vendredi 25 septembre 2015

HIGH ON FIRE 2005

"Rarement je n'aurai autant joué un album avec le même plaisir inaltéré à chaque écoute."

HIGH ON FIRE : Blessed Black Wings 2005

C'était en 2005. Le Rock s'appelle Coldplay, U2, Kean, Radiohead et Libertines. Le Metal frémit à l'annonce d'un nouvel album de Metallica, Iron Maiden ronronne, et AC/DC n'a plus donné signe de vie depuis cinq années. Dérivés de Thrash allemand, Pop-Rock électro.... Le panorama est plutôt triste. Les ondes sont irradiées de Pop urbaine, de Rap et de chanteurs Are'Aine'Bi interchangeables : Rihanna, Usher, Justin Timberlake.... Les Stones ont bien sorti un nouveau disque, et Deep Purple est reparti sur la route, mais je m'ennuie ferme. Je n'ai pas encore entendu un disque moderne qui m'aie fait vibrer autant que le II de Led Zeppelin ou Live At Leeds des Who. De bonnes choses émergent toujours de la scène Stoner, à commencer par le très bon Song From The Deaf des Queens Of The Stone Age, mais il me manque un petit truc en plus pour que cela devienne vraiment magique. Je finis par me sentir comme un vieux rabat-joie, à côté de la plaque. Je finis par en souffrir dans ma chair : le Rock que j'aime n'existe plus.
Je m'accroche pourtant. Je reste connecté à cette fameuse scène Stoner-Doom, à l'affût d'un sursaut étincelant. Dans la presse métallique, je garde un œil sur une formation nommée High On Fire. Ce trio d'Oakland fut fondé par la guitariste Matt Pike. Ce dernier fit partie d'un trio mythique du nom de Sleep, qui fut l'auteur de deux grands albums de mon adolescence : Holy Mountain en 1992 et Jerusalem en 1998. Ils furent mes passeurs pour cette nouvelle scène inspirée du Rock des années 70, et de Black Sabbath en particulier.
Pourtant, je ne mis jamais une oreille sur High On Fire. Ce que je pus lire sur le sujet me refroidit : que Pike chantait en growl, que les influences étaient plus du côté de Slayer et Celtic Frost... Bref, ils me paraissent trop Metal pour moi, et le genre dans sa configuration des années 2000 ne me plaisait guère. Pourtant, c'est bien une chronique dans un magazine spécialisé qui attira mon attention. On y faisait référence au Doom, au Stoner, à Black Sabbath mais aussi à Venom. Et curieusement, pour la première fois, malgré l'absence totale d'interview ou de reportage sur le groupe, la critique semblait élogieuse, alors que High On Fire, comme Sleep, semblait bien ignoré. Je ne sais quelle force me poussa, mais je partis aussitôt acheter l'album. Il fut à ce point bon que je dus en racheter un second quelques semaines plus tard après en avoir carbonisé le premier exemplaire.
High On Fire est donc né des cendres de Sleep. Matt Pike est un gamin de la banlieue d'Oakland. Située à l'Est de la Californie, la ville est en fait une cité dortoir triste, faite de pâtés de maisons interchangeables, juste bons à alimenter et à coucher les travailleurs des multiples usines et entreprises du secteur. C'est au milieu de cet univers gris qui n'est pas sans rappeler le Detroit de 1969 propre aux Stooges et MC5 que grandit Pike. Il se fait un copain du nom de Al Cisneros, et ensemble, ils piquent des autoradios pour se payer de l'alcool et de l'herbe. Ils partagent une passion pour Black Sabbath et toute une clique de groupes de Heavy-Metal obscures des années 70 et 80 qui vont alimenter leur imagination. C'est ensemble qu'ils fondent un trio du nom de Abestodeath, pratiquant un Punk-Metal mal dégrossi, à la hauteur de leur technique musicale rudimentaire. Chris Hakius les a rejoins à la batterie, ils ont à peine dix-huit ans. Mais rapidement, Abestodeath et son univers sont trop étroits pour leurs ambitions musicales. Ils deviennent Sleep, et partent sur un Heavy-Metal fortement inspiré de Black Sabbath, de Saint-Vitus et de Pentagram. Ensemble ils gravent trois albums et un EP historiques, définissant le Stoner et le Doom des années 90. Mais être une légende ne nourrit pas son homme, et les trois gaillards se partagent entre concerts et petits boulots. Pike retape des vieilles bagnoles et les revend. En 1994, Sleep est signé par London Records, une major, qui leur offre une belle avance pour enregistrer leur troisième disque. Elle servira à payer l'herbe, la bière et les longues heures de studio qui aboutiront sur un unique morceau de plus de cinquante minutes constitué d'un unique riff totalement entêtant. Lorsque les cadres de London découvrent la chose, ils sont terrifiés, et demandent au trio de retravailler son enregistrement afin d'en offrir une version plus... facile d'accès. Comme seule réponse, les trois musiciens enregistrent une nouvelle version raccourcie d'une poignée de minutes. C'en est trop, et ils sont virés, se séparant dans la frustration générale. La version « commerciale » apparaîtra en 1998 sous le nom de Jerusalem en 1998. Il faudra attendre 2003 pour entendre la version originale, dont le véritable nom est Dopesmoker.

Cisneros fonde Om avec Hakius, Duo basse-batterie possédé dans l'héritage de Sleep. Pike retourne à ses bagnoles, mais n'arrête pas la guitare. Désireux de jouer une musique plus agressive, il fonde un nouveau trio du nom de High On Fire en 1999 avec Desmond Kensel à la batterie et Georges Rice à la basse. Pike prend le chant, une première dans sa jeune carrière. Une démo de trois titres est enregistrée la même année, suivie d'un premier album en 2000 : The Art Of Self Defense. Si l'on sent toujours la continuité du son de Sleep, High On Fire injecte du Motorhead, du Venom, du Celtic Frost et du Slayer dans son Stoner-Doom. La voix de Pike est un rugissement sauvage ressemblant en bien des points à la voix de Lemmy Kilmister. Un second disque furieux paraît en 2002 : Surrounded By Thieves. Le trio tourne sans discontinuer durant quatre ans, entassant tout son matériel dans une camionnette GMC d'occasion à la caisse taguée, montant et démontant consciencieusement son matériel soir après soir, et ravageant de son Heavy-Metal tous les clubs où ils passent. Les images des concerts montrent trois hommes déterminés, imposants de détermination, et notamment un Pike torse-nu, musculeux, bondissant, sauvage. Cette vie éreintante finit par avoir raison de Georges Rice, qui quitte le groupe fin 2004. Il est remplacé au pied levé par un autre furieux de l'ombre maléfique du Rock américain : Joe Preston. High On Fire a gros à jouer. 

Si les deux premiers disques étaient produits par le fidèle Billy Anderson, également responsable du son des albums de Sleep, Pike obtient la participation d'un producteur de renom : Steve Albini. Ce dernier est l'homme derrière Nirvana, et a la réputation d'être un maniaque absolu. Si Anderson avait permis à Pike de créer une matière sonique à la fois résolument moderne, mais aussi incroyablement vintage, sale et méchante, profonde et noire, Albini va être l'homme de l'aboutissement sonore. L'intervention d'un producteur extérieur au monde du Stoner aurait pu engendrer un disque à l’approche plus accessible, plus Metal, stérilisant de fait ce qui faisait la magie du son Sleep-High On Fire. Mais il n'en sera rien, bien au contraire. Albini va libérer les chevaux sous le capot du trio d'Oakland, leur offrant un son d'une pureté totale, riche, organique, permettant à chaque instrument de bien occuper l'espace tout en offrant une sensation de puissance absolue. Son travail est en ce sens équivalent à celui de Jimmy Miller avec Motorhead sur Overkill en 1979.
Rarement je n'aurai autant joué un album avec le même plaisir inaltéré à chaque écoute. La qualité de la production, de l'interprétation et des morceaux est à couper le souffle. Le matériel qui servira à Blessed Black Wings est déjà en germe depuis un an. Certaines compositions ont donc été écrites avec l'aide de George Rice, petit bonhomme agile aux lourdes basses Gibson SG ou Flying V. Néanmoins, l'essentiel du matériel est l'oeuvre de Matt Pike et Des Kensel. Les deux musiciens sont totalement en phase, que ce soit sur les références musicales comme dans l'approche, unique, d'High On Fire de jouer du Heavy-Metal. Si Motorhead vient immédiatement à l'esprit, on sent l'injection du son et des atmosphères de Black Sabbath d'une part, et des pionniers du Thrash comme Venom, Slayer et Celtic Frost d'autre part. Il s'agit donc d'un Heavy-Metal au sens propre du terme, mais à l'approche à la fois ancienne, et d'une rugosité unique. High On Fire ne cherche pas la modernité, ne fait pas dans la course à l'armement. Pas de futal en cuir, de guitares Jackson et de kits de batterie à douze fûts.
Kensel se contente d'un set de jazzman, aux fûts profonds, et Pike joue sur sa bonne vieille Les Paul Gibson. Les High On Fire sont trois types issus des bas-fonds de l'Amérique industrielle et sont des laisser-pour-comptes. Jeans, baskets, cheveux longs, mal rasés, l'oeil noir et le regard résolu, ils ne font pas dans la pose stéréotypée. C'est sans doute ce qui rend leur musique si menaçante, si possédée. Ils sont du genre que l'on peut croiser un soir dans la rue sans vraiment les remarquer. Puis ils se transforment en fauves une fois sur scène.
Le disque posé sur la platine, un roulement de caisses retentit dans le lointain, se rapprochant comme un train à pleine de vitesse. Boule rouge, horizon incandescent, lumière noire. La guitare décoche un riff tourbillonnant et obsédant, suivi de près par une basse lourde. Explosion brutale, déflagration, accélération enragée : « Devilution » ouvre l'album. Le riff est d'entrée plus audacieux que ce qu'a pu composer High On Fire jusque-là. Le trio jouait alors des morceaux aux accords massifs, proches de Sleep, mais sur des tempos plus rapides, entre speed et mid. Avec « Devilution », Pike explore le riff, va chercher la menace au plus profond de sa guitare. Celtic Frost n'est effectivement pas loin, le Slayer débutant non plus, celui de Show No Mercy. Ce premier orage sonore assied d'entrée un groupe en totale maîtrise de sa musique et de sa puissance. Ce dernier ralentit brutalement le rythme avec un tempo massif, celui de « The Face Of Oblivion ». Le son de la Les Paul est sale, au bord de l'overdose d'adrénaline. La voix de Pike est spectaculaire, rugissante, rauque, aux inflexions bien lisibles. Ce second morceau prouve l'audace nouvelle dans l'écriture de High On Fire : pièce en deux parties, aux rebondissements intérieurs majestueux, allant de la menace la plus noire à la luminosité la plus blanche. Le groupe avait déjà composé des pièces épiques de plusieurs minutes sur ses précédents disques, mais ces derniers restaient toujours dans une atmosphère implacable, aux riffs obsédants jusqu'à l'ivresse. Cette fois, le groupe compose de véritables cathédrales d'accords noirs, propulsant l'auditeur imprudent dans un tourbillon cosmique inégalable. On se rapproche par moment du Slayer de Hell Awaits, mais il y a ce truc plus lourd, encore plus sale et massif. Le Doom.... Le souffle maléfique de Pentagram et The Obsessed.... La menace de St Vitus....Pike délivre ici un solo d'un exceptionnel lyrisme. Tout comme ces guitares acoustiques qui accompagnent la seconde partie du morceau.
« Brother In The Wind » est d'une approche plus similaire à celle qui aboutit sur plusieurs morceaux de Surrounded By Thieves : un tempo rapide maintenu par une batterie tribale et abrupte faite de caisse claire et de tom basse. Néanmoins, la mélodie s'avère plus épique, le chant est plus riche. Lente procession dans la nuit, « Brother InThe Wind » s'élève dans le ciel comme une tempête, vrillant le cerveau jusqu'à l'entêtement. Le solo de guitare est d'un brio total, joué sans aucune guitare rythmique, laissant à Pike seul le soin de monter vers les cieux obscurs de la mélancolie. Mais le groupe sait ménager son effet. Le morceau commence par le souffle épais d'un Matt Pike concentré, rappelant la toux de Robert Plant ouvrant « Whole Lotta Love » sur le II de Led Zeppelin, et la quinte de Ozzy Osbourne de « Sweet Leaf » sur Master Of Reality de Black Sabbath. Cela provoque son petit effet, et accentue la dimension épique de ce formidable morceau. La coda est simplement superbe, emportant l'auditeur vers des horizons majestueux.
« Cometh Down Hessian » débute par des arpèges maléfiques qui ne sont sans rappeler ceux de « Speedwolf » sur l'album précédent. Menace grondante en souterrain comme les Mondes du Dessous de Lovecraft dont Pike s'est beaucoup inspiré, le morceau explose au bout d'une quarantaine de secondes en une furia d'électricité dévorante. Il fut monté par le précédent trio incluant Georges Rice, et dont on trouve une trace télévisuelle sur la chaîne Fox Rox en avril 2014. Cette pièce de musique n'est pas totalement aboutie. Le solo brillant qui fait le lien entre les deux parties du morceau n'est pas encore écrit, et la version de cet album est totalement supérieure à tout ce qui a précédé.
De l'audace, il y en a sur ce disque. Le morceau éponyme est un dense monument de furie alternant les climats furieux, majestueux et mélancoliques. Possédé, envoûté, c'est un volcan de colère, un abysse de maestria Heavy-Metal. Noir ruisseau, « Blessed Black Wings » rampe comme un animal à sang froid. « Anointing Of Seer » qui suit est une fusillade, une décharge de grenaille sur un mid-tempo dévastateur. Pike, comme sur le titre précédent, rugit comme une bête sauvage. Il va plus loin que Lemmy Kilmister, se montrant plus rageur tout en conservant ce naturel profond, cette absence de caricature que sera celle des chanteurs de Metal extrême.
« To Cross The Bridge » est une cavalcade massive de chevaux de fer. Introduction ciselée de guitare acoustique, le thème explose rapidement en un obus de Heavy-Metal poisseux. Le prélude au solo de guitare est une accélération brutale, totalement speed, rappelant fortement le Thrash. Le son est tellement puissant qu'il n'est pas sans rappeler une décharge d'artillerie, totalement dantesque. « Silver Back » est un rapide uppercut de trois minutes de frénésie pure, qui ouvre la voie à l'achèvement absolu de ce disque : « Son Of Thunder ».
Ce dernier est un instrumental atmosphérique, débutant par des arpèges aux saveurs moyenâgeuses qui se fait l'écho de « Embryo », introduction de « Children Of The Grave » de Black Sabbath sur Master Of Reality. Le riff explose comme un coup au visage, et dont l'apparente simplicité désarmante est soutenue par un rythme tribal, guerrier. Il n'est que le travail préparatoire à un chorus dantesque de Matt Pike, d'un lyrisme sublime. Jamais High On Fire n'était allé aussi loin dans l'absolu musical. Jamais le Stoner n'était allé aussi loin en termes de brio artistique. Bien plus qu'un simple disque de Heavy-Metal, Blessed Black Wings redéfinit les contours d'un genre qui n'a pas besoin de courir après les extrêmes pour être impressionnant. Il lui faut de la sincérité, des musiciens inspirés, et une vraie redécouverte des groupes majeurs du genre dans les années 70 et 80. Ce passé, malaxé et digéré, permet de produire une musique dont la matière est d'une densité extrême, à la richesse infiniment supérieure aux nouvelles formations les plus reconnues.
Avec ce troisième album, High On Fire franchit une étape majeure dans sa carrière musicale. De simple groupe Stoner-Metal, il devient une formation qui compte, dont l’empreinte musicale est fondamentale pour le Metal moderne. Si le succès commercial ne sera pas vraiment là, ce disque va leur permettre de sortir d’un certain anonymat, et d’un circuit fermé ultra-spécialisé, pour devenir un groupe qui compte dans l’horizon musical du 21ème siècle. Il est en tout cas pour moi un album fondateur, le meilleur produit depuis les premiers rugissements du Thrash.

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mercredi 16 septembre 2015

FLAMIN' GROOVIES 1970

 "Irrésistible de bout en bout, « Flamingo » est un vrai retour salutaire à l'essence du Rock à une époque où le genre, à son sommet créatif en 1970, va peu à peu se perdre."

FLAMIN GROOVIES : « Flamingo » 1970

Le Rock a eu régulièrement besoin de revenir vers ses fondamentaux. Tous les dix ans environ, après une phase de dérapage et de digression plus ou moins intense, le genre voit fleurir une vague d'artistes désireux de revenir au plus près de l'essence de la musique : le Rock'N'Roll et le Blues. Le premier retour aux sources fut le Blues anglais du milieu des années 60. Au début de la décennie, le Rock'N'Roll américain des pionniers s'embourbent dans les comédies musicales et le Twist, interprétation proprette plus en phase avec les attentes des parents. La plupart des musiciens les plus intéressants sont soit morts (Eddie Cochran, Buddy Holly), soit mis au ban de la société pour différents motifs : Jerry Lee Lewis pour s'être mariée avec sa cousine de treize ans, Chuck Berry pour cause de case prison pour port d'armes, et Little Richard chez les religieux pour cause d'homosexualité. Elvis Presley est lui passé par le service militaire, et se contente depuis son retour d'enchaîner les films mièvres. Pour les derniers combattants comme Gene Vincent, c'est la survie par des tournées en Europe, seule terre voulant bien accueillir ces pionniers rejetés de leur propre pays. Les Anglais découvrent donc le Rock'N'Roll, mais aussi le Blues. Car ce dernier doit aussi sa survie sur le continent européen. Howlin'Wolf, John Lee Hooker et Muddy Waters vont tourner régulièrement en Grande-Bretagne afin de survivre à la crise musicale qui consume les Etats-Unis sur fond de lutte pour les droits civiques des Noirs et de chasse aux sorcières communistes. Peu à peu, une scène Blues et Rock se développent en Grande-Bretagne, prémices du British Blues Boom qui verra éclore les Rolling Stones, les Beatles, les Who ou les Pretty Things. Ces derniers vont alors ramener le Rock en terre américaine, et revenir avec l'acidité de la Californie dans leur musique.
La fin des années 60 voit le Rock muté en une musique de plus en plus audacieuse et créative, pour le meilleur comme le pire. C'est le temps des concept-albums, et des premiers enregistrements avec des orchestres symphoniques. Peu à peu, la spontanéité disparaît au profit d'une recherche musicale de plus en plus indigeste. Le Hard-Rock naissant vient remettre l'énergie au premier plan, mais rapidement, et sous l'influence du Rock Progressif, perd sa belle spontanéité de départ pour se laisser aller à l'audace musicale et à la virtuosité. Le Hard-Rock et le Heavy-Metal sont des émanations principalement britanniques. Les Etats-Unis vont à leur tour revenir à l'essence du Rock en réponse à la déferlante anglaise, la British Invasion. Le Garage-Rock est né, et va aboutir sur les terres industrielles de Detroit à un Hard-Rock'N'Roll des plus brutaux. MC5 et les Stooges défouraillent une musique métallique et dangereuse, inspirée autant du Blues noir que du Rythm'N'Blues et du Jazz. Dans le même temps, le Rock acide de San Francisco et ses longues jams instrumentales prennent racine dans des reprises de classiques du Rock et du Blues, longues digressions sur des thèmes séculaires de la musique américaine. Grateful Dead, Quicksilver Messenger Service ou Janis Joplin et Big Brother repartent de ces fondations pour en délivrer leurs versions à eux. La prise massive de LSD et d'herbes diverses permet ces délires artistiques, qui nourriront la Pop des Beatles, des Move et des Who.
Un groupe va rester en marge de ce courant : les Flamin Groovies. Groupe fondé à San Francisco en 1965 par les guitaristes Cyril Jordan et Roy Loney, ils font partie de ces orchestres dits Garage influencés par les Rolling Stones et les Beatles. Comme tous les groupes acides de la ville, le répertoire est Rock'N'Roll et Blues. Mais en 1969, à la sortie de leur premier album, « Supersnazz », les Groovies n'ont pas évolué dans le sens de longues jams psychédéliques. Ils sont restés les mêmes, jouant un Rock proche de l'os, rugueux, fait de morceaux de trois minutes. Ils sont à rapprocher dans l'esprit du MC5 de « Back In The USA ». Le quintet de Detroit fait paraître en 1970 un curieux second album, enregistré en mono, comme les albums des années 50, et dont la sonorité se veut un hommage à Chuck Berry et Little Richard. Lester Bangs, célèbre chroniqueur américain du magazine Creem, appellera ce genre de disques des « carburateurs flingués ». Soit des disques au son aigrelet et rugueux, pétaradant comme un moteur mal réglé. Une autre formation sera à l'origine de cette expression historique : Brownsville Station, dont le leader, Cub Koda, tentera de revenir lui aussi à l'essence du Rock américain originel.
MC5, Brownsville Station, Flamin Groovies, les Stooges.... tous vont être considérés comme les pionniers d'un autre retour aux sources en terre anglaise : le Punk. Alors que le Rock britannique s'enfonce dans les délires symphoniques et progressifs, la nouvelle génération voudra revenir à l'efficacité des chansons de trois minutes gorgées de Rock nerveux, de Blues et de Pop anglaise des années 60. Ces pionniers du Punk ne récolteront malheureusement guère les fruits de leur travail, trop en avance pour le Punk, et totalement ringards pour les amateurs de Progressif du début des années 70. Seuls Iggy Pop trouvera un second souffle grâce à David Bowie, et les Groovies grâce à un album majeur, « Shake Some Action », en 1976.
Pour l'heure, les Flamin Groovies en sont en 1970 à l'enregistrement de leur second disque. Outre Jordan et Loney, le quintet est composé de George Alexander à la basse, Tim Lynch au chant et à l'harmonica, et de Danny Mihm à la batterie. Le groupe tourne partout où il le peut, mais ne trouve que peu d'écho au sein du monde du Rock américain. Le salut viendra …. de la France. La presse musicale spécialisée s'entiche des Groovies, dont ce disque, « Flamingo » est la première pierre angulaire. Le patron du magasin de disques parisien l'Open Market, Marc Zermati, réussit à les faire venir en France pour plusieurs dates. Il créera par la suite son propre label, Skydog, et publiera plusieurs albums d'inédits et de bandes de concerts des Stooges, du MC5 et des Groovies. Il sera aussi l'organisateur des deux mythiques festivals Punk de Mont de Marsan en 1976 et 1977. En 1970, les Flamin Groovies sont une alternative rêvée à un Rock anglais dominant le monde de tout son Hard et son Progressif. L'Hexagone est peu visité par les géants du Rock, à part pour une modeste date parisienne. Mais les Rolling Stones, les Who, Jethro Tull, Yes, Led Zeppelin ou Black Sabbath ont trop à faire aux Etats-Unis pour s'égarer en terres françaises. Et quand ceux-ci s'y aventurent, c'est dans des conditions matérielles lamentables, accueillis avec mépris par le show-business local. La plupart tournent donc en Europe en prenant bien soin d'éviter la France.
Mal interprétée, cette démarche est considérée comme du mépris par une partie de la presse française, qui y voit l'égo surdimensionné de ces rockers anglo-saxons. Elle se tourne donc vers une alternative à la fois du Rock Mammouth anglais, et de la variété française omni-présente dans les médias. La découverte des Flamin Groovies comme du MC5 est une bulle d'air qui permet à une partie de la critique française de se positionner en pionnier du Rock, du moins lorsque le son du Rock'N'Roll primal retrouvera de l'écho en terres anglo-saxonnes avec le Punk des Ramones et des Damned. En 1970, les Flamin Groovies sont un groupe suranné, à côté de la plaque de tous les courants musicaux de l'époque. Et ils le sont ouvertement. Car la sonorité de « Flamingo » met clairement l'accent sur le côté fifties, réminiscences de Chuck Berry et de Jerry Lee Lewis. Le quintet de San Francisco se veut moins teigneux et sales que les Stooges ou le MC5, privilégiant l'énergie brute et l’agression sonore. On distingue aussi quelques réminiscences Country-Folk des premiers albums de Dylan, comme « Childhood's End » et sa slide à la Sonny Boy Williamson, ou « Sweet Roll Me On Down », à l'atmosphère très Country-Honk.
Ce qui fait le sel des Flamin Groovies avant tout, ce sont les chansons. Toutes très bonnes, à la mélodie imparable, elles sont à la fois fortement influencées et totalement originales. Comme si l'on écoutait des originaux de Chuck Berry, avec la même science du riff, mais avec ce côté petite frappe blanche en plus. Et des chansons corrosives, il y en a : « Headin On The Texas Border », « Second Cousin », « Jailbait », ou la violente embardée « Road House », effleurant une certaine forme de Hard Music rappelant le Bob Seger System.
Les Flamin Groovies défrichent aussi ce que l'on appellera quelques années plus tard la Power-Pop. Ce Rock mélodique et vigoureux prend racine sur la Pop anglaise des années 60, celle des Who, des Beatles, des Stones, des Kinks, des Pretty Things et des Move. Les grands noms du genre seront les maudits Badfinger, Raspberries, ou les Rubinoos. Si la musique des Flamin Groovies piochent très allégrement dans le Rock'N'Roll et le Blues des années 50, les mélodies efficaces ouvrent sur un horizon plus britannique, notamment par l'utilisation des harmonies vocales sur les refrains, qui doivent autant aux Beatles qu'aux Beach Boys, apport capital à la musique Pop américaine.
Irrésistible de bout en bout, « Flamingo » est un vrai retour salutaire à l'essence du Rock à une époque où le genre, à son sommet créatif en 1970, va peu à peu se perdre. Porté par le soutien de la France, les Flamin Groovies produiront un troisième disque en 1971, le non moins excellent « Teenage Head », considéré à l'époque par la critique comme l'équivalent américain du prodigieux « Sticky Fingers » des Rolling Stones, paru la même année. Nonobstant le succès commercial, de nombreux points communs existaient : les Groovies avaient trouvé en la France une terre d'accueil, comme les Stones, mais ces derniers pour des raisons fiscales. Cela ne les empêcha pas de s'installer au Sud de l'Hexagone, et d'y enregistrer parmi leur meilleure musique. « Sticky Fingers » étaient aussi pour les Stones un grand retour au Rock et au Blues. Les riffs issus de cet album serviront de base au Rock des vingt prochaines années. Plus modestement, ceux des Groovies serviront de terreau à une vague musicale aussi créative que salutaire, aussi bien en Grande-Bretagne qu'en France. Car c'est grâce au Flamin Groovies que l'on devra l'existence de groupes comme les Dogs ou Little Bob Story. Ils ouvriront aussi la voie au Pub-Rock de Ducks Deluxe et Dr Feelgood. Pour cela, il est indispensable de connaître ce rouage aussi essentiel qu'oublié de la musique.
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mardi 8 septembre 2015

BILLY THORPE AND THE AZTECS 1972

"La guitare défenestre le public, soutenu par un implacable trio de musiciens."

BILLY THORPE AND THE AZTECS : Live At Sunbury Music Festival 1972

Le soleil tombe lentement sur l'horizon, mais il fait encore chaud sur la plaine. La température retombe lentement, mais les corps sont encore largement dénudés. Assommée de chaleur, d'acide, d'herbe et de bière tiède, l'audience chevelue tombe dans une torpeur à peine dérangée par la musique progressive émanant de la scène, au loin au bout de la plaine. Tous sont assis dans l'herbe piétinée, au milieu de détritus accumulés depuis deux jours. Quelques jeunes femmes, dansent seins nus, les cheveux attachés de fils de couleurs, les yeux mi-clos.
La fraîcheur vient doucement, et la lumière naturelle baisse. Les projecteurs s'allument, baignant la formation qui s'annonce d'un halo jaune orangé. Des rampes d'amplificateurs ont été alignées, et ont été disposée une basse, une batterie à quatre toms, un piano électrique, et une grosse Gibson Les Paul Custom couleur hêtre. Quatre chevelus comme le public débarquent sur scène, et saluent d' un geste de la main les spectateurs. Un homme barbu à queue de cheval et débardeur se saisit de la guitare, et règle le son. Le sol tremble sous les coups de médiator. Le batteur teste ses caisses, puis le guitariste s'adresse au public pour présenter le premier morceau d'une voix agréable et posée : une reprise de « CC Rider » de Chuck Berry. Le morceau débute, et sans prévenir, la musique transperce les tympans du public, qui se retrouve pulvériser par le volume d'un Jumbo Jet au décollage. Le groupe s'appelle les Aztecs, et le guitariste et chanteur s'appelle Billy Thorpe. Le concert est capital pour le quatuor, ainsi que le suivant, au Moomba Festival de Sydney deux mois plus tard. Ils vont leur permettre de jouer devant 200000 personnes à chaque fois, et ainsi imposer enfin le groupe sur la scène australienne. Car nous sommes au Festival de Sunbury, près de Melbourne, en Australie, en 1972.
Billy Thorpe And The Aztecs donnent un concert important pour leur carrière, mais ce n'est pas pour le guitariste la première fois qu'il va rencontrer le succès. En effet, Thorpe est un musicien majeur de la scène australienne, mais que le public avait oublié depuis cinq longues années. Il est né à Manchester en 1946, mais comme beaucoup de britanniques frappés par la crise économique britannique du début des années 60, ses parents décident de tenter leur chance dans ce pays lointain qu'est l'Australie. Billy Thorpe sera donc un émigré britannique en terre australe, comme nombre de ses futurs confrères musiciens : Bon Scott et les frères Young d'AC/DC, Chris Bailey des Saints....
Il débute sa carrière en 1963 en formant son propre groupe inspiré des Beatles, qu'il nomme déjà Billy Thorpe and The Aztecs. Il en est clairement le leader, mais n'en est que le chanteur. En 1964, une reprise du classique Rythm'N'Blues « Poison Ivy » de Leiber et Stoller s'impose en tête des classements australiens. Ils empêcheront ainsi les Beatles de prendre cette place, alors que les quatre garçons de Liverpool effectue à ce moment-là son unique tournée en Australie. Le groupe va classer plusieurs chansons dans le hit-parade australien, dont « Mashed Potato », « Sick And Tired » ou « Somewhere Over The Rainbow », reprise du classique de la comédie musicale « Le Magicien d'Oz ». Ils vont être éclipsés en 1965 par les débuts d'un autre groupe fameux du pays : les Easybeats, dont le guitariste n'est autre que Georges Young, grand frère de Malcolm et Angus, les deux fines lames d'AC/DC. Le quintet initial se dissout suite à des brouilles financières. Malgré cela, les nouveaux Aztecs connaissent encore les faveurs des classements en 1966 avec des titres comme « Love Letters », « Twilight Time » ou « Word For Today ». En 1967, ils ont même la faveur d'un show télévisé à eux, It's All Happening, dans lequel ils accueillent en direct deux formations australiennes et une internationale. L'émission a beaucoup de succès, permettant également au groupe de s'y produire. Mais cela ne suffit pas, et les simples des Aztecs plongent inexorablement dans les classements. La scène musicale internationale est en pleine mutation, et les titres Rythm'N'Blues et Pop du quintet n'attire plus les foules. Ruiné, le groupe se dissout, laissant Billy Thorpe seul.
En 1969, ce dernier part tenter sa chance à Londres, encouragé par son contact australien dans la capitale britannique : Robert Stigwood. Ce dernier a été le manager de Cream et des Bee Gees. Thorpe tente de monter une formation sur place, sans succès, puis décide de revenir quelques semaines à Melbourne pour trouver de nouveaux musiciens. Le séjour sera finalement définitif, et Thorpe restera sur place suite à sa rencontre avec le guitariste Lobby Loyde. Ce dernier est une légende locale, dont les précédents groupes The Purple Hearts et les Wild Cherries, font partie des groupes les plus intéressants de la scène australienne de la fin des années 60. C'est lui qui aiguille Thorpe sur la voie du Heavy Blues-Rock . Son court passage de 1969 à 1971 permet ainsi de réorienter les Aztecs musicalement, et d'encourager Thorpe à tenir la guitare lui-même en plus du chant. Ce dernier arbore désormais une barbe, des cheveux longs, et consomme de manière intensive du LSD. Cette consommation d'acide encourage les Aztecs à jouer de plus en plus fort et à improviser durant de longues minutes sur scène comme en studio.
En septembre 1970, les Aztecs enregistre l'album The Hoax Is Over, notamment constitué de seulement quatre morceaux dont une reprise de « Gangster Of Love » du bluesman Johnny Guitar Watson de plus de vingt-quatre minutes. Outre Loyde et Thorpe, les Aztecs sont alors constitués de Paul Wheeler à la basse, Warren Morgan aux claviers, et du batteur Kevin Murphy. L'ensemble du disque fut capté en direct en studio, juste en laissant tourner la bande.
Murphy est remplacé par Gil « Rathead » Matthews et Loyde a laissé la guitare lead à Billy Thorpe. Le désormais quartet se lance dans une tournée du pays, qui culminera au Melbourne Town Hall le 13 juin 1971, devant 5000 personnes. Le concert est devenu légendaire, car outre le fait qu'il fut la plus importante audience du groupe depuis son renouveau en 1969, le son fut tellement fort qu'il brisa les fenêtres des immeubles du voisinage. Il fut capté sur bande, et constitua la matière pour le redoutable disque en public, Live At Melbourne Town Hall. Les prestations assourdissantes de puissance comme de virtuosité finissent par payer, et le simple « The Dawn Song » se classe correctement. Aussi, en janvier 1972 sur la scène du festival de Sunbury, Billy Thorpe and The Aztecs sont à un moment crucial de leur carrière.
Sunbury est un amphithéâtre naturel à côté de Melbourne. Le festival est considéré comme le Woodstock australien et se tient lors du week-end du jour le plus long de l'année. Il a aussi la particularité d'accueillir des formations uniquement australiennes, et qui viennent jouer.... totalement gratuitement. L'audience étant telle, se produire sur la scène est un tremplin pour tout groupe cherchant à percer, et les Aztecs en font partie. Le seul groupe payé au festival de Sunbury sera Deep Purple en 1975. C'est d'ailleurs lors de cette édition qu'une bagarre éclatera sur scène entre les musiciens d'AC/DC et les roadies de Deep Purple cherchant à évacuer le groupe australien, rappelé par le public à plusieurs reprises, et décalant l'entrée en scène du quintet anglais.
Billy Thorpe And The Aztecs débutent donc leur spectacle par une tonitruante reprise de Chuck Berry, « CC Rider ». Comme convenu, le son est d'une puissance redoutable. La guitare défenestre le public, soutenu par un implacable trio de musiciens. L'autre grande particularité du groupe est la voix de Thorpe. L'homme chante merveilleusement bien, d'un timbre haut et rugueux, capable d'hurler le Blues et le Rock à pleins poumons. Il préfigure toute une génération de chanteurs de Hard-Rock australien à venir, dont AC/DC, Cold Chisel et Rose Tattoo. Les Aztecs en sont aussi les pionniers musicaux, étant l'un des premiers groupes du genre dans le pays avec les Masters Apprentices ou les néo-zélandais de Human Instinct. Mais leur particularité est le répertoire pratiqué, essentiellement des reprises Rock et Blues, qu'ils déforment à l'envie par des improvisations sauvages. Ils préfigurent également une certaine forme de ce que l'on peut qualifier de Pub-Rock, même si ils n'ont pas l'approche de la vision britannique du genre au milieu des années 70. Ils défrichent en tout cas ce qui servira de base à AC/DC et Rose Tattoo, les deux quintets ayant ouvertement affiché leur admiration pour Billy Thorpe et sa musique. Les seconds inviteront même le guitariste sur scène quelques mois avant sa mort brutale. Le son de la guitare de Thorpe augure de manière incontestablement le son du Hard-Rock australien, à la fois prodigieusement électrique, et profondément ancré dans le Blues et le Rock'N'Roll des années 50.
Suite à une reprise Boogie de « Be-Bop A Lula » de Gene Vincent, à des année-lumières de la version twist des Chaussettes Noires d'Eddy Mitchell, les Aztecs interprètent une composition de Thorpe : « Mumma ». Sans conteste le morceau le plus violent de tout le disque, il est le théâtre d'un festival de guitare abrasive de douze minutes, finissant de réveillant le public assommé de chaleur de Sunbury. Démarré dans un larsen incandescent, le titre voit Thorpe hurler le Heavy-Rock de toute ses prodigieuses capacités vocales. L'homme est un compositeur inspiré, ce qu'il avait déjà prouvé avec des chansons comme « Ain't Going Down Again ». Mais l'homme est peu prolixe, préférant réservé son talent dans les improvisations. Il va peu à peu développer son écriture, lui qui n'avait que peu composé, y compris au milieu des années 60. Ainsi, la plupart des hits des Aztecs de 1965-1966 étaient pour la plupart des reprises réarrangés, chose qui se faisait beaucoup à l'époque. Ce sont les Easybeats qui vont encourager les musiciens australiens à écrire leurs propres chansons, grâce du premier hit international d'origine australe en 1966, « Friday On My Mind », composition du chanteur Harry Vanda et du guitariste Georges Young. « Mumma » est en tout cas une véritable rocket sonique, morceau majeur qui permet à Billy Thorpe de démontrer ses immenses qualités de guitariste. Car l'homme est également un musicien doué, tant en riffs qu'en soli. Son jeu solide et électrique, anticipe une certaine forme de Heavy-Metal, et n'est pas sans rappeler par moments le Jimmy Page des deux premiers albums de Led Zeppelin.
La reprise de « Rock Me Baby » de BB King rappelle la version sauvage de Blue Cheer sur leur premier album de 1968. On y retrouve cette brutalité et cette rudesse caractéristiques du trio américain, ancré dans le tempo lourd plutôt que dans le swing. Mais les Aztecs sont un groupe plus virtuose, infiniment plus imprégné de Rythm'N'Blues. Billy Thorpe est en tout cas un sacré chanteur de Blues, un Blues shouter incroyablement crédible.
« Most People I Know Think That I'm Crazy » sera le grand tube de Billy Thorpe, et fait véritablement partie de l'histoire du Rock australien. Il sera numéro 3 dans les classements nationaux un mois après ce concert, et reste à ce jour la meilleure vente de Thorpe dans son pays durant les années 70. Il faut dire que la mélodie vénéneuse rentre parfaitement dans le cortex, et le guitariste en profite pour improviser à l'envie durant dix minutes sur la scène de Sunbury. Il ouvre la voie à l'incroyable « Time To Live ». Cette furieuse heavy song au riff massif rappelle à certains égards Black Sabbath, mais la superbe envolée lyrique sur chaque couplet, et sur laquelle Thorpe démontre son talent vocal, est un véritable sommet de Rock électrique rappelant à nouveau Led Zeppelin. Les claviers de Morgan et la guitare se relaient en de superbes soli. L'émotion qui se dégage est dense, prenante, entre orage du riff et douceur amère du couplet.
Le disque se termine par deux efficaces pièces de Rock'N'Roll promptes à chatouiller les orteils d'un public d'ores et déjà conquis. « Jump Back » est un Boogie frénétique, qui s'enchaîne sur « Ooh Poo Pa Doo », Rock nerveux sur lequel Thorpe fait généreusement participer le public. Même si l'on peut trouver le passage un brin démagogique, on ne peut que vibrer avec le groupe lorsque 200000 bouches chantent à l'unisson avec le guitariste, et ce après deux longues années de travail à jouer partout où ils le peuvent.
Ce concert, capté sur bande, mais aussi à la télévision, sera publié en août 1972 sous la forme de ce double album, qui suit donc un autre disque en concert, simple celui-là, autre gig marquant de la carrière du quatuor. Il faudra attendre 1974 pour qu'un nouvel album studio fasse son apparition, « More Arse Than Class », appuyant l'idée que Thorpe n'était pas un compositeur prolixe d'une part, et que le vrai élément des Aztecs était la scène d''autre part. En 1973, Billy Thorpe And The Aztecs se produiront à nouveau en tête d'affiche du festival de Sunbury, cette fois-ci en terrain totalement conquis.
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mardi 1 septembre 2015

PAT TRAVERS 1979

 "Il est en tout cas évident que cet album en concert est un immense disque de Hard Fusion."
La mort de Jimi Hendrix en 1970 laissa un vide immense sur la scène musicale. Son influence fut majeure, allant jusqu'à convaincre le grand Miles Davis de se tourner vers la fusion du Jazz avec le Rock. Il était même planifié l'enregistrement d'un album entre le trompettiste et le guitariste, qui n'aboutira finalement pas, à grand regret.
Le jeu d'Hendrix fut à ce point primordial qu'il fut autant le déclencheur du Hard-Rock que du Funk électrique des années suivantes. Il donna dans tous les cas l'envie à de très nombreux guitaristes de créer leur trio, et d'embraser les scènes de furieux soli de guitare incandescents. Le format guitare-basse-batterie n'était bien sûr pas l'apanage du seul Jimi. On peut citer deux autres trios à l'influence majeure à la fin des années 60 : Cream, et dans une moindre mesure, Taste avec Rory Gallagher.
Ce dernier poursuivit par ailleurs sa route en solo, sous la forme d'un trio sous son propre nom, puis un quatuor. Il perpétua ainsi l'impact initial de Taste, alors que Cream avait sombré en 1968, et Hendrix, bien malheureusement, en 1970. Il contribua en tout cas à maintenir en vie l'esprit du trio de Blues-Rock furieux. Et il ne fut pas le seul. Aux débuts des années 70, plusieurs guitaristes apparurent, fortement influencés par Jimi Hendrix, Cream et Taste. On peut citer l'immense Robin Trower, Jeff Beck avec Bogert et Appice, le Leslie West Band, Georges Thorogood ou le canadien Frank Marino et son groupe Mahogany Rush. Le Canada semble être le terreau d'une scène Rock vivace, qui voit naître plusieurs formations importantes, dont April Wine ou l'immense Rush.
Pat Travers est un guitariste originaire de Toronto. C'est en voyant Hendrix sur scène qu'il décide de se mettre à la guitare. Suffisamment doué, il attire l'attention du chanteur Ronnie Hawkins, qui l'embauche. Rapidement, Travers, va monter son propre trio. La concurrence est alors rude, mais Travers ne s'inscrit pas dans une course à la virtuosité ou à la succession d'un des grands trios de la fin des années 60. Bien que techniquement plutôt doué, et doté d'un brin de voix rauque, il se concentre sur une fusion de Blues, de Rock hargneux, et de teintes Soul. A ce titre, sa musique originale et humble rappelle en bien des points l'approche de Rory Gallagher. Il va par ailleurs suivre le même plan de carrière : enregistrer et tourner comme un damné jusqu'à ce que le succès s'en suive. Sa musique attire l'attention du label Polydor, le même que Gallagher, qui signe Travers en 1976. Un premier album éponyme est publié la même année alors que le trio est parti s'établir à Londres. L'album est suffisamment remarquable pour permettre à Pat Travers de jouer à l'émission musicale allemande Rockpalast. Son trio est alors constitué de Mars Cowling, qui sera un fidèle au guitariste pendant huit ans, et d'un certain Nicko MacBrain à la batterie. La réputation de Pat Travers grandit sur le continent européen, suffisamment pour lui permettre de faire jeu égal avec la concurrence. L'album Makin' Magic en 1977 concrétise tous les espoirs fondés sur la qualité de la musique du canadien. Un morceau fera notamment parler de lui : une reprise tonitruante de « Statesboro Blues », auparavant popularisé par le Allman Brothers Band. La version proposée est propulsée par un duel redoutable entre Travers et un invité de marque : Brian Robertson de Thin Lizzy. L'album Puttin It Straight, paru la même année, poursuit la voie ouverte et le rythme de stakhanoviste du musicien.
Mais désireux de donner de l'ampleur à sa musique, le canadien décide de recruter un second guitariste. Il trouve le candidat idéal en la personne de Pat Thrall. Jeune bretteur prodige surtout connu pour son travail dans le monde du Jazz-Rock et des studios, il désire se consacrer à un vrai groupe de Rock, et de tâter de la route. Nicko MacBrain, parti pour les Streetwalkers, un nouveau batteur est embauché : il s'appelle Tommy Aldridge, et a officié au sein du sextet sudiste Black Oak Arkansas. Désormais officiellement nommé Pat Travers Band, le quatuor va concrétiser rapidement son existence par un nouveau disque fuligineux : Heat In The Streets en 1978. Tous les éléments de la musique de Travers sont toujours bien présents, à savoir une fusion subtile de Blues-Rock saignant et de teintes Funk. Mais les nouveaux sidemen injectent une énergie nouvelle. Elle se confirme sur scène : le Band assure la première partie de la tournée de Rush, Drive Til You Die, à travers le continent américain en 1978. La force scénique du quatuor est telle que l'enregistrement de plusieurs concerts sur la tournée à suivre en tête d'affiche en janvier et février 1979, est programmé en vue d'un album en direct.
Ainsi paraît Live ! Go For What You Know en 1979, capté sur quatre concerts au Texas et en Floride. Le disque fait rapidement l'objet d'une critique majeure : la musique qui y figure est surproduite, anéantissant le côté sauvage et spontanée de tout bon enregistrement de Hard-Rock en concert. Le public n'est quasiment pas audible, et comble du comble, l'album est simple, alors que la plupart des albums live de l'époque se doivent d'être doubles. Ces deux faux-pas vont refroidir quel que peu l'enthousiasme de la presse, malgré la qualité indéniable de la musique enregistrée.
Ce que l'on sait moins, c'est que Travers n'est pas uniquement un rockeur débridé, mais un perfectionniste dans l'âme. Soucieux de la qualité de la musique proposée, il a appréhendé cet album comme une relecture totale des meilleurs morceaux de son répertoire par son nouveau groupe. Il a ainsi travaillé dans le sens d'un nouvel album studio dont les morceaux auraient la spontanéité et la qualité d'improvisation de la scène. La sélection des titres est donc rigoureuse, et le travail de production imposant, au détriment de l'imperfection scénique. Plusieurs albums live de l'époque seront approchés de la même manière, comme Unleashed In The East de Judas Priest, Some Enchanted Evening de Blue Oyster Cult, The Song Remains The Same de Led Zeppelin, ou dans une moindre mesure, Live And Dangerous de Thin Lizzy. D'ailleurs, le producteur qui assiste Travers, un certain Tom Allom, travaillera également sur tous les albums à suivre de Judas Priest du début des années 80, tous devenus depuis des classiques du Heavy-Metal : British Steel, Screaming For Vengeance ou Defender Of The Faith. Mais il faut croire que Travers n'eut pas droit à la même indulgence. Cela ne l'empêchera pas de classer cet album dans le Top 40 américain, et le simple « Boom Boom » dans le Top 20, lui offrant ainsi son premier grand succès commercial. Il avait en tout cas compris que le public américain était à ce moment-là très friand d'une musique Rock très produite, comme en attestait le succès de Boston, Journey ou Foreigner. Lui aussi sensible à une production bien réalisée, Travers va donc travailler ses albums en ce sens, et dès son second album, le premier l'ayant déçu.
Il est en tout cas évident que cet album en concert est un immense disque de Hard Fusion. Doté d'une énergie incroyable, et d'une cohésion exceptionnelle entre les musiciens, il est un vrai générateur de plaisir, aussi puissant que sophistiqué. Car au même titre que Michael Schenker au sein de UFO puis de son Group, ce qui va marquer de très nombreux musiciens, c'est la musicalité, la finesse, l'expressivité des mélodies comme des soli. Ce n'est pas un hasard si Kirk Hammett de Metallica ou Norbert Krief de Trust en seront de grands fans. Car Travers, doublé de Thrall, vont apporter plus qu'un simple Hard-Rock Blues de plus. Sans tomber dans le Hard-FM trop ostensiblement commercial, le canadien approche de sa musique de manière plus classieuse. Chaque note, chaque chorus est pesé pour apporter au morceau, sans tomber dans la jam gratuite, longs épithèmes stériles qui firent la gloire mais aussi le malheur d'immenses formations sur scène comme Led Zeppelin ou Deep Purple. Tous les morceaux font ici entre six et huit minutes, mais il n'y en a aucune de trop. C'est sans doute ce qui fait la grande différence de ce live avec d'autres, doubles : il n'y a rien de superflu ni d'auto-indulgent.
« Hooked On Music », vieille scie scénique de Travers issue du premier album, ouvre magistralement l'album. Un peu bancal dans sa version originale, le morceau est transcendé par le répondant entre les deux Pat. Alternant les soli, voguant entre Hard-Funk teigneux et ambiance plus atmosphérique, presque Jazz-Rock, les musiciens dialoguent à l'envie, par notes serrées, et chorus d'une grande créativité. Travers n'est pas du genre mégalomane, et sait laisser la place à son second guitariste, y compris dans les compositions, fait suffisamment rare chez les groupes portant le nom de leur leader pour être signalé. Et c'est ce qui permet à la musique du Pat Travers Band d'avoir cette emphase, ce souffle.
Le souffle Funk repart avec « Gettin Betta ». Mêlé aux sonorités Hard et aux guitares en harmonie, on distingue l'influence de Thin Lizzy, autre quartet tournant intensément sur le continent américain après le succès du morceau « Boys Are Back In Town » en 1976. C'est durant ces tournées que les routes de Travers et du grand Phil Lynott se croisent. C'est aussi à cette occasion que Robertson acceptera volontiers de croiser le fer sur « Stateboro Blues » en 1977.
L'influence de Lynott se retrouvera aussi sur « Stevie », ballade romantique à la mélodie superbe, et dont le final est un brasier de guitares. A l'instar de la version de scène de « Still In Love With You » de Thin Lizzy, dont on retrouve la même émotion, et la même subtilité musicale. Jamais le morceau ne tombe dans la chanson mièvre, alors que l'exercice est hautement périlleux, et a déjà produit quelques belles soupes claires comme « Beth » de Kiss. « Stevie » fait partie de ces miracles du Rock mélodique, à la fois sincères, et terriblement poignants. Le Pat Travers Band ne retrouvera que difficilement la force de cette version, malgré de superbes interprétations. La seconde face s'achève sur ce beau morceau, non sans avoir auparavant fait un détour par le bon vieux Boogie avec « Boom Boom » de Little Walter, permettant à Travers de partager un moment de complicité avec son public.
La seconde face démarre sur les chapeaux de roue avec une version tonitruante de « Makin' Magic ». Bien que Nicko MacBrain fut doté d'un sacré swing sur le disque original en studio, Tommy Aldridge, que l'on avait guère distingué avec Black Oak Arkansas à part comme un batteur compétent, se transfigure littéralement en imprimant un tempo d'enfer qu'il ne relâchera pas jusqu'à la fin du disque.
Littéralement poussés dans la stratosphère par son batteur et un Cowling à la basse tout aussi percutant, Travers et Thrall s'envolent avec leurs guitares sur « Heat In The Streets ». Les chorus délivrés sont dantesques, joués à une vitesse cosmique et avec une précision redoutable. Les deux s'emboîtent le pas, sans se lâcher d'une semelle, se poussant l'un l'autre dans leurs retranchements. Thrall y est particulièrement redoutable, et son solo est sans aucun doute ce qu'il a enregistré de plus brillant, et ce en quelques mesures magiques.
« Makes No Difference » finit le travail accompli, avec un Hard-Rock revêche, au rythme d'enfer. Le morceau original était déjà très bon, loin devant les multiples disciples hendrixiens. Cette version en quatuor est une nouvelle fulgurance musicale. Travers se transcende en chorus tout en effets spatiaux, qui ne sont pas sans rappeler ceux de Tommy Bolin sur son unique participation à Deep Purple, Come Taste The Band. Ce dernier était un guitariste de Hard-Rock fin issu du Jazz-Rock et du Hard-Blues dont le jeu luxuriant laissa quelques traces auprès des guitaristes américains, brisant à son modeste niveau une autre barrière entre Rock et Jazz, notamment sur l'album Spectrum de Billy Cobham. Le disque s'achève dans un maelstrom de guitares furieuses, laissant le public conquis. Ce dernier n'oubliera pas ces prestations, emmenant haut ce disque live dans les classements américains.C'est le début d'une période dorée qui tiendra son apogée avec l'album « Crash And Burn » en 1980 et une participation à la mythique édition du Festival de Reading en Grande-Bretagne la même année.
Pour l'heure, Pat Travers accède enfin à un succès mérité après quatre années de travail intense, dont quatre albums studios parfaits. L'album live Live ! Go For What You Know redorera en tout cas le blason d'un Hard américain en difficulté avec la lente dégringolade de Kiss, Blue Oyster Cult, et Aerosmith, et la montée en puissance d'un Hard-FM de plus en plus outrageusement commercial. Pat Travers saura maintenir son subtil alliage de mélodies et de Hard sans tomber dans la grossièreté, preuve que ce garçon avait bien du talent. Live ! Go For What You Know peut en tout cas poser fièrement entre Live And Dangerous de Thin Lizzy et Strangers In The Night de UFO.
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