dimanche 18 décembre 2016

ELECTRIC WIZARD 2000

"Plus brutal, plus dynamique, tout en conservant son côté écrasant, Dopethrone est un vrai grand chef d'oeuvre." 

ELECTRIC WIZARD : Dopethrone 2000

Il y avait les élus, et puis il y avait les autres, ceux qui avaient été initiés, et ceux qui restèrent sur le bord du sentier. Plonger dans le monde d'Electric Wizard, c'est ouvrir une lourde porte secrète, découvrir le Monde de l'Au-Delà et en revenir carbonisé, le regard fixe, la Vérité dans l'âme.
Au coeur des années 90, le Rock avait retrouvé une grande vitalité par l'entremise du mouvement Grunge. Le monde du Metal était en ébullition grâce aux grosses locomotives Guns'N'Roses et Metallica, mais également par le sulfureux Black-Metal norvégien. A ces phénomènes médiatiques, de nouveaux mouvements alternatifs comme Le Stoner et le Doom prirent forme. Connectés au Rock des années 70 et 80, ils refusèrent le formatage, et décidèrent d'explorer les frontières de la civilisation. Cet univers obscur va coexister avec tout un pan de musique de moins en moins Rock et de plus en plus Electro : le Grunge va s'éteindre, laissant sa place aux bidouillages de Radiohead, à la Pop resucée d'Oasis, et au New Metal de Linkin Park. Déjà, un monde s'éteint, laissant sans héritier grand public le Rock des glorieuses années 70, survivant uniquement par l'existence toujours vivaces d'AC/DC, Black Sabbath, Deep Purple, Motorhead ou Status Quo. En somme, un monde comme celui d'aujourd'hui, avec encore un peu de Rock dedans, tout de même, le terme n'étant pas encore l'indicatif d'une mode vestimentaire, mais bien d'un courant musical toujours vivace.

Les groupes Stoner-Doom l'ont bien compris, et d'ailleurs, ne ils veulent plus rien avoir avec ce monde commercial et formaté. Ils veulent développer leurs propres univers, souvent connectés par les mêmes références littéraires, musicales et cinématographiques : HP Lovecraft, Edgar Allan Poe, Black Sabbath, Budgie, Mountain, Celtic Frost, Tolkien, les films de la Hammer, Aleister Crowley…. Cet univers noir, malsain, empreint de démence dénote clairement un besoin de s'échapper au plus loin de la réalité, quitte à opposer à la société un monde parallèle violent et satanique.
Jus Osborne est un jeune garçon du Dorset, dans la campagne anglaise, définitivement imprégné de cette contre-culture mortifère. Il s'est construit seul, loin des codes de ses camarades de classe. Il a bu jusqu'à la lie le calice de la subversion, et vit désormais dans ce fantasme noir qui va alimenter toute sa musique. Garçon au physique un peu épais et court sur patte, il a depuis longtemps renoncé à être un gamin dans la norme, conscient que si il ne trace pas sa propre voie, il sera un éternel perdant. Quitte à rester dans l'obscurité, autant le faire avec la plus grande sincérité.

Tim Bagshaw et Mark Greening le rejoignent respectivement à la basse et à la batterie. Ce sont également deux marginaux imprégnés d'occulte, deux parfaits lieutenants pour le noir dessein qui s'annonce. Le trio est signé sur le label Rise Above, crée par Lee Dorrian, chanteur de Cathedral, pour permettre à toutes ces formations funestes mais surdouées de pouvoir s'exprimer sans contraintes. Le premier album éponyme paraît en 1995. Il n'a pas encore toute la puissance subversive à venir, mais contient déjà les germes de tout ce qui fera la furie de la musique d'Electric Wizard.

La seconde offrande, Come My Fanatics.., paraît en 1997, et dispose cette fois-ci de tout le venin nécessaire. Le son est sombre, brumeux, possédé, consumé par cette flamme noire qui alimentera toute l'oeuvre à venir. La batterie mate de Greening, la basse grondante de Bagshaw, la guitare au pétrole de Osborne, et son chant de gamin hystérique perdu dans l'écho, tout est là, couché sur un tapis de Doom et de Stoner aux paroles occultes. Les trois n'hésitent pas à se perdre volontairement dans leur propre monde pour respirer tous les relents fétides au plus près. Ils s'imprègnent de drogues de toutes sortes, parfois dures, afin de pénétrer au plus près de l'Enfer démoniaque qu'ils tentent de construire.

Dopethrone est le troisième album du groupe. Il est publié en la fatidique année 2000. Prophétique si elle en est, elle devait être celle de tous les cataclysmes, annoncés pêle-mêle par Nostradamus ou les Incas. Il n'en sera finalement rien pour nos pauvres âmes, à part ce disque dantesque, monument de granit impénétrable venu sur Terre par on ne sait quelle force obscure. La musique est plus compacte que son prédécesseur, mais tout aussi possédée. La voix sature, la guitare tronçonne d'épaisses tranches de sapin, les baguettes rebondissent sur la caisse claire comme un corps décharné sur un mur. Aucun genre Metal n'avait produit une telle déflagration sonore depuis vingt ans, depuis le premier album de Celtic Frost et de Pentagram, en l'an de grâce 1984. Ces deux disques avaient à la fois passé un cap supplémentaire en termes de violence, tout en restant fidèles à des codes de Blues blanc estampillés 1968-1972.

Electric Wizard ne fait pas dans la surenchère grand guignol, les bols d'hémoglobine, le maquillage et les pochettes à base de boyaux. Ils équarrissent un Rock ravageur, halluciné, et habité d'esprits venus de la culture populaire, les romans de science-fiction, les films d'horreur, la sorcellerie ancestrale britannique, l'Histoire, la démonologie antique. La musique, impressionnante, parle pour eux. Il n'y a ici aucune démonstration technique, tout est au service de l'atmosphère crée, empruntant çà et là quelques bribes de dialogues de films, instaurant des climats fuligineux et imprégnés d'une noirceur appuyée par le Doom-Metal implacable de ces trois démons. La pochette est symbolique de cet univers, avec son diable enfumé, et ses inscriptions au graphisme psychédélique.

« Vinum Sabbathi » qui ouvre l'album est un épais tapis de Heavy-Doom au tempo massif mais plus rapide que la moyenne des morceaux d'Electric Wizard. On pourrait même parler de groove pour le trio, la dynamique malsaine étant belle et bien présente. On retrouve la force du grand Black Sabbath, sans doute ce vin de Sabbath qui irrigue le titre. « Funeralopolis » débute de curieuse manière, sorte de Blues psychédélique dominé par la basse de Tim Bagshaw, et à la saveur assez proche de Cream. Puis le riff se met à tonner comme un orage, enfonçant dans le sol le côté léger de son introduction. Osborne hurle des paroles mortifères comme un gamin possédé. La ligne mélodique se déforme sous les volutes lysergiques, bientôt rattrapée par le riff en enclume. Puis en seconde partie, le tempo s'emballe, créant une sorte d'hystérie collective, une hallucination cauchemardesque. Cette accélération possédée n'est pas sans rappeler Black Sabbath et Budgie sur leurs longues pièces aux constructions progressives.

D'ailleurs, puisque l'on parle de Progressif, « Weird Tales » est une pièce en trois actes de quinze minutes. Elle débute par une première partie entre Heavy et Punk, rappelant Venom et Motorhead. La seconde partie, très atmosphérique, instaure un climat froid et lugubre, qui laisse la place à une troisième partie, particulièrement épaisse, Doom en diable, au tempo mortuaire. Malgré le riff répétitif, obsédant, il n'y a rien de trop, créant un climat sombre et possédé, comme sut le faire Sleep avec « Jerusalem » en 1998.

« Barbarian » débute par le cri désespéré d'un homme : « The wizard ! ». C'est l'esprit du Mal qui prend possession de ce fantastique obus de Doom . Le riff est malsain, Punk, soutenu par une batterie impitoyable, enfonçant de grands pieux de bois dans le sol comme le Golem en colère. Jus Osborne et Tim Bagshaw déroulent un tapis de bombes électriques avec leurs guitares, une herse fermant tout accès à la moindre douceur.
« I, The Witchfinder » est une reddition brutale et plombée du Grand Inquisiteur, film de Michael Reeves et dont l'acteur principal était Vincent Price. Sorti en salles en 1968, il obsède toute une génération de musiciens de la scène Stoner et Doom. « Witchfinder General », titre du film en anglais, fut même le nom d'une des grandes formations fondatrices du genre dans les années 80. Electric Wizard est le premier à déterrer ce symbole trouble du cinéma britannique. Le trio déroule un climat glauque, entre cri de désespoir et résignation vers la Mort.

« We Hate You » est une déclaration on ne peut plus claire du groupe envers le monde qui l'entoure. L'incompréhension est complète, et il n'est nullement question de rallier l'un vers l'autre. Electric Wizard a décidé de suivre sa voie, et rejette massivement la bonne société. Une voie alternative se trace dans la violence, et le groupe l'annonce fièrement sur un tempo massif et un riff meurtrier. « Dopethrone » clôt l'album dans un fracas d'acier. Malsain, menaçant, le groupe construit à coup de médiator un temple du riff noir. Le riff se déforme dans la fumée des drogues, obsessionnel jusqu'à la moelle. Jus Osborne développe un dernier chorus, rare chez Electric Wizard, qui tient davantage du dérapage possédé. Le groupe est une entité musicale soudée qui ne laisse place à aucune mise en avant individuelle. Le solo ne sert qu'à ajouter de la matière à l'atmosphère suffocante de la musique.

Plus brutal, plus dynamique, tout en conservant son côté écrasant, Dopethrone est un vrai grand chef d'oeuvre. Le trio en publiera plusieurs, même une fois que la section rythmique sera partie après l'album Let Us Prey en 2002. Néanmoins la cohérence du trio original est des plus démoniaques, et restera un jalon majeur dans l'histoire de cette formation. Electric Wizard jouit d'ailleurs d'un petit succès commercial ces dernières années, sa musique publiée entre 1995 et 2002 connaissant enfin la reconnaissance qui lui ait dû en tant qu'influence pour de nombreuses formations modernes. Sleep vit d'ailleurs lui aussi ce retour du public après avoir oeuvré dans les années 90 dans l'indifférence et l'incompréhension générale. Ils étaient des pionniers, et ont ouvert la route vers d'autres mondes.

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mercredi 14 décembre 2016

Nouveau livre

Mon second livre consacré à la vie et à la musique de Fast Eddie Clarke sera disponible à partir du 20 décembre chez mon éditeur,  Camion Blanc,  ainsi que dans toutes les bonnes librairies.


lundi 28 novembre 2016

THE MARSHALS 2016

"Le vieillard postier avec sa charrette s'en va à travers la campagne."

THE MARSHALS : Les Courrier Sessions 2016

Le Rock français a toujours eu du mal à retranscrire avec sincérité l'âme du Blues. Comment pouvait-on décemment comparé Paris ou Lyon à Detroit, Chicago, New York, ou même Birmingham ? Il y avait toujours cet arrière-goût de saucisson et de camembert qui gâchait la musique. Quelques rares exceptions surent le faire, comme Little Bob Story, du Havre. Mais le Blues en France reste un truc exotique, une musique de nègres suant dans sa veste à paillettes, avec une grosse voix rabotée par le tabac et le whisky, jouant dans des festivals de sexagénaires cherchant le frisson de l'Amérique lointaine et fantasmée.
Moulins, dans l'Allier. La capitale des Ducs de Bourbon est comme de très nombreuses petites villes de province, bloquée dans le passé entre ses industries fermées et sa ruralité s'évaporant avec la disparition des exploitations. Comme Autun, Nevers, ou Digoin, leurs populations vieillissent et déclinent, ne survivant que grâce à quelques petites entreprises locales, un peu d'artisanat. La jeunesse a fui ces déserts sans emploi, poursuivant études et vies professionnelles dans les grandes agglomérations largement desservies par les trains et les autoroutes. Tout ce qui est à plus d'une heure de route de Paris, Lyon, Bordeaux ou Marseille peut crever tranquillement.

La musique Rock, déjà mal en point après la prise de pouvoir sans partage de l'électro-pop faisandée, ne survit que par les noyaux d'amateurs branchés, ceux-là même qui furent exécuter au Bataclan lors du concert des Eagles Of Death-Metal. Le Rock devient comme le Blues ou le Jazz : une affaire d'esthètes et d'amateurs éclairés. Car désormais, pour écouter du Rock, il faut chercher, les médias n'en servent plus directement à la radio ou sur les réseaux sociaux. S'exclure de ces grands centres culturels névralgiques, c'est se couper définitivement du monde. Le Rock en province était déjà un truc abstrait à l'époque où il occupait les grandes salles de concert parisiennes, alors aujourd'hui où il se réduit à une poignée de survivants sexagénaires….

Mes souvenirs de Moulins ne sont pas des plus impérissables. J'ai toujours traversé cette ville dans la grisaille humide ou la nuit hivernale, à travers de grandes rues semi-désertes. Cette vision a toujours été pour moi un choc profond. Si le Rock se vit dans les grandes agglomérations, l'âme de la révolte sourde dans ces cités à l'abandon, terrifiante d'ennui. Sortes de vestiges romantiques du siècle passé, elles portent les stigmates de la misère grouillante derrière les images d'une campagne champêtre et insouciante. Le Blues de Detroit, de Chicago, ou de Akron est ici, à Nevers, à Moulins, à Autun, pas à Paris. Le Rock le plus âpre de France vint de la pétrochimie du Havre et de la sidérurgie lyonnaise : Little Bob Story, Ganafoul….. un Rock fier, prolo, revêche. Le meilleur Rock vient désormais de la province de l'oubli, au plus près des ruines des Trente Glorieuses.

Autun m'avait offert sur un plateau et sous la pluie le duo Yellow Town from Nevers, voici The Marshals de Moulins. Yellow Town mêlant la nature luxuriante du Morvan aux paysages des grands espaces américains, ceux décrits par Neil Young. The Marshals explore le Blues-Rock poussiéreux des cités industrielles à l'abandon. Tout ceux qui en France s'aventurèrent à se frotter de trop près aux grands maîtres du Blues-Rock ne purent qu'avoir l'air idiot en forçant le trait de la douleur surjouée. The Marshals a réussi un exploit rare.

Le trio est composé de Laurent Siguret à l'harmonica, Thomas Duchézeau à la batterie et de Julien Robalo à la guitare et au chant. Les trois sont secondés par Mike Chassaing, boss du label Freemounts Records, au tambourin. Ils déroulent depuis quatre albums un mélange âcre de Creedence Clearwater Revival, de John Lee Hooker, et de Georges Thorogood. L'influence majeure dans l'interprétation sont les premiers albums Blues des Black Keys et des White Stripes. Le timbre rappelle d'ailleurs beaucoup Dan Auerbach. Mais les réduire à ces deux groupes récents est une erreur majeure. Les racines de ce Blues-Rock va chercher au-delà, celles du Blues électrique des années 60. Il y a la fois cette volonté de coller à l'authenticité tout en cherchant à exprimer quelque chose de tout à fait européen. Finalement, il n'y a qu'un seul vrai bémol : cette voix passée par un filtre saturé, qui n'apporte rien. Elle a suffisamment d'âme et de consistance pour se suffire à elle même.
Pour ma part, la plus belle similitude musicale est à chercher du côté du premier album des Groundhogs, Scratching The Surface. On retrouve ce son électrique imprégné de bayou de Louisiane, et cette virulence inhérente aux petits blancs de Grande-Bretagne comme de France.
Moulins a irrémédiablement injecté une amertume unique dans la musique des Marshals, parfaitement restranscrite par la belle pochette. Cette ancestrale photo de carte postale montrant un facteur de province du début du vingtième siècle insiste sur cette dimension de prospérité et de douceur de vivre perdues. Le premier morceau en dit long sur l'amertume qui se dégage : « I Gave My Wallet To The Poor ». J'ai filé mon portefeuille à un pauvre…. Réaction spontanée à cette misère rampante qui gangrène le pays, des villes à la campagne. Le clodo de Paris aura au moins droit à son petit passage sur TF1 rubrique « appeler le 115 ». Mais le petit vieux dans sa bicoque sans chauffage dans un hameau au fin fond de l'Allier…. Peut crever celui-là… trop loin.

Comme une évocation de bon vieux temps perdu : « Good Old Days ». C'est un Mojo Blues vigoureux et culbuté, qui sent bon la jolie fille sur la banquette arrière. Mais tout cela n'est qu'un cliché trop vite téléphoné. Après un gargantuesque solo d'harmonica, le morceau s'enfonce dans un spleen dantesque, granitique. Quelques accords Blues d'une mélancolie affolante s'égrènent. Le coeur est transpercée, les images se succèdent : la route, les prairies boueuses, les voies de chemin de fer et les grands hangars à l'abandon, la vitrine du bistro ouvrier définitivement fermée, toute cette vie qui fout le camp dans l'indifférence générale.

Et parce que ça ne suffisait pas, The Marshals tend la bonne perche au bon moment avec une superbe reprise du « Folsom Prison Blues » de Johnny Cash. Un homme noir tape sur un rocher avec une masse, les fers au pied. Folsom Prison Blues. La taule, sortir de la misère après les erreurs, que ne pardonnent jamais la société, qui en a tant à se faire pardonner désormais. L'homme blanc, pantalon de treillis, tee-shirt kaki, le poil court, la barbiche, bedonnant à cause du pastis bon marché, fend des bouts de bois récupérés pour se chauffer : Moulins Prison Blues ? Misère agricole, campagne en berne.
« Six Feet Tall » claque le Boogie sans vergogne. Une clope, un whisky. Le parapet du pont, la rivière qui coule, dégageant son nuage d'écume glacée….. No Regret. Le Pont sur L'Allier à Moulins, foutu monument historique que personne ne vient voir, mais qu'un brave fonctionnaire a décidé qu'il y avait autre que la Tour Eiffel dans la vie….Un homme d'un autre monde, à ne pas en douter.

Les papillons de nuit volent sur l'eau à la nuit tombée. Il fait chaud en ce mois de juillet. Sur l'Allier, ils volent encore en masse dans l'obscurité, virevoltant dans la lumière pâle des lampadaires. Un beat stomp, épais, brutal, puissant, comme une hache sur le billot. C'est un sacré voyage….Sacré Blues, d'une densité miraculeuse, sentant le marécage. C'est d'ailleurs une « Long Night ». Morceau suivant, une longue nuit. Blues râpeux et vicelard, il apporte une pointe de lumière dans le bourbier.
« Something To Hide » vient sonner les troupes. Un épais Blues-Rock rugueux et sans pitié. Trois minutes d'énergie du désespoir, avant d'appréhender le monument du disque : « Something To Hide ». Un Blues swamp collant aux basques, possédé par le démon du Bayou. Ca rampe dans les étangs de plaine de l'Allier, ça grogne comme la Vouivre. Ca sent l'herbe pourrie et le champignon de forêt. La mélancolie traîne sur presque sept minutes, voodoo possédé.

Il se répercute sur « Keep My Gold ». Garde le pognon de mémé, babe. Ce dernier Blues catharsitique est diabolique. C'est un mantra, une possession. Difficile d'être maître. Le tempo est presque africain, Blues rugueux et squelettique. Il se réveille par une merveille de solo de guitare claptonien, dont ce disque en est que trop eu dépourvu. Robalo en a sous la planche et c'est du sacrément bon travail.


 Le vieillard postier avec sa charrette s'en va à travers la campagne. Peut-être reviendra-t-il lorsque la pire des bourgeoisies conservatrices sera de nouveau en place ? Il faudra alors à nouveau crever au boulot, comme il y a deux cent ans. Et nos aînés se retourneront dans leurs tombes devant une telle connerie. Mais les ancêtres noirs pourront être fiers du Blues de Moulins. Une lumière pâle éclaire pourtant le marais : le Blues en France existe, et il est magnifique.

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mardi 15 novembre 2016

JOHN COLTRANE 1962

 "Les notes tiennent puis se déforment, avant tomber en cascade ou en tourbillon, enivrantes."


JOHN COLTRANE : Coltrane 1962



La note. Ou plus exactement la pureté de la note. Il m’aura fallu du temps pour comprendre cela. Le Jazz m’a toujours un peu fait chier depuis que je suis gamin. Ces chanteuses qui en font des caisses, qui font des « babeloudadidou »pour faire swing, les big bands, ce Jazz flonflon, ou alors celui coincé du cul genre festival de Marciac, tout cela me gonfle. Il m’a fallu un jour jeté une oreille sur Bitches Brew de Miles Davis pour revoir un tant soit peu mon jugement. Et revenir au genre via le Rock progressif, celui de Soft Machine en particulier, puis les connexions avec le Jazz-Rock, Allan Holdsworth, Billy Cobham, Tony Williams, Jack Bruce... En fait, j’aimais cette virtuosité et cette liberté musicale totale, tout en y retrouvant l’électricité folle du Rock. Et puis un jour je tombai sur Olé de John Coltrane.


Coltrane.... là encore, une connexion avec Soft Machine. Et puis Magma, dont Christian Vander est un admirateur transi. Il faut savoir que le batteur parisien s'enferma dans son petit appartement avec un électrophone et un piano, et n'écouta que du Coltrane pendant cinq années. Il ne sortait que pour s'acheter du pain, du fromage, et les albums du saxophoniste qui lui manquait. La mort du musicien en 1967 le traumatisa à un tel point qu'il voulut se laisser mourir, avant que, dan un état second de fatigue et de faim, il eut la révélation de créer sa propre musique, inspirée de l'oeuvre de Coltrane. Je n’ai pas trop compris au début, car si l’on se penche sur la période Prestige, voir même sa collaboration avec Davis dans les années 50, on trouve un Hard-Bop novateur, mais de facture assez classique, des morceaux plutôt courts, et une tonalité typique de cette époque. Pas de quoi m’emballer. Olé, ce fut autre chose : les influences arabisantes, les longues improvisations d’une dzaine de minutes, et surtout cette sensation de voyager totalement en écoutant de la musique. Ce que je ressentais en écoutant les longues jams de Soft Machine en concert en 1970-1971, je le retrouvai décupler ici, et en l’absence de toute électricité.


Alors en quête de recherche musicale, je me plongeai dans la discographie de Coltrane à la suite de ce fameux Olé, les années Impulse, celles du quartet avec Elvin Jones à la batterie, Jimmy Garrison à la contrebasse, et McCoy Tyner au piano. Le Trane se lance dans une quête éperdue de sens dans sa vie et de sa musique. Il explore, casse les codes du Jazz, et aboutira après 1965 à ce que l’on appellera le Free-Jazz. Pour l’heure on est dans ce que l’on appelle le Jazz modal et le Post-Bop, un truc dans le genre. IL se lance dans l’expérimentation rythmique et instrumentale, et produire une musique qui s’écoute et qui fait vibrer l’âme. Elle est la bande-son d’un film imaginaire, celui de nos existences, de nos rêves et de nos déceptions. C’est une musique puissante et riche, mais que finalement peu de jazzmen arriveront à faire vivre à ce point. Il y en eut en fait que deux : Coltrane et Davis.


Coltrane est pour moi celui qui sut insuffler le plus d’âme à sa musique. La pureté de son jeu de saxophone et de clarinette est époustouflant. Les notes tiennent puis se déforment, avant tomber en cascade ou en tourbillon, enivrantes. Ses comparses sont absolument indispensables : la contrebasse puissante et menaçante de Garrison, le piano mélancolique et rythmique de Tyner, l’épaisseur du son des toms et la subtilité des cymbales de Jones. L’alchimie du quartet est totale. Elle va permettre à Coltrane de produire presque une quinzaine de disques absolument magnifiques en à peine plus de cinq ans. Quand on sait qu’aujoud'hui il faut presque trois ans entre chaque disque pour un groupe ou un artiste confirmé....


Alors j’ai pris celui-ci, au milieu de la quinzaine que je me suis procuré, couvrant la période 1958-1965. Pour la pochette, sublime, flou artistique, une teinte bleue profonde. Et puis la musique.


John Coltrane entame avec de disque sa discographie au sein du label Impulse, qui sera sa maison de disques jusqu' sa mort. C'est aussi le premier album issu du quartet magique, issu de leurs toutes premières session, le 11 juin 1962. Coltrane se sent investi d'une mission artistique, celle d'écrire une musique dont l'âme serait capable de retranscrire toute la ferveur mystique dont il est empreint. 1957 est une année décisive pour le saxophoniste. Après des débuts prometteurs et remarqués aux côtés de Thelonious Monk et Miles Davis pour lequel il se révèle totalement, il flambe totalement sa carrière et sa réputation par une consommation délirante d'alcool et d'héroïne, poison qu'il découvrit à la fin des années 40. Il découvre donc la spiritualité, et y trouve une paix intérieure nouvelle qui le pousse à arrêter tous ses excès. Sa musique sera alors une quête, celle d'y exprimer toute la ferveur que lui inspire les religions, au sens large du terme, l'homme n'étant pas foncièrement pratiquant dans l'une ou l'autre des confessions. Son étourdissement proviendra donc uniquement de sa musique, qu'il pratique avec une énergie confinant à l'obsession. Sa nouvelle direction musicale provoque un choc au sein de la communauté Jazz. Coltrane développe depuis Giant Steps ce que la critique appellera ses « nappes de sons », c'est-à-dire de grandes accélérations de notes aux tonalités orientales et hispaniques, éléments totalement inédits dans le Jazz d'alors. Si une partie du public adhère, des concerts comme ceux de l'Olympia à Paris en 1961 le verront se faire siffler. Avec le recul, ces réactions semblent plutôt extrémistes, car Coltrane conserva de son propre désir une grande variété dans son répertoire, y compris dans des sonorités plus conventionnelles. Ses improvisations furieuses ne faisaient donc pas l'objet de tous ses albums, ce qui laissait au public un grand panorama musical. Son génie s'exprime néanmoins particulièrement bien sur ces grands espaces de liberté, où l'homme s'envole littéralement.


Album représentatif de cette nouvelle approche, Coltrane s'ouvre sur « Out Of This World », thème d'Harold Arlen . C'est une longue pièce de plus de quatorze minutes, typique du style de Trane, aérienne, mélancolique, soutenue par une rythmique cadencée et un piano rythmique sobrement grave, laissant le saxophone de Trane étourdir les sens. Les effets physiques sont immédiats. Une sensation de bien-être vous emplit, apaisante, un peu douce-amère. Un air doux souffle sur votre visage, celui de la rédemption. On y voit autant défiler les paysages du Sud de la France ou de l'Espagne que les grandes highways de Californie. Coltrane chercha ce voyage, essentiellement intérieur. « Out Of This World » est un prodige d'introspection sur un mode cadencé et un swing d'enfer. Les roulements d'Elvin Jones sont un délice de tous les instants, et le piano de McCoy Tyner est totalement obsédant, jouant à l'infini sur le thème, accompagnant les superbes improvisations de saxophone.


« Soul Eyes » est un Blues moelleux, lent et délicat, de facture plus classique, typique de ce que pouvait jouer Coltrane à la fin des années 50. Il permet une respiration après l'imposante lame de fond qu'est le premier morceau, et fait la transition avec les deux thèmes suivants. « Inch Worm » et « Tunji » sont les deux premiers véritables enregistrements du quartet Coltrane-Garrison-Tyner-Jones. Et l'on sent une véritable connexion entre les quatre musiciens, une symbiose artistique totale, d'une fluidité confinant au miracle. Trane l'espéra sans doute longtemps, il touchait du doigt son but. « Tunji » est de ces pièces mystérieuses, à la mélancolie profonde. Mid-tempo dansant sur un thème de deux notes de piano seulement, soutenu par la batterie percutante de Jones et la contrebasse profonde de Garrison, le saxophone s'envole dans ses phrasés magiques, chauds et envoûtants comme un regard dans le soir tombant sur la médina de Fès. L'influence africaine, du Maghreb puis de l'Afrique Centrale, sera majeure dans le travail de Coltrane, parti à la recherche de ses origines lointaines. Ce besoin de comprendre le passé des afro-américains était devenu une préoccupation pour toutes la communauté, désireuse d'acquérir ses droits civiques dans un pays fortement ségrégationniste. Les musiciens Jazz furent à l'avant-garde de ce mouvement politique. Artistes précurseurs et libres, ils étaient totalement dans l'incapacité morale de subir plus longtemps le mépris racial dont ils faisaient l'objet depuis l'enfance. Leur place prépondérante sur la scène musicale posait problème, et remettait en cause le système.


Miles Davis et John Coltrane conservèrent un immense respect mutuel malgré le fait que le premier dut virer le second de son quintet. Preuve de cette amitié intacte, Coltrane compose et interprète un thème appelé « Mile's Mode », inspiré du style de Miles lorsque les deux hommes travaillaient ensemble. On distingue surtout l'impact majeur du travail de Coltrane sur celui de Davis, parfaitement reconnu par ce dernier. Il reconnut en effet que l'embauche du saxophoniste dans son groupe propulsa sa musique dans une autre dimension, totalement inespérée, au point qu'il eut au début de la peine à croire ce qu'il entendait. Trane sacrifia d'abord son talent, avant de le magnifier avec sa propre musique, une fois sa santé recouvrée.


Coltrane est un somptueux album. J'oserais presque dire, un parmi d'autres, tant il est difficile de choisir parmi la discographie du musicien entre 1958 et 1967. Mais ce premier album du mythique quartet est une belle porte d'entrée, aux qualités majeures : cohésion, improvisations inspirées, thèmes sublimes. La beauté de l'interprétation, la richesse des jeux de chaque instrumentiste étourdissent. Après une première période riche au sein du label Atlantic, et un premier disque en concert définissant un son nouveau, Live At Village Vanguard, en 1961, Coltrane ouvre la voie à une phase de recherche musicale Post-Bop qui aboutira à Love Supreme en 1965.

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dimanche 6 novembre 2016

CRONOS

"C’était le grand retour au Rock’N’Roll."


CRONOS : Hell To The Unknown Anthology 2006

Dans les années 80, des centaines d’albums de Heavy-Metal plus ou moins Thrash et Speed s’entassent dans les grands bacs des disquaires, aux côtés de la grande variété internationale à synthétiseur. Le Heavy-Metal est une case musicale parmi tant d’autres. Lui qui fut une protubérance turbulente du Rock qui côtoya le Funk et le Jazz dans les grands festivals musicaux des années 70 est aujourd’hui un genre à part, avec ses festivals et ses codes vestimentaires. Et ne parlons pas des chapelles qui se développent au sein même de la grande église Heavy-Metal, entre le Glam de Motley Crue, le Hard-FM de Bon Jovi ou Journey, le Thrash de Slayer ou Metallica, et le Black-Metal naissant de Celtic Frost ou Venom.

Ces derniers, après avoir ouvert la voie de la violence musicale et de l’absence de compromis, sont désormais dépassés en termes d’agressivité par de nouvelles formations jusqu’au-boutistes : le Black norvégien de Mayhem, le Grind de Carcass ou le Death de Cannibal Corpse ou Napalm Death. Au milieu de la polémique que souleva Venom et sa musique, on oublia ce qu’ils étaient vraiment : un groupe de Rock. On se focalisa sur l’imagerie ouvertement sataniste, les déclarations fracassantes de Conrad Lant, alias Cronos, et la technique rudimentaire des trois musiciens au sortir de dix années de Hard-Rock et de Rock Progressif virtuoses. Il y avait bien eu le Punk et ses trois accords, mais Venom ne semblait pas avoir de message à faire passer.

Voir le trio infernal se déliter progressivement à partir du milieu des années 80 ne semblait pas attrister outre mesure une presse musicale qui fut rarement d'un grand soutien. La première étape de cette dégringolade fut une descente en flammes de l’album Possessed en 1985. La production brutale rebuta une bonne partie de la critique encore acquise à la cause, et le fait que le groupe ne soit de toute façon plus aux avant-postes de l’ultraviolence Hard-Metal les rendait parfaitement inintéressant.

Le départ du guitariste Jeffrey Dunn, alias Mantas, en 1986 au milieu de l’enregistrement du cinquième album, au titre provisoire de Deadline, sembla enterrer physiquement Venom. Débarqué alors qu’il refusait de voyager pour assurer les concerts hors de la Grande-Bretagne, et pour son manque de plus en plus flagrant d’intérêt pour la musique du trio, il fut remplacé non par un, mais par deux guitaristes : Mick Hickey, un américain, et Jim Clare, originaire de Grande-Bretagne.

Incapable de choisir entre les deux, et désireux de lancer Venom sur des territoires plus ambitieux, Cronos décida de ne pas choisir, et fit comme Motorhead deux ans auparavant en conservant les deux candidats. Les premiers concerts eurent lieu en 1986 au Brésil, et furent un détonateur pour le bassiste, en même temps qu’un sacré challenge. Car outre leur niveau technique bien plus élevé, les deux guitares firent sérieusement concurrence à la basse bulldozer de Lant. D’abord fortement gêné par la place que prenaient les deux nouveaux venus, il finit par s’en accommoder, et par trouver deux partenaires d’écriture extrêmement talentueux.

Le contenu du projet Deadline fut jeté à la poubelle en quasi-totalité, et de nouveaux morceaux furent conçus, fusionnant le son revêche du Venom des précédents disques et un Heavy-Thrash mélodique où s’entremêlent des guitares en harmonie. Le résultat de ce travail ardu sera Calm Before The Storm qui paraît en 1987. Dire que l’accueil public comme critique fut frais est un doux euphémisme. Dans un total accès de paranoïa, on reprocha à Venom de s’être trop adouci, d’avoir réalisé un ouvrage trop bien fait. D’un autre côté, il était trop dur pour attirer les fans de Glam-Metal, et trop teigneux pour séduire l’amateur de Thrash-Metal mélodique américain. Ce qui est évident, c’est que tout le monde passa à côté de cet album, et qu’il fut une immonde balafre sur l’image déjà pas vraiment reluisante de Venom.

Intérieurement, le groupe était en équilibre extrêmement instable. Si Cronos, Mantas et Abaddon trouvèrent un temps chacun leur place, rapidement, les aspirations musicales posèrent problème, tout comme le niveau technique. Désireux de toujours avancé, Cronos, joua encore et encore, composa de plus en plus, et définit l’esprit de Venom. Mantas participa un temps à l’écriture, adhérant totalement aux idées de son bassiste-chanteur, avant de se désintéresser des idées de ce dernier pour aspirer à une vie tranquille et profiter de l’argent gagné. Abaddon s’impliqua lui aussi un temps avant de se contenter de venir jouer entre deux verres au pub. Si Cronos progressait et souhaitait faire évoluer le groupe, il n’en était plus rien des deux autres.

Mantas parti, l’autre membre historique commença à s’interposer face à la domination artistique de plus en plus évidente du bassiste, soutenu par les deux nouvelles recrues. Autre point d’accrochage, le niveau du batteur était désormais clairement insuffisant, et son implication dans la musique ne faisait rien pour arranger la situation. Désertant de plus en plus rapidement les répétitions tout en critiquant ouvertement les nouvelles compositions, arguant qu’il ne s’agissait pas du vrai Venom, il se retrouvera rapidement isolé. La tournée au Japon en 1988 fut la dernière de Venom, avant que le groupe ne se disloque définitivement. Abaddon reformera une nouvelle mouture de Venom avec Mantas en 1989, avec un nouveau bassiste-chanteur, Tony Dolan, mais le résultat ne retrouvera pas l’esprit du groupe original, et n’atteindra musicalement pas le niveau des disques précédents. Et force était de constater que le vrai moteur de Venom était désormais seul et parti vers d'autres horizons.

Basé à New York, Conrad Lant est rejoint par les deux guitaristes Jim Clare et Mick Hickey. Chris Patterson, un batteur américain, complète le quatuor. Ce dernier devait d’abord s’appeler…. Venom. Encouragé par son manager, le rouquin maléfique n’avait pour l’heure d’autre objectif que de poursuivre la musique du groupe qu’il portait alors totalement. Mais le patronyme était devenu bien trop pénible à porter, de par le passé, les attentes du public comme de la presse.

Lant céda le nom de Venom à Abaddon et Mantas, et notre homme forma son propre groupe : Cronos. D’intenses répétitions d’abord basées sur le matériau de l’album Calm Before The Storm se poursuivirent durant l’année 1989, entrecoupés de quelques concerts aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Le sort brisa un temps l’élan du quatuor. Alors qu’il retournait sur New York en voiture, Conrad Lant fut percuté par le véhicule d’une femme ivre. Notre homme bascula dans le talus, et se retrouva sur le toit. Un temps inconscient, il reprit connaissance alors que sa voiture prenait feu. Il eut le temps de sortir par la vitre arrière, et d’extraire le conducteur de l’autre véhicule avant que les flammes de l'Enfer ne dévorent les deux carcasses. Le bilan médical n’est pas très reluisant pour Lant : le poignet et l’épaule brisée, et de multiples coupures de verre sur le visage et le corps. L’aventure américaine se termine sur ce drame.

Revenu en Grande-Bretagne, il reprend contact avec les studios du label historique de Venom, Neat Records, et son producteur, Keith Nicholls. Ce dernier est prêt à laisser Conrad Lant et son nouveau groupe enregistrer leurs nouveaux morceaux, même si ceux-ci ne sont pas dans la veine du Venom historique. Clare, Hickey et Patterson rejoignent donc Lant sur place, et Cronos, le groupe, capte sur bandes leur premier album, Dancing In The Fire, en 1990. Désormais affranchi de son passé musical un peu trop encombrant, Lant et ses hommes poursuivent la voie d’un Heavy-Thrash mélodique dans la veine de Calm Before The Storm.

On retrouve des uppercuts métalliques dans la lignée de Venom, mais aussi une musique plus ambitieuse, et au chant moins sauvage. Il n’est toutefois pas question de Hard-FM ou d’une quelconque tentative de Rock commercial. Cronos reste un groupe sans concession, saignant tout en étant accrocheur. A bien des égards, il est même, en 1990, l’un des groupes de Heavy-Metal les moins consensuels de la scène musicale. Mais à ce moment-là, le groupe de l’ancien bassiste de Venom n’avait pas beaucoup d’écho. A l’heure du Black Album de Metallica, de Slayer, de Megadeth, et de Dr Feelgood de Motley Crue, Cronos était totalement inaudible. Venom faisait partie d’un passé lointain qui avait certes quasiment tout établi, mais que l’on préférait oublier, tant les successeurs étaient à ce point bien plus fréquentables. Conrad Lant voulait qu’il soit avant tout un groupe de Heavy-Metal. Fini les oripeaux et les textes satanistes. C’était le grand retour au Rock’N’Roll.

Les albums de Cronos, le groupe, sont considérés comme totalement anecdotiques, que ce soit dans l’histoire de Venom, et davantage dans celle du Rock en général. N’apportant strictement rien dans une période absolument portée sur ce genre de Heavy-Metal, Cronos n’avait que peu de chance d’attirer une quelconque attention ni reconnaissance, même tardive. L’époque est à la variété à synthétiseurs comme Phil Collins ou Rod Stewart, et aux premiers groupes de Dance européens. 1991 va connaître un sursaut de la scène Rock avec l’arrivée en tête des classements internationaux du Grunge de Nirvana et Pearl Jam ou de la fusion Rap-Metal de Rage Against The Machine. Ce retour salutaire aux guitares ne va pas se faire à l’avantage de l’arrière-garde Heavy-Metal, se retrouvant totalement démodée du jour au lendemain par ce nouveau son. Black Sabbath, Ozzy Osbourne, Deep Purple, Iron Maiden, puis Metallica vont avoir toutes les peines du monde à retrouver l’intérêt du public durant toute les années 92-96.

Le second disque de Cronos paraît en 1993 : il s'appelle Rock'N'Roll Disease. Il est dans la parfaite continuation du premier, avec toutefois des velléités de Heavy-Metal anglais plus classique, comme cette reprise de « Bad Reputation » de Thin Lizzy, ou le splendide « Midnight Eye », sur laquelle Lant est méconnaissable vocalement, tant il chante merveilleusement bien dans un registre mélodique. La suite va être plus complexe. Le succès très limité de ces albums contraint les musiciens à faire des choix. Jim Clare décide de partir pour devenir professeur de guitare.

Ian MacCormack fait de même, remplacé par l'ancien batteur de Cathedral Chris Wharton. Le troisième disque se fera en trio, et se nommera… Venom. A l'initiative du nouveau batteur, fan du trio démoniaque, Cronos réenregistre plusieurs classiques de Venom. Le troisième album, qui paraît en 1994, est donc un mélange de reprises et de nouvelles compositions. Très réussi, il arrive au moment où des pourparlers entre les trois musiciens du Venom original débutent. L'objectif est de reformer le groupe afin de profiter de la réputation flatteuse dont il jouit auprès de la nouvelle génération Metal, et notamment dans le Black-Metal norvégien.

Celle-ci se concrétisera en 1995 et 1996 pour quelques concerts dans de grands festivals européens, puis pour un nouvel album en 1998. L'ambiance s'envenimera rapidement, et dès 1999, Abaddon est débarqué. Depuis Venom existe toujours, enregistrant et tournant avec de nouveaux musiciens. Mike Hickey remplacera Mantas en 2004 pour deux albums, dont l'excellent Metal Black en 2006, référence à peine voilée au mythique album Black Metal de 1982.

Cette anthologie publiée en 2006 permet d'écouter dans des versions rafraîchies par Lant lui-même l'ensemble de la musique enregistrée par Cronos. Les morceaux des trois disques sont mélangés pour une question de cohérence musicale. Ce qui pourrait être fâcheux pour suivre le fil historique du groupe permet de constater la qualité constante de la production de ce projet solo, l'ensemble des titres formant un fabuleux double album seulement perturbé par les démos du groupe de 1989 au son plus brut.

Inutile de chercher ici du Heavy-Metal technique, progressif ou ultra-novateur. Cronos est une excroissance brutale de la scène anglaise, une sorte de Motorhead Thrash auquel se mêle l'influence d'Iron Maiden et de Judas Priest. C'est implacable, saignant, sans concession, mais terriblement réjouissant. La musique a aussi plutôt bien vieilli, et s'écoute avec beaucoup de plaisir sans être gêné par de quelconques effets de production vintage des années 90. Peu de disques de cette époque ont passé à ce point l'épreuve du temps. Cronos, c'est du bon Heavy-Metal viril, rigolard, et fier. Ce qu'a toujours été Conrad Lant, son leader, en somme.

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