dimanche 18 décembre 2016

ELECTRIC WIZARD 2000

"Plus brutal, plus dynamique, tout en conservant son côté écrasant, Dopethrone est un vrai grand chef d'oeuvre." 

ELECTRIC WIZARD : Dopethrone 2000

Il y avait les élus, et puis il y avait les autres, ceux qui avaient été initiés, et ceux qui restèrent sur le bord du sentier. Plonger dans le monde d'Electric Wizard, c'est ouvrir une lourde porte secrète, découvrir le Monde de l'Au-Delà et en revenir carbonisé, le regard fixe, la Vérité dans l'âme.
Au coeur des années 90, le Rock avait retrouvé une grande vitalité par l'entremise du mouvement Grunge. Le monde du Metal était en ébullition grâce aux grosses locomotives Guns'N'Roses et Metallica, mais également par le sulfureux Black-Metal norvégien. A ces phénomènes médiatiques, de nouveaux mouvements alternatifs comme Le Stoner et le Doom prirent forme. Connectés au Rock des années 70 et 80, ils refusèrent le formatage, et décidèrent d'explorer les frontières de la civilisation. Cet univers obscur va coexister avec tout un pan de musique de moins en moins Rock et de plus en plus Electro : le Grunge va s'éteindre, laissant sa place aux bidouillages de Radiohead, à la Pop resucée d'Oasis, et au New Metal de Linkin Park. Déjà, un monde s'éteint, laissant sans héritier grand public le Rock des glorieuses années 70, survivant uniquement par l'existence toujours vivaces d'AC/DC, Black Sabbath, Deep Purple, Motorhead ou Status Quo. En somme, un monde comme celui d'aujourd'hui, avec encore un peu de Rock dedans, tout de même, le terme n'étant pas encore l'indicatif d'une mode vestimentaire, mais bien d'un courant musical toujours vivace.

Les groupes Stoner-Doom l'ont bien compris, et d'ailleurs, ne ils veulent plus rien avoir avec ce monde commercial et formaté. Ils veulent développer leurs propres univers, souvent connectés par les mêmes références littéraires, musicales et cinématographiques : HP Lovecraft, Edgar Allan Poe, Black Sabbath, Budgie, Mountain, Celtic Frost, Tolkien, les films de la Hammer, Aleister Crowley…. Cet univers noir, malsain, empreint de démence dénote clairement un besoin de s'échapper au plus loin de la réalité, quitte à opposer à la société un monde parallèle violent et satanique.
Jus Osborne est un jeune garçon du Dorset, dans la campagne anglaise, définitivement imprégné de cette contre-culture mortifère. Il s'est construit seul, loin des codes de ses camarades de classe. Il a bu jusqu'à la lie le calice de la subversion, et vit désormais dans ce fantasme noir qui va alimenter toute sa musique. Garçon au physique un peu épais et court sur patte, il a depuis longtemps renoncé à être un gamin dans la norme, conscient que si il ne trace pas sa propre voie, il sera un éternel perdant. Quitte à rester dans l'obscurité, autant le faire avec la plus grande sincérité.

Tim Bagshaw et Mark Greening le rejoignent respectivement à la basse et à la batterie. Ce sont également deux marginaux imprégnés d'occulte, deux parfaits lieutenants pour le noir dessein qui s'annonce. Le trio est signé sur le label Rise Above, crée par Lee Dorrian, chanteur de Cathedral, pour permettre à toutes ces formations funestes mais surdouées de pouvoir s'exprimer sans contraintes. Le premier album éponyme paraît en 1995. Il n'a pas encore toute la puissance subversive à venir, mais contient déjà les germes de tout ce qui fera la furie de la musique d'Electric Wizard.

La seconde offrande, Come My Fanatics.., paraît en 1997, et dispose cette fois-ci de tout le venin nécessaire. Le son est sombre, brumeux, possédé, consumé par cette flamme noire qui alimentera toute l'oeuvre à venir. La batterie mate de Greening, la basse grondante de Bagshaw, la guitare au pétrole de Osborne, et son chant de gamin hystérique perdu dans l'écho, tout est là, couché sur un tapis de Doom et de Stoner aux paroles occultes. Les trois n'hésitent pas à se perdre volontairement dans leur propre monde pour respirer tous les relents fétides au plus près. Ils s'imprègnent de drogues de toutes sortes, parfois dures, afin de pénétrer au plus près de l'Enfer démoniaque qu'ils tentent de construire.

Dopethrone est le troisième album du groupe. Il est publié en la fatidique année 2000. Prophétique si elle en est, elle devait être celle de tous les cataclysmes, annoncés pêle-mêle par Nostradamus ou les Incas. Il n'en sera finalement rien pour nos pauvres âmes, à part ce disque dantesque, monument de granit impénétrable venu sur Terre par on ne sait quelle force obscure. La musique est plus compacte que son prédécesseur, mais tout aussi possédée. La voix sature, la guitare tronçonne d'épaisses tranches de sapin, les baguettes rebondissent sur la caisse claire comme un corps décharné sur un mur. Aucun genre Metal n'avait produit une telle déflagration sonore depuis vingt ans, depuis le premier album de Celtic Frost et de Pentagram, en l'an de grâce 1984. Ces deux disques avaient à la fois passé un cap supplémentaire en termes de violence, tout en restant fidèles à des codes de Blues blanc estampillés 1968-1972.

Electric Wizard ne fait pas dans la surenchère grand guignol, les bols d'hémoglobine, le maquillage et les pochettes à base de boyaux. Ils équarrissent un Rock ravageur, halluciné, et habité d'esprits venus de la culture populaire, les romans de science-fiction, les films d'horreur, la sorcellerie ancestrale britannique, l'Histoire, la démonologie antique. La musique, impressionnante, parle pour eux. Il n'y a ici aucune démonstration technique, tout est au service de l'atmosphère crée, empruntant çà et là quelques bribes de dialogues de films, instaurant des climats fuligineux et imprégnés d'une noirceur appuyée par le Doom-Metal implacable de ces trois démons. La pochette est symbolique de cet univers, avec son diable enfumé, et ses inscriptions au graphisme psychédélique.

« Vinum Sabbathi » qui ouvre l'album est un épais tapis de Heavy-Doom au tempo massif mais plus rapide que la moyenne des morceaux d'Electric Wizard. On pourrait même parler de groove pour le trio, la dynamique malsaine étant belle et bien présente. On retrouve la force du grand Black Sabbath, sans doute ce vin de Sabbath qui irrigue le titre. « Funeralopolis » débute de curieuse manière, sorte de Blues psychédélique dominé par la basse de Tim Bagshaw, et à la saveur assez proche de Cream. Puis le riff se met à tonner comme un orage, enfonçant dans le sol le côté léger de son introduction. Osborne hurle des paroles mortifères comme un gamin possédé. La ligne mélodique se déforme sous les volutes lysergiques, bientôt rattrapée par le riff en enclume. Puis en seconde partie, le tempo s'emballe, créant une sorte d'hystérie collective, une hallucination cauchemardesque. Cette accélération possédée n'est pas sans rappeler Black Sabbath et Budgie sur leurs longues pièces aux constructions progressives.

D'ailleurs, puisque l'on parle de Progressif, « Weird Tales » est une pièce en trois actes de quinze minutes. Elle débute par une première partie entre Heavy et Punk, rappelant Venom et Motorhead. La seconde partie, très atmosphérique, instaure un climat froid et lugubre, qui laisse la place à une troisième partie, particulièrement épaisse, Doom en diable, au tempo mortuaire. Malgré le riff répétitif, obsédant, il n'y a rien de trop, créant un climat sombre et possédé, comme sut le faire Sleep avec « Jerusalem » en 1998.

« Barbarian » débute par le cri désespéré d'un homme : « The wizard ! ». C'est l'esprit du Mal qui prend possession de ce fantastique obus de Doom . Le riff est malsain, Punk, soutenu par une batterie impitoyable, enfonçant de grands pieux de bois dans le sol comme le Golem en colère. Jus Osborne et Tim Bagshaw déroulent un tapis de bombes électriques avec leurs guitares, une herse fermant tout accès à la moindre douceur.
« I, The Witchfinder » est une reddition brutale et plombée du Grand Inquisiteur, film de Michael Reeves et dont l'acteur principal était Vincent Price. Sorti en salles en 1968, il obsède toute une génération de musiciens de la scène Stoner et Doom. « Witchfinder General », titre du film en anglais, fut même le nom d'une des grandes formations fondatrices du genre dans les années 80. Electric Wizard est le premier à déterrer ce symbole trouble du cinéma britannique. Le trio déroule un climat glauque, entre cri de désespoir et résignation vers la Mort.

« We Hate You » est une déclaration on ne peut plus claire du groupe envers le monde qui l'entoure. L'incompréhension est complète, et il n'est nullement question de rallier l'un vers l'autre. Electric Wizard a décidé de suivre sa voie, et rejette massivement la bonne société. Une voie alternative se trace dans la violence, et le groupe l'annonce fièrement sur un tempo massif et un riff meurtrier. « Dopethrone » clôt l'album dans un fracas d'acier. Malsain, menaçant, le groupe construit à coup de médiator un temple du riff noir. Le riff se déforme dans la fumée des drogues, obsessionnel jusqu'à la moelle. Jus Osborne développe un dernier chorus, rare chez Electric Wizard, qui tient davantage du dérapage possédé. Le groupe est une entité musicale soudée qui ne laisse place à aucune mise en avant individuelle. Le solo ne sert qu'à ajouter de la matière à l'atmosphère suffocante de la musique.

Plus brutal, plus dynamique, tout en conservant son côté écrasant, Dopethrone est un vrai grand chef d'oeuvre. Le trio en publiera plusieurs, même une fois que la section rythmique sera partie après l'album Let Us Prey en 2002. Néanmoins la cohérence du trio original est des plus démoniaques, et restera un jalon majeur dans l'histoire de cette formation. Electric Wizard jouit d'ailleurs d'un petit succès commercial ces dernières années, sa musique publiée entre 1995 et 2002 connaissant enfin la reconnaissance qui lui ait dû en tant qu'influence pour de nombreuses formations modernes. Sleep vit d'ailleurs lui aussi ce retour du public après avoir oeuvré dans les années 90 dans l'indifférence et l'incompréhension générale. Ils étaient des pionniers, et ont ouvert la route vers d'autres mondes.

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