dimanche 8 janvier 2017

TRESPASS 2015

"Et Trespass n'a pas perdu une once d'énergie."

TRESPASS : Trespass 2015

C'est l'histoire d'un groupe maudit au sens ultime du terme. Un groupe qui aura effleuré une renommée nationale à plusieurs reprises sans jamais réussir à concrétiser. C'est un groupe qui existe encore, près de quarante années après sa formation, et qui vient de sortir un disque sublime, largement à la hauteur de son mythe, juste pour se prouver qu'il est bien vivant, par fierté. Je ne suis pas certain qu'un disque de Trespass fasse un carton dans les classements internationaux, d'autant plus où en est le Rock dans les ventes de disques. Il n'y aura sans doute pas de miracle résurrectionnel à la Santana non plus, ce disque étant publié de manière auto-produite. Pourtant, il s'agit d'un disque immense, qui surpasse de plusieurs têtes tout ce qui a été publié depuis trente ans en manière de Hard-Rock. Il est brillant à ce point.

La Grande-Bretagne a la gueule de bois en 1978. Le Punk mute en New Wave, froide et anxiogène. Les années de colère pubère ont laissé la place à la désillusion, et la crise économique, suivie de l'arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher va enfoncer le pays dans l'abysse de tristesse la plus noire. Le Punk se retire donc peu à peu de la scène pour laisser sa place à de nouvelles formations de Hard-Rock et de Heavy-Metal. Ils sont imprégnés de ce que le genre a fait de mieux depuis 1968, mais a mêlé cela à l'énergie du Punk, ce qui donne une musique à la fois lyrique et dynamique. Cette vague de groupes va être nommée la New Wave Of British Heavy-Metal (NWOBHM), et va permettre à plusieurs groupes d'atteindre la renommée internationale : Iron Maiden, Saxon, Def Leppard, mais aussi dans une moindre mesure Venom, Diamond Head et Tygers Of Pan-Tang. Derrière ces grandes figures se cachent une myriade de groupes, dont la réputation va prendre de l'ampleur grâce à un fan de taille : le batteur de Metallica, Lars Ulrich. L'homme, fan absolu de tous ces groupes, n'aura de cesse d'en faire l'apologie, des plus célèbres aux plus obscures. Il participera à une compilation publiée en 1990 pour les dix ans de la NWOBHM qui remettra en lumière plusieurs d'entre eux, et alors que Metallica est à son paroxysme de célébrité avec le Black Album : Savage, Samson, Diamond Head, Witchfynde, Sweet Savage, Venom, et bien évidemment, Trespass.

Formé au milieu des années 70 dans le Suffolk par les frères Sutcliffe, Mark à la guitare-chant et Paul à la batterie, accompagné d'un copain de lycée, Dave Crawte, à la guitare, Fusion devient Trespass en 1978. Les trois vont tenter de créer un Hard-Rock à la fois puissant et hautement mélodique, dans la lignée de Thin Lizzy et UFO. Cet alliage délicat va prendre forme peu à peu, et va se concrétiser par un premier simple historique : « One Of These Days », publié et auto-produit en 1979, suivi de « Jealousy » l'année suivante. Cela suffit pour convaincre la major EMI de les signer pour une participation au volume deux de sa compilation consacrée au nouveau Heavy-Metal anglais : Metal For Muthas. Le premier volume avait notamment révélé Iron Maiden, Samson et Angelwitch. Et pour ne rien gâcher, Trespass a droit à deux titres sur ce second volume, tout comme Iron Maiden sur le premier, c'est dire si EMI croit au quatuor des frères Sutcliffe. Malgré deux superbes obus de première qualité, « One Of These Days » et « Stormchild », le groupe n'obtient pas les retombées équivalentes à Iron Maiden. Le second volume de Metal For Muthas n'a pas reçu le même succès que le premier, et la porte se referme aussitôt.

Vont s'en suivre des années de galères sans nom, où le groupe va continuer à y croire. Un EP de trois titres, toujours auto-produit, est publié en 1981. Mais malgré des petites salles toujours pleines, et de cartons de disques qui partent à la fin de chaque set, rien ne se concrétise. La NWOBHM passe peu à peu de mode, et seuls les groupes les plus hargneux et thrashy trouvent encore un certain écho sur les petits labels. Trespass et son Heavy-Metal classieux et mélodique ne trouve plus sa place sur cette scène musicale britannique en pleine mutation avec le Thrash et le Glam-Metal. Ils entassent les démos, la formation évoluant toujours autour des frères Sutcliffe et de Dave Crawte avec l'appui de plusieurs bassistes et de chanteurs.

Vers le milieu des années 80, les trois amis lâchent la rampe. Un concert ou deux réaniment de temps en temps la flamme, mais ils ont désormais tourné la page. Jusqu'à cette fameuse compilation mise au point par Lars Ulrich, qui réanime le souvenir de nombreux groupes. Beaucoup vont saisir la balle au bond pour se reformer et vivre une seconde chance inespérée au début des années 90 : Savage, Sweet Savage, Diamond Head, Samson, Venom, et bien sûr Trespass. Ils vont publier un premier album regroupant des enregistrements du début des années 80, The Works, en 1992. Le disque a suffisamment de succès pour encourager Trespass à publier un album de titres entièrement nouveau, Head, en 1993. Ce dernier n'aura par contre pas beaucoup de succès, hormis au Japon. Ce dernier est alors un fervent supporter des groupes de la NWOBHM, une appréciation proche du culte, au même titre que quelques grands noms du Hard-Rock anglais des années 70 comme Deep Purple. Trespass va s'y produire pour une petite tournée japonaise, premier déplacement du groupe hors de Grande-Bretagne. Mais l'aventure s'arrêtera à nouveau là, le quatuor retrouvant l'oubli. Une seconde compilation de démos sera publié en 2000, The Works II, au moins aussi bonne que la première, qui ne ravira à nouveau que les fans ultimes. L'ensemble de ces enregistrements fera l'objet d'une nouvelle anthologie assemblée par le label de Iron Maiden, Sanctuary, sous la forme d'un beau double disque compact, en 2004. Il ne trouvera acquéreur que chez les fans de la NWOBHM, et permet de maintenir l'intérêt afin que Trespass puisse poursuivre à jouer dans quelques salles dans le pays.

Mais jamais, Paul Sutcliffe, Mark Sutcliffe, et Dave Crawte n'abandonneront vraiment. Ils sont ainsi de plus en plus fréquemment invités sur des festivals revival regroupant des formations anglaises du début des années 80 partout en Europe. Trespass n'a jamais eu de succès, et n'a jamais publié d'album durant l'époque glorieuse de 1979-1983, mais conserve son statut de groupe culte soutenu et reconnu par Lars Ulrich de Metallica.
Les technologies évoluant, il devient de plus en plus facile de publier un album soi-même, et de le diffuser via un site internet. Cette opportunité est trop belle pour Trespass de capter de manière propre ses vieux morceaux. Ce qui aurait pu être un simple baroud d'honneur de la part d'un groupe usé, aux musiciens ayant atteint la cinquantaine, va se transformer en chef d'oeuvre.

Les dix morceaux sélectionnés sont pour ainsi dire répétés et étrennés depuis presque quarante ans. Ils sont peaufinés, ciselés, affûtés depuis toutes ces années. Et Trespass n'a pas perdu une once d'énergie. Leur technique instrumentale s'est au contraire largement améliorée, et ils sont désormais des musiciens parfaitement accomplis, au feeling redoutable. Les versions captés au début des années 80 et publiés sur les deux volumes de The Works avaient déjà permis de constater que Trespass disposait d'un répertoire brillant, mais dont la prise de son était parfois bien maigre par rapport au potentiel des chansons. On sent le groupe se battre avec les moyens et les circonstances. Cette fois-ci, Trespass ne se fait plus d'illusion, mais a décidé de tout donner dans ce qui pourrait être son ultime disque, qu'il va vraisemblablement vendre à ses concerts, toujours réguliers. Le quatuor tourne toujours dans un van, le matériel entassé à l'arrière, comme en 1980, la foi intacte. Quelques concerts ont d'ailleurs fait sensation sur les réseaux sociaux : Trespass impressionne toujours par son brio musical intact.

Cet album éponyme de 2015 est une fantastique preuve de la vivacité de Trespass. Les dix compositions antédiluviennes sont littéralement transcendées par les quatre musiciens. Certains n'avaient fait l'objet que d'une démo mal dégrossie comme « Ace Of Spades » ou « Lightsmith ». Ils sont désormais explosifs, brûlants de puissance et de férocité métallique. Il n'est pas question ici d'une quelconque course à l'armement pour concurrencer les thrashers. Il s'agit bien de virtuosité et de talent à l'état pur dans l'interprétation. Cette dernière est purement Hard-Rock et Heavy-Metal. Le son est organique, simple, carré. Les guitares sont lumineuses, doublées avec minutie, les riffs tranchants, la batterie puissante et précise, la basse sobre.

Il n'y a absolument rien à redire. La sélection des morceaux, leur interprétation, les idées de réarrangement par rapport aux versions originales confinent au génie. On retrouve toute l'âme du groupe intacte, avec une inspiration encore décuplée après trente-cinq ans à rôder ces morceaux sur la route. Certains ont bénéficié du rajout d'improvisation de guitare supplémentaire, tel « Eight Til Five », qui après son thème obsédant explose en un chorus lumineux. « One Of These Days » se voit greffer un solo final supplémentaire, et « The Duel » irradie littéralement d'électricité sauvage.


Je n'attendais absolument rien de cet album. Je l'ai acheté presque machinalement, un peu par curiosité, et par fanatisme pour cette formation injustement méconnue. Rien, absolument rien ne m'avait préparé à un tel choc musical. Je m'attendais à des versions honnêtes, carrées, précises, mais aussi un peu blasées par le temps perdu, et l'espoir et la motivation qui disparaissent. Il n'en est absolument rien. Cet album est une pure merveille de Hard-Rock mélodique anglais. Trespass a sorti son grand œuvre, il a concrétisé enfin de la plus belle des manière sa musique sur disque. Et cela me ravit au plus haut point. Il est à espérer que cet album ne soit que le premier d'une longue série de captations du titanesque répertoire qui sommeille depuis 1979.

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