dimanche 17 décembre 2017

BUKKA WHITE 1967

"Ces hommes étaient des artistes fabuleux, mais des hommes pleins de contraintes."
BUKKA WHITE : Memphis Hot Shots 1967

Le vent froid du Nord balaie les dernières feuilles sur les arbres aux couleurs vives. C'est l'été qui s'en va, et c'est l'hiver qui s'installe tranquillement, posant son voile d'humidité et de brume sur la tranquille Franche-Comté. Un goût amer me ravage les tripes, celui d'années passées à lutter pour m'extirper de rocambolesques guêpiers financiers et de justice. J'ai morflé, il n'y a pas d'autre mot. Je peine à réaliser, mais j'ai dérouillé, c'est maintenant évident. Et ce que j'ai tenté de reconstruire à échouer, vouant deux histoires sentimentales à l'échec le plus total. Je suis exténué, les jambes chancelantes, mais encore debout, l'esprit fracassé par mille interrogations. Pourquoi ? Comment en suis-je arrivé là ? Suis-je un sale type au fond ?

Cette ubiquité, je l'ai retrouvé dans le Delta Blues des grands anciens. Ces hommes étaient des artistes fabuleux, mais des hommes pleins de contrastes. Ils pouvaient se montrer doux et rieurs, mais noyaient leurs douleurs dans le whisky, subissant les coups du sort avec consternation, se transformant en de rudes peaux noires tannées par la violence du monde. Il n'avait pas d'argent, ne subsistait que de petits boulots et de leur Blues râpeux qu'ils jouaient avec passion dans les bouges de Memphis, Detroit, Boston…. De cette violence, ils en ont puisé la force qui imprègne leur musique douloureuse, le reflet effrayant de l'homme brisé par le sort, mal né, trop sensible pour ne pas effacer d'un revers de main l'échec précédent, qu'il soit sentimental ou professionnel. Ces types ont des failles, qui sont au fond celles des hommes qui ont un coeur. On ne se redresse pas d'une rupture amoureuse sans y laisser des plumes, on ne peut pas laisser partir une femme sans en éprouver du chagrin. Incapable de l'exprimer avec des mots en face à face, l'âme rudoyée par la misère et la difficulté, ils préfèrent ravaler leur fierté devant un verre de bourbon. Et ils font pleurer le dobro, les mots absents au bon moment sortent comme par magie sur une mélodie mélancolique, et quelques impacts de bottleneck, toujours trop tard, leurs voix s'envolant dans la poussière d'une route perdue dans les plaines du Sud des Etats-Unis.

Le Delta Blues a offert un immense musicien, chanteur et compositeur du nom de Booker White, surnommé Bukka White. Né en 1909, White est un pur produit de l'exploitation des Noirs afro-américains. Ils croisent dans les exploitations agricoles les maîtres du Blues des années 20 et 30 : Robert Johnson, Charley Patton. Bukka White gravent quelques sillons entre 1937 et 1940, juste après un séjour en taule à la prison d’État du Mississippi surnommé Parchman Farm. Un autre prodigieux raisin sec du Blues y traînera ses godasses : Son House. Beaucoup furent libérés rapidement dès 1941 afin d'alimenter l'effort de guerre. Mieux vaut un Noir au boulot qu'un Noir qui croupit en cellule. Bien évidemment, ces renégats n'avaient pas fini en cabane pour rien : bagarres, vols à la tire, et autres flingues auront tôt fait de condamner ces bougres impulsifs. Souvenons-nous que leurs existences est un ruisseau de purin sans nom, alternant petits boulots, misère crasse, et racisme. Les seules lueurs d'espoir viennent de la musique et des filles, qui s'émerveillent, même fugacement, pour ces bêtes de scène d'un soir, avant que le revers de la médaille ne se révèle. Ils ne sont au fond que des misérables aux doigts et aux gosiers magiques, parfaits autodidactes, parfois totalement illettrés, mais avec une force intérieure qui les pousse à se sortir de leur ornière. Leur courage n'a d'égal que l'âme majestueuse de leur musique. Et contrairement à bien des musiciens de Rock, ces hommes se bonifient, se perfectionnant seuls à la guitare, leurs voix se tannant avec le bourbon et le tabac. Ils deviennent beaux, le visage marqué par la vie, toujours fringuants, avec le soin qu'ont toujours les musiciens noirs pour leur apparence afin de trancher avec leur condition minable. Ce sont des gueules, des voix, des rires, et des jeux totalement inimitables car totalement autodidactes, les doigts déformés par le travail des champs.

Tous étaient des laborieux : John Lee Hooker alternait travail à la chaîne à Detroit et enregistrement le soir, Son House donnait des sermons religieux, lui le vieux poivrot confit mais totalement génial, touché par la grâce. Bukka White avait une bonne bouille d'ouvrier, lui qui jeta aux orties ses rêves de gloire musicale en 1940 pour d'obscures besognes de « niggers ».

Ce sont les amateurs éclairés de la communauté blanche qui sortir le vieil homme de son oubli. En 1963, un professeur passionné de Blues antique décide de capter la bête sur son propre label : John Fahey offre la possibilité à Bukka White d'enregistrer son premier disque sur le label Takoma. John Fahey est un prodige de la guitare acoustique, puisant dans le Blues du Delta la sonorité qui lui permet de développer de splendides instrumentaux à l'âme aride. Mais Fahey sait qu'il doit rendre hommage à son maître, celui qui détient les clés de ce son miraculeux. Car il s'agit du Blues primitif, le plus pur qui soit : un guitariste-chanteur, tapant du pied sur une planche. Toute la magie opère grâce à la dextérité naturelle de l'instrumentiste, et la qualité de sa voix. Pas de cuivre, pas de section rythmique, juste la pureté de la poésie de la souffrance.

John Fahey capte en 1963 le vieil homme pour son label Takoma afin d'offrir à ce qu'il considère comme un maître du Blues son premier disque. Mississippi Blues paraît en 1964 aux Etats-Unis, et sera réédité par le label anglais Sonet en 1969. La Grande-Bretagne découvre le Delta Blues et ses innombrables artistes et chansons magnifiques. Mike Vernon et son label Blue Horizon signent de nouveaux artistes anglais comme Fleetwood Mac et Chicken Shack, mais aussi quelques légendes de choix : Furry Lewis, Joe Callicott, Roosevelt Holts, et Bukka White.


Ce dernier connaît une renaissance qui lui permet de jouer partout en Europe entre 1967 et 1977. Il est un prince du Delta Blues, la parfaite incarnation du guitariste-chanteur de Blues, avec sa voix profonde et son dobro National râpé. Les disques de Bukka White sont finalement rares, mais sont quasiment tous indispensables. L'homme est un prodige avec deux bouts de ficelle. Il lui suffit de s'asseoir avec son dobro, de prendre un micro, et l'homme déroule une heure et demi de chansons originales toutes plus belles les unes que les autres. Plus surprenant, Bukka White fut l'un des pionniers du Slam, parlant avec un swing vocal certain de sa vie sur fond de musique Country-Blues.

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dimanche 3 décembre 2017

SERGEANT THUNDERHOOF 2015

"Du plus loin que je puisse me souvenir, j'ai toujours fui la réalité."

SERGEANT THUNDERHOOF : Ride Of The Hoof 2015

Ce sentiment de colère intense me rongeait les tripes depuis bien trop longtemps. Il fallait que j'extirpe cette folie qui était de détruire mon esprit. J'avais envie d'hurler, mes mâchoires étaient tellement serrées que j'aurais pu m'en briser les dents. Mon œil était de jais. Il avait perdu sa couleur naturelle, dissoute par la fusion de mes neurones. J'implorais désormais des forces de l'Au-Delà pour sortir de ce merdier poisseux qui refusait de me laisser tranquille. J'implorais les Forces du Mal, je voulais qu'une puissance magique prenne possession de mon corps et de mon esprit, qu'elle puisse me venger de cette douleur subie, de tous ces coups que j'ai supporté depuis tant d'années.
Je voulais brûler ma vie, la vivre pleinement, et qu'importe le prix. J'avais passé quinze années bien rangées, à chercher un bonheur illusoire fait de biens matériels, des projets de vie sans intérêt. Ne restait que la fierté d'exhiber à la société notre belle maison, notre belle voiture, nos enfants, pour montrer que l'on avait réussi. Réussi quoi, à part s'endetter toujours plus ? Tous ces fantasmes consuméristes me faisaient vomir. Ils m'étouffaient, ils n'avaient aucun sens. C'était pitoyable, je ne voulais pas rentrer dans cette course à la futilité sociale. Je l'avais fait une fois, elle me coûta cher et ne m'apporta que des emmerdes. Et puis quand cela fonctionne, une fois tout cela obtenu, on passe à l'achat suivant, et entre les deux, on se dit quoi ? On vit quoi ? Des travaux, des factures, de la fatigue ? Et on vit quand ? La vie est finalement bien plus belle lorsque la discussion, l'image, la musique, l'histoire, l'imagination débordent de toutes parts, lorsque l'existence se remplit de créativité et non de vacuité.

Du plus loin que je puisse me souvenir, j'ai toujours fui la réalité. Mon imagination a toujours carburé à plein régime, se nourrissant de tout ce qui pouvait alimenter mes aventures imaginaires : films, séries télévisés, livres, musique…. Mon univers est un immense carambolage de voitures américaines des années soixante-dix, de combats de la seconde guerre mondiale, de films de gangsters, de héros à l'américaine, et de jolies créatures de papier glacé. Tout ce que je pouvais glaner était bon pour faire de mon monde intérieur le plus riche et le plus excitant possible. Il n'était que le résultat de mes obsessions et de mes découvertes. L'école n'était qu'une obligation contractuelle qui m'enseigna quelques techniques de base pour m'exprimer et découvrir davantage : lire, écrire, compter…. Le reste n'était que rabâchage. L'histoire et la géographie furent deux grandes fenêtres sur le monde, et la langue anglaise, celle sur ma musique chérie. Le reste n'était qu'ennui et obligation sans passion. Les mathématiques et la physique n'étaient que de la gymnastique de singe savant et docile, ce que je n'étais assurément pas. Mon parcours fut celui d'un élève plutôt pas mauvais mais pas terrible, ce que l'on qualifie avec ce terme terrible : moyen. Au milieu de la route, le ventre mou de la société, le type dont on attend rien d'extraordinaire, si ce n'est de rentrer dans le rang bien sagement.
Et finalement, la vie sembla avoir raison : j'ai trouvé un emploi de fonctionnaire moyen, j'ai fait mon travail, j'ai fondé une famille. J'ai eu une existence moyenne, faite de joies médiocres : une petite baise sans flamme, un apéro avec du whisky infect ou du Ricard bon marché et des gens inintéressants, et mes passions intérieures en sourdine. Ce feu sacré me bouffait les tripes, mais ma bonne éducation, bien qu'ouverte intellectuellement, ne m'avait pas beaucoup offert de voies vers la liberté. Beaucoup de contraintes, peu d'audace. Le sexe s'incorpora à mon monde : celui de la pornographie et de l'érotisme, une sexualité ouverte et débridée, qui m'apporta des clés pour comprendre et apprécier le corps féminin. Je sus alors ce que j'aimais ou pas. Pourtant, de cet apprentissage rêvé, je n'en retrouvai que rarement la trace dans mes couples. Entre les histoires, les fantasmes, le passé, et la réalité, il n'y eut rien de fantasque ou d'excitant. Seules quelques flashs merveilleux avec ma dernière compagne illuminent cet horizon triste : nos premiers ébats, ces moments où elle s'abandonna totalement à moi. Tout cela est éparse. Pas de fantaisie, juste une fine ouverture menant à la vie des gens biens que la publicité nous répand dans les oreilles à longueur de journée pour nous convaincre que cela est la panacée. Quinze ans de couple plus tard, il n'y a pas de panacée, juste des échecs. Il ne reste que des ruines fumantes, de la rancoeur, et ma fantaisie blessée.

L'excitation me vint souvent de la musique, et du Rock'N'Roll. Là je fus intransigeant, comme mes lectures. J'avais des idées bien précises sur la qualité et le contenu. Cela ne m'empêcha pas de plonger dans le Blues, le Jazz, le Hard-Rock ou le Black-Metal. L'essentiel était cette étincelle magique qui réveillait mon âme en quelques mesures.
En quête de nouvelles sonorités, incapable de me résoudre à me dire, comme un vieux con, que la bonne musique appartenait au passé, je partis à la recherche de nouveaux groupes. Mes découvertes fut nombreuses, et Sergeant Thunderhoof est l'une des plus éclatantes.
Modeste groupe britannique de Bath dans le Somerset, composé de vieux gamins d'une petite trentaine d'années, cette jolie bande de branleurs extatiques décida de jouer ensemble vers 2014. Un chanteur roux aux cheveux courts avec des baskets, un guitariste en bermuda avec une guitare de fan de Grunge, et deux autres companieros pas plus stylés fondèrent l'un des quatuor de Heavy-Rock anglais les plus fulgurants de ces vingt dernières années. C'est que cette petite équipe ne recule pas devant la dépense sur scène, se donnant à plein régime pour que son Rock explose à la gueule du public. Look de nazes, mais musique de toute première catégorie.

Zigurat ouvrit les hostilités en 2014, mais c'est avec ce fantastique Ride Of The Hoof que le groupe explose littéralement au grand public. D'abord parce qu'il est doté d'une pochette sublime, enluminure moyen-âgeuse aux teintes psychédéliques. Ensuite parce que son premier titre est le redoutable « When Time Stood Still ». Il y a matière à dissertation. Mais ce qui m'a frappé c'est que j'ai eu la sensation de partir dans une spirale émotionnelle. Je me suis retrouvé en quelques riffs gamin dans un grand champ de foin fraîchement coupé, jouant avec ma carabine bricolée, mon vieux casque français de la première guerre mondiale, courant sous le soleil d'été, m'arrêtant pour admirer la campagne rayonnante de lumière, et pour réalimenter mon imagination en images intérieures. J'ai passé mes dix premières années à courir en permanence à travers bois et champs, imprégné d'un immense sentiment de liberté et d'un champ de possibles incroyables. Pourtant, à la relecture, il n'était pas si ouvert, car tout cela était de l'ordre du rêve, et déjà, je faisais la séparation entre le fantasme et la réalité. D'ailleurs, lorsque j'étais dans mes rêves, je n'étais plus moi, mais un personnage inventé de toutes parts, capable de vivre pleinement mes aventures. Je ne me voyais pas les vivre, moi. Je me sentais trop médiocre, trop faillible. On appellera cela de la confiance en soi. J'avais déjà compris dès mon plus jeune âge que je ne vivrais pas la vie dont je rêvais, mais celle que m'imposerait la société, car je ne répondais pas aux critères de l'exception. En fait, inconsciemment, je m'étais résolu à dix ans à n'être qu'un type moyen ayant une vie moyenne.

Trente années d'abnégation et de pragmatisme plus tard m'ont permis de comprendre que ma vie ne valait rien. Pas que je n'aie que des regrets, mais ce qui fut le plus enrichissant fut ce que j'accomplis poussé par ma propre personnalité, et non contraint et forcé. D'ailleurs j'ai le plus grand mal à faire des choses qui ne m'intéressent pas. Cela me rend apathique, amorphe, sans vigueur, ce que l'on peut définir avec la plus grande précision par l'expression : « Ca me fait chier. » Trop de leçons, trop de cours, trop de choses que j'ai dû apprendre et faire sans aucune passion, sans aucune envie. Se forcer est la pire des sensations, car elle engendre le rejet. A trente-huit ans, j'ai rejeté ce fonctionnement. Tout ce qui m'emmerde est balayé froidement de ma vie. Depuis, je me sens revivre. Je suis un homme plus ouvert, plus drôle, plus riche intellectuellement. Je me découvre auprès de nouvelles rencontres, on me dit combien je suis intéressant, passionné et cultivé. Me voilà devenu intéressant, moi, l'homme moyen. Tout cela est un édifice bien fragile, d'abord menacée par mon absence de confiance en moi, et ma capacité à me poser des milliards de questions existentielles.

Ce genre de disque m'interroge au plus profond, parce qu'il retourne émotionnellement des sillons que j'avais recouvert sous une épaisse couche de terre végétale. Mais mon âme sensible et fragile soulève toujours la poussière sous le tapis. Il m'arrive parfois d'analyser des faits remontant à des dizaines d'années, juste parce que mon vécu me permet d'avoir un regard différent. Je ne regrette pas de vieillir, car finalement, il me semble que je deviens meilleur. J'aurais aimé disposé de force de réflexion plus tôt, mais ce sont mes erreurs et mes blessures qui m'ont forgé. Je suis le produit de mes douleurs. Mais ce qui me manque maintenant, ce sont les joies intenses de la vie. Elles ont été bien trop rares ces quinze dernières années. C'est un constat désarmant, mais entre rebondissements médicaux et merdier financier, rien ne m'aura permis de profiter pleinement de la vie et des bons moments. Tout a été gâché par cette foutue fatalité, quand tu as décidé de mettre le doigt dans l'engrenage, et que ta vie n'est conseillée que par des gens qui ne te veulent du mal.

« When Time Stood Still » fait partie de ces fantastiques chevauchées électriques oscillant entre rage profonde et mélancolie poisseuse. La guitare de Mark Sayer et la basse de Jim Camp tapissent le fond sonore de braises électriques qui crépitent entre les tympans. La voix superbe de Dan Flitcroft oscille entre colère foudroyante et cantique psychédélique. Le tout est profondément enclumé par le batteur Darren Ashman. Enclume, c'est le mot, car le bonhomme a une frappe puissante et souple, qui n'est pas sans rappeler celle de John Bonham sur « When The Levee Break » de Led Zeppelin en 1971. Cette cogne à la fois martiale et incroyablement imbibée de groove fait des ravages, fracassant les cymbales et parcourant les caisses avec une intelligente parcimonie teintée de Jazz et de Blues.

« When Time Stood Still », c'est un cri de colère vers le ciel. C'est une fureur qui part en une gerbe d'étincelles vers le cosmos. Les dieux ont entendu l'appel de l'Enfer. C'est du Stoner-Metal de première catégorie, emporté par un chanteur expressif et en intéraction avec son guitariste. Sayer et Flitcroft sont en phase totale. La rythmique est impeccable, rouleau compresseur de percussions lourdes et de basse au pétrole. Le son est parfait, puissant, compressé, organique. On sent le quatuor en pleine bourre en studio, cherchant à donner le meilleur pour que les morceaux soient propulsées dans la dimension désirée. Il n'y a pas ici de place pour des morceaux « excellents, mais dommage, la production est minable ». C'est du grand art sonore, comme jamais un disque de Rock n'a sonné depuis Black Sabbath. Il n'y a rien de superflu, juste de la musique inspirée. Et Il faut que vous sachiez qu'un disque en direct avec ce morceau, et c'est encore une autre dimension. Car ces garçons savent restituer cette musique incroyable sur scène, sans fioriture, avec les tripes du vrai Rock'N'Roll.

« Planet Hoof » est un épais Doom-Rock aux accents spatiaux. Guitare et basse ramonent le conduit de cheminée, pendant que la batterie fait trembler les murs. Flitcroft vole déjà haut, évoquant des mondes interstellaires rouges et ocres. « Reptilian Woman » est une impressionnante pièce de Heavy-Metal Stoner à la puissance époustouflante. La mélodie vocale rageuse est enivrante, C'est un morceau sans concession, imprégné de science-fiction des années cinquante, de ces monstres issus des cataclysmes nucléaires.
« Enter The Zigurat » est une odyssée spatiale et psychédélique qui rampe entre les roches lunaires. Guitare et basse vrombissent comme le bourdonnement d'un vaisseau interstellaire.C'est un morceau prenant, obsédant, avec son rythme tribal, ses lignes de guitares lancinantes qui se durcissent au fur et à mesure de la progression du thème. Puis le morceau explose à coup de wah-wah et de riffs ouverts en une extase lyrique, comme une fantastique bouffée d'oxygène après avoir été emprisonné dans une pièce des heures. On sent son corps se régénérer, mais il lui est incapable de dissiper cette mélancolie rampante qui rend ce morceau si prenant, si obsédant, si pur, si intense. Le solo de guitare est une merveille de progression vers les étoiles, quelques notes s'égrainant avec finesse et précision. Le chant est profond, sombre, volatile.

« Goat Mushroom » est le gros morceau de ce disque, voyage électrique de presque quatorze minutes. Incandescente odyssée de Doom-Metal noir et menaçant, elle aboutit à une explosion rythmique de Heavy-Metal Stoner furieux. C'est la forge de l'Enfer, c'est l'incandescence noire des âmes qui disparaissent sous la fourche du Diable, le bouc...Dérive hallucinée de guitare électrique fatale, « Goat Mushroom » est un massif granitique, une montagne imposante, sur laquelle trône le mage éternel. Le tempo est imprégné d'un groove sableux, volcanique, dont les cendres frappent millimétriquement les neurones.

« The Staff Of Souls » conclut à merveille ce beau disque. Jolie pièce alliant guitare percolant comme l'eau d'une source, et basse fuzzée, on retrouve une teinte similaire au majestueux Soundgarden. Sergeant Thunderhoof sait faire de la musique, il sait varier les atmosphères, jouer avec l'âme de ses amateurs. C'est du bel ouvrage que voilà, qui rappelle aussi le Led Zeppelin de « No Quarter ». Et puis les neiges des grands sommets fondent en de petits ruisseaux d'eau pure courant dans les rochers.

L'eau est encore fraîche, la vie se poursuit. Il y a de la lumière au bout du tunnel, et peut-être un peu d'amour et de tendresse, tout simplement. En tout cas, la vie est plus belle lorsque Sergeant Thunderhoof joue.

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mercredi 22 novembre 2017

THE OBSESSED 1990

"Le tas de ruines encore chaude, c'est moi et ma vie."

THE OBSESSED : The Obsessed 1990

La route traverse la forêt puis longe le lac. Les arbres nus de l'hiver ressemblent à des squelettes décharnés et désarticulés. Le ciel est gris et bas. Il semble exercer une pression aussi oppressante qu'inexorable sur mes épaules. Inconsciemment mes mâchoires se serrent, et mes sourcils se froncent. Mon iris noircit, imprégné d'une colère sourde. Le destin m'a été bien cruel ces dernières années. Je sens mon corps habité d'une fatigue immense. Je ne sais si c'est mon moral qui est atteint, ou si effectivement mon organisme réclame la paix et le repos. Quinze années de vie de couple, deux séparations, et des cendres plus ou moins fumantes derrière moi. Le tas de ruines encore chaude, c'est moi et ma vie. Après dix années avec la mère de ma fille, révulsé par le peu d'intérêt dont elle fit toujours preuve pour moi, je la quittai. S'en suivirent quatre années de combats juridiques, de disputes, et d'innombrables ennuis financiers dont je fus la seule proie. C'est dans ces moments-là qu'on se rend compte qu'une fois la tête sous l'eau, les mains tendues sont rares. Banques, assurances, impôts… tous des crevards prêt à vous lâcher lorsque votre vie décroche. Pas de soutien, pas de compréhension, et vos revenus fondent sous les impayés, les créances, les intérêts, les indemnités de retard, les découverts…. Carte bancaire bloquée sans prévenir, vous laissant incapable de vous acheter à manger ou aller au travail, vous humiliant devant vos enfants. Et puis les frais qui courent alors que vous n'avez plus un sou…. Une fois que la tête sort un peu de l'eau, il y a cette main invisible qui appuie encore un peu pour vous y maintenir quelques mois de plus, afin d'expier vos péchés, celui d'avoir voulu reprendre le contrôle de votre vie.

Je savais alors ce que je voulais et ce que je ne voulais plus. La femme idéale était dans mon viseur, et elle m'apparut, quelques mois plus tard. Compréhensive, attentionnée, tout changea lorsque sa vie à elle fut bouleversée : travail, enfant malade…. Impossible d'en supporter davantage, je devins un fardeau. Durant quatre années, nous oscillâmes entre passion amoureuse et haine absolue, nos sentiments gangrénés par nos problèmes respectifs. L'incompréhension devint totale, le ressentiment mutuel de plus en plus encombrant. Et puis il y eut aussi la révélation de l'imposture. De mon côté, mes problèmes financiers traînaient en longueur, du côté de ma nouvelle compagne, il était évident qu'elle ne voulait pas changer de vie pour moi. Elle qui se montrait si curieuse de mon univers en devint dégoûtée. Ma musique favorite l'insupportait, le temps que je passais à écrire aussi. Elle n'aimait pas particulièrement mes amis, et nos discussions tournaient parfois à vide, car tous mes centres d'intérêt l'indifféraient. Et cela était réciproque. Devenue commerciale, ses chiffres de vente, la concurrence avec ses collègues, ses projets immobiliers commençaient à m'étouffer. J'essayais d'aérer la conversation, et parfois nous passâmes des instants exquis à rire ensemble, bien trop rares pour sauver un couple en déroute. La colère et la rancoeur ne tuèrent pourtant pas le fond de notre amour, mais il était évident que nous ne finirions pas nos vies ensemble. Son infecte adolescente de gamine se chargea de détruire le fragile édifice que nous tentâmes de monter ensemble, encouragée par l'inconséquence de sa propre mère, incapable de savoir ce qu'elle voulait vraiment. Elle n'avait pas la force ni l'envie de lutter. Il fallut aller à la solution de facilité : il fallait que je parte. Cela n'était pas nouveau. Je connus ma première expérience de SDF un an auparavant, pour les mêmes raisons, avant que de bonnes résolutions ne me fassent revenir. Mais un an plus tard, les mêmes maux me conduisirent à la même conclusion. Et cette fois, il était hors de question que je fasse demi-tour, ni que je finisse à la rue une fois de plus.
Je suis aujourd'hui célibataire, dans mon appartement, au milieu de mon univers : musique, bandes dessinées, histoire, cinéma, littérature fantastique, art flamand…. J'ai retrouvé mon âme à trente-huit ans. Il m'a fallu pleurer de l'argent à mes parents, comme un étudiant sans le sou, il a fallu que je m'assois encore sur ma dignité. Mais cela est terminé, car j'ai retrouvé ma personnalité. Je suis plus agréable à vivre, plus souriant. Je suis heureux de rentrer chez moi. Bien sûr, il ne faut pas trop appuyer sur la plaie pour que se réveille la douleur. Pourtant, ma jovialité retrouvée me permet de discuter avec de jeunes femmes, et de les voir me sourire gentiment alors que mon hermétisme noir les faisait fuir. Ces simples sourires, ces petits mots gentils sont autant de caresses à un coeur meurtri qui retrouve peu à peu confiance. Ma dernière compagne et moi ne sommes pas fâchées, nous discutons encore ensemble, une certaine tendresse demeure. Pour la mère de ma fille, la colère a fait la place à une noire résolution. Malgré ses provocations, je reste de marbre, froid et glacial, juste mais sans pitié. C'est le pire que l'on puisse connaître d'un être humain : l'indifférence. Au fond de moi, je la hais, et je l'ai expliqué ouvertement à ma fille. Pourtant, cela ne se voit pas frontalement. Et je ne fais aucun commentaire désagréable. Lorsque mon enfant me demande mon avis, je lui donne sans détour, pour le reste, c'est elle qui se fera son opinion. Je m'en occupe au mieux le peu de temps que je l'ai, j'essaie de lui inculquer mes valeurs, de l'encourager vers la réussite. Elle est une survivante, elle aussi.
Pourquoi me répandre en ces lignes sur ma propre condition alors que je dois vous parler de musique ? Parce que ce disque touche à mon intime, au plus profond, et qu'il vient de resurgir par miracle enfin remasterisé et bonifié d'inédits. The Obsessed est un groupe qui touche au plus profond de l'âme. Le Doom, c'est la destinée. C'est la traduction littérale. Cette expression de Doom-Metal est hérité du morceau « Hand Of Doom » de Black Sabbath, les fondateurs du genre, et l'un des morceaux fondateurs de cette atmosphère mêlant désespoir et onirisme.

En 1979, lorsque Scott « Wino » Weinrich fonde l'embryon de son groupe au lycée avec le bassiste Mark Laue, l'ensemble s'appelle Warhorse. Il devient The Obsessed sans véritable explication, si ce n'est qu'au pur Heavy-Metal de Judas Priest et Black Sabbath, Weinrich incorpore quelques pionniers de la New Wave Of British Heavy-Metal, dont Motorhead. Le Punk a aussi sévi en Grande-Bretagne, et touche les côtes américaines. Il se mue en Hardcore avec Misfits, Bad Brains, et Black Flag. Warhorse se fracasse déjà dans le campus sur les amateurs de Disco qui ne comprennent pas cette musique noire et lente.
Weinrich est un grand échalas de près de deux mètres, bâti comme une armoire à glace. Il a les cheveux longs, presque mulet, le visage maquillé de noir et de blanc. Il fait peur aux Punks, dont Henry Rollins, le chanteur de Black Flag, à l'allure de flûte traversière. Lorsqu'il croise Weinrich devant un club, il craint le pire. Mais un badge Motorhead sur sa veste en jean lui sauve la vie. Wino sourit, et lui dit : « Ouais Motorhead, c'est cool hein ? » Depuis, Rollins a passé les vingt années suivantes à faire de la musculation.
Weinrich aime les jolies filles, mais a une obsession : signer avec un label. The Obsessed râtisse les clubs avec le batteur Ed Gulli. Le trio terrorise les audiences du Maryland, tout comme un quatuor issu de Arlington : Death Row, qui reviendra à son nom d'origine, Pentagram. C'est que la musique est au Punk ou au Rap, mais certainement pas à cette mixture incompréhensible entre Black Sabbath, Judas Priest, Misfits et Motorhead. Comment ces types peuvent-ils porter les cheveux longs en 1982 ? Pourtant, il n'est pas question d'en discuter, car ils font peur. Ils sont incroyablement plus terrifiants que n'importe quel groupe de skins. Et pour cause : d'abord, ils sont techniquement meilleurs musicalement, et ensuite, ils ne font ABSOLUMENT aucune concession.

Ils ne font tellement pas de concession que The Obsessed mourra sans avoir rien sorti, à part une démo, un maxi et un titre sur une compilation de Thrash-Metal. Pourtant, depuis le début des années 80, le trio est rôdé. Il est capable de jouer une heure et quart avec ses seuls morceaux originaux, et sa maîtrise instrumentale est impressionnante. Pourtant rien n'y fera. Le Rock'N'Roll est mort aux Etats-Unis. Et ce ne sont pas des disciples de Black Sabbath et de Kiss qui vont régénérer le genre avec leurs grosses guitares. Le son est aux synthétiseurs. Genesis, Phil Collins, Yes, David Bowie, Van Halen…. Tous ont pris le pli. Le Heavy-Metal sans concession de The Obsessed est à la fois un anachronisme et une incompréhension. Ils ont régénéré la musique de Black Sabbath pour en faire une matière aussi Punk qu'incroyablement noire et émotionnelle. Personne n'est prêt à écouter cette musique, comme l'Amérique des années 60 ne sut quoi faire de MC5 et des Stooges. Pentagram, The Obsessed et tous les guerriers Doom furent condamnés à errer dans l'ombre, à peine éclairer par le Thrash-Metal de Slayer et de Metallica qui leur devait beaucoup. Pourtant, pas assez jeune, pas assez branché, pas assez speed, The Obsessed disparut avec ses dizaines de morceaux impeccables. Plutôt que de faire des ronds de jambe, Scott Weinrich accepta le poste d'un groupe de Doom-Metal mieux barré qu'eux : Saint-Vitus. Venu de Californie, leur tournée avec les Punks de Black Flag leur ouvrit les portes d'un label : SST Records. Scott Weinrich remplaça le furieux Scott Reagers, et devint le simple chanteur du quartet, la guitare étant tenue par le furieux Dave Chandler. Weinrich apporta son timbre grave, mais aussi sa plume merveilleuse, ainsi que, très sporadiquement, sa guitare. Saint-Vitus devint culte, et se fit sa petite réputation aux Etats-Unis comme en Europe, notamment en Allemagne. Le disque live de 1990 fut capté dans ce pays, démontrant toute la férocité du quatuor Doom. Fort de ce succès, SST Records décida de capitaliser sur son poulain inattendu. Ayant connaissance du passé de Wino, la maison de disques lui proposa de publier le premier album de The Obsessed. Weinrich, fidèle en amitié, rappela Scott Laue à la basse et Ed Gulli à la batterie pour graver huit superbes morceaux.

En 1990, la musique de The Obsessed est encore plus incongrue. Le Grunge arrivera un an plus tard avec Nirvana. La musique Pop est boursouflée de synthétiseurs : Queen, Phil Collins, Genesis, Rod Stewart, Stevie Wonder….. Les rares guerriers électriques opèrent dans l'ombre : Melvins, Screaming Trees, Soundgarden, Mudhoney, Alice In Chains… Il y a bien Metallica et les Guns'N'Roses, mais les deux ont opéré le virage vers la balade qui colle aux doigts. Comme si cela était obligatoire.
The Obsessed ne se pose pas ces questions. Même les titres lents sont violents. A commencer par le magnifique « Tombstone Highway », merveille de mélancolie revêche. La guitare bave sur la bande sonore. La rythmique est aussi économe que précieuse. Les tonalités de Weinrich sont d'une richesse rare. Un larsen, une note soutenue, et voilà l'émotion s'envoler. Sa voix grave et puissante, totalement juste et virtuose domine largement le spectre sonore. C'est que le bonhomme n'est pas un sosie vocal d'Ozzy Osbourne ou de Lemmy Kilmister. Ses incantations vocales sont martiales, et appuient chaque riff comme autant de coups de massue. C'est du grand art, finement ciselé, comme ce chorus s'envolant dans la lumière comme un oiseau de proie. La wah-wah hulule comme un rapace en chasse nocturne. Mark Laue et Ed Gulli assure une assise rythmique puissante sans être démonstrative, permettant au guitariste de caler ses mélodies cancéreuses.

« The Way She Fly » est moins mélancolique que son prédécesseur. C'est un morceau imprégné de colère noire, de folie meurtrière. Weinrich installe un climat malsain, au bord de la folie. « Forever Midnight » est presque enjoué, poussé par un riff que l'on pourrait qualifier de Hard-Rock si la tonalité de la Gibson Les Paul Custom noire n'était aussi écrasante. Pourtant on est surpris par la qualité mélodique de ce beau morceau. Weinrich est ainsi capable de faire pousser des fleurs dans le bitume, malgré le volume sonore des amplificateurs. Le duo basse-guitare crée une bourrasque sonore qui doit autant au Punk qu'au Boogie féroce du Heavy-Psyché anglais du début des années 70. Chaque riff est un coup de hachoir, mais Weinrich sait le relever d'une ligne mélodique lyrique qui engendre une profonde mélancolie. Ses interventions en solo sont des prolongements du morceau, une sorte d'apogée émotionnelle qui brûle les neurones et le coeur.

« Ground Out » est un virulent Boogie, brûlant comme une torche dans la nuit. On y sent des scories de ZZ Top brassées avec la férocité de Motorhead et de Black Sabbath. L'accordage bas et ravageur rend le morceau poisseux. Les chorus sont des stries de lumière blanches dans la nuit, dont l'apparition fugace n'est guère plus rassurante.
Certains morceaux sont très courts, deux minutes voire moins, presque Punk. D'autres s'étendent pour développer les thèmes. Le pinacle est atteint avec « Freedom » et ses six minutes scindées en deux thèmes distincts. Le premier est un instrumental au tempo rapide, gorgé de chorus sauvages, tout en larsen contenu, et en riffs rageurs. Puis le rythme ralentit pour la seconde phase, qui s'ouvre sur un morceau Heavy-Metal brutal, marteau sur l'enclume, dans la plus pure tradition du Black Sabbath de Masters Of Reality. La coda finale retrouve le thème initial pour un chorus échevelé.

« Red Disaster » retrouve l'ambiance poisseuse des morceaux hantés du début. On est véritablement en terrain Sabbathien. « Inner Turmoil » est un terrifiant morceau au riff massif, devant autant à Led Zeppelin qu'à Black Sabbath. Le tempo s'emballe. On découvre l'influence Punk Hardcore sur la musique de The Obsessed.
Le disque se termine par le magique « River Of Soul ». C'est l'un des morceaux les plus emblématiques du groupe, avec cette amertume infernale que l'on retrouvait sur « Tombstone Highway ». Les riffs de Black Sabbath, le tempo massif et régulier, les enluminures de larsen et de lignes mélodiques noires sont parfaites. Le chant de Weinrich est parfaitement brillant, entre rugissement Blues et incantation désespérée. D'un simple coup de médiator, Wino plante n'importe qui dans le sol. Car chacune de ses interventions est judicieuse, intelligente, portée par cette musique de magie noire, urbaine et crasseuse comme ne l'a jamais été aucun disque de Punk ou de
Rap.


Complété avec ses démos de 1984 et un rare concert de 1985 qui restitue parfaitement ce qu'était The Obsessed sur scène dans le Maryland, cet album est plus que jamais séminal. Il est l'essence du Heavy-Metal qui brûle le coeur pour en faire exploser la vérité, celle de l'âme.

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lundi 30 octobre 2017

IGGY POP & JAMES WILLIAMSON 1975

"Le blond et le brun se montrent plus taquins, plus finauds, et dévoilent une musique riche, qui va au-delà de la simple démo."

IGGY  POP & JAMES WILLIAMSON : Kill City 1977

En 1977, James Osterberg, alias Iggy Pop, est un grand con dégingandé de trente piges qu'une nouvelle génération de groupes considère comme le parrain de leur mouvement : le Punk. A l'heure où beaucoup de musiciens se posent la question de poursuivre ou d'arrêter les conneries, Iggy continue. Encouragé et soutenu par son vieil ami David Bowie, Iggy va enregistrer en Allemagne deux albums qui feront date dans sa discographie personnelle : The Idiot et Lust For Life. Ces disques lui permettent d'accéder à une notoriété internationale qu'il n'a jamais connu, et les ventes sont suffisantes pour que des labels indépendants essaient de mettre la main sur des bandes où figurent Iggy Pop. Eux aussi veulent participer à la fête, et les albums bootlegs des Stooges fleurissent, transcrivant des concerts à la qualité sonore fort discutable.

Avec l'arrivée de James Williamson à la guitare en 1972, rétrogradant Ron Asheton à la basse, c'est le début d'une longue coda à base d'héroïne qui va empoisonner Iggy Pop et le batteur Scott Asheton. Raw Power, publié en 1973, laisse entrevoir la férocité du nouveau bretteur, mais montre aussi combien les Stooges sont devenus de véritables machines d'autodestruction. Le disque est tellement brutal qu'il disparaît rapidement des radars, ses ventes minables ne permettant aux Stooges que de se produire dans des clubs afin de payer les doses jusqu'au début de l'année 1974. Les Stooges disparaissent dans l'animosité et l'anonymat total. Seuls quelques amateurs éclairés vantent les qualités du groupe, véritable symbole du jusqu'au-boutisme et du nihilisme musical, soit exactement ce que cherchent à exprimer les Punks trois ans plus tard en Grande-Bretagne. Iggy Pop devient un symbole, un précurseur, celui qui avait déjà tout vu au milieu du Progressif de stades.

Lorsque Iggy renaît de ses cendres, le label Bomp va exhumer grâce à l'aide du guitariste James Williamson des bandes datant de 1975. Les deux musiciens avaient travaillé ensemble le temps de capter quelques bandes de démonstration permettant à Williamson de démarcher les labels, pendant que Pop finissait son séjour en hôpital psychiatrique. D'ailleurs les morceaux furent captés les week-ends de sortie autorisée d'Iggy Pop de son institut médical. Rapidement qualifié d'opportuniste et de sans intérêt, ce qui deviendra l'album Kill City passa à la trappe, seulement acheté par les fans purs et durs. Cela permit à Williamson de récupérer seul un peu de cash. Il retravaillera en 1979 avec Iggy Pop pour l'album New Values avant de laisser tomber la musique et de se lancer, clean, dans l'informatique.

Il deviendra un des pontes d'une société internationale d'informatique, avant de prendre sa retraite et de remplacer un Ron Asheton décédé au sein des Stooges reformés pour le bonheur de tous les fans. Fier et confiant, il entreprit également en 2010 de remixer Kill City, comme le fit Iggy Pop avec Raw Power afin de le débarrasser de la production nasillarde de Bowie pour lui redonner les testicules initiaux.

Ce qu'à fait Williamson avec Kill City tient du miracle : il a transfiguré cet album de démos bancales pour en révéler la vraie force. Certains pisse-froids lui reprocheront sa déformation, je fais partie de ceux qui applaudissent. Williamson a fait de Kill City un vrai grand album, sans doute ce qui aurait pu être le quatrième des Stooges, mais pas que. En tout cas, Iggy Pop en fut assez fier pour en déterrer la chanson éponyme pour la tournée des Stooges de 2010-2011.

On a souvent considéré James Williamson comme un guitariste fabuleux doublé d'un personnage froid et calculateur. Sans doute faut-il y voir les effets ravageurs de l'héroïne sur ce comportement erratique et malfaisant. Mais en 1975, les choses sont clarifiées. Williamson survit de sessions pour les autres, et a réduit sa consommation de stupéfiants durs. Iggy Pop tente de s'en débarrasser définitivement, préférant se couper brutalement du monde interlope du Rock underground américain pour retrouver la sérénité et une vie normale. Son corps a souffert de sept années de Stooges qui l'auront vu se battre dans le public, se taillader le torse avec des tessons de bouteille, affronter un public de bikers, et s'être défoncé dans des squats sordides, ne mangeant que quand une charmante groupie l'héberge le temps d'une nuit. L'histoire des Stooges est des plus sordides, bien loin de la lumière noire des trois albums studio impeccables du groupe. Lorsque Williamson vient retrouver Iggy Pop, le chanteur refuse net. Il ne veut pas replonger, il ne veut pas mourir.

Mais le guitariste est persuasif, et Osterberg sait que le musicien est surdoué. Iggy viendra durant ses permissions, tranquillement, Williamson s'occupe de tout. La situation est confortable et sans risque. Les belles photos du livret de l'édition 2010 montrent deux hommes décontractés et complices. Iggy Pop a les cheveux blond platine, mais a perdu son apparence de fantôme squelettique, il a retrouvé le sourire. Williamson n'a plus les joues creusées par la dope. Il fume beaucoup, mais son visage est à nouveau humain. Les deux garnements s'entendent parfaitement musicalement, c'est ce qui a convaincu Pop de l'imposer au sein des Stooges et de forcer Ron Asheton à laisser sa place pour prendre la basse.

Iggy Pop a raison : James Williamson est un superbe guitariste et un excellent compositeur. Totalement libérés de toute contrainte, les deux composent un excellent album de Rock, qui doit bien davantage aux Rolling Stones qu'aux Stooges. La violence sonore n'est pas le principal atout. Williamson ajoute de la guitare acoustique, de l'orgue Hammond, du piano, des cuivres, des choeurs Soul. Certes, il joue toujours comme une teigne, et tient parfaitement le rôle de rythmicien comme celui de soliste avec une aisance rare. Iggy Pop se transforme en Mick Jagger trash, hululant, feulant, rugissant comme rarement il ne l'aura fait. Sa palette vocale complète est mise à contribution, et jamais Iggy Pop ne fut à ce point mis en valeur. Williamson a serti un écrin parfait à son chanteur. Il pose sa voix en fonction des ambiances, gribouillant des paroles relatives à sa vie du moment, ses cauchemars et ses doutes : des filles louches, la nuit, la violence, la drogue, la justice.

Le blond et le brun se montrent plus taquins, plus finauds, et dévoilent une musique riche, qui va au-delà de la simple démo. Pour avoir écouté la version initiale, il est évident que Williamson a transformé ces bandes brutes en un album à part entière, rien qu'en équilibrant les instruments et les musiciens. Il en a aussi conservé l'aspect brut, sans filtre, de l'enregistrement initial. Kill City devient le Exile On Main Street des Stooges, un album poisseux qui largua tout le monde mais révèle au monde onze chansons magnifiques. Iggy Pop n'est pas un simple faire-valoir, il est partie prenante, il compose, autant qu'il le peut, surtout sur les textes qu'il doit chanter, et qu'il refuse qu'un autre le fasse à sa place.

« Kill City » est un mordant Rolling Stones Rock qui rencontre la brutalité des Stooges. Les choeurs Soul sur le refrain reviennent à cette source Blues'N'Soul qui irriguent énormément ce disque. Immédiat, brutal, il montre combien les Stooges auraient pu devenir les Rois du Rock à riffs, quelque part entre le Heavy-Metal et le Blues-Rock, avec cette âpreté caractéristique des banlieues crades. Personnellement, j'adore ces mélodies mélancoliques comme « Sell Your Love ». Il y a tant de douleur, d'amertume. Iggy Pop ne chante pas, il conte, laissant la place aux choeurs pour apporter de la mélodie vocale.

« Beyond The Law » a beaucoup compté pour moi. Cette amertume latente sur un tempo Boogie laisse entrevoir la difficulté derrière le réalisme. Il est suivi de « I Got Nothing », inédit des Stooges correctement capté, et qui confirme la voie musicale suivie par les Stooges en 1974. « Johanna » est un beau Electric Blues-Rock dominé par le saxophone de John Harden. Scott Thurston tient le piano, comme il le fit au sein des Stooges entre 1971 et 1973.

Williamson fait suivre un instrumental en deux parties, aussi surprenant qu'il puise dans les tonalités nocturnes et tribales : « Night Theme ». Le morceau est prenant et angoissant, son ambiance est tribale, sauvage, il n'est pas qu'une simple parenthèse. « Consolation Prizes » qui suit est une véritable démonstration de Rolling Stones à la version Stooges. Puissant, nerveux, sans concession, il n'est pas Hard, il a du nerf et de la virtuosité.


« No Sense Of Crime » est un magnifique morceau électro-acoustique, qui n'est pas sans rappeler …. « Wild Horses » des Rolling Stones. Iggy Pop déclame, sa voix a la profondeur d'un crooner Soul, davantage que Mick Jagger. « Lucky Monkeys » prolonge cette voie, enrichie d'harmonica poussiéreux. L'ambiance est vaporeuse, hantée, rare. « Master Charge » est un épais Boogie-Blues cancéreux tenu à la Pedal-Steel. C'est un instrumental, complété de piano Fender Rhodes, coda cancéreuse qu'illumine quelques chorus de guitare, celle de Williamson. Kill City est un tellement bon album. Enfin doté de sa vraie qualité sonore, il devient le premier vrai album solo d'Iggy Pop, et à mon sens, son meilleur.

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mercredi 18 octobre 2017

EARTHLESS 2008

"La totalité du concert est une expérience sonore indescriptible, magique."

EARTHLESS : Live At Roadburn 2008

Je regarde les lumières de la nuit par ma fenêtre. Les usines au loin découpent de l'acier, pendant que les locomotives mettent en attente les wagons citernes. La ville ne dort jamais vraiment, et des hommes alimentent cette activité de leur labeur, seuls dans la nuit. La circulation automobile a décliné depuis la fin de l'après-midi, et on entend enfin le coeur de la cité battre dans ces antres de tôles poussiéreuses.

Le Rock fut longtemps l'exutoire de la force de travail internationale. L'électricité sauvage puisé dans le Blues noir américain permit aux forçats de la besogne de s'identifier aux forçats du Boogie. Combien de groupes qualifiés de bas du front firent frémir les scènes mondiales afin de canaliser la colère sourde des hommes de l'ombre de l'économie ? Humble Pie, Status Quo, Grand Funk Railroad, AC/DC, Creedence Clearwater Revival, Rory Gallagher … Tous des groupes à grosses guitares d'ailleurs. Imprégnés de Blues et de Soul, ils ne furent jamais avares de jams à rallonge permettant d'atteindre la transe prolétarienne. Jimi Hendrix et Cream en firent aussi partie, à leurs manières. Cette idée de malaxer le Blues et le psychédélisme pour se lancer dans des odyssées sonores cosmiques permettait au gamin sortant de l'usine de s'échapper de sa triste réalité, bière à la main. Le message n'a pas besoin d'être ouvertement politique ou revendicatif pour délivrer une vraie parole. C'est à tort que furent mis au pilori ces stakhanovistes des planches, la presse leur préférant les vrais artistes : David Bowie, Sparks, Lou Reed, Bob Dylan, Yes, ELP…. Et puis aussi le Punk, sorte de révolte devenue branchée, qui fut curieusement déconnectée de sa base alors que son vrai message était bien celui d'exprimer la fureur des hauts fourneaux et des chaînes de montage : Stooges, MC5, Damned, Sex Pistols… n'avaient finalement que cette ambition. D'autres se déclamèrent prophètes, comme les Clash. Une belle connerie tiens.

Aujourd'hui, la plèbe se défoule en clubs sur du Rihanna, du Katy Perry, du David Guetta, du DJ Khaled, du Imagine Dragons, Daft Punk ou Sia. C'est disco, c'est chic, c'est Dance, ça ressemble à la bouse électronique des années 90 : Gala, Two Unlimited, Ace Of Base, Doctor Alban…. De la grosse Techno-Dance européenne, de la grosse soupe vulgaire, sans aucune base culturelle ni intellectuelle. De la grosse merde musicale servant de prétexte pour encaisser les dividendes. Du boulot de patronat et d'actionnaires. Comment vous dire que je déteste ça….. Je n'ai pas assez de mots vulgaires et haineux pour juger ce purin auditif.

Mais le public est responsable de ce qu'il écoute. L'éducation permet d'éviter ce genre d'écueil, mais le pouvoir des médias est immense. Il manque furieusement de discernement ces derniers temps. Tout est formidable. Les qualificatifs sont tellement nébuleux, que l'on sent l'outrage auditif se profiler : électro-pop, musique urbaine, Rap new-yorkais avec une touche de Soul, Soul urbaine, Ragga-Funk….. Que des intitulés qui ne ne font que cacher la misère. Des groupes arrivent dans les médias sans prévenir, sont invités à la Fashion Week, on les voit partout. Pourquoi ? Sur quelle base ? Sur quel prétexte musical ? Souvent aucun, si ce n'est la boursouflure bourgeoise des grandes cités, les réseaux, les copains, les copines…. Et puis on regarde l'horizon, et on se dit que les prolétaires anglais de 1972 qui vibraient sur Status Quo et « Don't Waste My Time » n'ont plus de place en ce bas monde.

Que reste-t-il aux losers en ce bas monde ? Le Stoner-Rock. Et une des grandes forces reste Earthless. Groupe fondé par le guitariste Isaiah Mitchell, c'est un trio de lads. Mario Rubalcaba tient la batterie, Mike Eginton la basse. Leur musique est essentiellement instrumental, bien que Mitchell ait une voix en or, comme il le prouve avec son autre projet : Golden Void, une merveille.

Un perdant, en voilà que j'en suis à nouveau un, à trébucher sur les écueils de la vie. J'ai retrouvé ma solitude, même si tout n'est finalement pas si noir que la fois précédente. Je me suis reconstitué mon univers à moi, je crois que j'ai retrouvé la totalité de mon âme, bien que l'amertume parasite mon palais, ce goût d'échec difficile à évacuer de la bouche. Les jours qui ont suivi mon déménagement précipité, j'ai dormi, mais j'ai aussi écouté pas mal d'albums que j'avais laissé de côté, de vieux camarades comme de nouveaux complices. Ils me soutiennent en ces temps troublés, m'empêchent de tomber, exténué que je suis physiquement et moralement. Derrière mon irrésistible envie d'avancer vers des jours meilleurs se cachent des blessures profondes, un épuisement général après plusieurs années difficiles à me battre contre les éléments afin de ne pas sombrer. J'ai trouvé de l'aide bienveillante, avant que le vent ne tourne et que le sable des dunes ne gâche le repas sur la plage et ne fasse s'envoler les beaux espoirs. Je suis triste et en colère à la fois, tout en songeant à l'apaisement de mon âme torturée. Je vais enfin vivre pleinement dans mon univers à moi, seul, et c'est sans doute mieux comme cela.

S'envoyer deux titres instrumentaux de trente minutes chacun captés dans un obscur festival hollandais, voilà qui a de quoi être particulièrement intransigeant et hermétique. Seulement voilà, ils sont deux odyssées audacieuses, chantres d'une musique disparue issu d'un monde perdu. Mais tout cela résiste parce que se concrétisèrent quelques idéaux, et furent jeter sur de la cire l'une des musiques les plus originales de tous les temps. Elle échappa un temps aux diktats commerciaux, les gamins avaient pris le pouvoir. Aujourd'hui, ils doivent se contenter de vivre de petits boulots précaires, de formations sans issues, et manger aux crochets de leurs parents. Aussi pour eux, la liberté serait de danser sur du Major Lazer, une bière à dix euros à la main dans un festival hors de prix, pour vivre, je cite : « un grand moment de convivialité et de partage ». De la merde oui. Les gamins n'auront pu compter que sur quelques selfies illusoires les montrant s'amuser follement, que notre vie est trop belle, et sur l'ivresse d'une bière tiède à quatre degrés. Il m'est impossible que ces gosses soient plus cons que nous et que les précédents. Sans doute ont-ils plus de mal à faire le tri dans le flux d'informations gargantuesque qu'on leur jette au visage. Plutôt que de nager à contre-courant et s'épuiser, faudrait-il leur montrer un petit sentier calme dans la forêt, plus sinueux mais plus doux qui leur permettra d'atteindre cette joie de vivre qui doit leur être promise.

Leur montrer trois zozos américains jouant un Heavy-Blues Psychédélique totalement inspiré de Jimi Hendrix est une première étape. Il faut qu'ils savent que de vieux cuirs comme moi se redressent fièrement à l'écoute de ces tornades soniques, et y trouvent l'excitation suffisante pour propulser un trentenaire bien tassé vers des cieux plus beaux. La musique électronique actuelle défoule sans doute, et permet surtout de plaire aux publics féminin et masculin, ce qui n'était pas évident dans les années soixante-dix. Les gars aimaient The Who, Status Quo et AC/DC, pendant que les demoiselles gémissaient de plaisir sur Marc Bolan, David Bowie, et Ten CC. Aussi, peut-on arriver à la conclusion qu'écouter de la merde permet de draguer facilement ? Je ne l'espère sincèrement pas, et rappelons-nous que c'est le public féminin hystérique qui plébiscita en premier Elvis Presley, les Beatles, les Rolling Stones et les Who. Bien sûr, les groupes ne pouvaient pas jouer dans le brouhaha, mais ils vendirent des disques grâce aux jeunes filles. Aussi, le Rock peut être fédérateur. La comparaison entre Earthless et les Beatles s'arrêtera là.

Earthless est donc un trio essentiellement instrumental mené par un véritable génie de la six-corde électrique : Isaiah Mitchell. Le garçon est surprenant, car il déclara qu'il découvrit en fait Hendrix plus tard, ses principales influences étant Cream, les Rolling Stones et les Beatles. Il n'a aucune connaissance encyclopédique sur le Rock, il n'est guidé que par la passion de jouer du Blues psychédélique. L'homme n'a d'ailleurs aucun plan de carrière, se laissant porter au gré des projets musicaux. Pour Golden Void, il chante également, très bien. Pour Earthless, il n'en voit pas l'intérêt. Il est aussi l'invité de multiples jams entre musiciens, dont certaines ont fait l'objet d'albums en pressage vinyle uniquement, réservé aux esthètes, donc. Il use essentiellement une vieille Fender Stratocaster râpée se rapprochant de plus en plus de celle de Rory Gallagher, qu'il ne doit pas connaître plus que cela. Il parle matériel musical, amplificateur, donne des cours de guitare et se laisse porter par le vent. Son humilité l'oblige à rendre hommage à sa fidèle section rythmique de Earthless, dont le batteur Mario Rubalcaba qu'il considère comme le digne successeur de Mitch Mitchell.

Nous ne trouverons donc pas ici de compositeur torturé, de poète maudit, de bête de scène ambiguë, et encore moins d'artiste capricieux. Les trois sont de bons clients des festivals, jamais avares d'un coup de main ou d'un set improvisé, payé ou non. A l'édition 2008 du Festival Roadburn, Earthless joua à trois reprises, bouchant les trous dans la programmation en plus de leur set officiel. Le principal sera capté, honneur fait par les organisateurs du Roadburn Festival aux groupes qu'ils respectent. Il est ainsi publié et permet à ces formations obscures de proposer un album live enregistré professionnellement devant un public conséquent. Un ou deux artistes par an ont cet honneur, Earthless furent de ceux-là en 2008. Il s'agit d'un double album vinyle ou d'un double album cd, offrant deux longues improvisations chacune basées sur des thèmes publiés sur albums ou maxi. Earthless prend plaisir à les malaxer et à les mélanger pour créer une matière sonore onirique, proche d'une certaine forme de Jazz coltranien. Comme si Mitchell avait réussi ce qu'Hendrix semblait chercher juste avant de mourir : sortir des carcans du morceau classique pour se lancer dans l'aventure sonique à partir de quelques idées de thèmes. Les jams publiées en bootleg semblent le montrer, comme l'improvisation « Villanova Junction » jouée notamment à Woodstock en 1969.

Mitchell n'est ni un simple copieur, ni un passéiste. Si son langage de base vient du Blues électrique psychédélique de la fin des années soixante, il en a développé une forme moderne et personnelle. La totalité du concert est une expérience sonore indescriptible, magique. La guitare vole au-dessus d'une rythmique carrée mais évoluant avec beaucoup de finesse. Ils portent le maître qui s'envole toujours plus haut. C'est un shoot d'acide, d'adrénaline, un véritable langage électrique. Le tempo est enlevé, vif, nerveux, la guitare rageant, tapant du poing sur la table, véritable descente en vaisseau intergalactique à travers les météorites.


Earthless n'a même pas pris la peine d'enregistrer un nouveau disque depuis 2013, laissant le champ libre à Golden Void puis à divers projets solo de Mitchell à travers le monde, croisant sa guitare avec des musiciens espagnols ou australiens. Mais Earthless n'est jamais loin, le vaisseau amiral volant toujours haut dans le ciel, attendant le retour de ses appareils en mission.

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