dimanche 6 novembre 2016

CRONOS

"C’était le grand retour au Rock’N’Roll."


CRONOS : Hell To The Unknown Anthology 2006

Dans les années 80, des centaines d’albums de Heavy-Metal plus ou moins Thrash et Speed s’entassent dans les grands bacs des disquaires, aux côtés de la grande variété internationale à synthétiseur. Le Heavy-Metal est une case musicale parmi tant d’autres. Lui qui fut une protubérance turbulente du Rock qui côtoya le Funk et le Jazz dans les grands festivals musicaux des années 70 est aujourd’hui un genre à part, avec ses festivals et ses codes vestimentaires. Et ne parlons pas des chapelles qui se développent au sein même de la grande église Heavy-Metal, entre le Glam de Motley Crue, le Hard-FM de Bon Jovi ou Journey, le Thrash de Slayer ou Metallica, et le Black-Metal naissant de Celtic Frost ou Venom.

Ces derniers, après avoir ouvert la voie de la violence musicale et de l’absence de compromis, sont désormais dépassés en termes d’agressivité par de nouvelles formations jusqu’au-boutistes : le Black norvégien de Mayhem, le Grind de Carcass ou le Death de Cannibal Corpse ou Napalm Death. Au milieu de la polémique que souleva Venom et sa musique, on oublia ce qu’ils étaient vraiment : un groupe de Rock. On se focalisa sur l’imagerie ouvertement sataniste, les déclarations fracassantes de Conrad Lant, alias Cronos, et la technique rudimentaire des trois musiciens au sortir de dix années de Hard-Rock et de Rock Progressif virtuoses. Il y avait bien eu le Punk et ses trois accords, mais Venom ne semblait pas avoir de message à faire passer.

Voir le trio infernal se déliter progressivement à partir du milieu des années 80 ne semblait pas attrister outre mesure une presse musicale qui fut rarement d'un grand soutien. La première étape de cette dégringolade fut une descente en flammes de l’album Possessed en 1985. La production brutale rebuta une bonne partie de la critique encore acquise à la cause, et le fait que le groupe ne soit de toute façon plus aux avant-postes de l’ultraviolence Hard-Metal les rendait parfaitement inintéressant.

Le départ du guitariste Jeffrey Dunn, alias Mantas, en 1986 au milieu de l’enregistrement du cinquième album, au titre provisoire de Deadline, sembla enterrer physiquement Venom. Débarqué alors qu’il refusait de voyager pour assurer les concerts hors de la Grande-Bretagne, et pour son manque de plus en plus flagrant d’intérêt pour la musique du trio, il fut remplacé non par un, mais par deux guitaristes : Mick Hickey, un américain, et Jim Clare, originaire de Grande-Bretagne.

Incapable de choisir entre les deux, et désireux de lancer Venom sur des territoires plus ambitieux, Cronos décida de ne pas choisir, et fit comme Motorhead deux ans auparavant en conservant les deux candidats. Les premiers concerts eurent lieu en 1986 au Brésil, et furent un détonateur pour le bassiste, en même temps qu’un sacré challenge. Car outre leur niveau technique bien plus élevé, les deux guitares firent sérieusement concurrence à la basse bulldozer de Lant. D’abord fortement gêné par la place que prenaient les deux nouveaux venus, il finit par s’en accommoder, et par trouver deux partenaires d’écriture extrêmement talentueux.

Le contenu du projet Deadline fut jeté à la poubelle en quasi-totalité, et de nouveaux morceaux furent conçus, fusionnant le son revêche du Venom des précédents disques et un Heavy-Thrash mélodique où s’entremêlent des guitares en harmonie. Le résultat de ce travail ardu sera Calm Before The Storm qui paraît en 1987. Dire que l’accueil public comme critique fut frais est un doux euphémisme. Dans un total accès de paranoïa, on reprocha à Venom de s’être trop adouci, d’avoir réalisé un ouvrage trop bien fait. D’un autre côté, il était trop dur pour attirer les fans de Glam-Metal, et trop teigneux pour séduire l’amateur de Thrash-Metal mélodique américain. Ce qui est évident, c’est que tout le monde passa à côté de cet album, et qu’il fut une immonde balafre sur l’image déjà pas vraiment reluisante de Venom.

Intérieurement, le groupe était en équilibre extrêmement instable. Si Cronos, Mantas et Abaddon trouvèrent un temps chacun leur place, rapidement, les aspirations musicales posèrent problème, tout comme le niveau technique. Désireux de toujours avancé, Cronos, joua encore et encore, composa de plus en plus, et définit l’esprit de Venom. Mantas participa un temps à l’écriture, adhérant totalement aux idées de son bassiste-chanteur, avant de se désintéresser des idées de ce dernier pour aspirer à une vie tranquille et profiter de l’argent gagné. Abaddon s’impliqua lui aussi un temps avant de se contenter de venir jouer entre deux verres au pub. Si Cronos progressait et souhaitait faire évoluer le groupe, il n’en était plus rien des deux autres.

Mantas parti, l’autre membre historique commença à s’interposer face à la domination artistique de plus en plus évidente du bassiste, soutenu par les deux nouvelles recrues. Autre point d’accrochage, le niveau du batteur était désormais clairement insuffisant, et son implication dans la musique ne faisait rien pour arranger la situation. Désertant de plus en plus rapidement les répétitions tout en critiquant ouvertement les nouvelles compositions, arguant qu’il ne s’agissait pas du vrai Venom, il se retrouvera rapidement isolé. La tournée au Japon en 1988 fut la dernière de Venom, avant que le groupe ne se disloque définitivement. Abaddon reformera une nouvelle mouture de Venom avec Mantas en 1989, avec un nouveau bassiste-chanteur, Tony Dolan, mais le résultat ne retrouvera pas l’esprit du groupe original, et n’atteindra musicalement pas le niveau des disques précédents. Et force était de constater que le vrai moteur de Venom était désormais seul et parti vers d'autres horizons.

Basé à New York, Conrad Lant est rejoint par les deux guitaristes Jim Clare et Mick Hickey. Chris Patterson, un batteur américain, complète le quatuor. Ce dernier devait d’abord s’appeler…. Venom. Encouragé par son manager, le rouquin maléfique n’avait pour l’heure d’autre objectif que de poursuivre la musique du groupe qu’il portait alors totalement. Mais le patronyme était devenu bien trop pénible à porter, de par le passé, les attentes du public comme de la presse.

Lant céda le nom de Venom à Abaddon et Mantas, et notre homme forma son propre groupe : Cronos. D’intenses répétitions d’abord basées sur le matériau de l’album Calm Before The Storm se poursuivirent durant l’année 1989, entrecoupés de quelques concerts aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Le sort brisa un temps l’élan du quatuor. Alors qu’il retournait sur New York en voiture, Conrad Lant fut percuté par le véhicule d’une femme ivre. Notre homme bascula dans le talus, et se retrouva sur le toit. Un temps inconscient, il reprit connaissance alors que sa voiture prenait feu. Il eut le temps de sortir par la vitre arrière, et d’extraire le conducteur de l’autre véhicule avant que les flammes de l'Enfer ne dévorent les deux carcasses. Le bilan médical n’est pas très reluisant pour Lant : le poignet et l’épaule brisée, et de multiples coupures de verre sur le visage et le corps. L’aventure américaine se termine sur ce drame.

Revenu en Grande-Bretagne, il reprend contact avec les studios du label historique de Venom, Neat Records, et son producteur, Keith Nicholls. Ce dernier est prêt à laisser Conrad Lant et son nouveau groupe enregistrer leurs nouveaux morceaux, même si ceux-ci ne sont pas dans la veine du Venom historique. Clare, Hickey et Patterson rejoignent donc Lant sur place, et Cronos, le groupe, capte sur bandes leur premier album, Dancing In The Fire, en 1990. Désormais affranchi de son passé musical un peu trop encombrant, Lant et ses hommes poursuivent la voie d’un Heavy-Thrash mélodique dans la veine de Calm Before The Storm.

On retrouve des uppercuts métalliques dans la lignée de Venom, mais aussi une musique plus ambitieuse, et au chant moins sauvage. Il n’est toutefois pas question de Hard-FM ou d’une quelconque tentative de Rock commercial. Cronos reste un groupe sans concession, saignant tout en étant accrocheur. A bien des égards, il est même, en 1990, l’un des groupes de Heavy-Metal les moins consensuels de la scène musicale. Mais à ce moment-là, le groupe de l’ancien bassiste de Venom n’avait pas beaucoup d’écho. A l’heure du Black Album de Metallica, de Slayer, de Megadeth, et de Dr Feelgood de Motley Crue, Cronos était totalement inaudible. Venom faisait partie d’un passé lointain qui avait certes quasiment tout établi, mais que l’on préférait oublier, tant les successeurs étaient à ce point bien plus fréquentables. Conrad Lant voulait qu’il soit avant tout un groupe de Heavy-Metal. Fini les oripeaux et les textes satanistes. C’était le grand retour au Rock’N’Roll.

Les albums de Cronos, le groupe, sont considérés comme totalement anecdotiques, que ce soit dans l’histoire de Venom, et davantage dans celle du Rock en général. N’apportant strictement rien dans une période absolument portée sur ce genre de Heavy-Metal, Cronos n’avait que peu de chance d’attirer une quelconque attention ni reconnaissance, même tardive. L’époque est à la variété à synthétiseurs comme Phil Collins ou Rod Stewart, et aux premiers groupes de Dance européens. 1991 va connaître un sursaut de la scène Rock avec l’arrivée en tête des classements internationaux du Grunge de Nirvana et Pearl Jam ou de la fusion Rap-Metal de Rage Against The Machine. Ce retour salutaire aux guitares ne va pas se faire à l’avantage de l’arrière-garde Heavy-Metal, se retrouvant totalement démodée du jour au lendemain par ce nouveau son. Black Sabbath, Ozzy Osbourne, Deep Purple, Iron Maiden, puis Metallica vont avoir toutes les peines du monde à retrouver l’intérêt du public durant toute les années 92-96.

Le second disque de Cronos paraît en 1993 : il s'appelle Rock'N'Roll Disease. Il est dans la parfaite continuation du premier, avec toutefois des velléités de Heavy-Metal anglais plus classique, comme cette reprise de « Bad Reputation » de Thin Lizzy, ou le splendide « Midnight Eye », sur laquelle Lant est méconnaissable vocalement, tant il chante merveilleusement bien dans un registre mélodique. La suite va être plus complexe. Le succès très limité de ces albums contraint les musiciens à faire des choix. Jim Clare décide de partir pour devenir professeur de guitare.

Ian MacCormack fait de même, remplacé par l'ancien batteur de Cathedral Chris Wharton. Le troisième disque se fera en trio, et se nommera… Venom. A l'initiative du nouveau batteur, fan du trio démoniaque, Cronos réenregistre plusieurs classiques de Venom. Le troisième album, qui paraît en 1994, est donc un mélange de reprises et de nouvelles compositions. Très réussi, il arrive au moment où des pourparlers entre les trois musiciens du Venom original débutent. L'objectif est de reformer le groupe afin de profiter de la réputation flatteuse dont il jouit auprès de la nouvelle génération Metal, et notamment dans le Black-Metal norvégien.

Celle-ci se concrétisera en 1995 et 1996 pour quelques concerts dans de grands festivals européens, puis pour un nouvel album en 1998. L'ambiance s'envenimera rapidement, et dès 1999, Abaddon est débarqué. Depuis Venom existe toujours, enregistrant et tournant avec de nouveaux musiciens. Mike Hickey remplacera Mantas en 2004 pour deux albums, dont l'excellent Metal Black en 2006, référence à peine voilée au mythique album Black Metal de 1982.

Cette anthologie publiée en 2006 permet d'écouter dans des versions rafraîchies par Lant lui-même l'ensemble de la musique enregistrée par Cronos. Les morceaux des trois disques sont mélangés pour une question de cohérence musicale. Ce qui pourrait être fâcheux pour suivre le fil historique du groupe permet de constater la qualité constante de la production de ce projet solo, l'ensemble des titres formant un fabuleux double album seulement perturbé par les démos du groupe de 1989 au son plus brut.

Inutile de chercher ici du Heavy-Metal technique, progressif ou ultra-novateur. Cronos est une excroissance brutale de la scène anglaise, une sorte de Motorhead Thrash auquel se mêle l'influence d'Iron Maiden et de Judas Priest. C'est implacable, saignant, sans concession, mais terriblement réjouissant. La musique a aussi plutôt bien vieilli, et s'écoute avec beaucoup de plaisir sans être gêné par de quelconques effets de production vintage des années 90. Peu de disques de cette époque ont passé à ce point l'épreuve du temps. Cronos, c'est du bon Heavy-Metal viril, rigolard, et fier. Ce qu'a toujours été Conrad Lant, son leader, en somme.

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