mardi 11 avril 2017

JOHN WETTON

"Et son souffle est encore vivace à chaque archive ressortie de King Crimson ou de UK."


JOHN WETTON 1949-2017



Je n'aime pas les biographies post-mortem, mais je me dois de réparer une erreur. Sur un blog ami, j'ai écrit un commentaire sur un hommage à John Wetton. De manière plutôt laconique, j'ai annoncé qu'il n'avait pas eu une carrière si extraordinaire que cela. J'ai trouvé cela très cruel de ma part à la réflexion. Combien de musiciens aimeraient ou auraient aimé avoir ne serait-ce que la moitié de sa discographie et de son talent ? Des milliers sans doute, et moi, pauvre scribouillard, je me permets de juger que sa carrière ne fut pas si extraordinaire que cela. Comprenons-nous bien, elle ne fut pas un long fleuve tranquille, et fut aussi le théâtre de quelques fautes de goût. Mais bon sang, il y a tout de même de sacrés disques, et rien que cela, je me devais d'être plus objectif.


Né le 12 juin 1949 à Willington dans le Derbyshire, John Wetton est un pur produit anglais post-seconde guerre mondiale. C'est la découverte du Rock'N'Roll, mais aussi du Blues et du Jazz qui le convainc de se mettre à la guitare et au chant. Il joue dans les groupes de son ami Richard Palmer-James dont les Corvettes, Tetrad ou Ginger Man, dans lesquels il se fait la main. Et le garçon a beaucoup de talent, suffisamment pour apparaître rapidement dès le début des années 70 dans quelques formations tout à fait brillantes : Mogul Thrash d'abord, groupe de Jazz-Rock anglais dans la mouvance de Nucleus, puis Renaissance et Family. Il n'y tient que la basse, et éventuellement les choeurs, mais son jeu est déjà d'une richesse suffisante, à vingt-deux ans, pour figurer parmi les meilleurs formations Jazz-Rock et Progressive. Dans Family, il va notamment dévoiler son jeu puissant, véritable seconde guitare, qui va littéralement propulser le vénérable quintet Blues progressif.


Cela est suffisamment probant pour qu'il soit remarquer par le roi du Rock Progressif : le guitariste Robert Fripp, de King Crimson. Dès 1972, Wetton en devient le bassiste-chanteur, dans une mouture qui va laisser des traces musicales historiques aux côtés du batteur Bill Bruford et du violoniste David Cross. Wetton ramène dans son flightcase Richard Palmer-James, qui deviendra le parolier de King Crimson après le départ de Peter Sinfield. Trois albums majeurs sont mis en boîte entre 1972 et 1975, dont le surnaturel Red. Cette formation de King Crimson est plus sombre, plus agressive aussi. La voix profonde et veloutée de Wetton fait merveille, tout comme son jeu de basse, véritable alter-ego de la guitare de Fripp. Wetton et Bruford constitue une section rythmique magique, parmi celles qui feront date au même titre que Entwistle-Moon des Who, ou Appice-Bogert dans Cactus. L'histoire King Crimson se termine brutalement lorsque Fripp décide de mettre un terme à son groupe, convaincu que le Rock Progressif est dépassé, et surtout, épuisé par trois années non stop entre studio et concerts. Des archives ressortent régulièrement via le site officiel de Fripp, toujours exceptionnelles, laissant pantois devant autant d'audace et de maestria, quatre musiciens totalement complémentaires improvisant en permanence. Ces concerts inédits soulèvent autant l'enthousiasme chez les amateurs qu'un nouveau concert inédit d'Hendrix ou de Led Zeppelin, car chaque set de King Crimson était différent. Le live USA publié en 1975 viendra confirmer cet état de fait, même si des pistes de violon furent refaites a-posteriori par un certain Eddie Jobson.


L'aventure King Crimson bouclée, Wetton rejoint Uriah Heep pour remplacer à la basse Gary Thain, parti à cause de gros problèmes d’héroïne. Il figure sur High And Mighty comme modeste sideman, ainsi que sur la tournée. Mais il fomente son retour. Alors que le Punk est arrivé, et que le Progressif est sur la sellette, Wetton forme un supergroupe de Rock Progressif : UK. Il s'agit là d'un équipage de luxe : Wetton à la basse et au chant, Bill Bruford à la batterie, Allan Holdsworth à la guitare et … Eddie Jobson aux claviers et au violon. Alors que le genre semble perdu, noyé par la nouvelle génération du Rock, et que les derniers représentants sont des groupes de trentenaires cocaïnés, UK nettoie le genre. Musique dynamique, les morceaux de UK sont efficaces, mélodiques, mais toujours dotés de virtuosité et de structures musicales audacieuses. Cela est fusionné finement, sans démonstration ostentatoire. Le premier album éponyme est une merveille qui conduit le quatuor sur les routes du monde entier, et fait de UK une attraction scénique demandée.


Hélas, le versatile Allan Holdsworth s'en va, suivi de près par Bill Bruford qui n'aime pas la tonalité des nouvelles compositions. UK décide de ne pas remplacer le guitariste, et recrute le virtuose Terry Bozzio à la batterie. Le second album, Danger Money, est lui aussi magistral, mais ne bénéficie pas de l'écho favorable du premier. Un disque en concert est publié en 1981, mais UK n'existe déjà plus, séparé l'année précédente après une ultime tournée internationale.


A ce moment précis, John Wetton n'est pas encore ce que l'on peut appeler un artiste au succès international majeur. Si King Crimson et UK ont fait connaître John Wetton partout dans le monde, et lui ont permis d'accéder à la reconnaissance internationale de la scène Rock, public comme musiciens, il n'a pas encore fait fortune. Il vit confortablement, mais sans excès, et ne peut se permettre d'arrêter de tourner et d'enregistrer. Toujours sur la corde raide, il n'a pas de mal à participer à des albums. Il va ainsi participer à l'album Number The Brave de Wishbone Ash en 1981. Il se permet également de tenter l'expérience en solo en publiant son premier album sous son nom propre en 1980 : Caught In The Crossfire. On découvre que la tendance musicale naturelle de Wetton est de fusionner les mélodies accrocheuses à une musique plus complexe issue de son passé. L'album ne soulève l'intérêt que des derniers fans de Progressif, sans ouvrir davantage son auditoire.


La vraie opportunité viendra de la formation d'un nouveau supergroupe Progressif : Asia. Le quartet regroupe Wetton, Carl Palmer de ELP à la batterie, de Steve Howe à la guitare et de Geoff Downes aux claviers, tous deux en rupture de Yes. La démarche initiée par UK va se poursuivre avec Asia, à savoir la fusion de la mélodie et de la virtuosité. Asia est déjà ce que l'on peut appeler un groupe de Hard-Rock FM, mais avec toutefois une compétence technique et artistique d'un tout autre monde. Le premier album, Asia, est publié en 1982, et contient le tube écrit par Wetton : « Heat Of The Moment ». L'album, emmené par le simple, se vend à huit millions d'exemplaires. C'est la consécration, le succès international. Wetton devient un musicien majeur, sur le toit du monde. Les salles les plus prestigieuses sont pleines partout sur la planète, et c'est lui, la voix d'Asia. C'est un grand moment pour John Wetton, qui savoure ce sommet de sa carrière à trente-quatre ans. Sa tendance à la boisson s'accentue dans un esprit de fête bien mérité.


Malheureusement, la fête va vite s'arrêter. Des tensions apparaissent rapidement entre ces quatre egos surdimensionnés. Howe part rapidement, et les albums suivants se vendent de moins en moins, malgré des chiffres toujours conséquents, de quelques millions d'exemplaires vendus par le monde. Le destin de John Wetton commence à lui échapper, il perd pied. Il s'en va d'Asia en 1986, et sombre dans l'alcool. La suite de sa carrière, en solo comme dans de nouveaux projets, ne sera qu'une quête vaine pour retrouver le succès de « Heat Of The Moment » d'Asia. Wetton court après les chimères du Rock FM, toujours bien entouré, mais de plus en plus à court d'inspiration. Il sombre dans la dépression. Ce n'est que quand il reprend ses vieux classiques des années 70 qu'il brille, son talent intact. Il devient une attraction pour amateur de Rock Progressif, icône du passé surfant sur une réputation intacte mais écornée par sa santé défaillante.


Wetton reprend peu à peu ses esprits, sort de l'alcool, et trouve la paix avec lui-même. Il admet sa situation, sa réputation, ce qu'il est. Et cela est loin d'être humiliant : bassiste-chanteur de King Crimson, de UK, d'Asia, sideman chez Family, Renaissance, Wishbone Ash, Uriah Heep… il faut avouer qu'il y a tout de même pire comme curriculum-vitae. Alors John Wetton relève les compteurs, entre albums solo, groupes prestigieux, reformations d'Asia ou d'UK…. Les ventes de disques sont honorables, la réputation intacte, et la voix retrouvée.


Malheureusement, c'est écrit, John Wetton ne pourra pas savourer longtemps son bonheur. Il est atteint d'un cancer du colon, qui le ronge durant plusieurs mois. Il se bat fièrement, gardant le sourire dans l'épreuve. A Noël de l'année 2016, il est invité chez les Fripp pour le Réveillon. Quelques photos sur les réseaux sociaux les montrent souriants, riant de bon coeur. Wetton est amaigri mais jovial, ses messages sont porteurs d'espoir. La communauté des fans de King Crimson le soutient dans son combat, qu'il perdra finalement le 31 janvier 2017. La tristesse sera grande parce que John Wetton était un bassiste, un chanteur, et un compositeur de premier ordre, qui a propulsé tous les groupes dont il fit partie entre 1971 et 1985 à un niveau intersidéral. King Crimson n'aurait jamais été le même sans son apport, pas plus que UK et Asia. Même ses participations relèvent le niveau : Family, Wishbone Ash… Il lui suffit de jouer de la basse, ou de chanter, et voilà un disque passé dans une autre dimension.


Alors, je dois avouer être plus critique sur ses albums post-1985, mais lorsque l'on a participé à plus de dix albums majeurs dans sa vie de musicien, on peut largement s'estimer heureux. Et son souffle est encore vivace à chaque archive ressortie de King Crimson ou de UK. Il est évident que l'on ne cerne pas encore totalement l'héritage de John Wetton, car son œuvre n'a pas encore été justement évaluée. 

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