mardi 8 septembre 2015

BILLY THORPE AND THE AZTECS 1972

"La guitare défenestre le public, soutenu par un implacable trio de musiciens."

BILLY THORPE AND THE AZTECS : Live At Sunbury Music Festival 1972

Le soleil tombe lentement sur l'horizon, mais il fait encore chaud sur la plaine. La température retombe lentement, mais les corps sont encore largement dénudés. Assommée de chaleur, d'acide, d'herbe et de bière tiède, l'audience chevelue tombe dans une torpeur à peine dérangée par la musique progressive émanant de la scène, au loin au bout de la plaine. Tous sont assis dans l'herbe piétinée, au milieu de détritus accumulés depuis deux jours. Quelques jeunes femmes, dansent seins nus, les cheveux attachés de fils de couleurs, les yeux mi-clos.
La fraîcheur vient doucement, et la lumière naturelle baisse. Les projecteurs s'allument, baignant la formation qui s'annonce d'un halo jaune orangé. Des rampes d'amplificateurs ont été alignées, et ont été disposée une basse, une batterie à quatre toms, un piano électrique, et une grosse Gibson Les Paul Custom couleur hêtre. Quatre chevelus comme le public débarquent sur scène, et saluent d' un geste de la main les spectateurs. Un homme barbu à queue de cheval et débardeur se saisit de la guitare, et règle le son. Le sol tremble sous les coups de médiator. Le batteur teste ses caisses, puis le guitariste s'adresse au public pour présenter le premier morceau d'une voix agréable et posée : une reprise de « CC Rider » de Chuck Berry. Le morceau débute, et sans prévenir, la musique transperce les tympans du public, qui se retrouve pulvériser par le volume d'un Jumbo Jet au décollage. Le groupe s'appelle les Aztecs, et le guitariste et chanteur s'appelle Billy Thorpe. Le concert est capital pour le quatuor, ainsi que le suivant, au Moomba Festival de Sydney deux mois plus tard. Ils vont leur permettre de jouer devant 200000 personnes à chaque fois, et ainsi imposer enfin le groupe sur la scène australienne. Car nous sommes au Festival de Sunbury, près de Melbourne, en Australie, en 1972.
Billy Thorpe And The Aztecs donnent un concert important pour leur carrière, mais ce n'est pas pour le guitariste la première fois qu'il va rencontrer le succès. En effet, Thorpe est un musicien majeur de la scène australienne, mais que le public avait oublié depuis cinq longues années. Il est né à Manchester en 1946, mais comme beaucoup de britanniques frappés par la crise économique britannique du début des années 60, ses parents décident de tenter leur chance dans ce pays lointain qu'est l'Australie. Billy Thorpe sera donc un émigré britannique en terre australe, comme nombre de ses futurs confrères musiciens : Bon Scott et les frères Young d'AC/DC, Chris Bailey des Saints....
Il débute sa carrière en 1963 en formant son propre groupe inspiré des Beatles, qu'il nomme déjà Billy Thorpe and The Aztecs. Il en est clairement le leader, mais n'en est que le chanteur. En 1964, une reprise du classique Rythm'N'Blues « Poison Ivy » de Leiber et Stoller s'impose en tête des classements australiens. Ils empêcheront ainsi les Beatles de prendre cette place, alors que les quatre garçons de Liverpool effectue à ce moment-là son unique tournée en Australie. Le groupe va classer plusieurs chansons dans le hit-parade australien, dont « Mashed Potato », « Sick And Tired » ou « Somewhere Over The Rainbow », reprise du classique de la comédie musicale « Le Magicien d'Oz ». Ils vont être éclipsés en 1965 par les débuts d'un autre groupe fameux du pays : les Easybeats, dont le guitariste n'est autre que Georges Young, grand frère de Malcolm et Angus, les deux fines lames d'AC/DC. Le quintet initial se dissout suite à des brouilles financières. Malgré cela, les nouveaux Aztecs connaissent encore les faveurs des classements en 1966 avec des titres comme « Love Letters », « Twilight Time » ou « Word For Today ». En 1967, ils ont même la faveur d'un show télévisé à eux, It's All Happening, dans lequel ils accueillent en direct deux formations australiennes et une internationale. L'émission a beaucoup de succès, permettant également au groupe de s'y produire. Mais cela ne suffit pas, et les simples des Aztecs plongent inexorablement dans les classements. La scène musicale internationale est en pleine mutation, et les titres Rythm'N'Blues et Pop du quintet n'attire plus les foules. Ruiné, le groupe se dissout, laissant Billy Thorpe seul.
En 1969, ce dernier part tenter sa chance à Londres, encouragé par son contact australien dans la capitale britannique : Robert Stigwood. Ce dernier a été le manager de Cream et des Bee Gees. Thorpe tente de monter une formation sur place, sans succès, puis décide de revenir quelques semaines à Melbourne pour trouver de nouveaux musiciens. Le séjour sera finalement définitif, et Thorpe restera sur place suite à sa rencontre avec le guitariste Lobby Loyde. Ce dernier est une légende locale, dont les précédents groupes The Purple Hearts et les Wild Cherries, font partie des groupes les plus intéressants de la scène australienne de la fin des années 60. C'est lui qui aiguille Thorpe sur la voie du Heavy Blues-Rock . Son court passage de 1969 à 1971 permet ainsi de réorienter les Aztecs musicalement, et d'encourager Thorpe à tenir la guitare lui-même en plus du chant. Ce dernier arbore désormais une barbe, des cheveux longs, et consomme de manière intensive du LSD. Cette consommation d'acide encourage les Aztecs à jouer de plus en plus fort et à improviser durant de longues minutes sur scène comme en studio.
En septembre 1970, les Aztecs enregistre l'album The Hoax Is Over, notamment constitué de seulement quatre morceaux dont une reprise de « Gangster Of Love » du bluesman Johnny Guitar Watson de plus de vingt-quatre minutes. Outre Loyde et Thorpe, les Aztecs sont alors constitués de Paul Wheeler à la basse, Warren Morgan aux claviers, et du batteur Kevin Murphy. L'ensemble du disque fut capté en direct en studio, juste en laissant tourner la bande.
Murphy est remplacé par Gil « Rathead » Matthews et Loyde a laissé la guitare lead à Billy Thorpe. Le désormais quartet se lance dans une tournée du pays, qui culminera au Melbourne Town Hall le 13 juin 1971, devant 5000 personnes. Le concert est devenu légendaire, car outre le fait qu'il fut la plus importante audience du groupe depuis son renouveau en 1969, le son fut tellement fort qu'il brisa les fenêtres des immeubles du voisinage. Il fut capté sur bande, et constitua la matière pour le redoutable disque en public, Live At Melbourne Town Hall. Les prestations assourdissantes de puissance comme de virtuosité finissent par payer, et le simple « The Dawn Song » se classe correctement. Aussi, en janvier 1972 sur la scène du festival de Sunbury, Billy Thorpe and The Aztecs sont à un moment crucial de leur carrière.
Sunbury est un amphithéâtre naturel à côté de Melbourne. Le festival est considéré comme le Woodstock australien et se tient lors du week-end du jour le plus long de l'année. Il a aussi la particularité d'accueillir des formations uniquement australiennes, et qui viennent jouer.... totalement gratuitement. L'audience étant telle, se produire sur la scène est un tremplin pour tout groupe cherchant à percer, et les Aztecs en font partie. Le seul groupe payé au festival de Sunbury sera Deep Purple en 1975. C'est d'ailleurs lors de cette édition qu'une bagarre éclatera sur scène entre les musiciens d'AC/DC et les roadies de Deep Purple cherchant à évacuer le groupe australien, rappelé par le public à plusieurs reprises, et décalant l'entrée en scène du quintet anglais.
Billy Thorpe And The Aztecs débutent donc leur spectacle par une tonitruante reprise de Chuck Berry, « CC Rider ». Comme convenu, le son est d'une puissance redoutable. La guitare défenestre le public, soutenu par un implacable trio de musiciens. L'autre grande particularité du groupe est la voix de Thorpe. L'homme chante merveilleusement bien, d'un timbre haut et rugueux, capable d'hurler le Blues et le Rock à pleins poumons. Il préfigure toute une génération de chanteurs de Hard-Rock australien à venir, dont AC/DC, Cold Chisel et Rose Tattoo. Les Aztecs en sont aussi les pionniers musicaux, étant l'un des premiers groupes du genre dans le pays avec les Masters Apprentices ou les néo-zélandais de Human Instinct. Mais leur particularité est le répertoire pratiqué, essentiellement des reprises Rock et Blues, qu'ils déforment à l'envie par des improvisations sauvages. Ils préfigurent également une certaine forme de ce que l'on peut qualifier de Pub-Rock, même si ils n'ont pas l'approche de la vision britannique du genre au milieu des années 70. Ils défrichent en tout cas ce qui servira de base à AC/DC et Rose Tattoo, les deux quintets ayant ouvertement affiché leur admiration pour Billy Thorpe et sa musique. Les seconds inviteront même le guitariste sur scène quelques mois avant sa mort brutale. Le son de la guitare de Thorpe augure de manière incontestablement le son du Hard-Rock australien, à la fois prodigieusement électrique, et profondément ancré dans le Blues et le Rock'N'Roll des années 50.
Suite à une reprise Boogie de « Be-Bop A Lula » de Gene Vincent, à des année-lumières de la version twist des Chaussettes Noires d'Eddy Mitchell, les Aztecs interprètent une composition de Thorpe : « Mumma ». Sans conteste le morceau le plus violent de tout le disque, il est le théâtre d'un festival de guitare abrasive de douze minutes, finissant de réveillant le public assommé de chaleur de Sunbury. Démarré dans un larsen incandescent, le titre voit Thorpe hurler le Heavy-Rock de toute ses prodigieuses capacités vocales. L'homme est un compositeur inspiré, ce qu'il avait déjà prouvé avec des chansons comme « Ain't Going Down Again ». Mais l'homme est peu prolixe, préférant réservé son talent dans les improvisations. Il va peu à peu développer son écriture, lui qui n'avait que peu composé, y compris au milieu des années 60. Ainsi, la plupart des hits des Aztecs de 1965-1966 étaient pour la plupart des reprises réarrangés, chose qui se faisait beaucoup à l'époque. Ce sont les Easybeats qui vont encourager les musiciens australiens à écrire leurs propres chansons, grâce du premier hit international d'origine australe en 1966, « Friday On My Mind », composition du chanteur Harry Vanda et du guitariste Georges Young. « Mumma » est en tout cas une véritable rocket sonique, morceau majeur qui permet à Billy Thorpe de démontrer ses immenses qualités de guitariste. Car l'homme est également un musicien doué, tant en riffs qu'en soli. Son jeu solide et électrique, anticipe une certaine forme de Heavy-Metal, et n'est pas sans rappeler par moments le Jimmy Page des deux premiers albums de Led Zeppelin.
La reprise de « Rock Me Baby » de BB King rappelle la version sauvage de Blue Cheer sur leur premier album de 1968. On y retrouve cette brutalité et cette rudesse caractéristiques du trio américain, ancré dans le tempo lourd plutôt que dans le swing. Mais les Aztecs sont un groupe plus virtuose, infiniment plus imprégné de Rythm'N'Blues. Billy Thorpe est en tout cas un sacré chanteur de Blues, un Blues shouter incroyablement crédible.
« Most People I Know Think That I'm Crazy » sera le grand tube de Billy Thorpe, et fait véritablement partie de l'histoire du Rock australien. Il sera numéro 3 dans les classements nationaux un mois après ce concert, et reste à ce jour la meilleure vente de Thorpe dans son pays durant les années 70. Il faut dire que la mélodie vénéneuse rentre parfaitement dans le cortex, et le guitariste en profite pour improviser à l'envie durant dix minutes sur la scène de Sunbury. Il ouvre la voie à l'incroyable « Time To Live ». Cette furieuse heavy song au riff massif rappelle à certains égards Black Sabbath, mais la superbe envolée lyrique sur chaque couplet, et sur laquelle Thorpe démontre son talent vocal, est un véritable sommet de Rock électrique rappelant à nouveau Led Zeppelin. Les claviers de Morgan et la guitare se relaient en de superbes soli. L'émotion qui se dégage est dense, prenante, entre orage du riff et douceur amère du couplet.
Le disque se termine par deux efficaces pièces de Rock'N'Roll promptes à chatouiller les orteils d'un public d'ores et déjà conquis. « Jump Back » est un Boogie frénétique, qui s'enchaîne sur « Ooh Poo Pa Doo », Rock nerveux sur lequel Thorpe fait généreusement participer le public. Même si l'on peut trouver le passage un brin démagogique, on ne peut que vibrer avec le groupe lorsque 200000 bouches chantent à l'unisson avec le guitariste, et ce après deux longues années de travail à jouer partout où ils le peuvent.
Ce concert, capté sur bande, mais aussi à la télévision, sera publié en août 1972 sous la forme de ce double album, qui suit donc un autre disque en concert, simple celui-là, autre gig marquant de la carrière du quatuor. Il faudra attendre 1974 pour qu'un nouvel album studio fasse son apparition, « More Arse Than Class », appuyant l'idée que Thorpe n'était pas un compositeur prolixe d'une part, et que le vrai élément des Aztecs était la scène d''autre part. En 1973, Billy Thorpe And The Aztecs se produiront à nouveau en tête d'affiche du festival de Sunbury, cette fois-ci en terrain totalement conquis.
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1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci pour ce très bon article sur Billy Thorpe. Musicien trop peu connu en Europe (voire même totalement inconnu - incroyable !-).
L'ambiance et le son de ce live chaud comme la braise m'évoque irrémédiablement le "Slade Alive !". J'adore.

Sur le DVD de Rose Tattoo, "Live 1993 from Boggo Road Jail", on peut voir Angry Anderson se prosterner en exultant de joie lorsque Thorpe monte sur scène pour une reprise anthologique de "Goin' Down".