douceur toute relative, amère. La guitare électrique vient sonner la première semonce, avec un pont électrique épique avant l'emballement général dans un larsen fulgurant. Thomas se lance dans une cavalcade des plus lyriques, un solo magnifique, tenant autant de ZZ Top que d'AC/DC. Williams et Shelley maintiennent un feu nourri derrière la six-corde, avant que les trois musiciens stoppent brutalement la machine.
Il est alors temps de retourner le 33 tours vinyl. Après quatre morceaux aussi furieux, on aurait pu s'attendre à un répit. Mais il n'en est aucunement question. « Power Supply » est un nouveau missile envoyé à vive allure, tempo rapide, et riff martelé, aucun temps mort, et encore un chorus des plus savoureux de la part de John Thomas.
« Secret In My Head » permet aux trois musiciens de se lancer à nouveau dans un morceau plus ambitieux, sous forme d'alternance de tempos rapide et mid, et au riff aussi ambitieux que sauvage. On retrouve ce tempérament de sale gosse mélancolique qui faisait la saveur des premiers albums de Budgie. Mais avec une colère démultipliée. Le groupe a l'esprit vengeur, et ne se laisse pas longtemps abattre. Il reste menaçant et noir. Ce lyrisme dans l'émotion n'est pas sans rappeler une version métallique de Rory Gallagher. C'est aussi cette influence qui se dessine en filigrane derrière ce que l'on qualifiera de ballade de l'album : « Time To Remember ». Car si le trio ralentit un peu le rythme et les décibels sur les couplets, le refrain reste explosif. Le morceau semble hanté par « A Million Miles Away » du live Irish Tour 74, et transpire de toute l'amertume de la mélodie du bluesman irlandais. Budgie ne tombe pas dans l'ornière de la chanson sentimentale pour danser le slow. Il est un maître dans ces morceaux maniant avec subtilité l'électricité et les climats.
De Blues, il en est encore question en filigrane derrière le lourd « Crime Against The World ». Une fois encore, c'est AC/DC qui sert d'influence, et particulier les albums Highway To Hell et Back In Black. Au point que ce morceau aurait presque pu y figurer tant il est à la fois Hard-Blues et délectable. Néanmoins, le son de la guitare s'avère plus lourd et métallique, sale et teigneux, si cela était encore possible. Le refrain est particulièrement contagieux, et fait de ce dernier morceau un hymne de scène parfait.
Pétri de colère, et revigoré par la nouvelle scène Heavy-Metal anglaise, Budgie offre un album en tous points parfaits, qui a su tirer tout le venin de ses nouvelles influences pour l'injecter dans sa propre musique. Malheureusement, le disque ne se classe pas dans les charts anglais. Toujours ignoré de la critique, il est considéré comme un groupe has-been en quête de reconnaissance et tentant de se raccrocher au wagon de la New Wave Of British Heavy-Metal. Alors qu'il est un contemporain de Thin Lizzy et Judas Priest, il ne bénéficiera pas du même retentissement médiatique. Par la suite, le groupe va injecter davantage de mélodie dans son Heavy-Metal, ce qui, couplé à un écumage en règle des salles, lui ouvrira à nouveau les portes des classements britanniques, fort modestement. La salve de canons que fut Power Supply a néanmoins permis à Budgie de revenir au premier plan musical et de prouver qu'il était toujours l'un des gangs les plus dangereux du pays.
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