lundi 30 novembre 2015

ISOTOPE

 "Isotope joue énormément, et sa cohésion musicale est totale."

ISOTOPE : Golden Section 2008

Je ne sais pas réellement pourquoi, mais cet album accompagna mes longs mois de solitude. Il fut la bande-son de mes errances, de mes remises en question, de mes recherches personnelles. Je me souviens de la bande blanche défilant dans mon rétroviseur sur les routes qui me menèrent à des rencontres, à des amis, à des concerts aussi, dont celui de Soft Machine Legacy vu au Festival Rock In Opposition. Cela me replongea dans le Jazz-Rock de Soft Machine et ses satellites. Dont celui-ci, que je ne connaissais absolument pas, et dont je n'attendais, mais alors, strictement rien.
Il est aussi le compagnon de rêverie des moments difficiles. Lorsque tout devient trop pénible autour de moi, j'ai besoin de me replier sur mon monde intérieur. J'ai besoin d'entendre ces sons d'un autre univers, me plonger dans ces disques obscurs, de trouver des lectures qui permettent à mon esprit de ne plus avoir de connexion avec les soucis qui m'accablent. Cela me permet de le mettre au repos, de ne pas phosphorer encore et encore, de retrouver ma liberté quelque part. Lorsque je me plonge dans ce monde, j'ai l'impression d'être recroquevillé sur moi-même, les mains sur les oreilles, les yeux fermés dans le coin d'une pièce, caché, à attendre que l'orage s'éloigne de moi. Sans cela, je sens mon cerveau se consumer, perdre pied, je sens la folie me guetter. Je sais pertinemment que nous ne sommes plus très nombreux à écouter ce genre de musique, et j'ai l'impression qu'elle s'adresse encore davantage à moi seul.
La constellation Soft Machine n'est pas toujours un monde doux et rêveur : ces noms de groupe ou ces pochettes à base scientifique, ces formules mathématiques ou chimiques, comme pour retranscrire l'inhumanité de ce monde par trop matérialiste. De petits carrés de couleur, en relief, comme sur 7 de Soft Machine. Ce jazz-rock un peu froid, ces musiciens aux visages sérieux sur des photos en noir et blanc. Hugh Hopper, John Marshall, Mike Ratledge, Roy Babbington, Karl Jenkins, Gary Boyle... ont tous des physiques de profs. De la technique, de la rigueur, de la musique qui fait réfléchir. Et puis de la poésie qui ressort de cet univers si particulier, de prime abord si rébarbatif. Des dessins à bases de pièces mécaniques, de formes géométriques, de formules d'éléments chimiques, de grands tuyaux de couleur présentant un monde urbain vide. La sensation d'être seul devant un monde de science-fiction technologique déshumanisé. Celui de Georges Orwell et son 1984, dont Hugh Hopper en fera un album solo en 1973. La peur devant ces grands espaces sans âme. C'est ce que retrace la musique de tous ces groupes. Le joli monde en rose et gris de Caravan est devenu froid et effrayant comme le béton d'étranges constructions futuristes des grands ensembles de banlieue.
Isotope est un groupe fondé par le guitariste Gary Boyle en 1973. Auparavant, il travailla à plusieurs reprises avec Brian Auger, notamment avec son Trinity. Il fut également musicien de session dans la constellation Jazz-Rock  : Soft Machine, Keith Tippett, ou Stomu Yamashta. Brian Miller prend les claviers et Nigel Morris la batterie. Un premier album éponyme est publié avec Jeff Clyne à la basse.
En 1974, Miller est remplacé par Laurence Scott, et Clyne par un certain Hugh Hopper, qui a quitté Soft Machine en 1973. Un second album sera enregistré, Illusion. Mais surtout, Isotope tourne énormément en Europe et aux USA. Car le nouveau quatuor régénéré a énormément à offrir musicalement.
Isotope est un groupe de Jazz-Rock donc. On retrouve la plupart des éléments définissant ce genre musical, à l’instar de Mahavishnu Orchestra ou Weather Report. Isotope injecte beaucoup de groove dans sa musique, elle possède une teinte Funk assez proche de ce que proposera Billy Cobham en solo. Mais il y a aussi un quelque chose d'indéfinissable en plus. Un paramètre difficile à expliquer qui rend la musique d'Isotope totalement captivante. C'est une musique d'espace. Là où les grands noms du genre ont parfois tendance à oublier le tempo, le feeling, pour se concentrer sur la technique et le langage Jazz pur au détriment de la musicalité, Isotope reste dans la poésie. C'est une musique d'évasion, extrêmement mélodique. Bien sûr, il y a de la rigueur, de la technique, mais cela est mis à la disposition de morceaux relativement courts dans l'univers du Jazz-Rock, environ cinq ou six minutes, à l'exception de « Spanish Sun », dépassant quelque peu les neuf.
Durant les années 1974-1975, Isotope trouve son incarnation la plus prodigue. L'apport musical de Hugh Hopper est majeur. Sa basse souple, son jeu riche apporte un fantastique liant entre la guitare de Boyle et le piano électrique de Scott. Le jeu de batterie de Morris est luxuriant, utilisant énormément les cymbales et les roulements de caisse claire et de toms sur des tempos très enlevés.
Isotope joue énormément, et sa cohésion musicale est totale. Golden Section est un témoignage de ce travail sur scène. Il est un alliage de plusieurs sources en concert. Si les albums sont de bonne facture, ils n'arrivent pas à retranscrire pleinement le potentiel créatif du quatuor. C'est ce que retrace ce disque. Et en particulier sa pièce maîtresse, une session pour Radio Bremen le 20 mai 1975 dont les six premiers morceaux sont issus. Le groupe est augmenté du percussionniste Aureo De Souza, en rupture de Weather Report. Les interprétations sont un aboutissement total. Tout y est parfait, à la note près. La musique y coule, fluide, lumineuse, pleine de swing, de virtuosité maîtrisée.
A commencer par cette sublime version de « Illusion ». Jamais ce morceau n'aura eu autant de punch, de mordant. Et il y a cette mélancolie sous-jacente, cette sensation de décoller et de planer au-dessus du monde, à une vitesse folle, de le voir défiler, totalement détaché. La basse de Hopper vrombit sur la batterie et les percussions, sonnant le thème du morceau, rejoint par les notes liquides du piano électrique, et les arpèges gorgés de wah-wah et de sustain. Le tempo continue à tourner à plein régime tandis que Boyle se lance dans de petits riffs Funk constellant le solo de piano. Hopper écrase sa wah-wah, faisant louvoyer ses quatre-cordes entre les deux instruments lead. Puis la guitare s'envole dans un chorus échevelé, magique, véritable envolée de Jazz électrique magique. On est pris à la gorge par la cohérence du groupe, capable d'improviser en restant concis. Isotope est un groupe vif. Le quatuor ne s'offre pas de longues improvisations qui pourraient paraître par trop prétentieuse. Il reste proche du thème, chaque chorus est pesé, il est le fruit d'un travail de répétition et de scène intense.
Car Isotope tourna non stop pendant ses trois années d'existence, que ce soit en Grande-Bretagne, en Europe, et même aux Etats-Unis. Le plus étonnant, c'est qu'ils furent des premières parties totalement à contre-emploi, devant un public à priori pas du tout réceptif, accompagnant des formations Hard-Blues ou Sudistes comme Allman Brothers Band, Johnny Winter ou Average White Band. C'est en tout cas ce rythme de concerts intensif qui permit au groupe d'être aussi efficace.
Sa sonorité est aussi très particulière : une guitare électrique très en avant, tendue de sustain, un piano électrique saturé, une batterie foisonnante, aux roulements typiquement Jazz, et un bassiste brillant, s'intercalant comme un second guitariste, à la fois accompagnateur et soliste, volubile ciment entre le piano et la guitare. L'autre immense qualité d'Isotope, c'est la singularité et la beauté de ses thèmes musicaux, particulièrement mélodiques, souvent aériens et incitant toujours à la rêverie, à la déambulation de l'esprit.
« Rangoon Creeper » est un thème Funk, mid-tempo, qui voit les musiciens joués avec le volume de leurs instruments, pour laisser la place à chacun. Son rythme et sa mélodie sont obsédants, addictifs. Impossible de s'en défaire, ils vous collent à l'oreille pendant des jours. « Attila » démarre sur un rythme plus épais, vêtu d'une mélodie tendue. Boyle tient alors un petit riff de guitare plein de groove, laissant le piano de Scott improviser, cascades de notes liquides. Puis les deux hommes échangent les rôles. Le solo de six-cordes est d'un lyrisme magique, comme durant la totalité de cette première séance. On le retrouve tout au long du sublime « Spanish Sun », lumineux comme un ciel d'été au couchant sur la plaine aride de l'Andalousie. La six-cordes se pare de sonorités arabisantes et flamenco. Sur des scintillements de cymbales doux comme le son des vagues sur la plage, Boyle explore les possibilités de sa guitare. Le thème est délicat, lancinant, mystérieux comme une médina.
« Crunch Cake » ramène Isotope sur les terres Funk. Guitare, basse et piano emmènent un thème souple. Boyle appuie sur la wah-wah, avant de laisser le piano s'exprimer tout au long du morceau dans une longue improvisation tout à fait passionnante.
« M And Ms Picture » accélère le tempo, sur un roulement de caisse claire rapide typiquement Jazz. La basse de Hopper tient le riff, pendant que Boyle l'enlumine d'arpèges. Scott se livre à un nouveau solo flirtant parfois avec le boogie-woogie. La six-cordes s'envole alors dans un solo parfait, épique et tout en volées de notes rapides.
Le reste est en fait plus anecdotique. D'abord parce que la prise de son est moins bonne, ensuite parce que les interprétations sont un ton en-dessous des six premiers morceaux, absolument parfaits. Néanmoins, la version du morceau « Golden Section » est excellente, avec la basse de Hopper tendue de fuzz et une rythmique parfaite, lourde, mid-tempo, moite de groove, malgré un son brillant légèrement.
La découverte de la musique d'Isotope et de ce disque me ravirent par la formidable cohésion du quatuor et sa vraie originalité dans l'univers du Jazz-Rock. La poésie qui s'en dégage n'a que bien peu d'équivalent, et ne provoque à aucun moment ni ennui, ni sensation d'auto-satisfaction. C'est une musique pour les rêves, pour les voyages, qu'ils soient réels ou de l'esprit. Un disque audacieux, puissant, qui ouvre la porte à la découverte des trois albums studios d'Isotope, tous excellents, et dont les morceaux sont ici transcendés par la spontanéité de la scène.
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mardi 24 novembre 2015

DOGS 1980

 "Dominique était un maniaque de la guitare. Il voulait retranscrire ce qu’il aimait en une fusion d’acier brûlant."

THE DOGS : Walking Shadows 1980

Il pleut sur Rouen depuis plusieurs jours. Les trottoirs luisent d’humidité moite. La fraîcheur du mois de septembre normand n’a pas découragé quelques jeunes gens de traîner dans la rue en ce samedi soir. Ils sont assis sous un abribus, et parlent forts, l’air vaguement arrogant. Ils ont tous une cigarette Gauloise à la bouche, et une bière Kronenbourg à la main, le pack bien calé sur le banc usé et graffité. Ils iront sans doute faire un tour au bar-tabac du coin racheter un paquet de cigarettes et faire une partie de flipper ou de babyfoot. Une Renault 14 passe dans la rue dans un panache de fumée blanche d’essence plombée. Les petits gars regardent les voitures passées. Ils aimeraient bien en avoir une, pour aller sur Paris un week-end, faire la fête loin de la grisaille de la province. Ils n’espèrent qu’une chose : ne pas finir docker sur le port ou ouvrier sur une chaîne de montage. Ils voudraient faire des bandes dessinées, vendre des disques dans une boutique, bricoler des motos, vivre de ce qu’ils aiment plutôt que de bosser pour vivre.

Le froid commence à les saisir, malgré les bières. Ils se dandinent sur leurs jambes, la tête rentrée dans le col et les mains profondément enfoncées dans leurs poches de blouson. L’un d’eux propose bientôt d’aller au concert de la MJC du coin voir un groupe local. Ils s’appellent les Dogs, et ils ont une réputation flatteuse. Il les a même vu dans Rock’N’Folk et Best, alors c’est dire s’ils doivent être plutôt bons. Le temps de finir les dernières bières du pack, et direction la salle de concert. Cette dernière est déjà pleine de jeunes gens comme eux, il y a même des filles. Pas beaucoup quand même, elles préfèrent le disco et John Travolta. Celles qui sont là sont forcément différentes, elles ont un truc en plus. Un nuage de fumée de cigarettes nimbe le public jusqu’au plafond de la petite salle dans laquelle s’entassent cinq cent gamins. Les musiciens montent sur scène sous les applaudissements et les cris. Le guitariste- chanteur Dominique Laboubée salue le public d’un geste nonchalant avant de se saisir de sa guitare, de remettre négligemment le revers de sa veste sous la sangle, et de jeter un regard vers ses deux compères : Hughes Urvoy de Portzamparc à la basse et Michel Gross à la batterie. Ces derniers sont plutôt mutiques, distants. Ils ont cette morgue de rockers punks, qui masquent difficilement les petits sourires en coin révélateurs de la satisfaction du chemin parcouru.

Les Dogs ont achevé une année riche en étapes importantes pour leur carrière de musiciens : un passage à l’émission « Chorus » d’Antoine de Caunes sur Antenne 2, et une prestation remarquée au Festival Frenchrockmania au palais des Sports de Paris, où jouèrent les meilleurs groupes Rock français. Clairement, les Dogs sont au-dessus du lot, mais ils sont aussi à part. Si Bijou, Trust, et Téléphone s’imposent grâce à une musique énergique chantée en français, et aux références évidentes, comme les Rolling Stones ou AC/DC, les Dogs chantent en anglais, et leurs références musicales sont bien plus pointues. Ils font partie de cette seconde division magnifique qui préfère chanter en anglais : Little Bob Story, Ganafoul ou Factory. Les rouennais ont ce truc en plus, ni totalement Punk, ni totalement Rock stonien. Ils aiment les Stooges, MC5, mais aussi le Rock anglais des années 60 et la Garage-Rock américain le plus obscur. Ils puisent à pleins poumons leur inspiration dans la noirceur urbaine. Ils ont le visage anguleux des mecs érudits, ayant soudé leur Rock dans les concerts qu’ils donnent depuis 1973, et dans les enregistrements de morceaux originaux comme les reprises les plus judicieusement choisies. Comme celle de « Shout » des Isley Brothers à Chorus, pour rappeler ce qu’ils sont : un groupe de Garage. Ils savaient jouer, les Dogs. Dominique était un maniaque de la guitare. Il voulait retranscrire ce qu’il aimait en une fusion d’acier brûlant. Ce n’était pas de la régurgitation de Rock 60’s mal dégrossie, mais bien un son rêvé, entendu dans sa tête, ce qui était pour lui le Rock urbain.

Je me souviens d’un film de 1980 avec une version en direct de la chanson « Algomania ». C’était pour « La Brune Et Moi ». Ce long-métrage n’a que peu d’intérêt, si ce n’est de faire jouer des groupes de Rock français de l’époque. Parmi eux, il y avait les Dogs. Il y a ces quelques secondes de silence, cadrant le groupe prêt à jouer. Puis ils délivrent une version serrée, tendue, de ce morceau génial. Ils ont une élégance folle. Laboubée est nonchalant, le regard noir, la mâchoire serrée, chantant de son accent traînant. Portzamparc est concentré, Gross est possédé. Ce dernier porte des gants de cuir noir, et frappe ses peaux d’une manière frénétique, très Punk. Ils avaient ce truc en plus, ils étaient intenses. Ces trois petites minutes frappèrent mon imagination de manière indélébile. Ils étaient à part sur la scène française, ils n’étaient pas dans le cliché, mais dans l’action : les disques, les concerts. Ils étaient soutenus par la presse musicale, mais ne firent finalement l’objet que de peu d’articles. Ils étaient sur la route en permanence, vendaient leurs disques, et existèrent jusqu’à la mort de Dominique Laboubée en 2002. Ils bénéficiaient d’un succès d’estime tout à fait raisonnable, mais restèrent pour toujours dans l’ombre, payant sans doute leur refus de venir s’installer sur Paris plutôt que de rester sur Rouen. Leur distance les écarta du cercle des gens qui comptent, mais montrait combien la musique était ce qui comptait le plus pour eux. Leur attitude n’était pas une pose, mais bien ce qui coulait naturellement dans leurs veines. C’est ce qui fait leur force et celle de leur Rock, pour toujours.

Walking Shadows est leur second album. Ce choix réside dans la présence de la chanson « Algomania », qui resta pour moi une obsession. Mais ce disque a aussi une tonalité très particulière. Il est dans doute le plus noir, le plus agressif de tous. En plus des influences déjà citées s’ajoutent clairement des formations Punk New Wave anglaise dont Joy Division et Wire. Le son de la batterie gorgé d’écho s’inspire d’ailleurs de cette scène, ce qui est pourtant plutôt un bémol, car il date quelque peu l’enregistrement. Une certaine insouciance s’envole avec ce disque. Après la signature avec le label Philips et la sortie du premier album, les Dogs découvrent que leur maison de disques ne met pas beaucoup d’argent sur eux, et ils seront remerciés après ce second disque. Ils le savent d’ailleurs déjà, d’où sans doute cette atmosphère mordante et glaciale. Le juteux Garage-Rock hargneux expédié en trois minutes laisse la place à des morceaux plus longs permettant au trio d’exprimer sa rage et son spleen. On retrouve bien évidemment ce qui fit toute leur personnalité, mais un halo de tristesse et de désillusion s’enroule autour du Rock des Dogs, à l’image de la magnifique photo en noir et blanc de la pochette, nocturne.

« Secret Life » est une première décharge de chevrotine emportée par un tempo rapide. La basse est très présente, grondante, épaisse, permettant un soutien sans faille de la guitare de Laboubée, qui s’envole en circonvolutions de chorus subtils et désenchantés. « Boy » sonne encore plus métallique et agressif, frustration juvénile totale. La colère sourde en permanence, tension des corps.

« Algomania » est un monument à lui seul. Dans sa version studio aux tonalités New Wave, elle brille d’une aura nouvelle. Elle conserve bien évidemment toute sa violence, mais se transforme davantage en un cri dans la nuit plutôt qu’en uppercut teigneux dans sa version en direct filmée. La mélodie conserve toute sa grâce et son élégance racée. C’est le morceau le plus méchamment Punk du répertoire des Dogs, mais davantage dans la lignée des Saints que des Sex Pistols. La référence australienne n’est pas anodine, car l’approche du groupe français s’approche furieusement de celle du quatuor de Brisbane. « Walking Shadow » s’imprègne d’arpèges maladifs et électriques à l’influence de Manchester : Joy Division. Cette approche conserve néanmoins toute son esthétique Garage américain. Laboubée brode des dentelles de guitares orageuses sur un tapis de basse et de batterie d’une densité époustouflante. L’influence New Wave anglaise s’impose également sur le sombre « The Disfigured », qui s’imprègne de l’atmosphère de Cure. Dominique Laboubée est totalement convaincant dans son rôle de jeune homme chantant d’une voix oscillant entre folie et désespoir. Il joue avec le larsen de sa guitare, faisant monter l’atmosphère d’orage noir en un crescendo de riffs furieux grondant comme des éclairs. Un orgue mortifère nimbe le morceau dans une brume de crépuscule.

« Underworld » repart dans les horizons Pop sous une charge de guitare brute. Le riff heurté renforce l’impression métallique, sur laquelle Laboubée délivre un solo en forme de sanglots électriques. « ‘79 » est une course effrénée et intrépide, éjectée en deux minutes et trente secondes venant lever un temps l’obscurité, suivi de « Skin On Skin » dans le même ton. « Anna Jane » est une belle chanson d’amour dans un monde triste. Si cette ville doit nous engloutir à tout jamais, autant vivre notre passion avec feu. On y distingue les subtilités de mélodiste de Laboubée, cette influence Pop anglaise. L’album se clôt sur le terrifiant « Evil Heart ». Ce cœur du Mal est un résumé de l’âme de cet album : un riff frondeur et grondant, un chant menaçant, et toujours ce Rock’n’Roll qui bat dans la poitrine, malgré la violence du son, son atmosphère urbaine et terriblement moderne. Le chorus de guitare est d’une beauté fulgurante. La section rythmique est absolument sans faille. Portzamparc abat un travail de basse exceptionnel, lui qui avait débuté l’instrument seulement une semaine avant de débuter dans les Dogs en 1977.

Résolument affûtés, le trio de Rouen joue indéniablement l’un des Rock les plus excitants de l’Hexagone. Il a su consolider sa réputation en produisant un disque sans concession, qui ne connaîtra pas le succès commercial. Abandonné par leur maison de disques, il doit se résoudre à prendre la route pour promouvoir seul sa musique. Il y avait bien le simple offert avec l’album, avec deux titres en français, une première, dont « Cette Ville Est En Enfer », mais son texte sombre et son atmosphère déprimante rebutèrent, et il ne trouvera pas d’oreille attentive sur les radios. Le soutien de Marc Zermati de Skydog en tant que manager va permettre aux Dogs de retrouver un second souffle salvateur, et de poursuivre leur trajectoire musicale dans de bonnes conditions. L’album suivant sera un retour aux sources des influences essentielles du groupe : le Garage Rock des années 60. Le nom du future album ? Too Much Class For The Neighbourhood.

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mardi 17 novembre 2015

DIAMOND HEAD 1982

Borrowed time….. j’ai écrit ce texte vendredi soir sans savoir. Un ami m’a envoyé un simple message : « on aurait pu y être ». C’était bien vrai. Je ne suis pas un grand fan de Eagles Of Death Metal, mais un concert au Bataclan, on aurait pu y être. Comme pour Robin Trower il y a deux ans. Ou une autre salle de petite importance, peu surveillée…. On aurait pu mourir, simplement parce que l’on aime le Rock, et que ces fachistes n’aiment pas cela. Ils n’aiment personne d’ailleurs : ni les femmes, qu’ils violent, ni les enfants, qu’ils battent, ni eux-mêmes, qu’ils font exploser. Nous sommes des kufars : des mécréants. Nous aimons cette musique occidentale, boire de l’alcool, voir les filles en décolleté, fumer une clope, se marrer, raconter des grosses conneries…. Il n’est plus question de religion dans tout cela. C’est un appel à l’anarchie d’extrême-droite, déstabiliser le modèle occidental, aussi imparfait soit-il, pour mieux faire triompher le banditisme, le commerce des femmes, des armes, du pétrole, de la drogue. Qu’importe si tout cela est vendu aux mêmes occidentaux que l’on déteste. L’essentiel, c’est l’argent, si possible en dollars bien américains, parce que c’est plus sûr. Nous sommes pris en étau entre les capitalistes des multinationales qui nous font crever de faim, et les capitalistes du grand banditisme terroriste qui nous font crever sous les balles. Il est temps de se relever et de leur dire d’aller se faire foutre. Dans la douceur de cette mi-novembre, des hommes ont eu peur. Vraiment. Dans la chaleur de la nuit.

"Borrowed Time est un disque immense sous son apparence d’honnête album de Hard-Rock mélodique."

DIAMOND HEAD : Borrowed Time 1982

Qu’y a-t-il dans la chaleur de la nuit ? Nous sommes deux, l’adversité nous observe. Il n’y a pas d’échappatoire, dans la chaleur de la nuit. La lumière blanche des réverbères éclaire d’une lumière pâle et fantomatique les visages des âmes du crépuscule. Ils marchent sans but, le cœur vide, les pensées noires. Ils recherchent un peu d’affection, là, dans la chaleur de la nuit. Nous pourrions faire l’amour, sur le bord de ce lit, dans la chaleur de la nuit. Personne ne peut plus nous atteindre. Nos sueurs se mêlant, au plus profond de notre désir, l’un pour l’autre. Nous laisser le temps, ne plus parler, juste laisser faire nos corps. Il n’y aura pas de survivant, dans la chaleur de la nuit. Tu seras mienne, et nous vivrons enfin, libres.

La flamme du briquet effleure l’extrémité de la cigarette. Une profonde inspiration laisse échapper une bouffée de fumée, rejetée d’une expiration sèche. Une gorgée de bière, et puis l’homme repart, dans l’obscurité de la rue un soir d’hiver, humide et froid. Il plonge ses mains dans les poches de son blouson de cuir, renifle machinalement. L’affiche plaquée sur les palissades du chantier voisin au théâtre municipal, de format quarante sur soixante centimètres, est de couleur noir, avec un logo blanc, au lettrage d’inspiration asiatique, et au nom du groupe se produisant ce soir : Diamond Head.
Le O est un diamant rutilant. Le ciel s’ouvre enfin pour eux. La lumière éclaire bienveillamment leurs visages de gosses mutins. Après un premier album sous forme de sept morceaux à l’état de démos brutes, mais d’une qualité musicale exceptionnelle, Brian Tatler à la guitare, Sean Harris au chant, Colin Kimberley à la basse et Duncan Scott à la batterie sortent de l’ombre après trois années de concerts dans les clubs britanniques. Le disque, à la pochette blanche dédicacée, se vend une première fois à quelques milliers d’exemplaires aux concerts. Ses deux rééditions suivantes la même année feront de même. Nous sommes en 1980, et la New Wave Of British Heavy-Metal est à son sommet. Iron Maiden, Judas Priest et Saxon sont en haut des classements nationaux, Samson et Tygers Of Pan-Tang ratissent les salles de concert. Diamond Head fait partie de ces groupes dont le potentiel d’une évidente qualité frappe les esprits de la presse et du public venu aux concerts. Mais aucune maison de disques d’envergure n’a encore pris la peine de les signer. Ce sera chose faite en 1981, sur le label MCA, le même que les Tygers Of Pan-Tang. Mais en 1981, ces derniers ont déjà sorti deux albums, et s’apprêtent à publier le troisième. Diamond Head ne publiera qu’un EP quatre titres cette année-là, et son premier album officiel au début de l’année suivante.

En 1981, le Heavy-Metal anglais a déjà muté brutalement vers la puissance : Motorhead classe son disque en concert en tête des classements anglais, Venom et Raven publient leurs premiers opus, Iron Maiden, un second disque plus vif et élaboré. Il faut choisir son camp cette année-là : mener la course à l’armement, ou s’orienter vers un Hard-Rock mélodique élaboré inspiré de Michael Schenker Group et Scorpions. Praying Mantis et Samson optent pour cette voie, avec brio. Diamond Head également. Ceux que l’on qualifia de fiers successeurs de Led Zeppelin vont davantage être ceux de UFO. Il faudra attendre octobre 1982 pour que Borrowed Time paraisse enfin. Il est pour ainsi dire déjà trop tard. La New Wave Of British Heavy-Metal a fait long feu, il n’en reste que des scories. Les groupes survivants doivent durer et s’exporter. Iron Maiden et Judas Priest ont réussi en s’imposant aux Etats-Unis, Saxon et Motorhead se limitent déjà à l’Europe. Pour Samson, Savage, Grim Reaper, Chateaux, c’est déjà laborieux en leurs propres terres, quand ils n’ont pas déjà sombré corps et âme, comme Holocaust ou Blitzkrieg. Diamond Head survit de par sa musique ambitieuse et hors de portée de toute contingence strictement Heavy-Metal. Leur réputation sera en tout cas suffisamment importante pour que l’album se classe honorablement.

Ce disque alliera le brio avec une certaine déception de façade. En effet, le quatuor va réenregistrer deux morceaux de son premier LP auto-produit sur sept titres, ce qui fut considéré comme un manque d’ambition et de matériel original sur la période séparant la publication des deux disques : dix-huit mois. Ce qu’on analysa moins, c’est que Diamond Head n’a pour l’heure jamais publié d’album officiel, l’album dit blanc n’étant en fait qu’une bande de démonstration qui ne satisfit guère les quatre musiciens de par sa qualité d’enregistrement. Ses ventes plus qu’encourageantes, bien qu’à l’édition laborieuse, en firent avec le temps le vrai premier album de Diamond Head, mais dans la tête de ses membres, cela n’était absolument pas le cas. Une captation de qualité des deux morceaux que sont « Lightning To The Nations » et « Am I Evil » paraissait donc logique à leurs yeux, d’autant plus que l’écriture ne dépareillait pas avec les nouvelles compositions. Le EP Four Cuts paru l’année précédente était après tout constitué notamment d’un morceau remontant à 1979, « Dead Reckoning », un de 1978, « Trick Or Treat », et un autre déjà paru en face B en 1980 : « Shoot Out The Lights ». Ce qui était évident, c’est que Diamond Head n’avait pas tourné le dos à un ancien répertoire, et avait de la suite dans les idées. Ses chansons, qu’elles soient de 1979 ou de 1982, paraissaient comme un répertoire cohérent, sans rupture stylistique majeure. Cela ne fut pas le cas pour d’autres groupes dont l’approche évolua plus ou moins brutalement au gré du vent musical du moment. Pourtant, on leur reprocha aussi la production de Mike Hedges. Sophistiquée, puissante, luisante comme une lame, elle sonnait plus proche du Rock FM des années 80 que de celle du Metal d’Iron Maiden ou Black Sabbath. C’est d’ailleurs toujours l’erreur d’appréciation qui est faite à la première écoute. Car elle a finalement bien mieux vieillie que beaucoup de disques du genre à la même époque. Au plus peut-on reprocher l’excès d’écho sur les caisses de la batterie, mais l’on est encore bien loin de ce qui sera commis sur Brothers In Arms de DireStraits par exemple.

Borrowed Time est un disque immense sous son apparence d’honnête album de Hard-Rock mélodique. Sa composition et son interprétation sont bien plus fines qu’elles n’y paraissent, et c’est bien cette subtilité modeste qui en fait toute la qualité. Il est dans la lignée du Before The Storm de Samson, autre merveille du genre. Mais l’album de Diamond Head, est, il faut l’admettre, un cran au-dessus. Il est à ce point fabuleux qu’il me toucha dès ma première écoute du haut de mes seize printemps. Il n’était pas fait de cette esbroufe caractéristique aux jeunes musiciens dévoilant leurs premiers enregistrements.

« In The Heat Of The Night » est pour moi la plus belle chanson romantique de tous les temps. Flirtant avec le danger, résignée, amère, elle est pourtant gorgée de cet espoir fou, celui d’aller au-delà du doute qui nous étreint. Mélodie poignante, elle prend au ventre, acide. Adulte aussi. Il n’est plus question de Heavy-Metal de kids, mais bien d’un Hard-Rock de grand garçon. Une ligne de basse sourde, un riff simple, une batterie massive sourdant d’un écho lointain : le Hard-Rock de Diamond Head est une musique plus froide, plus distante, qui nécessite d’être apprivoisée. Par contre, rien à voir avec une quelconque musique gothique ou New Wave : le son de la guitare est rauque, la batterie toujours puissante, la basse métallique, le chant toujours aussi virevoltant, mais davantage maîtrisé. « To Heaven From Hell » en est la preuve parfaite : un tempo d’enclume, de l’électricité. Et puis l’explosion speed de la seconde partie, permettant un solo tout en dissonances, audacieux, loin des clichés Metal de l’époque.

« Call Me » fut un choc pour le public de la New Wave Of British Heavy-Metal : trop commercial, trop putassier, il n’était qu’un appel du pied au grand public, aux dépens de ses vraies origines musicales. Il est le prototype du Diamond Head de 1982 : une mélodie accrocheuse, un riff en béton, et puis une lente et insidieuse progression dans un vrai son Rock de plus en plus intense. Même cette nouvelle version de « Lightning To The Nations » se charge de cette âme lourde qui imprime toute la force de ce disque : tempo légèrement plus posé, puissance imprimée non par la vitesse mais par la maîtrise de la mélodie. La vélocité n’est plus un argument, mais un outil secondaire. La fougue de la jeunesse qui était le moteur du premier disque n’est plus le sang de Borrowed Time.

La chanson titre est la fusion subtile entre le Heavy-Rock progressif du premier disque et ces mélodies obsédantes qui emplissent cet album. Ce morceau est obsédant, c’est le cas depuis vingt ans. Je l’écoute toujours avec ce pincement au cœur, cette amertume si caractéristique. Les versions enregistrées en concert, notamment pour la BBC seront infiniment supérieures, toutes dotées de cette dynamique de prise en direct. Comme pour « In The Heat Of The Night », dont celle de BBC In Concert est absolument dantesque d’intensité et de pureté. A ce point qu’elle révèle la vraie majesté des chansons, et efface cette rugosité initiale des versions studio. Mais j’aime aussi cette dernière. Elle donne toute la personnalité au disque, son côté adulte. Et les morceaux se parent d’une intensité unique. « Don’t You Ever Leave Me » est d’une beauté cancéreuse, qui n’est pas sans rappeler les thèmes obsédants de Robin Trower. « Am I Evil ? » est l’immense classique du répertoire de Diamond Head, défini comme tel par la reprise de Metallica, à ce point connue qu’elle fit croire au public de ces derniers qu’ils en étaient les vrais auteurs. Et de voir Diamond Head se faire huer en première partie à Milton Keynes en 1994 parce qu’ils reprenaient du Metallica. Mais la force d’interprétation est telle, bien plus intense que la puissance sonore en elle-même, qu’elle balaya rapidement les doutes de l’audience. Car le quatuor tire sa magie de la qualité de ses chansons et de sa sincérité à toute épreuve.

Borrowed Time atteint la 24ème des classements britanniques d’albums, ce qui semblait ouvrir une voie royale à Diamond Head, enfin. La prestation du groupe au festival Monsters Of Rock ne fit que confirmer ce statut de futur grand du Heavy-Metal. L’album jeta pourtant un trouble dans l’esprit des fans, qui semblait déstabiliser par ce disque si mature par rapport à son fulgurant prédécesseur. Les inédits récemment publiés datant de 1981 donnent un bon aperçu d’un album potentiel qui aurait pu faire la transition entre le virulent Heavy-Metal de 1980 et le Hard-Rock chromé de 1982. Diamond Head préférera jeter sa copie, et repartir de zéro pour aboutir à la seconde étape sans transition. Ce succès resta fragile, et Diamond Head tâcha de consolider son public par une intense campagne de concerts en Grande-Bretagne. Ces quatre-là allaient s’imposer, c’était évident.

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mercredi 11 novembre 2015

JIMI HENDRIX MIAMI 1968

"L’écoute de ce concert, plus de quarante années après, offre un plaisir intense."

 JIMI HENDRIX : Miami Pop Festival 2013

            Il m’arrive régulièrement d’avoir une crise « Jimi Hendrix ». Sans trop savoir pourquoi, j’ai besoin d’écouter sa musique. Les raisons me restent mystérieuses, mais lorsque cela me prend, j’achète un album manquant à ma collection. Et ils m’en manquent toujours. Jimi Hendrix est mort en septembre 1970, mais depuis, des albums d’enregistrements studio ou de bandes en concert paraissent. Il n’est pas médisant de déclarer que tout cela est avant tout mercantile, car comme les grands groupes de la fin des années 60, la publication d’un album d’inédits est rentable. Et pendant plus de trente ans, tout cela fut avant tout totalement intéressé. A la mort d’Hendrix, son producteur, Mike Jeffery, parfait truand qui aura exploité le guitariste jusqu’à la corde, partit avec la caisse sans payer les employés de sa compagnie. Furieux, ces derniers piquèrent les clés de l’appartement du pauvre Jimi, et pillèrent tout ce qu’il y avait : guitares, bandes, manuscrits, vêtements…. Tout cela se retrouva sur le marché dans la plus complète anarchie. Jeffery lui-même avait conservé un certain nombre d’enregistrements, et en fit publier sur des labels divers et variés. La maison de disques officiel Polydor publia donc des albums, et plusieurs labels plus ou moins légaux aussi, à partir de bandes sorties d’on ne sait trop où.

La longue procédure qu’entama la famille Hendrix, elle aussi intéressée, il faut le dire, aboutit dans les années 90. Le label Experience Hendrix devint le seul label autorisé à publier les enregistrements de Jimi Hendrix. Et cela fut selon moi plutôt une bonne chose. Car beaucoup d’enregistrements studios et en concert, inédits ou déjà parus sous des formes peu orthodoxes, refirent surface de manière propre et aboutie. Le tout est de plus produit par Eddie Kramer, précieux producteur du vivant d’Hendrix, et gardien du temple du son du guitariste. Les puristes considèrent tout cela comme simplement dégoûtant, ne voyant la publication de ces disques que comme de simples machines à cash dénaturant l’héritage et l’esprit du musicien, qui avait laissé toute cette musique de côté de son vivant. Et qui l’avait fait car il devait considérer cela comme insuffisant en termes de qualité. Si ce n’est que son nom atterrit sur des disques comme le live Band Of Gypsys, qui n’était pour lui qu’un simple moyen de se débarrasser de contrats foireux. Si aujourd’hui, cette musique s’éclaire d’un jour nouveau, elle fut fortement critiquée à sa sortie. Et Jimi Hendrix avait l’esprit plus préoccupé par son projet de double album à paraître fin 1970, ainsi que celui avec Miles Davis, par deux fois repoussé pour des questions d’emplois du temps des deux hommes. Alors oui, la famille Hendrix encaisse désormais des fortunes grâce à ces publications : les deux derniers albums d’inédits ont atterri dans le Top 10 des ventes d’albums aux USA et en Grande-Bretagne, preuve de l’importance toujours vivace de l’homme sur le monde la musique. Mais le résultat est à la hauteur, en tout cas à des années-lumières en termes de qualité de ce qui fut paru auparavant.

Personnellement, je ne juge pas la démarche, ni les enregistrements comme étant indignes ou non du travail du guitariste. Il faut savoir prendre ce qui est proposé pour ce que c’est vraiment : des versions studio inédites, des improvisations de travail, et des bandes en concert, à vif. Ce qui m’impressionne, c’est la quantité d’enregistrements publiés, et ce qui dort sans doute encore pour une publication officielle. Quand on sait que l’homme n’a travaillé que quatre années, c’est le temps qu’il faut à un groupe moderne pour pondre un album de dix chansons…. Certes l’homme travailla à plein temps, ne prenant que deux maigres semaines de vacances au Maroc entre ses enregistrements en studio et les concerts. Il capta tout sur bandes, et ce qui est absolument hallucinant, c’est qu’il n’y a quasiment rien à jeter. La qualité augmente même avec le temps, car tout ce matériau s’éclaire d’un jour nouveau, et prend une valeur incroyable. J’en suis même toujours plus admiratif quand on pense que tout cela a désormais plus de quarante-cinq ans, et quand on compare tout cela avec la musique mainstream d’aujourd’hui. L’inventivité, l’audace de ce type dans son jeu, le son, les improvisations, les mélodies, tout cela avec un batteur, un bassiste et une guitare électrique et un amplificateur…. c’est sidérant.

Mon dernier achat est ce disque en concert au Miami Pop Festival de 1968. Paru en 2013, il n’est pas la dernière publication du label Experience Hendrix, ni la plus mythique, et sans doute pas la meilleure de tous les temps selon les spécialistes. Mais son écoute m’a ébouriffé, du moins ce qu’il reste de ma longue chevelure blonde. Il s’agit d’une prestation absolument époustouflante d’intensité et de puissance. Le contexte n’est pourtant pas très reluisant. Jimi Hendrix est en passe de s’imposer dans son pays natal, les Etats-Unis. L’homme a publié deux albums, Are You Experienced et Axis : Bold As Love en 1967, tous deux de parfaits succès commerciaux en Grande-Bretagne et en Europe. Lui et son groupe, l’Experience, enfoncent les portes de l’Amérique en défenestrant le public à l’aide d’un set incandescent sur la scène du festival de Monterey, et au cours de laquelle il brûlera sa guitare. Afin de capitaliser sur le succès des deux premiers albums, une compilation nommée Smash Hits paraît au mois d’avril 1968 en Grande-Bretagne. Une tournée américaine le même mois en tête d’affiche doit installer Jimi Hendrix sur le continent américain. Mais pour cela, le répertoire de l’Experience se concentre sur les morceaux de cette fameuse compilation, au grand dam du guitariste. En effet, ce dernier est déjà passé à autre chose, et est en train d’enregistrer son grand œuvre : Electric Ladyland. Lassé du format des chansons de quelques minutes, et du strict Blues-Rock, il veut explorer des terres plus vastes. Cette tournée est pourtant abordée avec l’envie d’en découdre. Jimi Hendrix n’est pas du genre à tourner en rond. Il va donc subtilement déformer ses vieux classiques, usés durant deux ans sur toutes les scènes du monde. Il leur injecte de petites improvisations et chorus, tout en conservant le rythme et la mélodie initiaux.
            Etape plutôt saugrenue de cette tournée américaine : le Festival Pop de Miami. La Floride ne fait pas partie des Etats au cœur de la scène musicale Rock américaine. Tout se passe en Californie, dans le Michigan, et à New York. Le Sud des Etats-Unis est un berceau de la musique Blues, mais cela concerne essentiellement le Delta du Mississippi. Miami est en marge, peu de formations en sont issues. Il faudra attendre une dizaine d’année pour voir apparaître des groupes Southern-Rock comme les Outlaws de Tampa ou Blackfoot de Jacksonville. Ce festival Pop fut organisé par Richard O’Barry et Michael Lang, les deux promoteurs du Festival de Woodstock l’année suivante. Etabli sur deux journées, la seconde sera fortement perturbée par des trombes d’eau, décidément une malédiction des événements montés par les deux hommes. L’affiche comprend Frank Zappa And The Mothers Of Invention, Blue Cheer, John Lee Hooker ou Arthur Brown. Jimi Hendrix Experience doit clore les festivités le dimanche. 25000 personnes ont fait le déplacement, pour admirer les groupes jouant sur une remorque de camion posée sur un hippodrome. La seconde édition de ce festival aura lieu au mois de décembre de la même année, et sera un succès bien plus grand.
Pour l’heure, les deux promoteurs se font la main : c’est leur premier événement majeur. Et à leur plus grande surprise, Jimi Hendrix accepte de venir jouer, alors que ce dernier est en plein enregistrement de Electric Ladyland, et alors que le guitariste venait de terminer sa première série de dates. Le concert est donc ajouté au dernier moment. Sa prestation sera pour le moins épique. A son arrivée à l’aéroport, les organisateurs oublient d’aller le chercher. Ils envoient une voiture d’urgence, mais Hendrix, qui s’impatiente, loue un hélicoptère. Il fera ainsi une arrivée spectaculaire sur le site, l’appareil se posant à quelques dizaines de mètres de la scène avant que le groupe ne monte sur scène par une échelle.  L’Experience jouera le samedi à deux reprises : l’après-midi, qui sera filmé par la chaîne ABC, et le soir. Un troisième set est prévu le dimanche. Mais la météo sera tellement déplorable qu’aucune formation ne pourra se produire. Jimi Hendrix rentrera donc au studio, non sans écrire une chanson inspirée de cette anecdote : « Rainy Day, Dream Away ». Le set du Jimi Hendrix Experience sera purement et simplement explosif. Hendrix, Mitchell et Redding sont dans une forme éblouissante, et pulvérisent littéralement leur répertoire de l’époque dans un set d’une intensité exceptionnelle. Injectant énergie, puissance et modulations brillantes de leurs thèmes les plus connus, les trois musiciens vont assoir leur réputation de showmen. Cet album est donc la publication de ce concert explosif. Débuté par une version de « Hey Joe » propulsée par un larsen hurlant, l’Experience joue avec les faux départs. Mitch Mitchell est éblouissant, son jeu est sans faille, brillant. La grosse caisse tape fort, très fort. Hendrix est transporté, ses solos sont sublimes, inspirés, audacieux. Plusieurs de ses grands morceaux sont explorés de la même manière : « Foxey Lady », « Fire », « Purple Haze ».
Du Blues dans le Sud des Etats-Unis, il en est aussi question, avec une longue jam sur « Red House » toute en subtilités et finesse, et une version magistrale de « Hear My Train A Comin’ ». Ce morceau, uniquement interprété en concert, mais jamais publié en studio de son vivant, est un thème poignant, grondant d’une douleur sourde teintée de résignation. Il est l’ancêtre de « Voodoo Chile », exceptionnel Blues mid-tempo que l’on retrouvera sur Electric Ladyland. Seule nouveauté au répertoire de Jimi Hendrix Experience : un instrumental dénommé « Tax Free », qui n’aura pas de publication studio officiel avant la mort du guitariste gaucher. Durant huit minutes, les trois musiciens explorent le riff en un Funk métallique et retors.
Ce concert est sans doute le plus représentatif de ce que Jimi Hendrix Experience était capable de produire en termes de qualité musicale : le groupe est concis, inspiré, puissant, dynamique, sans le moindre dérapage. Il est une quintessence de ce qu’ils avaient à offrir en 1968, et donne un bon aperçu de ce qu’était la révolution Jimi Hendrix sur la Pop Music de l’époque. L’écoute de ce concert, plus de quarante années après, offre un plaisir intense. Il fut en tout cas à ce point marquant, que Frank Zappa lui-même tint à en conserver un souvenir. A la fin de sa prestation, Hendrix incendiait sa guitare, reproduisant son gimmick du Festival de Monterey. Zappa récupéra les morceaux de la Fender Stratocaster brûlée grâce à un roadie d’Hendrix. Il la conservera comme décoration pour son studio, avant de la faire reconstruire après la mort de Jimi en 1970, tout en conservant son aspect carbonisé. Il s’en servira durant toute la décennie, en hommage à ce set percutant parmi ceux qui révolutionnèrent l’approche de la guitare électrique.

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jeudi 5 novembre 2015

DARKTHRONE 2013

"Il m’aura donc fallu attendre cet album pour être pleinement convaincu du potentiel de Darkthrone."

DARKTHRONE : The Underground Resistance 2013

            Ces hommes ont touché le feu de trop près. Ils ont senti le brasier de la folie lentement les consumer, avant de faire un pas en arrière, juste pour rester en vie. A la fin des années 80, la Norvège plonge dans le grand bain du Metal Noir. Influencé par Venom, Slayer et Celtic Frost, ainsi qu’à l’ambiance très particulière des grandes forêts sombres du pays, une petite bande de kids décida d’aller encore plus loin dans le Thrash-Metal. Le pionnier parmi tous fut Mayhem, quarteron de furieux qui accouchèrent d’un EP, Deathcrush, en 1987 qui définit les premières règles de ce que l’on va appeler le Black-Metal seconde génération : guitare en cascade de riffs d’outre-tombe, batterie au tempo démentielle, chant à la limite du vomissement. Et bien sûr, il y a les thèmes des textes : les Enfers, la Mort, les sévices les plus immondes. Les concerts sont rares, mais de l’ordre du happening, finissant en émeute, le guitariste grimé des premiers corpse-paints, ces peintures de visage blafardes comme un Kiss maléfique, et un chanteur se tailladant le corps avec un poignard jusqu’à l’évanouissement.
           Peu à peu, Mayhem disparaîtra derrière ses frasques sinistres, laissant au final bien peu de musique du temps de sa légende noire. On citera un chanteur dépressif se tirant un coup de fusil dans le crâne après s’être ouvert les veines et déambulant partout dans la maison, répandant du sang partout, un guitariste trouvant le corps et ayant pour premiers réflexes de prendre des photos de la scène et de récupérer des bouts de crâne pour les offrir à ses plus proches amis avant d’appeler les secours. Oystein Aalseth, alias Euronymous, formera par la suite un cercle sataniste, l’Inner Black Circle autour de son magasin de disques d’Oslo, Helvete (Enfer en norvégien). Ce dernier sera rejoint par un autre furieux du nom de Varg Vikernes, fondateur du groupe Burzum, qui va contribuer à politiser le débat strictement musical de départ. Tout ce petit monde va se retrouver plus ou moins directement impliqué dans des incendies d’églises en bois, et le meurtre d’un homosexuel. Une dispute entre Aalseth et Vikernes pour une sombre histoire d’argent tournera au meurtre du premier par le second. Le Black-Metal norvégien va se retrouver noyé dans la fange de tous ces faits divers sordides. Il faut dire que tous auront fréquenté de plus ou moins près l’Inner Black Circle et ses deux têtes pensantes : Aalseth et Vikernes. Tous sont devenus des suspects potentiels, tristes sires d’un genre musical dont on a oublié le vrai sens musical.
            Gylve Fenriz Nagell était un ami proche d’Aalseth. Ils furent à l’origine de la nature musicale du Black-Metal. Le premier en définit le terreau musical et la philosophie, le second la technique guitaristique. Nagell était un passionné de Heavy-Metal, et connaissait sur le bout des doigts de nombreux groupes qui serviront de matériaux au Black-Metal norvégien. Il y aura bien sûr les incontournables : Motorhead, Black Sabbath, Venom, Celtic Frost et Slayer. Mais s’ajouteront plusieurs formations plus obscures issues de la New Wave Of British Heavy-Metal : Holocaust, Grim Reaper, Avenger, Blitzkrieg, ou Satan. Si Mayhem aura produit la première trace discographique tangible du Black-Metal seconde génération, le premier véritable album du genre sera Blaze In The Northern Sky de Darkthrone, groupe de Fenriz, en 1992. Il en définira tous les contours musicaux, et servira de matrice à tous les groupes contemporains : Immortal, Emperor, Aura Noir ou Satyricon. Même Mayhem en utilisera des éléments pour son premier vrai album à venir : Mysteriis Dom Satanas en 1994, publié sur les cendres de ce qu’il restait du groupe.
            Nagell tournera rapidement le dos à Aalseth, lorsque ce dernier, influencé par Vikernes, orientera le débat sur un terrain politique proche de l’extrême-droite. Fenriz voyait le message musical et culturel disparaître sous des inepties nauséabondes, et la belle rébellion du Black-Metal pourrir en des idées sinistres. Il ne condamnera pas totalement, partageant certains points de vue avec Vikernes sur l’identité norvégienne. Les deux hommes se regardent aujourd’hui de loin, sans doute nostalgiques du temps ancien où les belles idées musicales n’avaient pas encore basculé dans le scabreux.
Si Nagell n’éprouve guère de regret sur cette époque obscure, il semble que musicalement, notre homme l’exprime différemment. Car Darkthrone n’a plus grand-chose de purement Black-Metal depuis longtemps. Après l’album Panzerfaust en 1995, la formation norvégienne va basculer dans un Thrash-Metal Punk de plus en plus Heavy-Metal. Et ce disque est l’aboutissement de cette démarche. Darkthrone est la création de Fenriz, batteur, et du guitariste chanteur Ivar Enger, alias Nocturno Culto. Plusieurs musiciens complèteront la formation, et ce afin de permettre à Darkthrone de jouer sur scène. Mais rapidement l’idée est abandonnée, ces derniers n’aimant guère l’idée de partir loin de chez eux pour jouer des semaines dans des clubs miteux à travers le continent européen ou américain. Ils n’enregistreront donc plus que des disques en studio à partir de 1993, et resteront sous la forme d’un duo réalisant l’ensemble de leur matière musicale. La course à l’armement aboutira à Transylvanian Hunger en 1994, sommet de Black-Metal ivre de violence sur lequel figurera la triste mention « Pure Black-Metal Aryen » dans un souci de provocation aussi ultime qu’inutile. Rappelons que le terme d’aryen n’avait rien à voir avec le nazisme au départ. Il s’agissait d’une théorie fondée au 19ème siècle par deux linguistes anglais, Jones et Young, qui constatèrent des similitudes entre les langues anciennes Indiennes et Européennes. Ils définirent donc les contours d’un peuple originel indo-européen, source de toutes les grandes civilisations du Monde. Ce peuple aurait notamment résidé au Nord de l’Europe, et les Nazis en déformeront le principe pour expliquer que les Allemands en étaient les derniers représentants sur Terre, les autres lignées ayant été viciées par les peuples autochtones, dont les Juifs.
Puis, le duo reviendra vers ses terres originelles que sont Venom et Celtic Frost. Il ne cessera d’ailleurs de le faire au cours de sa carrière : Blaze In The Northern Sky était déjà dans cette veine, et s’avère bien plus écoutable que les disques suivants, successions de blastbeats aussi fatiguant que stériles, tuant la vraie puissance de la musique. En effet, les riffs de guitare, ces cavalcades incessantes et glaciales, inspirées directement des soli de Fast Eddie Clarke sur le morceau « Overkill » de Motorhead, avaient de l’idée, et auraient pu aboutir à une musique à la force artistique bien plus grande. Mais la recherche de l’extrémisme fut la plus forte, dans le but avoué de sélectionner au maximum l’auditoire plutôt que de faire avancer la musique.
Le virage aura donc lieu bien plus tard. La seconde génération de Black-Metal réduite en cendres à la suite des différents scandales évoqués plus haut, elle va pourtant en engendrer une troisième qui va s’inspirer de la musique et de l’image sulfureuse, tout en lui injectant des contours plus acceptables pour le plus grand nombre d’adolescents. Les nouveaux noms se nomment Cradle Of Filth, Dimmu Borgir…. Ils reprennent les corpse-paints, les poses dans les forêts sombres, mais injectent des claviers, des chœurs féminins et des orchestrations pour donner une dimension plus romantique. Tout cela va bien évidemment ulcérer les purs et durs du Black-Metal que sont Ivar Enger et Fenriz, qui décident aussitôt de faire évoluer leur Metal vers ce qui fut le terreau initial du groupe plutôt que de servir de caution à un genre musical dans lequel ils ne se reconnaissent plus. Ils vont d’abord chercher dans un Crust-Punk agressif mais plutôt terne, qui va éloigner les vieux fans sans en ramener de nouveaux. Darkthrone est de plus en plus isolé sur son île, et plus personne ne semble suivre leur trajectoire artistique. The Underground Resistance apparaît dans le paysage musical en 2013 sans que l’on attende quoi que ce soit de plus que son prédécesseur, Circle The Wagons, en 2010. Ils avaient certes atteint une certaine respectabilité qui leur permet d’atteindre la 23ème place des classements norvégiens. Mais cela n’empêche pas Fenriz de conserver son travail d’employé à la Poste nationale. Ce nouvel album est pourtant un tournant important dans leur carrière. S’ils ont acquis une respectabilité musicale par leurs albums Black des années 90, désormais jugés avec la patine et le recul des années passées, Darkthrone n’est plus à la hauteur des discours d’esthète que le batteur-maître à penser distille sur le net. Si il est toujours un fin connaisseur du Heavy-Metal, pour moi, rien ne transparaît vraiment dans sa musique.
Il m’aura donc fallu attendre cet album pour être pleinement convaincu du potentiel de Darkthrone. Il me faut admettre que Blaze In The Northern Sky avait ma faveur dans son approche plutôt varié des tempos, proche du modèle Celtic Frost. La suite s’avèrera pour ma part bien moins convaincante, vite lassé par cette impression de trépignement permanent plutôt qu’à la recherche de climats musicaux. The Underground Resistance s’affirme comme un disque de Heavy-Metal pur et dur, aux références clairement affirmées et assumées, et à la composition aussi ingénieuse que riche. C’est une synthèse de Celtic Frost, Venom, Mercyful Fate, mais aussi Blitzkrieg, les premiers albums d’Iron Maiden et Holocaust, savamment distillé sur six pièces de musique ambitieuses.
« Dead Early » débute dans un grondement de guitare et de basse mêlée, lointain, menaçant. Le riff explose, crachant un feu malsain soutenu par la voix granitique de Nocturno Culto. L’homme a conservé des traces de son chant Black, mais il s’est étoffé pour se rapprocher de celui de Tom Fischer de Celtic Frost, voire même sur certaines intonations, à King Diamond. Efficace pièce de Heavy-Metal de cinq petites minutes, elle précède un thème plus speed, « Valkyrie », cette fois-ci chanté par Fenriz. Ce dernier possède des vocaux clairs, se rapprochant de ceux du Heavy-Metal anglais, justes, assez hauts perchés, presque fragiles, mais pas du tout dans l’esbroufe des grands hurleurs des années 70. Le thème musical est lui aussi très similaire à la New Wave Of British Heavy-Metal. Il rappelle par instants les premiers morceaux de Diamond Head, référence peu usitée par Darkthrone.
« Lesser Men » est une pièce de Doom-Metal mid-tempo, au riff galopant en cavalcade de riffs assassins et sournois. Celtic Frost est la référence absolue, mais Darkthrone parvient au niveau de son illustre inspiration. Le thème se meut comme un serpent vicieux autour du riff principal. La voix de Nocturno Culto accentue l’orage, et le brio de l’interprétation sans faille, transpirant la passion du genre, fait de « Lesser Men » un très grand morceau de proto Thrash-Metal.
« The One You Left Behind » est une surprenante chanson puisqu’elle voit les deux musiciens chanter … en harmonie. Mêlant vocaux profonds et clairs, cet alliage permet d’accentuer le côté dramatique du morceau. C’est néanmoins le titre le moins intéressant du disque, bien qu’il ne soit pas inutile pour autant. Le riff et le tempo manquent de relief et peinent à maintenir l’intérêt sur la durée, surtout après les trois premiers impeccables prédécesseurs.
Et l’immense « Come Warfare, The Entire Doom », longue pièce épique de plus de huit minutes, ne fait qu’écraser un peu plus le morceau auquel il succède en termes de qualité. Alternant les climats noirs en une cathédrale de riffs incandescents, il mélange le brio de « At War With Satan » de Venom, et la science de l’électricité de Mercyful Fate. Le chant de Nocturno Culto, alternant les graves et les montées dans les aigus rageurs, s’inspire très largement de Mercyful Fate. Mais l’obsession du riff martelé et ondulant progressivement sans jamais lasser prend aussi sa source dans le « Helpless » de Diamond Head, une fois encore.
« Leave No Cross Unturned » vient clore ce grand disque par un furieux alliage des plus beaux aciers musicaux. Sur un tempo rapide, la voix de Fenriz monte dans les aigus comme Brian Ross de Blitzkrieg. La structure du morceau en rappelle aussi le groupe. L’explosion en un massif Heavy-Metal obsédant et crasse est du pur Celtic Frost. Les riffs de guitare se tordent sous la chaleur des amplificateurs, ou plutôt sous le froid des Enfers de Glace du Grand Nord.
Obsédant, érudit, noir et luisant, The Underground Resistance est comme les plus belles lames des Peuples Viking et Celte. Bien qu’il soit au demeurant plus accessible que le Black-Metal qui fit sa réputation, il est un disque savant qui nécessite au préalable quelques rudiments de Heavy-Metal des années 1980-1985. Et c’est sans aucun doute ce qui a inspiré le titre de cet album : la fusion de références du genre devenues cultes mais à l’époque très marginales, et qui le reste autant pour le grand public, que pour celui Metal au sens large. N’est pas amateur de Celtic Frost et de Venom qui veut. En comprendre l’essence absolue est une science, et c’est bien ce que signifient Nocturno Culto et Fenriz. Si les deux hommes ont laissé derrière eux l’extrémisme musical, ils restent des éclaireurs et de puissants alchimistes, travaillant les substances les plus dangereuses pour créer leur propre matière. Ils sont simplement passés du travail d’artificier à celui d’orfèvre.

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