mardi 25 août 2015

ELDER 2015


"Mais la tâche la plus ardue restait : celle d'offrir un successeur au sublime « Dead Roots Stirring »."

ELDER : « Lore » 2015

L’air se fait lourd. Des formes mouvantes, des brumes d’écailles de couleur empruntent le vent à travers les montagnes. Prenant de la vitesse, elles frôlent les rochers, et suivent les contours des géants de granit. Puis brutalement, elles s'élèvent dans le ciel, s'engouffrant dans un vaste vortex qui éclatent dans le ciel, donnant à l'horizon une teinte bleue nuit d'où volent des poussières d'étoiles incandescentes. Le titan d'acier, le chevalier du paradis perdu est sur terre. Frappant le sol de son poing, il fait s'écarter les montagnes, et déclenche la foudre, réveillant les cavaliers de la Mort. Un arc électrique traverse l'écho, le son confine à la lumière.
Elder, trio de Boston composé de Nick DiSalvo à la guitare et au chant, Matt Couto à la batterie et Jack Donovan est revenu. Ils étaient partis en 2013 en laissant derrière un album live aussi authentique qu’édifiant de qualité. Donnant vie sur scène à six de leurs pièces de musique, ils libérèrent l'électricité et firent éclater leur talent, immense. Mais la tâche la plus ardue restait : celle d'offrir un successeur au sublime « Dead Roots Stirring », datant de 2011. Il semblait que cela ne soit guère possible, tant ce second album était brillant. Mais, à l'écoute de « Lore », il est désormais évident que Elder vient de franchir un nouveau sommet. Que se cache-t-il derrière celui-ci ? Seul ce groupe semble en connaître le secret, qu'il partage désormais avec les plus grands du monde du Rock, de Led Zeppelin à Black Sabbath.
« Lore » dispose de cinq morceaux d'une qualité rare, à la fois musique profondément originale et moderne, et en connexion totale avec les grands Anciens, les gardiens du Temple. On y distingue Led Zeppelin, Black Sabbath dans ses horizons de musique progressive noire, de « Sabbath Bloody Sabbath » à « Sabotage », Rush période « 2112 » et aussi le King Crimson métallique de « Red ». Mais ne cherchez pas ici de structures de morceaux alambiquées et auto-satisfaites, de successions de ruptures rythmiques et d'empilement de riffs, tout est question d'atmosphères et de nouveaux horizons. Chaque morceau est basé sur un thème central, que le groupe enrichit et module. Chaque rebondissement, chaque note est pensée pour envoyer l'auditeur dans une stratosphère d'excellence musicale et artistique. Riffs parfaits, arpèges lumineux, chorus confinant au génie, mélodies d'une puissance et d'une âpreté époustouflante, on se demande comment ces trois garçons, du haut de leurs jobs alimentaires, ont pu atteindre un tel brio. C'est beau à en crever. Ils ont vu quelque chose que personne d'autre n'a vu. Ils ont en tout cas touché du doigt ce qu'aucun groupe n'a plus été capable de faire depuis trente longues années : enregistrer un disque totalement intemporel, assis pour l'éternité et contemplant avec sérénité les siècles, comme ces Géants de fer et de pierre que sont les grands albums de Rock des années 70.
Il aura fallu quatre longues années, seulement ponctué d’un EP en 2013, « Spire Burns », pour que Elder façonne ce nouvel album. Les cinq morceaux poursuivent le travail ébauché avec « Dead Roots Stirring » et le EP, à savoir des pièces de musique entre dix et quinze minutes, où le dimension épique y est prégnante. Tout est méticuleusement répété, travaillé dans les moindres détails. Débutés sur des jams entre musiciens, les développements sont le fruit d'improvisations jouées en concert ou en répétition, pour obtenir un déroulement définitif, où aucun temps mort ne se fait jour. De ce travail, on ressent la cohésion magistrale et la parfaite interaction entre les trois musiciens.
Plus extraordinaire encore, Elder n’a pas cédé de la profusion d'instruments. Car il est récurrent dans l'évolution d'un groupe, afin de faire évoluer une musique basée sur la simplicité sonore, de rajouter des claviers, des cuivres, des violons, que sais-je encore. On aurait pu se dire qu'un trio aussi ambitieux aurait fini par voir rapidement le bout de sa formule guitare-basse-batterie pour ajouter des couleurs sonores. Or ce n'est pas le cas. Elder a développé sa musique toujours sur ses trois instruments rois, n'apportant qu'une touche de mellotron ou de guitare acoustique en surimpression, et ce avec la plus grande parcimonie. L'essentiel du travail musical se concentre sur la formule reine du groupe, et c'est bien l'écriture même des morceaux qui a gagné en ampleur et en force.
Dés la première note se dessine l'ambition artistique. Des petites notes galopantes débute « Compendium », qui ne sont pas sans rappeler King Crimson. Puis un gros riff retors vient percuter l'auditeur. On retrouve la tension inhérente à « Dead Roots Stirring », mais avec une audace plus grande. Le développement qui suit le second couplet est particulièrement épique. Là où le trio avait teinté sa musique métallique et stoner d'une emphase lyrique, il a décidé de laisser libre cours à son inspiration, et n'hésite pas à se lancer dans un univers plus progressif, tout en restant parfaitement ancré dans ses racines. L'utilisation des guitares à la tierce, en harmonie, comme Thin Lizzy, lui donne, entre autre, cette saveur si riche. Tout est d'une fluidité déconcertante. Les différents thèmes de chaque morceau s'enchaînent sans temps mort, ni baisse d'intensité.
Les arpèges désenchantés de « Legend », d'une beauté glaçante, succèdent à « Compendium ». Nick DiSalvo fait monter lentement le morceau en répétant jusqu'à l'entêtement ses notes, avant de les irradier d'électricité. Riff rageur, notes se saturant dans l'air lourd. On y ressent toute la mélancolie des musiciens, s'échappant de leurs quotidiens pour quelques heures de musique dans leur petit local de Boston. On retrouve dans ce morceau une autre influence des guitares harmoniques : Wishbone Ash. Renversant de beauté, « Legend » invoque avec une beauté renversante les grands paysages glacés et les mondes perdus. Tourbillon d'émotions pures, il est une véritable démonstration de ce que peut faire ressentir la musique au plus profond de soi. Il tient l'auditeur dans ses serres pour ne plus le lâcher durant plus de douze minutes de voyage.
Le morceau titre est assurément un paroxysme musical de cet album. La mélodie, les différents riffs successifs, les ressorts harmoniques confinent à une sorte d'absolue. Tout est écrit et maîtrisé avec une maestria incroyable. Là où le Rock mainstream de Coldplay tente de traduire ce lyrisme épique inspiré de U2, il n'en effleure que de loin la profondeur, comme son modèle. Elder en explore les tréfonds, plongent dans la mélancolie et le romantisme noir. « Lore » est une chevauchée à travers les paysages obscurs de l'âme. On y ressent tout le vague-à-l'âme du quotidien, cette âpreté de la vie. Pourtant, dans ses textes, le groupe n'évoque jamais la réalité. Fasciné par la science-fiction et l'heroic-fantasy, les lyriques ne semblent que des évocations de ces mondes imaginaires, si loin et si fantasmagoriques. Pourtant, on y distingue la recherche d'évasion de la réalité. On ressent ce besoin vital de quitter la médiocrité du train-train, et de rêver à un autre univers, magique et irréel. Mais dont les luttes et les images sont en fait des allégories de la vie. Si le Rock investit à plusieurs reprises l'univers du fantastique, que ce soit dans les pochettes comme dans les thèmes, on l'approche prêta parfois à sourire. Il n'est pas évident de reprendre à son compte les univers de grands écrivains sans tomber dans la caricature. Au risque de se montrer particulièrement maladroit. Elder évite cet écueil par la poésie de ses paroles et la majesté de sa musique.
« Deadweight » entretient ce rapport entre réalité et fiction. Les harmoniques tragiques s'inspirent plutôt du Judas Priest de la fin des années 70. La force de ce morceau est implacable, aplatissante de fureur. Nick DiSalvo n'a bien sûr pas le coffre d'un Rob Halford, mais sa voix a suffisamment d'aplomb et de justesse pour donner le change à la musique. Le Stoner et le Doom ont démontré qu'il n'était pas nécessaire d'être un hurleur surdoué pour être un bon chanteur de Rock. La singularité du timbre et le charisme permettaient de pallier à la faiblesse de la technique, s'inspirant de la logique Punk dont certains groupes ne sont pas si éloignés.
La dualité entre rudesse musicale inspirée de courants musicaux brutaux comme le Punk et le Thrash, et la finesse et l'exubérance du Rock Progressif fait toute la saveur du genre Stoner, pour ce qui est de ses interprètes les plus ambitieux. Elder en fait la démonstration avec le dernier chapitre de redoutable album : « Spirit At Aphelion ». L'introduction, vêtue de guitare acoustique et d'un piano électrique, monte en intensité avant l'explosion d'un riff torturé, et d'harmonies de guitares luisantes. Le mellotron fait son apparition sur le pont entre deux thèmes musicaux, donnant une saveur inspirée de King Crimson, encore, celui de « Red », toujours. Véritable décollage interstellaire, voyage intersidéral à travers la galaxie de la Rock Music la plus intense, « Spirit At Aphelion » n'oublie pas d'être percutant. Les riffs Heavy-Metal sont omniprésents, incandescents.
C'est sur cette ultime pièce de brio musical que s'achève « Lore ». Et Elder vient donc de franchir un cap déterminant dans son évolution musicale. J'aimerais dire qu'il s'agit de l'album de la consécration artistique, mais en même temps, je rêve que le trio fasse encore plus fort que ce troisième album, qui a déjà surpassé en beauté son génial prédécesseur. Car il semble que la stagnation ne soit pas du langage d'Elder. Le groupe a une nouvelle fois mis toute son âme sur disque, au prix d'un travail musical aussi riche qu'acharné. Assurément, ils font partie des grands de la musique Rock, mais bien peu le savent. Sûr que si nous étions davantage, le monde serait tout autre.
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