mardi 25 août 2015

ELDER 2015


"Mais la tâche la plus ardue restait : celle d'offrir un successeur au sublime « Dead Roots Stirring »."

ELDER : « Lore » 2015

L’air se fait lourd. Des formes mouvantes, des brumes d’écailles de couleur empruntent le vent à travers les montagnes. Prenant de la vitesse, elles frôlent les rochers, et suivent les contours des géants de granit. Puis brutalement, elles s'élèvent dans le ciel, s'engouffrant dans un vaste vortex qui éclatent dans le ciel, donnant à l'horizon une teinte bleue nuit d'où volent des poussières d'étoiles incandescentes. Le titan d'acier, le chevalier du paradis perdu est sur terre. Frappant le sol de son poing, il fait s'écarter les montagnes, et déclenche la foudre, réveillant les cavaliers de la Mort. Un arc électrique traverse l'écho, le son confine à la lumière.
Elder, trio de Boston composé de Nick DiSalvo à la guitare et au chant, Matt Couto à la batterie et Jack Donovan est revenu. Ils étaient partis en 2013 en laissant derrière un album live aussi authentique qu’édifiant de qualité. Donnant vie sur scène à six de leurs pièces de musique, ils libérèrent l'électricité et firent éclater leur talent, immense. Mais la tâche la plus ardue restait : celle d'offrir un successeur au sublime « Dead Roots Stirring », datant de 2011. Il semblait que cela ne soit guère possible, tant ce second album était brillant. Mais, à l'écoute de « Lore », il est désormais évident que Elder vient de franchir un nouveau sommet. Que se cache-t-il derrière celui-ci ? Seul ce groupe semble en connaître le secret, qu'il partage désormais avec les plus grands du monde du Rock, de Led Zeppelin à Black Sabbath.
« Lore » dispose de cinq morceaux d'une qualité rare, à la fois musique profondément originale et moderne, et en connexion totale avec les grands Anciens, les gardiens du Temple. On y distingue Led Zeppelin, Black Sabbath dans ses horizons de musique progressive noire, de « Sabbath Bloody Sabbath » à « Sabotage », Rush période « 2112 » et aussi le King Crimson métallique de « Red ». Mais ne cherchez pas ici de structures de morceaux alambiquées et auto-satisfaites, de successions de ruptures rythmiques et d'empilement de riffs, tout est question d'atmosphères et de nouveaux horizons. Chaque morceau est basé sur un thème central, que le groupe enrichit et module. Chaque rebondissement, chaque note est pensée pour envoyer l'auditeur dans une stratosphère d'excellence musicale et artistique. Riffs parfaits, arpèges lumineux, chorus confinant au génie, mélodies d'une puissance et d'une âpreté époustouflante, on se demande comment ces trois garçons, du haut de leurs jobs alimentaires, ont pu atteindre un tel brio. C'est beau à en crever. Ils ont vu quelque chose que personne d'autre n'a vu. Ils ont en tout cas touché du doigt ce qu'aucun groupe n'a plus été capable de faire depuis trente longues années : enregistrer un disque totalement intemporel, assis pour l'éternité et contemplant avec sérénité les siècles, comme ces Géants de fer et de pierre que sont les grands albums de Rock des années 70.
Il aura fallu quatre longues années, seulement ponctué d’un EP en 2013, « Spire Burns », pour que Elder façonne ce nouvel album. Les cinq morceaux poursuivent le travail ébauché avec « Dead Roots Stirring » et le EP, à savoir des pièces de musique entre dix et quinze minutes, où le dimension épique y est prégnante. Tout est méticuleusement répété, travaillé dans les moindres détails. Débutés sur des jams entre musiciens, les développements sont le fruit d'improvisations jouées en concert ou en répétition, pour obtenir un déroulement définitif, où aucun temps mort ne se fait jour. De ce travail, on ressent la cohésion magistrale et la parfaite interaction entre les trois musiciens.
Plus extraordinaire encore, Elder n’a pas cédé de la profusion d'instruments. Car il est récurrent dans l'évolution d'un groupe, afin de faire évoluer une musique basée sur la simplicité sonore, de rajouter des claviers, des cuivres, des violons, que sais-je encore. On aurait pu se dire qu'un trio aussi ambitieux aurait fini par voir rapidement le bout de sa formule guitare-basse-batterie pour ajouter des couleurs sonores. Or ce n'est pas le cas. Elder a développé sa musique toujours sur ses trois instruments rois, n'apportant qu'une touche de mellotron ou de guitare acoustique en surimpression, et ce avec la plus grande parcimonie. L'essentiel du travail musical se concentre sur la formule reine du groupe, et c'est bien l'écriture même des morceaux qui a gagné en ampleur et en force.
Dés la première note se dessine l'ambition artistique. Des petites notes galopantes débute « Compendium », qui ne sont pas sans rappeler King Crimson. Puis un gros riff retors vient percuter l'auditeur. On retrouve la tension inhérente à « Dead Roots Stirring », mais avec une audace plus grande. Le développement qui suit le second couplet est particulièrement épique. Là où le trio avait teinté sa musique métallique et stoner d'une emphase lyrique, il a décidé de laisser libre cours à son inspiration, et n'hésite pas à se lancer dans un univers plus progressif, tout en restant parfaitement ancré dans ses racines. L'utilisation des guitares à la tierce, en harmonie, comme Thin Lizzy, lui donne, entre autre, cette saveur si riche. Tout est d'une fluidité déconcertante. Les différents thèmes de chaque morceau s'enchaînent sans temps mort, ni baisse d'intensité.
Les arpèges désenchantés de « Legend », d'une beauté glaçante, succèdent à « Compendium ». Nick DiSalvo fait monter lentement le morceau en répétant jusqu'à l'entêtement ses notes, avant de les irradier d'électricité. Riff rageur, notes se saturant dans l'air lourd. On y ressent toute la mélancolie des musiciens, s'échappant de leurs quotidiens pour quelques heures de musique dans leur petit local de Boston. On retrouve dans ce morceau une autre influence des guitares harmoniques : Wishbone Ash. Renversant de beauté, « Legend » invoque avec une beauté renversante les grands paysages glacés et les mondes perdus. Tourbillon d'émotions pures, il est une véritable démonstration de ce que peut faire ressentir la musique au plus profond de soi. Il tient l'auditeur dans ses serres pour ne plus le lâcher durant plus de douze minutes de voyage.
Le morceau titre est assurément un paroxysme musical de cet album. La mélodie, les différents riffs successifs, les ressorts harmoniques confinent à une sorte d'absolue. Tout est écrit et maîtrisé avec une maestria incroyable. Là où le Rock mainstream de Coldplay tente de traduire ce lyrisme épique inspiré de U2, il n'en effleure que de loin la profondeur, comme son modèle. Elder en explore les tréfonds, plongent dans la mélancolie et le romantisme noir. « Lore » est une chevauchée à travers les paysages obscurs de l'âme. On y ressent tout le vague-à-l'âme du quotidien, cette âpreté de la vie. Pourtant, dans ses textes, le groupe n'évoque jamais la réalité. Fasciné par la science-fiction et l'heroic-fantasy, les lyriques ne semblent que des évocations de ces mondes imaginaires, si loin et si fantasmagoriques. Pourtant, on y distingue la recherche d'évasion de la réalité. On ressent ce besoin vital de quitter la médiocrité du train-train, et de rêver à un autre univers, magique et irréel. Mais dont les luttes et les images sont en fait des allégories de la vie. Si le Rock investit à plusieurs reprises l'univers du fantastique, que ce soit dans les pochettes comme dans les thèmes, on l'approche prêta parfois à sourire. Il n'est pas évident de reprendre à son compte les univers de grands écrivains sans tomber dans la caricature. Au risque de se montrer particulièrement maladroit. Elder évite cet écueil par la poésie de ses paroles et la majesté de sa musique.
« Deadweight » entretient ce rapport entre réalité et fiction. Les harmoniques tragiques s'inspirent plutôt du Judas Priest de la fin des années 70. La force de ce morceau est implacable, aplatissante de fureur. Nick DiSalvo n'a bien sûr pas le coffre d'un Rob Halford, mais sa voix a suffisamment d'aplomb et de justesse pour donner le change à la musique. Le Stoner et le Doom ont démontré qu'il n'était pas nécessaire d'être un hurleur surdoué pour être un bon chanteur de Rock. La singularité du timbre et le charisme permettaient de pallier à la faiblesse de la technique, s'inspirant de la logique Punk dont certains groupes ne sont pas si éloignés.
La dualité entre rudesse musicale inspirée de courants musicaux brutaux comme le Punk et le Thrash, et la finesse et l'exubérance du Rock Progressif fait toute la saveur du genre Stoner, pour ce qui est de ses interprètes les plus ambitieux. Elder en fait la démonstration avec le dernier chapitre de redoutable album : « Spirit At Aphelion ». L'introduction, vêtue de guitare acoustique et d'un piano électrique, monte en intensité avant l'explosion d'un riff torturé, et d'harmonies de guitares luisantes. Le mellotron fait son apparition sur le pont entre deux thèmes musicaux, donnant une saveur inspirée de King Crimson, encore, celui de « Red », toujours. Véritable décollage interstellaire, voyage intersidéral à travers la galaxie de la Rock Music la plus intense, « Spirit At Aphelion » n'oublie pas d'être percutant. Les riffs Heavy-Metal sont omniprésents, incandescents.
C'est sur cette ultime pièce de brio musical que s'achève « Lore ». Et Elder vient donc de franchir un cap déterminant dans son évolution musicale. J'aimerais dire qu'il s'agit de l'album de la consécration artistique, mais en même temps, je rêve que le trio fasse encore plus fort que ce troisième album, qui a déjà surpassé en beauté son génial prédécesseur. Car il semble que la stagnation ne soit pas du langage d'Elder. Le groupe a une nouvelle fois mis toute son âme sur disque, au prix d'un travail musical aussi riche qu'acharné. Assurément, ils font partie des grands de la musique Rock, mais bien peu le savent. Sûr que si nous étions davantage, le monde serait tout autre.
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dimanche 16 août 2015

FASTWAY EN CONCERT

"Cela ne suffira malheureusement pas, mais Fastway se battra jusqu'au bout."

FASTWAY : « Steal The Show » 2010

Ce disque est une merde. Ou considéré comme telle. Il existe des faux-pas discographiques pour nombre de musiciens : des contrats avec des producteurs foireux, des albums pour cachetonner afin de manger ou se payer de la dope. Beaucoup, et parmi les plus grands, se sont un jour plantés. Ils sont innombrables. Il suffit d'un nom, un lien lointain, un ancien musicien, même éphémère, dans un grand groupe. On peut en citer : une session merdique de hard-FM avec Paul DiAnno ou Dennis Stratton à la fin des années 80, des enregistrements d'Hendrix pré-1967, un live avec Jim Morrison bourré, les premiers 45 tours avec Ritchie Blackmore ou Jimmy Page en musiciens de sessions.... Et on affiche bien en gros : Iron Maiden, Deep Purple, Led Zeppelin, Jimi Hendrix.... mais sur des pochettes cheaps, avec couleurs criardes et maisons de disques inconnues au bataillon... ou trop connues pour leurs productions au rabais. Ces enregistrements sont alors reproduits à l'envie, régulièrement, sous différents labels, noms et pochettes, à des prix défiant toute concurrence, les auteurs ne touchant souvent jamais un rond sur tout cela depuis le départ. Ce sont parfois même des albums complets d'ex-légendes, dont les disques ont été jetés à la poubelle : Samson, Angelwitch, Venom..... beaucoup de noms plus ou moins fameux voient certains de leurs albums mineurs réapparaître sous cette forme, quelques labels impies se faisant un peu de cash sur le dos des fans jusqu'au-boutistes ou les naïfs désireux de découvrir un groupe à moindre frais. Et ne parlons pas de ces enregistrements en concert bootlegs réédités des millions de fois, sessions live pour des radios voire même des captations pirates au son épouvantable.
Fast Eddie Clarke a plutôt bien géré sa matière, puisque tout ce qui sort est plus ou moins sous son contrôle artistique. Après, niveau financier, ça, je ne sais pas..... Ceci est un coffret de quatre disques, s'il vous plaît, paru avec l'assentiment du maître lui-même. Les rares critiques que j'ai eu l'occasion de lire sont épouvantables : son médiocre, enregistrements sans intérêts..... quand quelqu'un se penche encore sur le cas de Fastway bien évidemment, ce qui est de plus en plus rare. C'est mon cas ces derniers temps. Car j'aime les losers. J'aime ce Rock pédestrien, complètement dépassé et prolétaire, joués par des mecs dont tout le monde se fout.
Et là, il y a matière. Fastway, donc, c'est le groupe de Fast Eddie Clarke, génial éclair guitaristique du Motorhead luisant des années 1976-1982. Il se trouva un rouquin irlandais inconnu du nom de Dave King au chant, et débusqua deux autres losers magnifiques du Heavy-Blues anglais des années 1969-1972 : Jerry Shirley d'Humble Pie à la batterie, et Charlie MacCracken de Taste à la basse. On aurait appeler cela un supergroupe dans les années 70, en 1983, tout cela n'a guère d'intérêt. Pourtant, le premier album homonyme se fit remarquer par sa très bonne tenue, malgré l'éloignement musical évident de Fastway vis-à-vis de Motorhead, ce même trio qui ouvrit la route pour tout le Thrash-Death-Black-Metal des trente années à venir. Le vieux fan de Cream de British Blues qu'était Fast Eddie Clarke avait remonté un groupe plus proche de ses aspirations musicales et de sa personnalité : simple, efficace, sans prétention. Rapidement comparé avec Led Zeppelin dont il avait bien des qualités, Fastway connaîtrait un début de succès foudroyant aux Etats-Unis avant de disparaître début 1985, le quatuor lessivé par deux années non stop passées sur la route à tourner avec AC/DC, Iron Maiden, Saxon, ou en tête d'affiche. Les ventes ne se confirmèrent hélas pas avec le pourtant excellent second disque, « All Fired Up », et carbonisés, les musiciens partirent les uns derrière les autres, laissant Clarke seul avec sa bouteille. Car le garçon, abîmé par une consommation d'alcool galopante démarrée au sein de Motorhead, commence à voir sa tombe lentement se creuser.
Les deux albums sont fabuleux, restaient à savoir si le groupe tenait la route sur scène. Il circulait bien un live officiel, mais il datait d'une tournée en 1986, du Fastway reformé avec Dave King, mais avec un nouveau line-up qui avait vu le groupe s'orienter vers un hard-rock FM fadasse. Et puis il y avait des bootlegs de la période 1983-1984, évidemment, le quatuor ayant tourné non stop pendant deux ans, et avec un hit sur MTV : « Say What You Will ». Il était donc obligatoire que des archives existent.
Ce que fit Fast Eddie Clarke en 2010, c'est d'officialiser quatre enregistrements bootlegs de cette époque avec ce coffret. La qualité sonore est donc une prise de son sur la table de mixage, et un léger nettoyage, mais il s'agit avant tout de documents bruts de décoffrage, avec les imperfections inhérentes à l'époque et à la prise de son disparate. Il ne faut pas s'attendre ici à une qualité sonore de tout premier ordre sur tout les concerts. Mais de toute façon, si vous avez cet objet dans les mains, autre chose de plus irrationnel vous interpelle.
J'ai une admiration et une sympathie immense pour Fast Eddie Clarke. Il est le fulgurant génie de la six-cordes qui enregistra parmi les plus géniaux albums de Heavy-Metal de l'histoire de la musique. Il est aussi le desperado mystérieux et discret mais charismatique du trio de Lemmy Kilmister, alter-ego aux yeux d'acier, ray-bans et clope au bec, qui expulsaient dans la stratosphère de sa Fender Stratocaster les hymnes de Motorhead. Le son de sa guitare, ses soli rapides, vifs, inspirés, au style d'inspiration autant tirée de Clapton que d'Hendrix, enflammaient les salles de Punks et de Metalheads qui suivaient ce qui était alors le groupe le plus dangereux du monde. D'ailleurs, personne n'a fait aussi concis, aussi inspiré,aussi unique que le Motorhead de ces années-là. Tous les autres groupes s'en inspireront, mais n'arriveront jamais à ce degré de danger incarné. Même souriants et rigolards, on savait que ces trois-là en avaient vu des galères, des petits boulots aux petits deals pour bouffer, en passant par les gigs merdiques dans des rades immondes. Il y a de la noirceur et de la lucidité sur les images du groupe de l'époque. Fast Eddie Clarke était charpentier sur des chantiers de réparations de bateaux lorsqu'il rencontra Phil Taylor, ouvrier au même endroit. Clarke avait joué avec Curtis Knight en 1973 et 1974, celui-là même qui embaucha Hendrix en 1966 pour quelques sessions depuis rééditées à l'envie sous forme de disques inédits de Jimi. Clarke n'a pas encore dévoilé sa personnalité, il ne le peut, Knight étant une sorte de potentat mettant ses musiciens à l'amende pour chaque fausse note, comme James Brown, alors que son groupe tourne dans les clubs pouilleux de Grande-Bretagne.
Eddie Clarke devient Fast Eddie parce que ses embardées de guitare aux relents hendrixiens inspire à Lemmy la vitesse. Mais en aucun cas, nous n'avons à faire à un musicien au style proche d'Eddie Van Halen : pas de tapping, de shredding, de technique frimeuse. Clarke est un musicien honnête, à l'intégrité sans faille, au service de la musique qu'il joue comme de ses idéaux musicaux : le Blues-Rock anglais de la fin des années 60. Son implication dans Motorhead l'oriente vers un son plus tranchant, aux riffs plus aigus, plus ouverts, à force de côtoyer la scène Punk. Il y injecte cette hargne du riff sec et concis à son Blues à lui. Un son unique que Lemmy sera totalement incapable de remplacer, et dont Motorhead ne se remettra musicalement jamais.
Clarke était aussi un compositeur, et signait de nombreux morceaux au sein du trio. Son apport fut immense. Il sut aussi mettre en place le son, en calant sa guitare sur la basse de Lemmy, plutôt que chacun joue son truc dans son coin, comme Cream. Ce qui aurait nuit à la cohésion musicale. Et Clarke était un homme au service de Motorhead. Le trio était le groupe de sa vie. Et la menace de son départ devait déclencher une prise de conscience chez ses amis Taylor et Kilminster sur leurs erreurs artistiques, mais de là à les lâcher vraiment..... Pourtant, vue leur arrogance durant la tournée américaine, il finit par craquer. Et comme il n'avait qu'une parole, il partit à la fin de la celle-ci, abandonnant son matériel.
Fastway devait lui permettre de rebondir. Il se lia d'abord d'amitié avec Pete Way, mais ce dernier ne pouvait se départir de son contrat avec Chrysalis, sa maison de disques, et préféra l'offre lucrative d'une tournée américaine avec Ozzy Osbourne. Fast Eddie Clarke monta donc son nouvel équipage avec King, Shirley, puis MacCracken. Motorhead allait laisser un impact durable dans la musique, mais qu'en était-il de Fastway ? Son premier album se classa 31ème dans les classements US et 43ème en Grande-Bretagne, ce qui était plutôt satisfaisant, et la critique fut plutôt accueillante, voyant en Fastway un remplaçant partiel au vide laissé par le grand Led Zeppelin en ces années 80 creuses. Certes, l'électricité et le Metal se portaient bien, grâce au Thrash US, à Venom, à Def Leppard ou Iron Maiden, et puis toute la scène allemande, Accept ou Destruction. Mais où était parti cet esprit Blues-Rock des années 70, celui qui faisait que l'on tripait sur les grands morceaux de Led Zeppelin, sur le Boogie de Status Quo, d'AC/DC et ZZ Top ? Il manquait un truc dans l'univers musical, que même le retour mièvre d'Aerosmith ne comblerait pas. Il manquait cette sincérité, ce talent dans l'interprétation, même pour les morceaux aux apparences les plus simples et évidentes. Fastway ne faisait pas dans le flashy, dans la surenchère visuelle ou musicale. Ils étaient des héritiers, jouaient ce qu'ils savaient faire de mieux. Et c'est ce qui tapa dans l'oreille des américains qui vibrèrent au son de Johnny Winter, Humple Pie, Cactus, Aerosmith ou le Zep. Clarke était un passeur, entre ce Rock des 70's, et le son moderne des années 80 qu'il avait contribué à créer avec Motorhead. Par la suite, la nouvelle génération finit de débluesifier le Rock pour le métalliser totalement, oubliant les racines du genre, et du coup, une partie de son identité.
Car les racines de toute cette musique est prolétaire. Elle est ce défouloir des kids, ce cri dans la nuit, ce qui lui permet d'évacuer la frustration et la violence de la société. Pas besoin de message social, de grand discours, juste du Rock, et du feeling. Fastway en proposant des kilomètres. Parcourant la route comme des damnés en compagnie de toute la scène Hard-Rock et Heavy-Metal, ou en tête d'affiche, le quatuor mis en boîte deux albums percutant et inoxydables dont il développa la puissance sur scène. Car Fastway était un quarteron de dangereux desperados au long cours, ne craignant ni la scène ni les publics hostiles ou glaciaux.
Ces quatre enregistrements plus ou moins parfaits démontrent une chose totalement évidente : ce groupe était un fantastique groupe de Hard-Rock, capable de prendre une scène sans défaillir, et de transcender un répertoire d'à peine deux albums en hymnes Rock. IL est important de préciser qu'aucun de ces gigs, du premier au Marquee à Londres de mai 1983 à celui de fin septembre 1984, ne présentent la moindre reprise des formations antérieures pourtant prestigieuses de chaque musicien : pas plus de trace d'Humble Pie, de Motorhead, de Taste, que du moindre classique de Blues ou de Rock. Tous les morceaux sont originaux, et issus du répertoire propre de Fastway. Cela permet de comprendre combien le quartet avait confiance en ses chansons, et combien il tenait à en faire la promotion sous son nom propre, et sans tenter une quelconque récupération. La musique de Fastway était de toute façon totalement en lien direct avec la musique des années 70 tout en lui donnant l'énergie de la modernité des années 80. On ne trouvera ici aucune speederie quelconque, ni le moindre riff Doom ou Thrash, mais bien du Hard-Rock à l'ancienne, du Blues, de la mélodie, de l'énergie, des tripes.
Jerry Shirley fait aussi parti de ses gaillards qui me fascine. Fidèle batteur d'Humble Pie derrière Steve Marriott, y compris durant la courte reformation de 1979 à 1982, il mit au service son jeu simple et efficace, carré et tout en roulements pour fournir au Blues du Pie toute sa puissance particulière. L'homme s'aventura peu hors du quatuor de Marriott, à part dans le groupe Natural Gas en 1976, avec un ancien Colosseum et un ancien Badfinger. Un disque discret, qui ne mit guère en valeur l'efficacité de notre homme. Reconverti en peintre de décoration, il fut débaucher par Clarke pour reprendre les baguettes dans son gang. Son jeu n'est plus tout à fait le même. On retrouve bien la frappe, les roulements de toms. Mais le jeu lourd, erratique, percuté, inhérent au Power Blues d'Humble Pie s'est mué en une dynamique incisive, toujours aussi percutante, mais plus puissante et en swing, rappelant fortement John Bonham de Led Zeppelin, dont il est clairement le plus beau successeur, en tout cas l'un de ceux qui compris toute l'âme que cela impliquait. Car Shirley n'est pas un imitateur, mais un instrumentiste intuitif, fort de ses influences et de son expérience, riche. Il en joua des concerts avec Humble Pie, des centaines, presque des milliers. Le Pie fut sur la route non stop de 1969 à 1975, puis de 1979 à 1981. Steve Marriott ne jurait que par la scène, et comme Led Zeppelin, il durent conquérir leur public, et spécialement l'Amérique, par des concerts explosifs. Au point que ce fut un disque en public, « Performance – Rockin' The Fillmore » en 1971, qui ouvrit les portes des USA à Humble Pie, et du succès commercial. Shirley fut de toutes les embuscades de Marriott, devenant le cœur qui bat de son Heavy Rythm'N'Blues.
Fastway était plutôt modeste et discret sur scène, pas le genre à faire des bonds partout ou poser pour la frime. La tâche du show fut laisser à Dave King qui harangue la foule sur les jams de « Feel Me Touch Me » ou « Telephone ». Shirley avait l'habitude de donner la pulsation sur ces raps improvisés. Marriott n'en était pas avare. MacCracken, lui, après des années de petits boulots dans des groupes comme Stud ou un Spencer Davis Group moribond en 1973, se retrouve à devoir jouer au ciment musical entre Shirley et Clarke. Bon, notre homme fut la rythmique de Taste, le premier trio de Rory Gallagher, qu'il fallait suivre aussi le bougre, comme sur ces folles envolées sur « Catfish » ou « Sugar Mama ». Il était là sur la scène du festival de l'Ile de Wight en 1970, lorsque Taste cambriola la scène en plein jour, et fut rappelé à quatre reprises. Taste se dissout pour de sombres histoires de royalties et de politique entre Irlande du Nord et Irlande du Sud (Gallagher était du Sud, les autres du Nord). Mais tous ces bougres savaient tenir une scène sans en faire des tonnes.
On sent que sur les premiers concerts, King assure le show modestement, sans trop en faire. Le trio de musiciens envoie les morceaux de manière concise, rapide, sans fioriture. Deux ans à peine plus tard, Fastway se permet quelques menues improvisations dans les morceaux ou sur les introductions qui ne sont pas sans rappeler le grand Led Zeppelin, dont ils sont pour le coup totalement possédés, l'héroïne et les délires mégalomaniaques en moins, ce qui perdit en fin de compte le groupe de Page, et qui rend certains concerts difficiles d'accès. Fastway est ce Led Zeppelin proche de l'os, sans autosatisfaction, dans une concision et un feeling total.
Il en est aussi une version un peu plus salace, plus garage aussi. Ces quatre-là sont des voyous, pas des esthètes. King se permet quelque dialogues avec le feeling bien salaces, comme sur le mid-tempo Blues « Telephone » où toutes les parties du corps féminins sont énumérés non sans une certaine provocation typiquement Rock'N'Roll. Ce côté teigneux est particulièrement prégnant sur le premier enregistrement au Marquee de Londres, expédié brutalement, sans concession, à coups de lattes dans la gueule. On sent Fastway prêt à en découdre, et l'envie de jouer déborde du quatuor en ce lieu qui a autant vu naître le Rock progressif que le Punk. Le son est compact, mordant. Charlie MacCracken n'est pas encore là. Un bassiste temporaire, Alfie Ageus tient la basse. On le sent un peu à l'écart du trio solide formé de Clarke-King-Shirley. On y découvre les premiers classiques de scène du premier album : « Easy Livin », « Say What You Will », ou « Feel Me Touch Me », déjà étiré de plusieurs minutes afin de jouer avec le public. Un rare morceau, face B du premier simple, « I Want My Dream » est interprété en live. Excellent titre, il offre une facette plus ambitieuse du Hard-Rock de Fastway, plus aventureuse, comme l'est « We Become One », plus lyrique. Le groupe n'est alors qu'un illustre inconnu, un ramassis de losers dont seul la présence de l'ex-guitariste de Motorhead, alors sur la pente descendante niveau popularité, attire un public d'amateurs. Fastway ne découvre qu'il est une star montante sur MTV qu'en débarquant aux USA. On bénéficie ici de l'enregistrement du concert à l'Agora Ballroom de Cleveland en octobre 1983. Cette dernière salle de concert est le théâtre de nombreux enregistrements en concert pour la radio locale, et ce depuis plus d'une décennie. Ces enregistrements sont d'ailleurs une source fantastique pour les amateurs de bootlegs de qualité, car on peut y découvrir Rush, UFO, Thin Lizzy, Budgie et bien d'autres dans des conditions sonores quasi-parfaites. Fastway bénéficie d'un traitement de faveur en jouant en tête d'affiche dans ce théâtre de 1500 places. L'enregistrement est de qualité moyenne, ce qui est plutôt dommage quand on pense que sans aucun doute, le master original existe quelque part, et que Fast Eddie Clarke aurait pu en offrir une version bien meilleure. Les instruments sont bien distincts, la voix nette, mais l'ensemble paraît un peu étouffé, ce qui bloque l'ardeur du Hard de Fastway. Ce très bon concert permet toutefois de découvrir combien il a évolué, resserrant encore la machine après plusieurs mois non stop sur la route aux USA, y compris au contact des meilleurs bands de la planète, ce qui l'oblige à se dépasser tous les soirs. Fastway est donc prêt à mordre, et cela s'entend. MacCracken est arrivé, et a su se fondre dans le gang, qui est désormais parfaitement soudé. Ce concert permet aussi de découvrir une première excellente version de « Telephone » de presque huit minutes.
En juillet 1984, c'est à Detroit, au club Harpo's, devant le public Rock américain par excellence que vient se frotter Fastway. De cette ville sont sortis les meilleurs artistes de Soul avec Motown, comme les plus dangereux gangs de Rock comme le MC5, les Stooges, les Amboy Dukes ou Frost. La prise de son est plutôt moyenne, étouffée, mais s'améliore au fur et à mesure de la bande, avec une nouvelle fois, une version juteuse de « Telephone ». « Steal The Show », « Misunderstood » et « All Fired Up » du nouvel album viennent carboniser les oreilles des spectateurs, permettant à Fastway d'ajouter de la matière à sa set-list. Il a gros à jouer, car le second disque n'a pas produit de hit comme le premier, et le groupe se doit de maintenir l'intérêt sur une scène Rock très versatile, notamment avec l'explosion du Glam-Metal de Motley Crue, Wasp, Bon Jovi ou Poison.
Cela ne suffira malheureusement pas, mais Fastway se battra jusqu'au bout, comme le prouve le fantastique dernier disque de ce coffret. Capté au club L'Amour de Brooklyn le 22 septembre 1984, la prise de son est impeccable, et le groupe impérial. Totalement maître de son sujet, galvanisé par deux années sur la route, sûr de sa force, il calcine sur place l'audience pourtant difficile de New York, plus Punk et arty. Fastway est ici la parfaite synthèse de Led Zeppelin et d'AC/DC : Blues, majestueux, totalement en place, et macho. Dés « Steal The Show », c'est à se demander ce qui a pu leur manquer pour ne pas être devenu l'immense band international qu'ils auraient dû être. Mais son mordant typiquement européen, et la gouaille irlandaise de Dave King, étaient un peu trop intenses pour le grand public américain qui voulait de la ballade sirupeuse. Fastway leur en proposera lorsqu'il se reformera en 1986 pour un troisième disque très Hard-FM, comme les suivants par ailleurs, mais Fast Eddie Clarke aura perdu son gang pour toujours d'une part, et sa personnalité musicale d'autre part. Fatigué par des années de route, rongé par l'alcool, Clarke se laisse dépasser de tous côtés, et ne trouvera de salut qu'en dissolvant définitivement son groupe en 1991. Il y aura bien quelques scories de génie par ci par là sur les disques à venir, mais Clarke n'est plus maître de sa musique, il se laisse guider, souvent mal. Il n'aura pas eu l'étoffe des guitaristes de prestige, sûrs de leur force, voire un brin mégalomane, qui savent ce qu'ils veulent, et n'hésitent pas à laisser les incompétents au bord de la route. Trop gentil, trop modeste, épuisé, Fast Eddie Clarke ne rebondira comme il aurait dû le faire, c'est-à-dire à la hauteur de son fantastique talent de compositeur et de guitariste.
Et ce dernier disque à Brooklyn laisse un goût un peu amer, tellement il est bon, tellement Fastway excelle, au-dessus de la quasi-totalité de la scène musicale de l'époque. C'est aussi finalement une chance de pouvoir enfin écouter ces bandes des années 1983-1984, alors que jusque-là, il fallut se contenter de deux (excellents) disques studio. Imparfait, trop modeste encore une fois, Fast Eddie Clarke a offert à ses fans ce coffret, pensant sans doute ne s'adresser qu'à quelques rares personnes dans le monde. Pourtant, il est une preuve éclatante de l'extraordinaire puissance de ce groupe, sa capacité à tenir une scène et à transcender ses propres chansons. Il n'était pas beaucoup, et même Motorhead avait la plus grande peine à revenir à ce niveau. Le Led Zeppelin des années 80 a enfin son coffret en concert concocté par son propre guitariste-leader, lui. Pas la bande à Page. Fastway a donc son testament live, un diamant brut, mais donc certains reflets sont à la hauteur de la magie du Rock avec une majuscule.
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