"L'apport majeur de cet
album est ce mélange d'ambiance sombre et gothique, de riffs acérés et de
mélodies."
ANGEL WITCH : « Angel Witch » 1980
Prôner les
Enfers et le Démon aura tout de même condamné un sacré paquet de groupes et de
musiciens. On pensera ce que l'on voudra de cet état de fait hautement
superstitieux, confortant toute une frange ultra-réactionnaire qui lutta,
crucifix à la main depuis les années 50 contre le Rock et sa perversion
supposée envers la jeunesse. Néanmoins il est à constater que plusieurs
fabuleux groupes, qui plus est, hautement influant musicalement, auront payé le
prix fort de l'utilisation des symboles lucifériens. A moins que ce ne soit
l'incompréhension du public, de mauvaises circonstances et un encadrement
inadéquat qui les ait conduit à leur perte. Personnellement, pour ne pas être
totalement superstitieux et athée incurable, je penche cependant plutôt pour la
seconde option.
Angel Witch
est l'un de ces groupes magiques, au même titre que Celtic Frost ou Pentagram,
a avoir été totalement condamnés à ramer toute leur carrière, rebondissant de
galères en galères, d'échecs en échecs, alors que leur musique et leurs albums,
sont tous, ou pour bonne partie totalement indiscutables en termes de qualité
d'écriture et d'interprétation. Mais une chose les caractérise tous dès le
départ : la totale absence de concession artistique, et une vision
musicale unique et novatrice. Ce dernier point implique une prise de risque
conséquente, celle de ne pas attirer d'entrée l'oreille du grand public.
L'autre paramètre majeure est un entourage déficient au-delà du raisonnable :
management calamiteux, maison de disques minable, musiciens capricieux, et
splits à répétition dus aux galères successives. Vous obtenez alors des
destinées maudites au-delà de l'imaginable, mais qui sur le temps apportèrent
beaucoup à l'aura de ces formations et leurs musiciens, parfois dépassés par
ces légendes trop grandes pour eux.
Nous sommes
en 1977, et Kevin Heybourne est un jeune guitariste de Londres. Il n'est pas
vraiment dans le mouvement Punk, et son truc à lui, c'est le Heavy-Metal. Il
voue un culte absolu pour Black Sabbath et leur univers noir, peuplé de démons
et de fantômes. Mais Heybourne aime aussi le côté mélodique de groupes comme
Led Zeppelin, UFO et Thin Lizzy. Dans sa tête déjà naît l'idée d'un Heavy-Metal
à la fois massif et dynamique, mêlant riffs puissants et refrains accrocheurs,
faisant la place à une certaine virtuosité.
Il forme donc
un premier groupe du nom de Lucifer. C'est un quatuor, avec un second
guitariste, un certain Rob Downing. Après quelques concerts dans le circuit des
pubs, la formation est dissoute une première fois après le départ du bassiste
et du batteur. En 1978, Heybourne rassemble de nouveaux musiciens : Kevin
Riddles à la basse et Dave Hogg à la batterie. L'ensemble se nomme Angel Witch
et commence à travailler sur des compositions de Heybourne, guitariste-chanteur
et leader affirmé de la bande. Cela ne convient pas à Downing qui part quelques
temps plus tard, et Angel Witch se mue en trio.
Rapidement,
des démos sont mises en boîte pour démarcher les maisons de disques, et les
résultats sont rapidement positifs, puisque la major EMI, celle-là même qui
possède les studios Abbey Road et signa Deep Purple, propose à Angel Witch de
participer à une compilation de nouveaux groupes prometteurs. Il faut dire que
la scène musicale anglaise est en pleine mutation. Le Punk a fait long feu, et
se mue progressivement en New Wave bien moins agressive. Dans les clubs, une
myriade de nouveaux groupes de Heavy-Metal, inspirés des grands maîtres, mais à
la hargne régénérée par le Punk, font salle comble. Tygers Of Pan-Tang, Saxon,
Def Leppard, Diamond Head, Iron Maiden, Venom, Samson, et Angel Witch sont les
fers de lance d'une nouvelle génération de groupes qui se veut les dignes
successeurs de Led Zeppelin, Deep Purple et Black Sabbath. Ils se joignent à
des combattants plus confirmés comme Thin Lizzy, UFO, Judas Priest, Budgie et
Motorhead, pour repartir à la conquête du public Rock et des charts. La
jeunesse thatchérienne a besoin de héros et pas de camés à épingles à nourrices
comme Sid Vicious.
EMI flairant
le bon coup, elle enregistre donc une série de ces jeunes formations
prometteuses parmi lesquels Iron Maiden, Samson, Praying Mantis, et donc Angel
Witch avec le titre « Baphomet ». Le disque sort en février 1980 sous
le nom de Metal For Muthas et atteint
la 12ème place des charts anglais, à la surprise générale. Il deviendra un
symbole de cette nouvelle génération que la presse musicale nommera New Wave Of
British Heavy-Metal, ou NWOBHM, notamment car elle sera le premier enregistrement
officiel de formations devenus depuis mythiques. Elle permet à plusieurs
d'entre elles de se faire connaître, et même pour Iron Maiden, de signer un
contrat discographique avec EMI. Angel Witch fit aussi partie des heureux élus
de la grande maison, et un premier simple officiel, « Sweet Danger »
fut publié en 1980, atteignant une modeste place dans les classements britanniques. Voilà
l’histoire : chaque semaine, la presse musicale publie les 75 disques EPs
et 45 tours en tête des ventes de disques, tous styles musicaux confondus. Le
pire scénario serait assurément d’apparaître à la 75ème place, et
disparaître dès la semaine suivante. Et c’est ce qui va arriver à Angel Witch.
Le groupe aurait pu classer son disque à la 76ème place, et personne
n’en aurait parlé. Pourtant, Angel Witch va se voir décerner le titre de groupe
ayant obtenu le succès commercial le plus court du monde dans le très officiel
Guiness Book des Records, le tout répercuté allègrement par des journalistes
musicaux ne portant pas dans leurs cœurs le trio. Ce qui aurait dû être une
satisfaction pour une formation de Heavy-Metal pas du tout commerciale se
transforma donc en boulet au pied.
Suite à cette
mésaventure, EMI conseille à Angel Witch de se séparer de son manager,
visiblement incapable d’assurer une promotion décente à la formation.
Malheureusement, le manager d'Angel Witch, Ken Heybourne, est le père de Kevin.
Il refusa de céder sa place pour un management professionnel mené par EMI, et
le contrat fut cassé. Rebondissant rapidement sur la réputation prometteuse du
trio, ce qui semble bien être une décision désastreuse est vite rattrapée par
la signature d'un contrat discographique chez Bronze Records. Si cette maison
de disques s'avère de moindre importance, elle peut tout de même se vanter de posséder
en ses rangs Motorhead, Uriah Heep, Hawkwind ou Manfred Mann Earth Band. Bronze
semble donc un bon choix, puisqu'à taille plus humaine, au catalogue plus Rock
et moins généraliste, et semblant soutenir ses groupes.
Un premier
album est enregistré au Roundhouse Studios, et paraît en 1980, au cœur du
mouvement NWOBHM. Le trio obtient même l'opportunité de se produire au Festival
de Reading 1980, dont la programmation est le reflet de l'importance de la
scène Hard-Rock et Heavy-Metal de l'époque : UFO, Rory Gallagher, Gillan,
Krokus, The Angels, Tygers Of Pan-Tang, Sledgehammer, Budgie, Def Leppard,
Whitesnake, Praying Mantis, et Iron Maiden. La prestation d'Angel Witch sera
remarquée, montrant la qualité d'Angel Witch sur scène.
Les critiques
de l'album dans la presse musicale sont plus mitigées, allant du tiède au
particulièrement chaleureux, comme celle de Malcolm Dome de l'influent Sounds,
qui considère l'album éponyme du trio comme étant tout simplement le meilleur
de l'année 1980. Hervé Picart, de Best, considère Angel Witch comme le digne
successeur du grand Black Sabbath. Les retours sont globalement très positifs,
pourtant, l'album ne connaîtra pas le succès espéré dans les classements.
Et après deux
années de compositions et d'intenses tournées dans les salles britanniques
depuis deux ans, le groupe se disloque. Dave Hogg est viré, et Kevin Riddles
part rejoindre Tytan. Moribond, usé, Heybourne rejoint Deep Machine. Commence
alors un long processus de reformations-séparations ponctués de quelques rares
albums studios et live, qui va condamner Angel Witch au statut de groupe culte.
Car ce premier album ne va pas seulement être l'un des disques majeurs de la
nouvelle génération du Heavy-Metal anglais du début des années 80, il va aussi
en être l'un des plus influents. Parmi les grands fans affichés d'Angel Witch,
on trouve Dave Mustaine de Megadeth ou Chuck Schuldiner de Death.
L'apport
majeur de cet album est ce mélange d'ambiance sombre et gothique, de riffs
acérés et de mélodies. Il définit une forme de majesté et une dimension épique
au désespoir et à la malédiction, les bases symboliques du Thrash et du Black à
venir. Angel Witch reste néanmoins clair dans ses influences, à savoir un
Hard-Rock anglais typiquement années 70. L'accordage de guitare ne plonge pas
dans les graves du Doom typique de Tony Iommi et la voix de Heybourne reste
claire. Elle fut d'ailleurs sujet à contestation, celle-ci n'ayant ni la
puissance et la virtuosité des grands hurleurs Heavy comme David Coverdale, Ian
Gillan, Robert Plant ou Paul DiAnno. A l'époque la comparaison avec les grands
maîtres est parfois pesante, voire écrasante. Difficile de pouvoir faire mieux
en termes de virtuosité et de brio musical que Deep Purple et Led Zeppelin.
Même Black Sabbath parut comme un
pachyderme maladroit comparé aux deux formations d'or de la première moitié des
années 70. Et ne parlons pas du poids toujours conséquent du Rock Progressif
sur le jugement de la presse musicale vis-à-vis des nouveaux groupes. Le Punk
amusa et ramena le Rock à ses bases, mais trop caricatural, il divisa
l'approche du Rock entre ceux qui voulaient des morceaux de trois minutes à
deux accords, et ceux qui voulaient de l'ambition et de la complexité musicale
afin de rivaliser avec Led Zeppelin,Yes et Jethro Tull.
Angel Witch
avait pourtant bien des qualités : de l'inspiration en termes de
composition, de l'originalité, une vraie dextérité musicale, et de l'énergie à
revendre. Cet album ne fait que le confirmer par ses multiples pièces de
bravoure scénique. Le trio avait une ambition clairement au-dessus de la
moyenne, loin d’un certain amateurisme inhérent à beaucoup de groupes de la
NWOBHM. Et le soutien d’une vraie maison de disques aurait dû leur permettre de
percer. Mais le destin en voulut autrement.
Si vous devez
vous procurer cet album, autant vous conseiller tout de suite la version Deluxe
de deux disques, qui inclut tout simplement tout ce que la formation a
enregistré entre 1977 et 1981. Et tout est indispensable : des bandes
demos au dernier simple de la formation en passant par les enregistrements à la
BBC, la musique est à chaque fois dotée de cette magie électrique unique. Ce
qui fait à chaque fois la grande force de ces bandes, c’est la guitare de
Heybourne : le son est extrêmement tendu, les riffs sont acérés.
L’architecture musicale oscille entre accords Punk et riffs issus du Hard-Rock
et du Heavy-Metal. Il n’y a pas un instant de répit, le guitariste emplit
l’espace d’électricité surpuissante, créant une excitation permanente. Et sur
ce son fulgurant vient se greffer des refrains addictifs : « Angel
Witch », « White Witch », « Confused », « Sweet
Danger »…. Tous les morceaux sont en forme d’étendards, d’hymnes Rock
instantanés, tout en conservant cette noirceur si particulière, celle du Heavy-Metal
occulte. Le niveau technique des trois musiciens est particulièrement affûté,
ce qui permet à la fois d’avoir une musique particulièrement bien arrangée, et
des improvisations inspirées et audacieuses. Heybourne, Riddles, et Hogg ne
font pas dans la jam progressive, mais proposent une musique structurée, aux
rebondissements précis et réfléchis.
Le dernier
simple laisse entrevoir la voie vers laquelle le groupe, poussé par son label,
semble s’orienter : un Hard-Rock mélodique plus accrocheur, se rapprochant
de Journey ou Pat Travers. Il laisse de côté ce qui faisait son identité :
la densité électrique de son Heavy-Metal noir, ce qui n’apportera pas plus de
fans, bien au contraire. Déçu, frustré, mal conseillé, Kevin Heybourne dissous
Angel Witch après le départ de Kevin Riddles et de Dave Dufort, le remplaçant
de Hogg sur le dernier EP. Une première reformation avortera en 1982, laissant
seulement derrière elle les bandes d’un concert qui paraîtra bien des années
plus tard. Il faudra attendre 1985 pour voir paraître le second disque de Angel
Witch. Mais il n’aura pas le venin originel de ce premier disque, comme perdu à
jamais. Il refera pourtant surface sur le dernier disque en date d’Angel
Witch : As Above, So Below, paru en 2012.
tous droits réservés
5 commentaires:
J'aime ta vision du Punk, je la partage complétement. Pour Angel Witch, j'avoue être passé complétement à côté. Je revois les chroniques dans Enfer et Metal Attack mais je ne m'y étais pas risqué. L'excuse est maigre mais la production était phénoménale à ce moment là et il fallait bien trier un peu.)))
Voila donc le moment de réparer tout ça.
A suivre....
Par contre je m'étais pris Black Metal en pleine gueule. Et je dois faire partie des 4 ou 5 personnes sur terre à avoir aimé At War With Satan.))))
Vu que tu aimes les refrains accrocheurs dans le Hard-Rock, tu devrais trouver ton bonheur.
Et nous partageons également l'appréciation de At War With Satan de Venom ! J'en ai même fait une chronique :
http://electric-buffalo.blogspot.fr/2015/03/venom-1984.html?m=1
C'est un super disque. Et personnellement, je fais aussi partie du club encore plus restreint qui adore Possessed. 😀
Possessed est excellent et j'aime même Prime Evil !
Bataille.
OK, TU ME CHERCHES ! :-D
Je le trouve pas mal, mais sans plus. Il y a que deux chansons que j'adore avec Tony Dolan, deux inédits sur une compilation de 1990.
Je suis un grand fan de Cronos, donc quand il n'est pas là, ça me gêne. Par contre, je trouve Calm Before The Storm très bon, et j'adore ce qu'il a fait avec son propre groupe, Cronos.
Le groupe a dû effectivement marquer bons nombres de formations de thrash US puisque Exodus a repris "Angel of Death" (en mode bourrin, hélas) sur leur dernier album sorti en 2014.
Un très bon album, effectivement.
Oyax
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