mardi 3 octobre 2017

MOONLESS

"Il n'y a pas de lumière en Enfer, et c'est sans doute ce qui carbonisa ce quatuor venu du Danemark. "

MOONLESS : Calling All Demons 2012

Il n'y a pas de lumière en Enfer, et c'est sans doute ce qui carbonisa ce quatuor venu du Danemark. Il ne reste que bien peu de choses de leur courte existence, à part ce disque au combien grandiose. Monté par une petite équipe de fous furieux de Doom-Metal et de vieux Proto-Metal des années 70, Moonless est un groupe qui n'a aucune autre prétention que d'offrir une musique jouissive, qu'importe si sur le papier elle n'apporte rien à la grande Histoire du Rock'N'Roll.
Moonless s'inspire de Pentagram, fortement, The Obsessed, et bien évidemment Black Sabbath. Il ne s'embarrasse pas de tempi ultra-ralentis, d'atmosphères gothiques, ou de fioritures théâtrales. Il va à l'essentiel, pour que le groupe comme l'auditeur subissent le shoot d'adrénaline.

Un rapide tour des forces en présence s'impose. D'abord, le groupe est fondé aux alentours de 2010 parmi la modeste scène Heavy-Metal danoise. Si les voisins norvégiens et suédois sont plutôt bien dotés en groupes de Rock à haute énergie, le Danemark est un bien modeste dealer de fulgurances électriques. Néanmoins, on peut y compter les fantastiques héros Prog-Rock Culpeper's Orchard entre 1970 et 1974, et les noirs chevaliers du Heavy-Metal progressif satanique : Mercyful Fate. Mais depuis, pas grand-chose de notable, et on peut l'expliquer, vu la taille modeste du pays, assez proche de la Suisse, y compris dans l'esprit même de ses habitants. Les remerciements plus que succincts dans les notes de pochette montrent combien Moonless dû se forger seul, uniquement soutenu par une maigre équipe de fanatiques convaincus et basée à Copenhague.

Le guitariste Hasse Dalgaard et le chanteur Kenni Holmstad Petersen unissent leurs forces, rejoints par le batteur Tommas Svendsen et le bassiste Kasper Maarbjerg. Le jus sort rapidement de ses gonades, et une séminale substance aboutit en l'écriture et la répétition de six morceaux qui serviront de base à un premier album, support indispensable pour se faire un nom sur le circuit visé : le Stoner et le Doom. Le public en question est encore attaché à la notion d'album, qui doit être défendu comme il se doit sur scène. Moonless va donc consciencieusement distribuer son album en vinyle et en cd via un petit label tchèque, Doomentia Records, et va développer son merchandising : autocollants, tee-shirts…. Il tourne également en compagnie d'équipages de trois ou quatre groupes à travers l'Europe : pêle-mêle Suma, Cauchemar, Bottom Feeder… Les dates restent cantonnées au Nord de l'Europe, et Moonless ne décrochera pas une première partie plus flatteuse lui permettant de tourner à travers le continent devant des foules plus nombreuses. Il brave les intempéries jusqu'en 2014, date de sa dissolution officielle. Depuis, les musiciens semblent avoir retrouvé l'anonymat le plus complet, aucun n'ayant poursuivi dans une autre formation, à ma connaissance toutefois.

Mais déjà, le parcours de Moonless était truffé d'embûches. En effet, le disque fut capté au Samsø Austin Museum en septembre 2010, et ne verra le jour sur Doomentia Records qu'en 2012. En quelques mois, le groupe avait à sa disposition une matière musicale d'une qualité assez stupéfiante. Moonless pratique un Doom fortement imbibé de Stoner-Rock, c'est-à-dire que la musique est à la fois massive et menaçante, et doté d'un groove imparable. La voix de Petersen est totalement parfaite pour cette musique : rugissante, à la fois puissante et râpeuse, dotée d'un voile rugueux et d'un petit trémolo sur les notes les plus hautes. La section rythmique est aussi à l'aise sur les tempi rapides que sur ceux plus lourds. Souple, dynamique, elle ne fait aucun quartier. Il n'y a pas de démonstration excessive, juste un sens du rythme exceptionnel. La basse est saturée, elle vrombit derrière la guitare, pendant que la batterie déclenche la foudre, enluminée de cymbales fracassées et de roulements de caisses aussi évidents qu'efficaces et finement apportés.

La guitare de Hasse Dalgaard mérite aussi son couplet, véritable usine à riffs et power-chords de génie. L'homme cisèle un tapis sonore menaçant et grondant, toujours soutenu par la basse. Il se dessine un fond musical lourd et mouvant, emportant l'auditeur sur une vague qui ondule au gré des chorus, des ponctuations et des soli qui élève régulièrement la musique de Moonless vers le ciel. Le groupe a un tel potentiel que tous les morceaux oscillent entre cinq minutes trente et sept minutes quarante seconde sans le moindre temps mort. On retrouve la fluidité de Diamond Head, cette capacité à faire évoluer l'auditeur au gré des climats sans avoir l'air. Le chorus est souvent concis, et sert de respiration au sein d'une musique d'une densité et d'une force rare.

Moonless n'a pas froid aux yeux et débute l'album par son morceau le plus long : « Mark Of The Dead ». Arrivant en écho lointain sur une ligne de basse rappelant un rail métallique, le riff et la rythmique viennent exploser au visage de l'auditeur imprudent. Le chant de Petersen est menaçant, sauvage. Une force considérable s'élève de cette musique. Les mains crispées sur son pied de micro, Petersen éructe la colère du Monde du Dessous de Lovecraft, celui des Morts et des Bêtes de l'Ancien Monde. Les instruments forment une masse compacte, impeccable de dynamique et de férocité. Les musiciens accélèrent brutalement le tempo afin de créer une première tempête infernale, et rompre la linéarité du riff démoniaque. Dalgaard écrase sa pédale wah-wah, et fait déraper le thème en des hululements d'oiseaux nocturnes obsédants.

« Devil's Tool » poursuit sur un mid-tempo heurté, au riff en forme de coup de poing au visage. On imagine les têtes des auditeurs se secouer en rythme, possédés, couverts de sueur, les yeux fermés et les mâchoires fermées, ressentant au plus profond de leurs êtres la musique de Moonless. La guitare malaxe à nouveau le riff initial, poussée par une rythmique implacable. Daalgard cisèle un solo épique, véritable décollage vers l'hyper-espace. Pas d'esbroufe technique, juste une ligne mélodique dérivée du riff initial, apportant du corps, de la dimension à la musique. Chant et guitare se complètent admirablement, véritable interaction rappelant Led Zeppelin.
« Horn Of The Ram » est un thème plus classique, rappelant énormément Black Sabbath, sans pour autant crier au plagiat. Il y a une telle énergie chez Moonless, une telle férocité, une telle envie de mordre… Daalgard tient la maîtrise de la manœuvre, parfaitement secondé par la batterie et la basse. Petersen peut à nouveau rugir, solidement campé sur ses deux jambes et sur un groupe sans faille.

« Calling All Demons », le morceau-titre, retrouve le swing de « Devil's Tool », ce pas rapide, qui explose dans un cri sauvage de Petersen. Le riff est presque Punk dans sa sonorité haute perchée. La basse improvise à la manière de Geezer Butler de Black Sabbath, ces lignes qui sortent du rail du riff pour vrombir plus haut en quelques notes inspirées du Jazz, avant de retourner derrière la guitare. Le changement de riff est démoniaque, toujours emmené sur le même tempo massif et obsédant. Puis Moonless se lance dans une seconde partie en forme de Boogie enclume. Petersen incante les démons, Daalgard, Svendsen et Maarbjerg propulse le groupe dans la stratosphère. Daalgard se lance dans un superbe chorus cosmique, avant de revenir à la brutalité du Boogie démoniaque.

« The Bastard In Me » est un terrifiant constat personnel, une violente description de dégoût vis-à-vis de soi. Emmené sur un tempo rapide, le riff est noir, sans espoir. C'est aussi un cri de rage, un besoin irrépressible de liberté, quoiqu'il en coûte. Implacable, granitique, il est illuminé d'un solo de guitare très inspiré de Jimmy Page de Led Zeppelin.
« Midnight Skies » clôt l'album de superbe manière. Le riff est magique, entêtant, à la fois tellurique et héroïque. Le groove massif s'imprime à nouveau. Petersen hurle comme un damné au milieu de cette furie électrique. Il y a de la colère, et bien peu d'espoir au milieu de cette tornade sonore. Il y a une détermination à avancer coûte que coûte, dans l'obscurité de la nuit. L'accélération du tempo doublée d'un riff massif et conquérant vient consolider cette impression. La guitare n'en finit pas d'équarrir de grondants power-chords avant de faire hululer la wah-wah dans l'écho fantomatique. Petersen reprend la main, et poursuit, implacable sa litanie, avant de brutalement stopper ce torrent de colère.

Il ne reste aujourd'hui plus grand-chose de Moonless à part ce disque prodigieux, excitant de la première à la dernière note. Il y a peu, les musiciens se débarrassaient de leurs derniers éléments de merchandising, comme on vide une maison après une séparation. Savent-ils que cet album va sans en douter rejoindre la liste des disques uniques et cultes comme celui de Black Cat Bones, Leaf Hound, Granicus, ou Road ? Espérons en tout cas qu'ils auront la possibilité de remonter ensemble sur scène avant d'avoir atteint la cinquantaine afin de jouer la musique de Moonless avec tout le jus nécessaire.

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